Proposition de loi sur les droits de l'enfant dans le monde

RICHERT (Philippe)

RAPPORT 224 (98-99) - commission des affaires culturelles

Table des matières




N° 224

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 février 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, visant à inciter au respect des droits de l'enfant dans le monde , notamment lors de l'achat des fournitures scolaires ,

Par M. Philippe RICHERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 1069, 1201 et T.A. 199 .

Sénat : 80 (1998-1999).


Enfants.

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est conduit à examiner cette proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 19 novembre 1998 qui vise à inciter au respect des droits de l'enfant dans le monde, notamment lors de l'achat des fournitures scolaires.

Cet intitulé qui peut apparaître singulier s'explique en fait par la genèse même du texte qui est soumis à l'examen du Sénat.

La proposition de loi résulte en effet directement des derniers travaux du Parlement des enfants qui s'est réuni le 16 mai 1998 à l'Assemblée nationale ; à cette occasion les 57 " députés-juniors " ont adopté une proposition de loi présentée par des élèves de la classe de CM2 de l'école Saint-Exupéry de Sarcelles, visant à interdire l'achat par les établissements scolaires et les collectivités locales concernées des fournitures fabriquées par des enfants dans des pays où les droits de l'enfant ne sont pas respectés.

Ce dernier texte a été repris et déposé dans sa rédaction initiale, par Mme Raymonde Le Texier, député de la huitième circonscription du Val d'Oise où est située cette école.

Votre commission tient d'abord à rappeler que, comme l'Assemblée nationale, le Sénat a déjà organisé deux opérations similaires, dites " sénateurs-juniors " en 1997 et en 1998 qui ont rassemblé des collégiens de diverses académies de métropole et d'outre-mer et qu'un nouveau concours " sénateurs-juniors " devrait se tenir le 27 mars 1999.

Il convient à cet égard de saluer la qualité des chartes qui ont été successivement adoptées dans l'hémicycle du Sénat ; celles-ci témoignent de l'intérêt porté par ces jeunes collégiens à la démocratie parlementaire et à la vie publique.

S'agissant du dispositif même de la proposition de loi, celui-ci a été profondément remanié à la suite de son examen par l'Assemblée nationale, son texte initial, de caractère impératif étant apparu manifestement en contradiction avec les engagements internationaux qui s'imposent à notre pays et les règles des marchés publics ; il lui a été substitué un dispositif moins ambitieux, de nature incitative, qui prend en compte ces contraintes mais dont la portée est singulièrement amoindrie.

Tout en saluant le message de générosité et de solidarité exprimé par les " députés-juniors ", votre commission ne peut que faire part de sa perplexité à l'égard d'une proposition de loi dont la valeur normative lui apparaît des plus incertaines, même si sa portée pédagogique est évidente, et qui relèverait, pour certaines de ses dispositions, davantage de la simple circulaire que de la loi, le problème de sa mise en oeuvre effective restant en tout état de cause posé.

Cet embarras a d'ailleurs été partagé par les députés des groupes de l'opposition qui se sont abstenus lors du vote sur cette proposition qu'ils ont jugé " illusoire et sans vraie portée pratique " et qui ont exprimé explicitement l'espoir que le Sénat en améliore la rédaction.

Il convient enfin de noter que le gouvernement, représenté par Mme Ségolène Royal, ministre délégué à l'enseignement scolaire qui a montré depuis son entrée en fonctions tout l'intérêt qu'elle portait au respect des droits de l'enfant, a apporté son entier soutien à ce texte, sans fournir cependant à l'Assemblée nationale les précisions nécessaires quant à sa mise en oeuvre effective.

Avant d'examiner le détail des trois articles de la proposition de loi, il conviendra de rappeler les données disponibles permettant de mesurer l'importance prise par le travail des jeunes enfants dans le monde, d'exposer les principales initiatives prises pour prévenir les formes les plus extrêmes de ce fléau et de retracer les obligations internationales qui s'imposent à la France et qui limitent en fait de manière très restrictive les initiatives que pourrait prendre le législateur en ce domaine.

*

* *

I. LE TRAVAIL DES JEUNES ENFANTS : UN PHÉNOMÈNE MONDIAL ET UNE COMPOSANTE MAJEURE DE L'ÉCONOMIE DES PAYS À BAS SALAIRES

A. UN PHÉNOMÈNE QUI N'ÉPARGNE AUCUN CONTINENT

1. La mesure du phénomène

D'après les données fournies à l'Assemblée nationale par Mme Carol Bellamy, directeur général de l'UNICEF, 250 millions d'enfants entre cinq et quatorze ans effectueraient dans le monde un travail pouvant être considéré comme une exploitation.

Ces estimations sont confirmées par l'Organisation internationale du travail qui indique que le phénomène touche plus particulièrement les pays en développement mais n'épargne pas certains pays industrialisés ou en économie de transition : 153 millions d'enfants travailleraient ainsi en Asie, 80 millions en Afrique, 17 millions en Amérique latine.

Le travail des enfants se développe notamment aujourd'hui dans les pays de l'Est et d'Asie qui libéralisent leur économie.

En l'absence de toute politique sociale, les familles déshéritées de Bolivie, du Brésil, du Sénégal, de l'Inde, du Népal, des Philippines, de Thaïlande... n'ont aucun moyen de scolariser leurs enfants : 141 millions d'enfants dans le monde ne seraient pas ainsi en mesure d'apprendre à lire, à écrire, et donc de préparer leur avenir, cette réalité constituant en fait un obstacle majeur à un véritable développement de ces pays.

Dans la majorité des situations, ces enfants, et notamment les filles, participent aux tâches agricoles et domestiques et tiennent une place importante dans l'économie de leur pays.

Ils constituent par ailleurs une main-d'oeuvre peu coûteuse dans les activités industrielles, qu'il s'agisse de l'extraction du charbon dans plusieurs pays d'Amérique latine, de la fabrication d'articles de sports, de tapis, de vêtements, de meubles, de briques dans les plus grands pays d'Asie comme la Chine, l'Inde, le Pakistan, ou le Bangladesh (1( * )) .

Ce phénomène n'épargne pas les pays industrialisés (Italie, Portugal voire États-Unis pour des activités de services) : le récent rapport de la commission " Low Pay Unit " révèle ainsi que deux millions d'enfants travaillent au Royaume-Uni dont les trois quarts sont employés illégalement et 25 % sont âgés de moins de treize ans.

Il convient de noter à cet égard que le Royaume-Uni n'a toujours pas transposé la directive communautaire du 1 er juillet 1994 interdisant le travail des enfants de moins de quinze ans.

2. La nécessité de solutions réalistes

Compte tenu de la place importante occupée par le travail des jeunes enfants dans l'économie de la plupart des pays concernés il convient de se garder en ce domaine de tout angélisme et de remèdes à l'emporte-pièce qui auraient pour conséquence d'aggraver encore la situation de ces enfants et de remettre en cause les avantages comparatifs des économies à bas salaires. C'est ainsi que les menaces de boycott lancées par les États-Unis à l'égard des produits fabriqués dans les usines du Bangladesh utilisant des mineurs ont entraîné des vagues de licenciement qui ont contraint les enfants à chercher du travail dans des conditions encore plus sordides, voire à s'adonner à la prostitution.

Diverses initiatives ont été engagées au cours des dernières années pour éviter ces effets pervers.

La chambre syndicale des industriels pakistanais du textile qui emploient une forte main-d'oeuvre enfantine a signé en 1995 avec l'OIT et l'UNICEF un accord au terme duquel ces derniers s'engagent à offrir à leurs plus jeunes employés une formation scolaire en alternance : 8 000 enfants bénéficieraient aujourd'hui de cet accord.

Dans le même sens, plusieurs dizaines d'entreprises américaines ont conclu en 1997 un accord avec le Pakistan, l'OIT et l'UNICEF pour éliminer l'emploi de 7 000 enfants dans la fabrication de ballons de football, dont les trois quarts de la production mondiale sont fabriqués dans ce pays.

Dans la même perspective, la fédération syndicale européenne du textile et de l'habillement a élaboré un code de bonne conduite encourageant ses entreprises à respecter les droits sociaux fondamentaux définis par l'OIT, et notamment l'interdiction du travail des enfants de moins de quatorze ans.

B. LES INITIATIVES PRISES AU PLAN INTERNATIONAL ET EUROPÉEN POUR RÉDUIRE LE TRAVAIL DES JEUNES ENFANTS

Depuis plus de 150 ans, de nombreux pays se sont efforcés de réduire l'exploitation des enfants au travail et de développer une scolarisation obligatoire.

En France, dès 1837, le docteur Villermé dénonçait le traitement infligé aux enfants de six à huit ans employés dans l'industrie, parfois plus de 16 heures par jour.

En fait, c'est le travail des enfants qui a révolté les consciences de l'époque et qui a donné naissance aux premières lois sociales : la loi du 22 mars 1841 a ainsi fixé l'âge minimum d'admission aux travaux industriels à huit ans.

S'agissant de leur scolarisation, la loi dite Ferry du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire a institué le principe de l'instruction obligatoire de 6 à 13 ans.

Comme l'a rappelé opportunément notre collègue Jean-Claude Carle dans son récent rapport 2( * ) sur la proposition de loi tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, et dont les conclusions ont été reprises sans modification par l'Assemblée nationale, l'adoption de ce principe encore inconnu dans de trop nombreux pays, et qui avait pour conséquence pratique d'éloigner les enfants pendant sept ans des travaux agricoles, a suscité dans la France très majoritairement rurale des années 1880 de très vives oppositions des tenants de la tradition.

D'une manière plus générale, diverses initiatives prises au niveau international, et plus récemment au niveau européen, témoignent du souci des Etats de réduire les formes les plus inacceptables d'exploitation des enfants.

1. Les initiatives prises par l'Organisation internationale du travail

Dès 1919, l'OIT a considéré que la protection des enfants et des adolescents constituait l'une de ses tâches prioritaires et a inscrit cette priorité dans le préambule et la constitution de l'Organisation.

Depuis la naissance de l'OIT, douze conventions ont eu pour objet d'interdire le travail forcé et de fixer l'âge en-dessous duquel il était interdit de faire travailler les enfants.

Parmi ces textes, la convention n° 138 du 6 juin 1973, qui n'a été ratifiée que par 62 Etats, reste la norme fondamentale de l'OIT dans le domaine du travail des enfants et fixe les âges limites avant lesquels ce travail est interdit, soit 15 ans dans les pays développés et 14 ans dans les pays en développement pour une activité régulière, 13 ans dans les pays développés et 12 ans dans les pays en développement pour le travail occasionnel, 18 ans dans tous les pays pour les travaux dangereux.

Dans la réalité, de nombreux Etats autorisent un travail dangereux avant cet âge et leur législation ne précise pas clairement les secteurs d'activité interdits.

Afin de renforcer l'efficacité de la convention de 1973, le BIT a été chargé de préparer pour la 87 e session de la conférence générale de l'OIT de juin 1999 une convention et une recommandation visant à interdire et à éliminer les formes extrêmes de travail des enfants, c'est-à-dire l'esclavage, la prostitution et la pornographie enfantine, ainsi que les travaux compromettant leur santé, leur sécurité et leur moralité.

Cette convention entraînerait pour les Etats signataires l'obligation d'établir des mécanismes appropriés pour surveiller l'application de ses stipulations, conformément aux conclusions adoptées par la conférence sur ce thème en juin 1998.

Il convient enfin d'ajouter que l'OIT s'est engagée depuis 1991 dans une aide au développement sous la forme d'un programme international pour l'abolition du travail des enfants, dite IPEC, dont les principaux donateurs sont l'Allemagne et l'Espagne : l'IPEC gère à ce titre plusieurs centaines de programmes d'actions dans plus de 50 pays et entend contribuer à l'abolition progressive du travail des enfants en donnant la priorité à l'élimination des formes extrêmes de ce travail et en privilégiant les mesures préventives.

2. Les initiatives prises par l'Organisation des Nations Unies

Dix ans après la déclaration universelle des droits de l'homme, l'ONU a adopté à l'unanimité en 1959 la déclaration des droits de l'enfant qui indiquait notamment que " l'enfant ne doit pas être admis à l'emploi avant d'avoir atteint un âge minimum approprié ; il ne doit en aucun cas être astreint à prendre un emploi nuisible à sa santé ou à son éducation ".

Le 20 novembre 1989, soit trente ans plus tard, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Son article 32 dispose que :

" 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social.

" 2. Les Etats parties prennent des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives pour assurer l'application du présent article. A cette fin, et compte tenu des dispositions pertinentes des autres instruments internationaux, les Etats parties, en particulier :

" a) fixent un âge minimum ou des âges minimums d'admission à l'emploi ;

" b) prévoient une réglementation appropriée des horaires de travail et des conditions d'emploi ;

" c) prévoient des peines ou autres sanctions appropriées pour assurer l'application effective du présent article. "


Cette convention a été signée et ratifiée par 191 Etats membres des Nations Unies à l'exception des États-Unis et de la Somalie, et cinq pays ont émis des réserves spécifiques sur l'article 32.

Parmi ceux-ci, la Chine qui a estimé que 13 à 24 millions d'enfants entre 6 et 14 ans n'étaient pas scolarisés, la Nouvelle-Zélande qui a considéré que la fixation d'un âge minimum pour l'emploi ne permettrait pas aux enfants d'acquérir une expérience professionnelle et le Royaume-Uni qui, comme il a été vu, n'a toujours pas transposé la directive communautaire du 1 er juillet 1994 interdisant le travail des enfants de moins de quinze ans.

3. Les initiatives européennes : vers un label social

Sur le modèle du label écologique communautaire, un label social pourrait être octroyé aux entreprises qui accepteraient le contrôle d'une autorité indépendante : le label social, dont les normes devraient être précisément définies, concernerait notamment la main d'oeuvre enfantine.

Dans cette perspective, le Parlement européen a adopté en 1997 une résolution demandant à la Commission européenne d'élaborer une directive rendant obligatoire la mention d'un label social sur les produits textiles, les vêtements et les chaussures.

Un tel label social ne saurait en effet être instauré au niveau national puisque le marché unique européen a supprimé tout contrôle douanier aux frontières intérieures de l'Union européenne.

Cette résolution suggère par ailleurs que de nouvelles préférences tarifaires soient accordées aux pays respectant les conventions de l'OIT sur le travail des enfants, dans le cadre du système de préférences généralisées, qui prévoit un régime incitatif en matière douanière au bénéfice de certains pays qui font des efforts particuliers dans le domaine social.

II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : D'UN TEXTE IMPÉRATIF INAPPLICABLE À UN TEXTE INCITATIF D'INTENTION

A. UN TEXTE INITIAL CONTRAIRE À NOS ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX

1. La proposition de loi adoptée par le Parlement des enfants

Aux termes de son article 1 er , les fournisseurs de matériel scolaire auraient été tenus d'indiquer dans leur document de vente la provenance du matériel scolaire proposé afin que les acheteurs puissent s'assurer que ces fournitures n'ont pas été fabriquées par des enfants.

Son article 2 stipulait que lors des commandes passées directement par les écoles élémentaires pour leur fonctionnement pédagogique, dont les dépenses sont imputées sur le budget de la commune, les écoles ou les mairies devaient s'assurer qu'elles n'achetaient pas de fournitures fabriquées par des enfants.

L' article 3 visait pour sa part à interdire l'achat de telles fournitures par les communes lorsqu'elles proviennent de pays où les droits de l'enfant en général, et pas seulement l'interdiction du travail des enfants, ne sont pas respectés.

2. Une rédaction imparfaite

La rédaction initiale de la proposition de loi soulevait ainsi plusieurs objections :

- la notion de fournisseur de matériel scolaire et de catalogue n'est d'abord pas clairement définie ;

- sauf à remettre en cause le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat, on voit mal comment la France serait en mesure de vérifier le respect de la convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 sur l'interdiction du travail des enfants qui a été ratifiée par la quasi totalité des Etats membres de l'ONU.

3. La nécessaire prise en compte de nos engagements internationaux

Compte tenu de ses engagements internationaux, la France n'a pas la faculté d'invoquer un critère de nationalité aussi bien dans ses relations commerciales que dans la passation des marchés publics.

a) Au niveau communautaire

Il convient en effet de rappeler que l'article 6 du traité de Rome interdit toute discrimination entre Etats membres de l'Union européenne qui serait fondée sur la nationalité.

En conséquence, le droit communautaire des marchés publics est fondé sur le principe de la libre circulation des marchandises et la non discrimination, ces règles s'appliquant aussi bien aux marchés publics de l'Etat qu'à ceux des collectivités territoriales et de leurs établissements.

Dans la pratique, les directives communautaires relatives aux marchés publics transposées en droit français prévoient des possibilités d'exclusion des marchés en cas de fraude fiscale, d'infractions à la réglementation sur les charges sociales et de fausse déclaration : en conséquence, un Etat membre ne peut exiger d'un soumissionnaire étranger la preuve qu'il remplit des critères autres que ceux posés par ces directives.

b) Au niveau international

Le principe de non discrimination à raison de la nationalité constitue également le fondement de l'Organisation mondiale du commerce et les seuls aménagements acceptés ne peuvent être justifiés que par des circonstances particulières (accords régionaux, avantages consentis à des pays en développement).

S'agissant des marchés publics qui sont intégrés dans le GATT depuis 1994, ceux-ci sont également soumis au principe de libre concurrence et de non discrimination, conformément à l'annexe 4 de l'accord instituant l'OMC.

Dans la pratique, la France interdit ou limite les importations de produits manufacturés seulement pour des motifs de sécurité nationale ou de santé publique. En conséquence, une loi française qui évoquerait le critère de nationalité en invoquant le non respect par une entreprise étrangère de l'interdiction du travail des enfants constituerait un obstacle non tarifaire à la libre concurrence internationale et serait donc contraire au droit communautaire comme au droit international.

L'accord du GATT sur les marchés publics de 1994 prévoit cependant une liste de dérogations (le travail forcé, par exemple, mais pas le travail des enfants) qui peuvent être invoquées par un Etat à la condition que ces dérogations ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction aux règles du commerce international.

B. LE TEXTE VOTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. L'article 1er : de l'interdiction d'acheter à l'incitation à ne pas acheter...

Afin de traduire le souci exprimé par les jeunes initiateurs de la proposition de loi, l'Assemblée nationale a substitué au principe général d'interdiction un dispositif incitatif destiné à dissuader les établissements d'enseignement et les collectivités concernées d'acheter de tels produits. Ce dispositif leur permettrait de s'informer des conditions de fabrication de ces produits lors de la discussion des offres et de la passation du marché sans toutefois leur permettre d'user de ce seul critère pour favoriser un candidat parmi plusieurs entreprises qui auraient présenté des offres équivalentes.

Le nouvel article premier a donc pour objet de mettre en place un mécanisme de discrimination positive permettant de favoriser, lors des marchés publics, les entreprises qui s'engageraient à ne pas recourir au travail des enfants.

Ce mécanisme reposerait sur une clause incitative introduisant un critère additionnel dans les marchés, celui-ci devant être spécifié dans l'avis d'appel d'offres et justifié par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution.

Il convient à cet égard de rappeler que le Conseil d'Etat considère que les mentions relatives à un critère additionnel constituent une simple déclaration d'intention sans que celle-ci puisse constituer un critère de choix qui se substituerait aux critères réglementaires ou même se bornerait à compléter ces critères réglementaires 3( * ) .

En conséquence, le législateur pourrait fixer un tel critère additionnel sous réserve que celui-ci ne constitue pas un obstacle non tarifaire au sens des engagements internationaux qui s'imposent à notre pays.

2. L'article 2 : l'information des élèves pour leurs fournitures scolaires qui restent à la charge des familles

Afin de compléter l'article premier, l'article 2 propose de mettre en place une information qui serait dispensée aux élèves lorsque leurs enseignants leur présentent la liste des fournitures scolaires qui demeurent à la charge des familles.

A cette occasion, les enseignants devront informer leurs élèves sur le fait que certains de ces produits peuvent avoir été fabriqués avec une main-d'oeuvre enfantine.

Ce type d'information permettrait de développer l'éducation des jeunes consommateurs qui est déjà spécifiquement visée par des circulaires de 1982, 1983, 1988 et 1990 prises par le ministre chargé de l'éducation.

3. Un enseignement spécifique sur les droits de l'enfant dans le cadre des cours d'instruction civique

Afin de compléter l'information et de développer la sensibilisation des élèves sur les droits de l'enfant, l'Assemblée nationale propose dans l'article 3 de généraliser un enseignement spécifique sur ce thème dans le cadre des programmes d'éducation civique à tous les niveaux de la scolarité.

Elle s'est inspirée à cet égard de l'article 142 de la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions qui prévoit un enseignement des droits de l'homme.

Cette préoccupation ne constitue pas, à proprement parler, une nouveauté puisque la récente circulaire interministérielle relative à la célébration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme dans l'enseignement scolaire rappelle que les droits de la personne humaine sont déjà abordés dans les programmes d'enseignement de l'école, du collège et du lycée.

C'est ainsi que le programme d'éducation civique en classe de CM2 mentionne expressément l'éducation aux droits de l'homme.

S'agissant du collège, les Déclarations des droits constituent des documents de référence obligatoires en éducation civique, tandis que les programmes d'histoire et de géographie des classes de 4 e et de 3 e consacrent une large part aux droits de la personne.

Enfin, les élèves des classes de seconde et de première au lycée étudient ce thème en histoire-géographie et l'éducation à la citoyenneté enseignée à titre expérimental cette année, comporte un volet relatif aux droits de l'homme.

C. LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION

Comme l'ont relevé de nombreux intervenants à l'Assemblée nationale, la valeur normative de ce texte apparaît des plus incertaines même si sa portée pédagogique et symbolique est évidente.

La rédaction de l'article premier résulte d'un compromis difficile entre un texte initial inspiré par un souci de générosité et de solidarité -que le Sénat ne peut que prendre en compte- et les contraintes résultant des engagements communautaires et internationaux de notre pays.

Votre commission s'interroge cependant sur les conséquences de cette rédaction, dans le cas où un établissement scolaire ou une collectivité n'aurait pas suffisamment " veillé " à ce que la fabrication des fournitures scolaires achetées par leurs soins n'ait pas requis l'emploi d'une main-d'oeuvre enfantine dans des conditions contraires aux conventions internationales.

Un tel défaut de vigilance n'est-il pas susceptible d'entraîner des recours et d'entraîner une remise en cause de certains marchés qui seraient passés par les collectivités et de susciter un contentieux ?

Votre commission souhaiterait que le gouvernement puisse apporter au Sénat des assurances sur ce point.

Il convient en outre de rappeler que les achats de fournitures destinées aux établissements scolaires, et effectués par les collectivités publiques et établissements concernés, ne nécessitent pas, dans un grand nombre de cas, de recourir à un appel d'offre, compte tenu de la modicité de leur montant.

Dans la pratique, pour ces achats de faible montant, il est d'usage que la commune s'adresse au papetier local ou à une grande surface qui ne seront pas nécessairement en mesure de s'assurer de la provenance de ces fournitures et des conditions dans lesquelles celles-ci ont été fabriquées.

S'agissant des articles 2 et 3 qui relèvent plus directement de la compétence de votre commission, et qui concernent l'information spécifique qui serait donnée aux élèves quant à la connaissance et au respect des droits de l'enfant, son rapporteur ne peut que rappeler que les modalités de cette information relèveraient au mieux d'une circulaire du ministre délégué, le contenu des programmes scolaires et les modalités de présentation d'une liste de fournitures établie par le maître ne relevant à l'évidence pas de la compétence du Parlement.

Cependant, compte tenu du caractère du message adressé par les jeunes auteurs de la proposition de loi, votre commission vous proposera de retenir le texte de l'Assemblée nationale.

Afin de compléter ce message, en s'inspirant de la démarche qui a été suivie par nos collègues députés, votre commission souhaiterait compléter ce dispositif par un article additionnel avant l'article premier.

Cet article additionnel reprendrait sous une forme légèrement modifiée la dernière phrase de l'article 2 de la charte du jeune citoyen de l'an 2000 4( * ) qui a été adoptée par les " sénateurs-juniors " dans l'hémicycle du Sénat le samedi 28 mars 1998, et qui a pour objet de combattre et de dénoncer le travail des enfants.

Il serait ainsi rédigé :

" L'exploitation des enfants par le travail doit être fermement combattue et dénoncée, y compris en refusant de coopérer avec des pays qui ne respectent pas la déclaration des droits de l'enfant ".

Sous réserve de ces observations et de cet amendement, votre commission vous demande d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le 17 février 1999 sous la présidence de M. Adrien Gouteyron, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Richert , la proposition de loi n° 80 (1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à inciter au respect des droits de l'enfant dans le monde , notamment lors de l'achat des fournitures scolaires .

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Tout en approuvant ses conclusions, M. Franck Sérusclat s'est étonné des réserves émises par le rapporteur sur le dispositif de l'Assemblée nationale.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur la portée effective de l'amendement proposé. Elle a souligné les conséquences économiques et sociales d'une interdiction générale du travail des enfants dans les pays concernés et a estimé que toute action en ce domaine devait s'accompagner d'un effort de formation et de mesures en faveur de l'emploi.

Compte tenu de l'origine de la proposition de loi, elle s'est déclarée favorable à l'amendement proposé par le rapporteur et a demandé si l'article 3 relatif à l'information des élèves dans le cadre des cours d'instruction civique ne pourrait pas faire référence à la journée internationale des droits de l'enfant.

M. André Maman a demandé des précisions sur la définition des fournitures scolaires.

Répondant à ces interventions, M. Philippe Richert, rapporteur , est convenu que l'article additionnel proposé constituait également une déclaration d'intention, traduisant la préoccupation des " sénateurs-juniors ".

Il s'est par ailleurs interrogé sur l'opportunité de mentionner la journée internationale des droits de l'enfant dans le dispositif compte tenu de la pérennité incertaine de cette manifestation.

Il a enfin précisé que la notion de fournitures scolaires recouvrait pour l'essentiel de petits matériels de papeterie.

M. René-Pierre Signé a remarqué que les parents d'élèves étaient davantage concernés que les établissements scolaires par l'achat de telles fournitures.

Evoquant les efforts consentis pour assurer dans certains pays aux enfants qui travaillent une formation scolaire, M. Serge Lagauche a fait observer que les jeunes Égyptiens concernés recevaient dans la pratique un enseignement de type coranique.

M. Fernand Demilly a exprimé le souhait que l'amendement proposé par le rapporteur reprenne l'intitulé exact de la déclaration des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies.

La commission a enfin abordé l'examen des articles.

Après avoir adopté l'article additionnel avant l'article premier, ainsi que les articles premier, 2 et 3, elle a adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

*

* *

ANNEXE :

CHARTE DU JEUNE CITOYEN DE L'AN 2000
ADOPTÉE PAR LES " SÉNATEURS-JUNIORS "
LE 28 MARS 1998




(1) Une enquête du BIT récapitule les formes d'exploitation les plus graves auxquelles sont soumis les enfants (esclavage, travail forcé, prostitution, traite) et indique les activités particulièrement concernées (agriculture, mines, fabriques de céramique, d'allumettes et de feux d'artifice, pêche hauturière, travaux domestiques, bâtiment...)

2 n° 504, Sénat, 1997-1998

3 Fédération nationale des travaux publics, 10 mai 1996

4 Cette charte constitue la seconde contribution à l'élaboration de la charte définitive qui sera proclamée solennellement en l'An 2000 sous le nom de " Déclaration des droits du jeune citoyen de l'An 2000 ".



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