2. Une concertation trop tardive et des procédures mal maîtrisées

Parmi les critiques auxquelles la gestion du dossier Rhin-Rhône a prêté le flanc, le manque de concertation est sans doute l'une des plus graves. Une haute personnalité estimait d'ailleurs devant votre commission d'enquête qu'à tort ou à raison le projet de liaison à grand gabarit était apparu aux citoyens comme " un travail d'ingénieurs qui n'ouvraient pas leurs dossiers à la consultation locale ".

Deux périodes ont marqué l'évolution du dossier : durant la première (1978-1995) celui-ci a été géré par la CNR. Au cours de la seconde (1996-1997) il a été confié à la SORELIF.

Au début 1996 , -dix huit ans après la déclaration d'utilité publique des travaux- la SORELIF, qui venait d'être constituée, ne disposait que d'un avant-projet sommaire . Ce document devait faire l'objet d'une concertation avec les services de l'Etat et avec les acteurs locaux (collectivités locales et population). Ainsi, à moins de deux ans de la fin de la validité de la déclaration d'utilité publique (le 30 juin 1998) qui permettait de procéder aux expropriations, un très important travail de consultation et de concertation restait sur le métier .

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, prenant acte de la situation qui perdurait avait d'ailleurs, dès 1993, recommandé l'ouverture d'un débat démocratique et d'un suivi indépendant 15( * ) .

C'est dans ce contexte que le Premier Ministre décida de lancer, au début 1996, " une consultation à l'occasion de laquelle les habitants des départements concernés par le projet pourraient s'exprimer " 16( * ) ; afin de compenser le déficit de concertation qui grevait le dossier depuis l'origine. Cette consultation se déroula du 30 mai au 15 septembre 1996 dans le Haut-Rhin, le Territoire de Belfort, le Doubs, le Jura et la Côte d'Or. 180.000 documents d'information furent déposés au domicile des riverains. Au total, 7.000 personnes participèrent à 35 réunions et plus de 1.500 livrets-réponses contenant des observations furent adressés à la boîte postale créée à cette fin.

La consultation marqua une inflexion dans la politique de communication menée au sujet de la liaison. Le préfet de la région Franche-Comté ne relevait-il pas, dans la synthèse publiée en octobre 1996, que " l'évolution positive dans la façon dont le maître d'ouvrage aborde ses relations avec les acteurs locaux : particuliers, élus, administrations, dans le cadre d'une concertation plus ouverte ne sera pas le moindre des mérites de cette consultation et facilitera son action " 17( * ) ?

La procédure choisie avait cependant pour inconvénient de retarder le début des travaux. Le Gouvernement souhaita, en effet, que durant les quatre mois nécessaires à la consultation, les enquêtes parcellaires préalables aux expropriations soient bloquées. Elles ne recommencèrent qu'en octobre 1996, alors que toutes les formalités d'expropriation devaient être réalisées avant le 30 juin 1998, soit moins de 2 ans plus tard !

Parallèlement à la consultation décidée par le Gouvernement, deux enquêtes publiques devaient être conduites pour l'application de la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement dite " loi Bouchardeau " et de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.

Afin de clarifier les conditions dans lesquelles ces deux enquêtes publiques se dérouleraient, le Gouvernement décida que l'enquête " Bouchardeau " précéderait l'enquête " loi sur l'eau ". Comme l'indiquait le Ministre de l'Environnement dans une lettre adressée au Préfet de la Région Franche-Comté le 23 juillet 1996 :

" Les deux procédures ne peuvent être confondues :

- la première doit couvrir l'ensemble des questions d'environnement (eau, risques, déblais, paysages, nuisances, etc...) et leurs liens réciproques afin de recueillir, grâce à l'enquête " Bouchardeau ", les avis et suggestions des populations concernées ;

- la seconde permettra aux riverains et aux ayant-droits de prendre une connaissance précise des conséquences concrètes pour leurs biens de la réalisation du projet en termes d'hydraulique, de crues, d'approvisionnement en eau.

Pour informer au mieux les populations et assurer au maître de l'ouvrage la plus grande sécurité juridique possible, les résultats de l'enquête " Bouchardeau ", en particulier hydrauliques, devront être intégrés à l'étude sur l'eau. Aussi les deux procédures doivent se dérouler successivement.


Le déroulement des procédures d'enquête publique " Bouchardeau " et " loi sur l'eau " était incontournable . Un jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 décembre 1993 et un arrêt du Conseil d'Etat du 25 mai 1994 portant annulation des autorisations de dragage sur la Saône pour non-respect de la procédure " Bouchardeau " ne laissaient subsister aucun doute sur ce point.

Le maître d'ouvrage délégué fut contraint de préparer, dans un délai record, des consultations dont l'enchevêtrement n'était pas loin de s'apparenter à un imbroglio juridique !

Fallait-il dès lors " repartir de zéro " et lancer une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique qui aurait momentanément relâché la pression pesant sur le maître d'ouvrage ? Sans répondre à cette question, votre commission d'enquête s'étonne que l'on n'ait pas pris, entre 1980 et 1995, de mesures pour engager une véritable concertation, avec les populations, les élus et l'Etat et pour respecter les dispositions de la loi Bouchardeau et de la loi sur l'eau .

Les errements de la gestion administrative du dossier ont, en effet, affaibli la position occupée par les promoteurs du projet.

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