Proposition de résolution relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information

POURTAUD (Danièle)

RAPPORT 317 (98-99) - commission des affaires culturelles

Table des matières




N° 317

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par Mme Danièle POURTAUD sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l' harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (n° E-1011),

Par Mme Danièle POURTAUD

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.

Voir le numéro :

Sénat : 541
(1997-1998).


Union européenne.

Mesdames, Messieurs,

La proposition de directive sur laquelle porte la proposition de résolution qui nous est soumise représente une nouvelle et importante étape dans l'harmonisation du droit de la propriété littéraire et artistique entreprise au début des années 1990 dans la perspective de la réalisation du marché intérieur.

Elle procède, comme les cinq directives qui l'ont précédée, d'une démarche d'harmonisation prudente, centrée sur l'élimination des obstacles à la libre circulation des biens et des services et sur la volonté de développer des activités " novatrices ". Cette approche modeste, qui évite de trancher entre des traditions juridiques nationales partagées entre copyright et droit d'auteur, privilégie cependant une conception plus " économiste " que personnaliste de la propriété littéraire et artistique.

Mais la proposition de directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information se distingue de ses devancières par sa portée plus large et une ambition plus vaste.

Elle entend en effet, en transposant dans le droit communautaire les deux Traités adoptés en 1996 au sein de l'OMPI, définir les conditions de protection des auteurs, des artistes, des producteurs et des diffuseurs qui contribueront aux " contenus " véhiculés dans les réseaux de la société de l'information, ou incorporés dans des supports multimédias.

Sans se limiter, du reste, à l'environnement numérique, elle propose donc une harmonisation :

- de la définition des droits patrimoniaux,

- des exceptions que peuvent leur apporter les droits nationaux,

- et, dans une mesure nettement plus limitée, des moyens d'assurer la protection de ces droits.

Cette harmonisation est attendue et nécessaire, même si elle n'apporte pas de réponses à toutes les questions que soulève la protection du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

Au cours de son audition devant la commission, le 17 mars dernier, sur le droit d'auteur dans la société de l'information, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, a manifesté le souhait que la proposition de directive soit rapidement adoptée, tout en notant que des améliorations pourraient être apportées à son dispositif.

En examinant la proposition de résolution qui nous est soumise à la lumière des négociations et des travaux du Parlement européen auxquels a déjà donné lieu la proposition de directive, votre rapporteur a souhaité s'associer à la position favorable à l'adoption de la directive prise par le gouvernement, tout en partageant son souci de mieux encadrer certaines de ses dispositions ou d'en préciser la portée, et d'être attentif aux incidences qu'auront d'autres négociations sur la protection du droit d'auteur dans la société de l'information.

*

* *

I. L'HARMONISATION DES DROITS PATRIMONIAUX DES AUTEURS ET DES TITULAIRES DE DROITS VOISINS

L'harmonisation prévue par la proposition de directive ne porte que sur les droits patrimoniaux : la proposition de directive ne fait aucune référence au droit moral.

Dans le Livre Vert sur les droits d'auteurs et les droits voisins dans la société de l'information 1( * ) la Commission avait posé la question de l'opportunité d'une harmonisation des règles nationales relatives au droit moral, mais elle avait conclu, dans la communication sur le suivi du Livre Vert 2( * ) , qu'il était " encore prématuré de procéder à des initiatives concrètes d'harmonisation ". On doit sans doute s'en féliciter car compte tenu de la divergence des droits nationaux, l'entreprise serait difficile. Elle risquerait, surtout, d'aboutir à une définition du droit moral très en-deçà de celle que retient le droit français.

Mais, s'il paraît sage que le droit communautaire ne se préoccupe pas d'harmoniser le droit moral, il est un peu regrettable qu'il paraisse totalement ignorer son existence et qu'il ne soit fait mention, dans un texte proposant une harmonisation ambitieuse du droit de la propriété littéraire et artistique, que des aspects patrimoniaux du droit d'auteur.

C'est pourquoi il serait sans doute souhaitable, pour lever toute ambiguïté, que, comme d'autres directives plus sectorielles, les directives " câble-satellite " et " durée du droit d'auteur ", la proposition de directive dispose expressément qu'elle n'affecte pas les dispositions des Etats membres relatives au droit moral.

Les droits définis et harmonisés par la proposition de directive, qui ne remet pas en cause le droit de location et de prêt prévu par la directive n° 92/100, sont au nombre de trois : le droit de reproduction, le droit de communication du public et un droit distinct de distribution soumis à épuisement.

Les deux premiers, qui, concernent toutes les catégories d'oeuvres et toutes les formes d'exploitation, correspondent aux deux composantes, en droit français, du droit d'exploitation : le droit de représentation et le droit de reproduction. En revanche, il n'existe pas en droit français de droit de distribution.

A. LE DROIT DE REPRODUCTION

Le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur ne comporte pas, comme cela avait été primitivement envisagé, de définition de la notion de reproduction dans l'environnement numérique. La déclaration commune concernant le Traité prévoit simplement que " le droit de reproduction défini par la Convention de Berne et les exceptions dont il peut être assorti s'appliquent pleinement dans l'environnement numérique ", et qu'il " est entendu que le stockage d'une oeuvre protégée sous forme numérique sur un support électronique constitue une reproduction " , cette dernière phrase n'ayant toutefois pas fait l'objet d'un accord unanime. Quant aux droits de reproduction reconnus aux titulaires de droits voisins, ils sont définis dans les mêmes termes que ceux de l'article 9 de la Convention de Berne.

Sur ces bases -assez peu contraignantes- la Commission des communautés européennes a fait le choix, comme l'indique le commentaire des articles de la proposition de directive, d'une " définition large et exhaustive du droit de reproduction ", qui s'applique dans les mêmes termes aux auteurs et aux titulaires de droit voisins 3( * ) .

L'article 2 de la proposition de directive définit en effet le droit de reproduction comme " le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit ".

Cette définition couvre " tous les actes de reproduction, qu'ils s'accomplissent en ligne ou hors ligne, sous une forme matérielle ou immatérielle ".

Pour l'essentiel, cette définition confirme des solutions qui étaient déjà largement admises. Il n'a en effet jamais été contesté que les produits hors ligne (CD, CD-Rom) relevaient du droit de reproduction, de même que les reproductions matérielles faites à partir d'une communication en ligne (sortie sur imprimante, enregistrement). Il est aussi très généralement considéré -comme le préconisait déjà en 1994 le rapport de la commission présidée par Pierre Sirinelli- que le droit de reproduction s'applique au stockage numérique (dans un serveur, dans la mémoire d'un ordinateur) et à toute fixation, même temporaire, permettant une communication de l'oeuvre.

Mais la proposition de directive va plus loin que cela puisqu'elle inclut dans la notion de " reproduction provisoire " toutes les reproductions éphémères ou " volatiles " auxquelles peut donner lieu le processus de communication en ligne mais aussi, par exemple, une radiodiffusion.

On peut s'interroger sur l'intérêt d'une définition aussi extensive.

Comme le notait la Commission dans la communication sur le suivi du Livre Vert, alors qu'une grande majorité des réponses au Livre Vert s'était prononcée en faveur d'une définition de la reproduction qui " englobe explicitement les actes électroniques tels que le balayage optique ou le téléchargement dans les deux sens ", les positions semblaient " moins claires en ce qui concerne le régime à appliquer aux actes de reproduction temporaires ou éphémères " .

Par exemple, la réponse au Livre Vert du gouvernement français, tout en soulignant que le code de la propriété intellectuelle n'exige pas que la reproduction ait " un minimum de permanence ", s'interrogeait " sur la nécessité d'isoler les actes techniques au sein du processus de communication et sur son utilité " et jugeait " plus pertinent de rechercher si les actes de reproduction sont autonomes par rapport à la représentation ".

La Commission avait cependant conclu à la nécessité de prendre en considération les reproductions volatiles " pour assurer une protection cohérente entre les Etats membres ".

Mais cette solution va-t-elle dans le sens d'une meilleure protection des ayants droit ? On peut en douter, car devant l'impossibilité matérielle de soumettre à autorisation toutes les reproductions accessoires et contingentes que peut nécessiter une communication en réseau ou une télédiffusion, on est fatalement tenté de se passer de cette autorisation.

C'est d'ailleurs exactement ce que propose la directive, qui prévoit d'assortir une définition très (trop) large de la reproduction soumise à droit exclusif d'une exception très (trop) large à ce droit exclusif.

On peut donc regretter que la proposition de directive ne fasse pas prévaloir, comme le suggérait un excellent auteur, la logique du droit d'auteur, selon laquelle " ce qui déclenche l'application du droit d'auteur est un acte d'exploitation ", sur une logique technique qui conduit à " segmenter artificiellement le processus pour prétendre identifier des actes distincts de reproduction qui sont d'ailleurs liés à un état de la technique essentiellement variable " 4( * ) .

B. LE DROIT DE COMMUNICATION AU PUBLIC

Le Livre Vert et la consultation à laquelle il a donné lieu ont mis en évidence que la qualification juridique de la diffusion numérique était une des questions sur lesquelles une harmonisation communautaire apparaissait à la fois la plus nécessaire, car les solutions les plus diverses étaient envisagées, et la plus difficile, en raison même de cette diversité.

Le Livre Vert proposait ainsi d'assimiler " par extension " la diffusion numérique à la location 5( * ) , suggestion qui n'a heureusement pas rencontré un franc succès, et la consultation avait fait apparaître des partisans du recours au droit de reproduction ou au droit de distribution.

Pour sa part, le gouvernement français avait souligné que " l'acte essentiel d'exploitation " était l'offre d'une oeuvre ou d'éléments protégés par un droit voisin à travers le réseau, et que par conséquent la nature du droit mis en jeu par les services en ligne était " celle d'un droit de communication au public et, plus précisément en droit français, du droit de représentation appartenant à l'auteur ".

Cette analyse, conforme à la jurisprudence des tribunaux français 6( * ) , est celle qui a été finalement défendue par la Commission et les Etats membres lors de la conférence diplomatique de l'OMPI de décembre 1996, et celle qui a été retenue par les Traités " droit d'auteur " et " droits voisins ".

L'article 3 de la proposition de directive transpose fidèlement les dispositions de ces deux Traités.

1. Le droit de communication au public reconnu aux auteurs

L'article 3-1 de la proposition de directive impose de reconnaître aux auteurs un droit exclusif de communication au public, ce droit incluant " la mise à disposition du public de leurs oeuvres de telle manière que chaque membre du public peut y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ".

Selon le commentaire de l'article, cette formule un peu lourde a pour objet de préciser que le droit de communication au public " couvre les actes de transmission interactifs à la demande " et de confirmer " qu'il y a aussi communication au public lorsque plusieurs personnes non liées (membres du public) peuvent avoir accès individuellement, à partir d'un endroit et à des moments différents, à une oeuvre se trouvant sur un site accessible au public ".

Cette confirmation est inutile en droit français, pour lequel la notion de public ne doit pas être interprétée de manière restrictive : le droit de représentation est mis en jeu dès lors qu'une oeuvre est mise à la disposition d'un public potentiel. Peu importe que ce public soit ou non rassemblé dans un même lieu, que l'oeuvre lui soit ou non communiquée au même moment, peu importe, même, qu'aucun membre de ce public ne bénéficie finalement de la représentation. L'inscription d'un film au catalogue d'un service de vidéo à la demande ou la mise à disposition d'une oeuvre sur un site Internet mettent donc en jeu le droit de représentation, au même titre qu'un spectacle en salle ou une télédiffusion.

Le problème des communications privées

Le considérant n° 15 de la proposition de directive précise que le droit de communication au public reconnu " ne couvre pas les communications privées " , sans donner d'ailleurs aucune définition de ce qu'il faut entendre par communication privée.

Cette réserve inquiète les titulaires de droit, qui ont observé que la transmission en ligne estompait la distinction traditionnelle entre communication publique et communication privée et qu'elle rendait très facile la communication d'oeuvres protégées entre particuliers.

Le Parlement européen s'est fait l'écho de cette préoccupation en adoptant un amendement préconisant que le fait qu'une transmission ait lieu entre deux personnes ne suffise pas à la faire considérer comme une communication privée.

S'il n'est évidemment pas question de remettre en cause l'exception liée à l'usage privé d'une oeuvre " dans un cercle de famille ", ni d'envisager de porter atteinte au secret des correspondances, il convient sans doute, en effet, de rappeler que la communication d'une oeuvre entre particuliers est en principe protégée par le droit d'auteur au même titre que sa mise à la disposition " du public en général ".

Il serait en tout cas souhaitable, pour votre commission, que soit précisée la portée de la notion de " communication privée ".

2. Le droit reconnu aux titulaires de droits voisins

L'article 3-2 de la proposition de directive ne reconnaît aux titulaires de droits voisins un droit exclusif de communication au public qu'en cas de transmission interactive, ce qui recouvre les services de radiodiffusion ou de télévision à la demande et la communication des oeuvres accessibles sur un serveur ou un réseau.

En revanche, comme le souligne le commentaire de l'article 3, ce droit ne s'applique pas aux services de radiodiffusion " y compris les services dits quasi-à la demande ", le critère du choix individuel conduisant à exclure " les oeuvres offertes dans le cadre d'un programme défini à l'avance ". La diffusion dans le cadre de tels programmes de phonogrammes du commerce pourrait donc rester soumise à un régime de licence légale, comme c'est actuellement généralement le cas.

Cette summa divisio entre les services interactifs et les autres est vivement critiquée par les titulaires de droits voisins, et en particulier par les producteurs de phonogrammes, qui font valoir que le numérique a pour conséquence une explosion de l'offre de services musicaux thématiques permettant une programmation très " ciblée ".

Ces services, qu'ils soient diffusés par voie hertzienne, par câble ou sur Internet (" webcasting "), sont susceptibles de faire à la vente de supports une concurrence du même ordre que celle des services interactifs et ils multiplient par ailleurs les risques de piratage.

Dans la communication sur le suivi du Livre Vert, la Commission n'a pas nié que " la radiodiffusion multichaînes pourrait avoir des répercussions considérables sur les formes primaires d'exploitation des phonogrammes et autres objets protégés " et elle constatait que, au cas où des mesures s'avèreraient nécessaires, elles devraient être prises au niveau communautaire pour prévenir des approches nationales divergentes qui seraient génératrices de " distorsions dans les activités de radiodiffusion ".

Elle concluait cependant que la radiodiffusion numérique était encore " balbutiante " et qu'on ne pouvait encore en mesurer les conséquences pour les titulaires de droits. Elle se bornait donc à annoncer son intention de " continuer à suivre l'évolution du marché " avant de proposer, si nécessaire, des mesures législatives.

Compte tenu de la rapidité des évolutions, cet attentisme peut n'être pas sans danger, notamment dans les Etats membres où l'édition phonographique joue un rôle économique et culturel important. On peut à cet égard rappeler que les Etats-Unis ont mis en place depuis 1995 7( * ) un dispositif permettant de soumettre au droit exclusif la diffusion de phonogrammes par les services audionumériques dont la programmation ne respecte pas un ensemble de conditions destinées à limiter la concurrence qu'ils peuvent représenter pour les ventes de disques. Par exemple, ne peuvent bénéficier de la licence légale que les services qui n'annoncent pas leur programmation à l'avance, qui ne diffusent pas plus d'un certain nombre de titres extraits du même support ou du même interprète sur une période de temps donnée, qui ne permettent pas de changement automatique de canal...

Il semble donc urgent, en particulier pour assurer à l'industrie phonographique européenne une protection équivalente à celle dont bénéficie l'industrie américaine, que les instances communautaires affinent leur analyse des nouveaux services de diffusion musicale et proposent, si elles s'avéraient nécessaires, des mesures permettant d'assurer un juste équilibre entre la volonté de développer ces services et la nécessité de protéger les titulaires de droits.

Au niveau national, la tenue prochaine des Etats généraux du disque pourra déjà permettre, comme l'a annoncé la ministre de la culture et de la communication, d'amorcer la réflexion sur cette question.

C. LE DROIT DE DISTRIBUTION

Le traité " droit d'auteur " de l'OMPI reconnaît aux auteurs le droit exclusif d'autoriser la mise à disposition du public de l'original et d'exemplaires de leurs oeuvres " par la vente ou tout autre transfert de propriété " et autorise les Etats à déterminer " les conditions éventuelles " de l'épuisement de ce droit.

L'article 4 de la proposition de directive transpose ces dispositions en imposant aux Etats membres de reconnaître aux auteurs 8( * ) un droit exclusif " sur toute forme de distribution au public par la vente ou tout autre moyen " et de prévoir l'épuisement communautaire de ce droit à la première vente " ou autre transfert de propriété ".

Il paraît indispensable de préciser la portée de cet article dont la rédaction est susceptible d'interprétations qui pourraient remettre en cause la doctrine française du droit de destination, qui soulève quelques interrogations quant à son application aux oeuvres originales, et qui pourrait, enfin, faire obstacle à l'organisation de la " chronologie des médias ".

1. Le problème de la compatibilité entre la proposition de directive et l'exercice du droit de destination.

En doctrine -et en droit positif- la règle de l'épuisement du droit de distribution, qui s'applique sous des formes diverses dans la quasi-totalité des Etats membres, s'oppose à la conception du droit de destination qui prévaut en France et en Belgique.

Le droit de destination, inclus dans une définition " synthétique " du droit de reproduction, permet à l'auteur de contrôler la diffusion des exemplaires de son oeuvre et les utilisations secondaires de ces exemplaires, notamment aux fins d'une communication de l'oeuvre au public : il est donc incompatible avec un droit de distribution qui serait " consommé " dès la première mise sur le marché.

De deux choses l'une, par conséquent :

- ou bien l'article 4 de la proposition de directive a simplement pour objet d'assurer que la distribution commerciale des biens protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin se fera dans des conditions compatibles avec l'unité du marché intérieur et avec sa protection, ce qui n'oblige pas à remettre en cause le droit de destination ;

- ou bien, la Commission entend imposer un droit de destination soumis à épuisement, ce qui imposera d'en tirer les conséquences au niveau du droit national.

• Le commentaire de l'article 4 semble aller dans le sens de la première hypothèse en définissant l'épuisement communautaire par référence à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et par opposition à l'épuisement international.

* Dans la jurisprudence de la CJCE, en effet, l'épuisement communautaire ne se réfère pas à l'épuisement des droits tels que le définit la théorie du droit d'auteur.

Les décisions de la Cour relatives à l'épuisement communautaire du droit d'auteur et des droits voisins n'ont jamais eu pour objet de trancher en faveur de telle ou telle conception du droit de la propriété littéraire et artistique, mais simplement de faire prévaloir le principe de la libre circulation des biens sur des dispositions nationales pouvant avoir pour effet un cloisonnement du marché intérieur .

Selon cette démarche, un droit de distribution soumis à épuisement national, qui autorise un titulaire de droit à s'opposer à la mise en circulation dans un Etat membre de biens distribués, avec son consentement, dans un autre Etat membre 9( * ) , est contraire aux principes du Traité. En revanche, l'imposition, en vertu du droit de destination, d'un droit de reproduction mécanique pour l'usage public des phonogrammes n'est pas contraire au principe de la libre circulation s'il s'applique de manière non discriminatoire 10( * ) .

* Quant à la suppression de la possibilité pour les Etats membres d'appliquer le principe d'un épuisement international du droit de distribution, elle n'est en rien contradictoire avec le droit de destination.

• Les termes de l'exposé des motifs de la proposition de directive, non plus que la rédaction de l'article 4 ne permettent cependant pas d'exclure que la Commission souhaite faire prévaloir, dans l'ensemble de l'Union, le principe de l'application d'un droit de distribution soumis à épuisement.

Cette harmonisation du droit de distribution aurait sans doute une portée assez limitée, car si la quasi-totalité des Etats membres appliquent des règles relevant du droit de distribution, ce pavillon unique recouvre des marchandises assez diverses, notamment dans les Etats membres où le droit de distribution se rattache à un droit de publication (Pays-Bas, pays scandinaves).

Elle aurait cependant des conséquences en droit français, car elle pourrait conduire à remettre en cause un certain nombre de prérogatives reconnues aux auteurs par la jurisprudence sur le fondement du droit de destination : le droit de reproduction mécanique, déjà cité, mais aussi le droit de location, le droit de s'opposer à la commercialisation de supports (livres, films) mis au rebut et, plus généralement, le droit de s'opposer à tout usage des exemplaires d'une oeuvre qui n'est pas conforme à la destination pour laquelle ils ont été mis en circulation.

Il faut également rappeler que c'est en raison de l'existence du droit de destination que les dispositions de la directive 92/100 relatives au droit de location et de prêt n'ont pas été transposées en droit français : la suppression du droit de destination rendrait donc cette transposition nécessaire.

Votre commission souhaite donc que soient précisées la portée de l'article 4 et ses conséquences possibles sur le droit de destination.

2. Le problème de l'épuisement du droit de distribution de l'original des oeuvres

Le principe de la distinction entre la propriété " matérielle " d'une oeuvre et celle des droits de propriété littéraire et artistique sur cette oeuvre est un principe fondamental du droit d'auteur français qui a été consacré par la loi du 9 avril 1910 et qui s'applique à toutes les catégories d'oeuvres, et en particulier aux oeuvres des arts graphiques et plastiques.

En vertu de ce principe, l'aliénation de l'original d'une oeuvre protégée n'emporte aucune cession des droits d'exploitation de cette oeuvre : l'acquéreur du manuscrit d'une oeuvre littéraire ou musicale ne peut s'en faire l'éditeur, non plus que le propriétaire d'un tableau, d'une sculpture ou d'une oeuvre architecturale ne peut exercer le droit de reproduction détenu par l'auteur, ni s'opposer à l'exercice de ce droit.

Il convient donc de s'assurer que les dispositions de l'article 4 ne contreviennent pas à ce principe, et d'abord de s'interroger sur la portée pratique du droit de distribution d'une oeuvre originale, et surtout de l'épuisement communautaire de ce droit, qui n'a pas beaucoup de sens puisqu'il s'agit d'un objet qui est par définition unique.

La solution la plus logique semblerait donc être que l'article 4 ne mentionne pas les oeuvres originales. A défaut, il faut en tout cas qu'il soit clairement exclu que l'épuisement du droit de distribution puisse avoir de conséquences sur l'exercice des autres droits patrimoniaux et, bien entendu, qu'il puisse faire obstacle à l'exercice du droit moral.

3. Le problème de la chronologie des médias

Comme la Cour de Justice l'a admis, et comme la proposition de directive le confirme, l'épuisement communautaire ne s'applique pas au droit de représentation (ou de communication au public) d'une oeuvre, mais seulement à la distribution de supports matériels.

Cependant, la mise sur le marché de supports peut porter atteinte aux modes d'exploitation de l'oeuvre fondés sur le droit de représentation.

C'est sur cette constatation que se fondent les dispositifs organisant, dans le cas de l'exploitation des oeuvres cinématographiques, l'échelonnement dans le temps, pour ne pas nuire à l'exploitation en salle, des différents mode de diffusion de l'oeuvre (exploitation en salle, diffusion télévisée, commercialisation et location de vidéogrammes).

La Cour de justice a admis la compatibilité de cette " chronologie des médias " avec les principes du Traité de Rome 11( * ) , et la directive 92/100 prévoit que les droits de location et de prêt ne peuvent être exercés de façon contraire à la chronologie des médias telle que reconnue par la Cour de justice.

Dans le même esprit, l'article 7 de la directive " Télévision sans frontières " modifiée prévoit que " les Etats membres veillent à ce que les radiodiffuseurs qui relèvent de leur compétence ne diffusent pas d'oeuvres cinématographiques en dehors des délais convenus avec les ayants droit ", afin d'éviter que la diffusion télévisée interfère avec l'exploitation en salle.

En revanche, l'article 4 de la proposition de directive pourrait s'opposer à ce que la chronologie des médias s'applique également à la vente de vidéogrammes, puisqu'il interdira en principe aux titulaires de droits de s'opposer à leur libre circulation dans le marché intérieur dès lors qu'ils auront été distribués dans un Etat membre. Peu importerait donc, par exemple, qu'un film ne soit sorti en salle dans un autre Etat membre que plusieurs mois après sa sortie en France : il ne serait pas possible de s'opposer à la mise en vente simultanée de cassettes de ce film en France et dans cet Etat membre.

Pour votre commission, il est donc indispensable qu'il soit précisé, par exemple au niveau des considérants de la directive, que l'application de l'article 4 de la proposition de directive ne fera pas obstacle au respect de la chronologie des médias.

II. L'HARMONISATION DES EXCEPTIONS AUX DROITS

Comme le souligne très justement la Commission, l'harmonisation de la définition des droits de propriété littéraire et artistique suppose également une harmonisation des exceptions à ces droits. La proposition de directive ne tire cependant pas toutes les conséquences de cette observation, ce qui se comprend aisément : une définition communautaire des exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins se serait évidemment heurtée à la diversité des législations et des traditions nationales.

La proposition de directive ne définit donc qu'une seule exception " obligatoire " -du reste très controversée- et dresse par ailleurs une liste facultative et limitative des autres exceptions que peuvent prévoir les Etats membres, liste qui correspond peu ou prou à l'ensemble des règles et des usages nationaux actuellement en vigueur en la matière.

Certes, toutes les exceptions -obligatoires ou facultatives- devront satisfaire au " test des trois étapes " défini par la Convention de Berne pour les exceptions au droit de reproduction et que les Traités de l'OMPI ont étendu à toutes les exceptions : celles-ci ne doivent s'appliquer que dans des cas " spécifiques ", elles ne doivent pas causer un " préjudice injustifié " aux titulaires de droit ni porter atteinte à " l'exploitation normale " des oeuvres ou éléments protégés.

Mais, compte tenu de la diversité des interprétations auxquelles elle peut donner lieu, cette définition de " l'exception acceptable " ne sera sans doute pas très efficace pour restreindre les divergences entre les législations des Etats membres.

Votre commission approuve donc les dispositions de la proposition de résolution qui nous est soumise invitant le gouvernement à oeuvrer pour une définition plus resserrée de ces exceptions, et pour qu'elles donnent lieu à une compensation équitable au profit des titulaires de droits.

A. L'EXCEPTION OBLIGATOIRE AU DROIT DE REPRODUCTION

L'article 5-1 de la proposition de directive exempte du droit de reproduction tous " les actes de reproduction provisoires qui font partie intégrante d'un procédé technique ayant pour unique finalité de permettre l'utilisation d'une oeuvre ou d'un objet protégé, et n'ont pas de signification économique indépendante ".

•  Cette définition est très contestée et elle est rejetée, à juste titre, par les titulaires de droits.

Elle est en effet extrêmement large :

* Elle s'applique à toutes les utilisations des oeuvres, que ces utilisations soient ou non autorisées. Elle empêcherait donc les titulaires de droits de s'opposer à tous les " actes préparatoires " à une exploitation contrefaisante, ce qui paraît assez étranger à la logique du droit de propriété littéraire et artistique. Mais il semble, il est vrai, que l'on ait plutôt cherché, en la matière, à rassurer les opérateurs des réseaux, soucieux d'éviter que leur responsabilité puisse être mise en cause à l'occasion d'actes de reproduction d'oeuvres protégées ;

* Elle ne s'applique pas seulement à la transmission numérique mais à toute exploitation d'une oeuvre dès lors que celle-ci met en oeuvre un procédé technique faisant appel à des reproductions " provisoires " et donc, par exemple, à la radiodiffusion : elle crée donc un risque que certains diffuseurs tentent d'assimiler à des " reproductions provisoires " couvertes par l'exception des actes qui doivent normalement relever de l'autorisation des ayants droits ;

* Elle ne comporte aucune définition de la reproduction provisoire. Or, pour s'en tenir à la diffusion en réseau, la transmission d'une oeuvre d'un serveur à l'ordinateur d'un " internaute " peut donner lieu à différentes formes de reproduction :

- les reproductions " volatiles " dont la durée d'existence est limitée au temps de la transmission. Ce sont celles qui permettent l'acheminement des oeuvres et leur affichage sur l'écran de l'ordinateur de l'utilisateur ;

- les reproductions " temporaires " -" caches " ou " proxys "- qui constituent des relais entre le serveur et l'utilisateur et qui permettent, notamment en cas d'encombrement du réseau, un accès plus facile au document que ce dernier veut consulter.

Le fonctionnement des " caches " est organisé de façon automatique par des logiciels, mais les mises en cache ne constituent pas pour autant des étapes incontrôlables et incontournables du processus de transmission numérique : il est possible d'indiquer à un logiciel de cache qu'un document ne doit pas être copié, ou de limiter sa durée de conservation dans le cache. Il est également possible de comptabiliser les accès aux documents copiés dans les caches.

La notion de reproduction provisoire pourrait également inclure la notion de " site-miroir ", c'est-à-dire la duplication volontaire de tout ou partie du contenu d'un site pour constituer une nouvelle offre.

* Le critère de l'absence de " signification économique indépendante " paraît enfin trop imprécis.

•  C'est pourquoi, dans des formulations différentes, la proposition de résolution et les amendements adoptés par le Parlement européen proposent de limiter l'exception aux reproductions " volatiles " strictement indispensables à la communication des oeuvres, et qui ont lieu dans le cadre d'une exploitation autorisée.

Ce dernier critère est évidemment essentiel. De plus, la question de la responsabilité des opérateurs ne doit pas être réglée par le biais d'une définition restrictive du contenu et de la portée des droits.

Quant à la délimitation des reproductions " volatiles ", qui peuvent n'être pas soumises à autorisation, et de celles qui devraient l'être, le critère pertinent pourrait être la soumission à autorisation de toutes les reproductions provisoires qui ont une influence sur les conditions d'exploitation de l'oeuvre.

Les reproductions volatiles sont certes indispensables à la communication de l'oeuvre : sans elles, il n'y a tout simplement pas de communication. Mais le recours aux " caches " et a fortiori aux sites-miroirs permet aux utilisateurs d'accéder plus facilement, plus rapidement, en plus grand nombre à l'oeuvre mise à leur disposition : il détermine donc les conditions de communication de l'oeuvre, et a des conséquences directes sur sa " diffusion ".

Il paraît donc parfaitement normal que ces " conditions de diffusion " fassent partie des éléments pris en compte lors de la négociation du contrat d'exploitation d'une oeuvre en réseau de même, par exemple, que le mode de calcul de la rémunération de cette exploitation ou que les conditions de protection de l'oeuvre contre le piratage.

Votre rapporteur rejoint donc tout à fait sur ce point Mme Catherine Trautmann qui a souligné, lors de son audition devant la commission, que l'instauration d'une exception de copie technique s'étendant sans nuances à toutes les formes de copies réalisées dans le cadre du fonctionnement des réseaux risquerait de freiner la mise en réseau des oeuvres, et qu'il valait mieux faire le pari de la capacité des parties en présence à nouer des relations contractuelles équilibrées.

B. LES EXCEPTIONS FACULTATIVES

La liste des exceptions facultatives dressée par l'article 5 de la proposition de directive représente, en quelque sorte, la somme des dérogations au droit d'auteur pratiquées dans les différents Etats membres. Elle ne conduit donc qu'à une harmonisation assez limitée.

On peut également regretter qu'elle traduise un certain attentisme de la Commission sur la question de la copie privée, dont l'examen avait déjà été différé lors de l'élaboration de la directive 92/100 et sur laquelle elle ne prend pas davantage position aujourd'hui, en dépit de la dimension nouvelle que lui confère l'environnement numérique.

Votre commission, tout en partageant les préoccupations relatives à un meilleur encadrement des exceptions qu'exprime la proposition de résolution, vous proposera donc de la compléter afin de soutenir la position exprimée par le Parlement européen sur la copie privée numérique.

1. Mieux encadrer les exceptions

La démarche suivie par la Commission -l'établissement de listes facultatives d'exceptions soit au droit de reproduction, soit au droit de reproduction et de communication- inquiète les titulaires de droits qui craignent que certains Etats membres ne soient tentés, sous la pression notamment des utilisateurs, d'ajouter aux exceptions qu'autorise déjà leur législation nationale d'autres exceptions figurant dans la liste retenue par la Commission. Les titulaires de droits font également remarquer que la formulation de la proposition de directive est trop floue et pourrait autoriser des divergences nationales d'appréciation dans l'étendue des exceptions autorisées.

On peut cependant penser que les traditions nationales sont fortement établies -elles sont d'ailleurs fonction des conceptions qui fondent, dans chaque pays, le droit de la propriété littéraire et artistique- et qu'il est donc peu probable que l'on assiste à de notables modifications des législations et des usages nationaux.

Il convient cependant de prévenir les risques de multiplication des exceptions :

- en soutenant le principe d'une liste limitative et interprétée de façon restrictive ;

- en affirmant le principe d'une compensation des limitations de droits.

Le principe d'une liste limitative et de stricte interprétation

Certains Etats membres -en particulier la Grande Bretagne et certains pays nordiques- souhaitent soit compléter la liste des exceptions facultatives, soit ne lui donner qu'un caractère indicatif.

Votre commission ne peut que soutenir la ferme opposition du gouvernement français à ces propositions.

Le caractère limitatif de la liste des exceptions constitue en effet une garantie essentielle. Encore ne suffira-t-il sans doute pas, en particulier dans les pays de " copyright ", dans lesquels la notion d'exception n'a pas le même sens que dans les pays partageant la conception française du droit d'auteur et où les limitations au droit d'auteur sont essentiellement définies par une jurisprudence inévitablement plus évolutive que la loi, à prévenir tout risque d'extension de certaines dérogations aux droits exclusifs.

Par ailleurs, pas plus que le critère déjà évoqué du test des " trois étapes ", la limitation de certaines exceptions à des utilisations de nature " non commerciale " ne paraît être une garantie très sérieuse. Ce n'est pas en effet parce qu'une utilisation est de nature " non commerciale " qu'elle ne peut pas être préjudiciable aux intérêts des ayants droit, comme le démontre amplement l'exemple de la copie privée.

Il convient donc de s'opposer à toute extension de la liste des exceptions facultatives.

Le principe de la compensation des exceptions

Certaines exceptions au droit d'auteur ne sont a priori guère susceptibles de causer un préjudice économique significatif aux titulaires de droits. C'est le cas, par exemple, du droit de citation tel qu'on l'entend en droit français.

Il en va bien sûr tout autrement des exceptions liées à la copie privée (reprographie, copie audiovisuelle), des dérogations dont peuvent bénéficier dans certains Etats membres certaines institutions (bibliothèques, établissements d'enseignement, entreprises), ou qui sont justifiées par certaines utilisations (utilisation à des fins d'enseignement ou de recherche).

Or, si tous les Etats membres prévoient des dérogations au droit d'auteur et aux droits voisins, tous ne prévoient pas de compenser le préjudice qui en résulte pour les ayants droit.

Comme le notait la communication sur le suivi du Livre Vert à propos de la copie privée audiovisuelle, sur quinze Etats membres, onze seulement ont institué des systèmes de rémunération au titre de la copie privée, et ces systèmes " varient beaucoup dans leur étendue et leur fonctionnement ".

Ces variations sont susceptibles de réduire la portée concrète du " haut niveau de protection " que le droit communautaire entend assurer aux titulaires de droit.

C'est pourquoi la proposition de résolution qui nous est soumise se prononce en faveur du principe d'une compensation, le cas échéant forfaitaire, des dérogations au droit exclusif.

Le Parlement européen a exprimé le même souci en prévoyant d'assortir d'une rémunération équitable les exceptions au droit de reproduction par reprographie, la copie privée analogique et numérique, ainsi que les exceptions aux droits de reproduction et de communication pour les utilisations à des fins d'enseignement et de recherche.

2. La copie privée numérique

Le Livre Vert sur les droits d'auteur et les droits voisins posait clairement la question du maintien de l'exception de copie privée dans le contexte numérique. Mais le dispositif de la proposition de directive n'apporte malheureusement aucune réponse à cette question et laisse en la matière une totale liberté aux Etats membres, même si l'un de ses considérants (n° 27) souligne que les exceptions pour copie privée ne doivent pas faire obstacle à l'utilisation de mesures techniques de protection lorsque ces mesures sont disponibles.

Pourtant, les conséquences que peut avoir pour les ayants droit la copie numérique sont certainement un des problèmes les plus importants auxquels les confronte la " société de l'information ".

La reproduction parfaite que permet la copie numérique fait en effet craindre que la copie privée numérique devienne, plus encore que la copie analogique qui avait déjà sensiblement affecté le marché des phonogrammes et des vidéogrammes, une forme très importante d'exploitation des oeuvres de l'esprit.

Surtout, la qualité de la copie numérique n'étant pas affectée par des reproductions successives, le numérique peut accroître considérablement le " piratage ordinaire ", d'autant plus que les matériels de reproduction sont très accessibles.

La presse s'est ainsi récemment fait l'écho du développement, dans les établissements scolaires, de " petits commerces " de copies de disques compacts ou de jeux vidéo : un sondage aurait fait apparaître que plus de la moitié des jeunes de 15 à 24 ans déclarent avoir copié ou fait copier au moins une fois un CD à l'aide d'un graveur.

Dans leurs réponses au Livre Vert, les titulaires de droits, les éditeurs et une partie de l'industrie se sont opposés à toute exception en faveur de la copie privée dans l'environnement numérique, compte tenu des atteintes qu'elle pouvait porter à l'exploitation normale des oeuvres, et ont fait valoir que les nouvelles technologies, en permettant un contrôle effectif de la copie privée, rendaient possible d'assurer le respect du droit exclusif.

Certains dispositifs permettant le contrôle de la copie numérique sont en effet déjà disponibles 12( * ) et d'autres sont en cours d'expérimentation. La technologie numérique permet, grâce à la fixation de codes dans le matériel source, de différencier l'utilisation des oeuvres numérisées, soit en interdisant la copie, soit en ne permettant qu'une seule copie. Elle permet aussi d'identifier les oeuvres copiées.

Certes, on ne peut guère imaginer de protection absolue, ni même de systèmes de protection durablement inviolables, le principe de la course poursuite entre le " gendarme " et le " voleur " ayant sans aucun doute vocation à s'appliquer dans ce domaine comme dans d'autres.

Il n'en reste pas moins qu'un recours systématique aux techniques de protection, même imparfaites, même vouées à une rapide obsolescence, aurait sans doute des effets sensibles sur le " piratage ordinaire ", celui qui n'est pas pratiqué à l'échelle industrielle ni par des virtuoses de l'informatique, mais qui cause un préjudice extrêmement important aux intérêts des titulaires de droits, ne serait-ce que parce qu'il est pratiqué par " tout le monde " et constitue donc un phénomène insaisissable et incontrôlable.

Il faut donc, dès maintenant, encourager la poursuite des recherches dans le domaine des techniques de protection, et inciter les producteurs et les diffuseurs à les utiliser.

A cet égard, la position prise par le Parlement européen est intéressante.

Elle consiste en effet à permettre aux Etats membres de prévoir une exception pour copie privée -sous réserve d'une compensation équitable- mais sans que cette option puisse être interprétée comme interdisant aux ayants droit de se protéger par des mesures techniques.

D'un point de vue pratique, cette position permet d'éviter le double écueil d'une interdiction de la copie privée numérique que l'on ne serait pas en mesure de faire respecter, ou du seul recours à un régime de compensation qui aurait peu de chances d'être réellement équitable et pourrait en revanche dissuader les ayants droit de se protéger.

D'un point de vue juridique, elle est conforme à la nature de l'exception pour copie privée qui trouve, en droit français, son origine dans une tolérance inspirée par des considérations de fait 13( * ) , et non dans la reconnaissance d'un quelconque " droit à copie ".

Au demeurant, il convient de noter que l'interdiction de fait de la copie numérique n'équivaudrait pas à une interdiction de la copie privée : les dispositifs techniques de protection contre la copie numérique ne font en effet pas obstacle à un enregistrement analogique.

Votre commission vous proposera donc de soutenir la position prise par le Parlement européen.

III. LES CONDITIONS DE LA PROTECTION DES DROITS DE PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE DANS L'ENVIRONNEMENT NUMÉRIQUE

En même temps qu'il élargit la diffusion des oeuvres de l'esprit, le progrès technique facilite leur exploitation illicite. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il prend incontestablement, dans l'environnement numérique, une dimension nouvelle.

Si, contrairement à ce que l'on a prétendu, la société de l'information n'impose aucune remise en cause des principes du droit de propriété littéraire et artistique, elle peut en revanche susciter de nouveaux obstacles au respect et à l'exercice effectif de ces droits.

La circulation instantanée des oeuvres d'un bout à l'autre du " village planétaire ", l'accroissement phénoménal des échanges, la facilité de reproduction des oeuvres numérisées multiplient en effet les risques de contrefaçon et de piratage, et rendent plus difficiles l'identification des responsables, la sanction et la réparation des actes illicites.

Centrée sur l'harmonisation communautaire de la définition des droits, la proposition de directive ne traite pas en revanche des moyens de les faire respecter et laisse de côté, par exemple, les questions fondamentales de la détermination des responsabilités des différents acteurs de la société de l'information et du droit applicable -questions qui d'ailleurs dépassent largement le cadre communautaire.

Elle prévoit cependant, dans la ligne des Traités de l'OMPI, d'imposer la protection juridique des nouvelles techniques permettant de faire obstacle à la contrefaçon.

A. LA PROTECTION JURIDIQUE DES MESURES TECHNIQUES ET DE L'IDENTIFICATION DES OEUVRES

L'environnement numérique ne comporte pas que des conséquences négatives pour les titulaires de droits puisqu'il rend aussi possible l'utilisation de nouvelles techniques de protection des oeuvres : le codage des données numérisées permet en effet de les protéger contre des utilisations illicites ou d'assurer leur " traçabilité ".

La protection contre l'utilisation illicite peut résulter soit de systèmes d'accès conditionné, soit de procédés interdisant ou limitant la copie numérique des oeuvres, ces deux types de protection pouvant d'ailleurs être associés.

L'identification des oeuvres est quant à elle réalisée par l'intégration à l'oeuvre numérisée d'un code contenant les données relatives à l'oeuvre ou à l'élément protégé, aux titulaires de droits, voire aux conditions et modalités de son utilisation. Les mécanismes d'identification, qui complètent les mesures de protection, peuvent ainsi assurer l'information des utilisateurs de bonne foi mais aussi faciliter le contrôle de l'utilisation des oeuvres, sa facturation, le " repérage " de réseaux de contrefaçon.

Afin de renforcer leur efficacité, les Traités de l'OMPI rendent obligatoire la protection juridique de chacune de ces deux catégories de dispositifs, obligation que reprennent les articles 6 et 7 de la proposition de directive.

1. La protection des mesures techniques

Deux articles symétriques des Traités de l'OMPI (article 11 du Traité " droit d'auteur " et article 18 du Traité " interprétations et phonogrammes ") font obligation aux Etats parties de prévoir une protection juridique et des sanctions " efficaces " contre la neutralisation des " mesures techniques efficaces " prises par les ayants droit afin de " restreindre l'accomplissement " d'actes d'exploitation illicites.

Ce dispositif assez bref, et qui laisse une large marge d'appréciation aux Etats en ce qui concerne tant la définition des sanctions que celle des agissements prohibés, est moins précis que les propositions qui avaient servi de base à la négociation et qui prévoyaient explicitement de sanctionner " l'importation, la fabrication et la distribution de dispositifs de neutralisation, ou l'offre et la prestation de services ayant même effet ".

L'article 6 de la proposition de directive s'efforce de définir plus précisément les obligations qui s'imposeront aux Etats membres. L'intention est excellente, mais elle est malheureusement desservie par une rédaction confuse et qui pourrait être source d'ambiguïtés.

Les précisions qu'entend apporter la proposition de directive portent, d'une part, sur la définition des actes prohibés et, d'autre part, sur celle des " mesures techniques efficaces " devant donner lieu à une protection juridique.

•  En ce qui concerne les agissements prohibés , la Commission entend que soient réprimés non seulement les actes de neutralisation des mesures techniques mais aussi, comme cela avait été proposé à la conférence diplomatique de l'OMPI, " la fabrication ou la distribution de dispositifs ou la prestation de services " permettant cette neutralisation. Afin cependant que cette définition ne conduise pas à mettre en cause des industriels, des prestataires de services ou des auteurs de logiciels dont les produits pourraient être " détournés " à des fins de neutralisation des protections techniques, l'article 4 précise que pour être sanctionnables les activités visées :

- ne devront avoir qu' " une raison commerciale ou une utilité limitée " autre que la neutralisation de mesures techniques. D'après le commentaire d'article, cette précision doit " assurer que les équipements industriels et les services à multiples usages ne soient pas proscrits uniquement parce qu'ils peuvent être aussi utilisés pour contourner les systèmes de protection ". On comprend certes l'intention, mais on voit également la faille : cette disposition pourrait aussi permettre à des fabricants peu scrupuleux de s'exonérer de toute responsabilité en mettant sur le marché des " équipements à multiples usages " ;

- devront en outre présenter un caractère intentionnel, leurs auteurs " sachant ou ayant des raisons valables de penser " qu'elles peuvent " permettre ou faciliter " la neutralisation des protections techniques. Cette réserve est inspirée de l'accord ADPIC, qui subordonne l'indemnisation des actes portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle à l'intention dolosive de leurs auteurs. Mais elle risque d'être source de difficultés car il faudra pouvoir prouver la mauvaise foi des intéressés.

•  L'article 6 tente aussi de mieux définir les mesures techniques " efficaces ". Le second alinéa de l'article dispose à cet effet que ne " sont réputées efficaces " que les mesures subordonnant l'accès à l'oeuvre à l'application d'un code ou " d'un procédé, y compris par décryptage, ou désactivation de brouillage ou autre transformation de l'oeuvre ou de l'objet protégé " : cette rédaction ne permet pas de conclure avec certitude que seront présumées efficaces toutes les mesures techniques correspondant à l'une de ces catégories, d'ailleurs assez vaguement définies. Le commentaire de l'article précise d'ailleurs que " les titulaires de droits devront démontrer que la technique choisie est efficace " pour bénéficier de la protection, ce qui pourra s'avérer difficile compte tenu de l'évolution rapide des techniques.

Au total, " en voulant bien faire ", la proposition de directive risque de réduire la portée de la protection juridique des mesures techniques. On doit donc se demander s'il n'aurait pas été préférable de retenir, au niveau de la proposition de directive, une formulation plus générale -et surtout plus claire- inspirée de celles des Traités de l'OMPI, quitte à laisser aux législateurs nationaux le soin de les mettre en oeuvre, en s'inspirant par exemple des textes en vigueur réprimant le décodage illicite des programmes de télévision cryptés.

Certes, on pourrait objecter qu'une telle démarche limiterait l'harmonisation recherchée. Mais celle-ci sera de toute façon de portée assez restreinte puisque, d'une part, les Etats membres sont libres de déterminer les sanctions applicables à la violation des mesures de protection et que, d'autre part, les " précisions " apportées par la proposition de directive pourront donner lieu à des interprétations jurisprudentielles divergentes.

Votre commission partage donc les réserves qu'exprime, vis-à-vis de la rédaction de la proposition de directive, le dernier alinéa de la proposition de résolution, qu'elle vous propose par conséquent de retenir.

En outre, votre rapporteur souhaite souligner que l'action communautaire en matière de dispositifs de protection technique ne doit pas se limiter à la protection juridique. Il paraît indispensable, en effet, que cette action législative soit complétée par une politique active de recherche dans le domaine des dispositifs de protection technique et d'incitation à leur usage.

Au niveau national, le gouvernement a lancé un " programme pour l'innovation dans l'audiovisuel et le multimédia " destiné à soutenir la recherche dans le domaine de la protection des contenus. Aux Etats-Unis, un consortium réunissant l'industrie du disque et l'industrie informatique (Secure Digital Music Initiative - SDMI) a pour objet le développement de dispositifs de protection. Il paraît essentiel que de semblables synergies soient également encouragées au niveau de l'Union européenne, sauf à accepter que les mesures de protection technique deviennent un monopole américain.

2. La protection des mesures d'identification

L'article 7 de la proposition de directive, relatif à la protection juridique de l' " information sur le régime des droits " est très proche des articles correspondants des Traités de l'OMPI (article 12 du Traité " droit d'auteur " et article 19 du Traité " interprétations et phonogrammes "). La " protection juridique appropriée " que devront prévoir les Etats membres porte sur toutes informations " se présentant sous forme électronique " permettant d'identifier l'oeuvre ou l'objet protégé, les titulaires de droits, ou portant sur les conditions et modalités d'utilisation de ces droits.

Elle doit permettre de réprimer :

- la suppression ou la modification de ces informations,

- la distribution ou la communication au public, en connaissance de cause, d'exemplaires d'oeuvres ou d'objets protégés lorsque ces informations auront été supprimées ou modifiées.

B. LES QUESTIONS NON TRAITÉES PAR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

Contrairement à ce qui avait été primitivement envisagé, la proposition de directive ne comporte pas de dispositions relatives à la détermination du droit applicable aux transmissions en ligne.

Par ailleurs, la question de " la responsabilité relative aux activités réalisées dans un environnement de réseau ", qui, comme le souligne le considérant n° 12, ne concerne pas seulement la propriété littéraire et artistique, a été renvoyée à la proposition de directive " relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur " 14( * ) .

Il ne saurait évidemment être question pour votre rapporteur de traiter de manière exhaustive deux sujets qui ne relèvent pas de la proposition de directive sur laquelle portent le présent rapport et la proposition de résolution qui nous est soumise.

Cependant, comme l'a souligné devant votre commission la ministre de la culture et de la communication, il s'agit de deux questions importantes au regard de la protection de la propriété littéraire et artistique : il convient donc, sinon de les traiter, au moins de les évoquer.

1. Le droit applicable

Le Livre Vert sur les droits d'auteurs et les droits voisins abordait, parmi les " questions horizontales ", celle du droit applicable à l'exploitation en réseau des oeuvres et objets protégés par un droit de propriété littéraire et artistique.

La Commission se prononçait en faveur du principe, au niveau communautaire, de l'application de la loi " de l'Etat membre d'origine du service " , tout en soulignant que ce principe n'est applicable en matière de propriété intellectuelle " que si, en même temps, on assure une harmonisation poussée de ces droits " et qu'au niveau international, la priorité " devait être accordée à une harmonisation à un niveau élevé des règles de protection ".

Les réponses à la consultation sur le Livre Vert exprimaient majoritairement l'opinion selon laquelle les problèmes liés à la diffusion des oeuvres en réseau pouvaient être résolus par l'exercice de la liberté contractuelle et l'application du droit international privé, et refusaient en tout cas l'application du droit du " pays d'origine ".

La réponse du gouvernement français semblait assez représentative de cette opinion majoritaire, en tant qu'elle récusait " la règle du pays d'origine pour localiser l'exploitation " et soutenait que " la loi du pays d'exploitation ou de consommation devait continuer à s'appliquer " afin notamment de prévenir des risques de délocalisation des services dans les pays où la protection est la plus faible.

Cette position était aussi celle du Groupement européen des sociétés d'auteurs et compositeurs (GESAC) qui s'opposait, en particulier, à tout parallélisme avec la solution retenue, pour la télédiffusion par satellite, par la directive " câble et satellite ".

Devant la commission, Mme Catherine Trautmann s'est également prononcée contre l'application de la loi du pays d'émission.

Il est à noter que, dans son avis sur le Livre Vert de la Commission sur la lutte contre la contrefaçon et la piraterie, le Comité économique et social a souligné que les travaux actuels relatifs aux règles de droit international privé en matière délictuelle, qui doivent aboutir à une nouvelle Convention de Rome (" Rome II "), pourraient permettre de faciliter la lutte contre les actes de piratage et de contrefaçon commis grâce à Internet.

Pour votre rapporteur, il paraît indispensable que la question des règles applicables à la protection des droits de propriété littéraire et artistique sur les oeuvres diffusées " en ligne " soit également étudiée dans le cadre de l'instance internationale compétente, c'est-à-dire de l'OMPI.

2. La responsabilité des différents intervenants

La clarification des rôles et des responsabilités des différents intervenants sur Internet est essentielle, aussi bien pour les titulaires de droits, qui doivent savoir auprès de qui les faire valoir, que pour les intervenants eux-mêmes, qui ne peuvent développer leurs activités dans un climat d'insécurité juridique.

Il conviendra, là aussi, comme l'a indiqué Mme Catherine Trautmann, de trouver des solutions équilibrées entre des exigences et des intérêts contradictoires, ce qui ne sera évidemment pas facile, d'autant moins que le rôle des différents opérateurs des réseaux n'est pas toujours très clairement défini.

La proposition de directive sur le commerce électronique a tourné cette difficulté en visant non des " métiers " mais un certain nombre d'activités : le transport de données, le stockage temporaire (mise en cache), l'hébergement.

Elle retient, en s'inspirant de la récente législation américaine 15( * ) , le principe de l'irresponsabilité des intermédiaires techniques à raison des contenus mis en ligne par des tiers :

- le prestataire assurant le " simple transport " de données est exonéré de toute responsabilité dès lors qu'il joue un rôle purement passif et n'intervient que pour véhiculer, sans les modifier ni les sélectionner, des informations qu'il n'a pas fournies à des destinataires qu'il ne choisit pas. Cette irresponsabilité, qui s'étend au stockage automatique et " volatile " des informations transmises, ne bénéficie cependant pas au prestataire dans le cadre d'" une action en cessation ", ce qui vise, semble-t-il, le cas où il lui serait enjoint de supprimer l'accès à une information ;

- le stockage temporaire ne met pas non plus en cause, sous les mêmes conditions, la responsabilité du prestataire de service. Il est cependant tenu de retirer l'information, ou de rendre l'accès à celle-ci impossible, lorsqu'elle a été retirée du site principal ou n'y est plus accessible, ou lorsque l'autorité compétente a ordonné le retrait de l'information ou interdit son accès ;

- l'activité d'hébergement ne peut engager la responsabilité pénale ou civile de l'hébergeur que dans le cas où il a connaissance du caractère illicite des activités qu'il " héberge " (site web, forum, " bulletin board service ") et s'il n'agit pas " promptement " pour retirer les informations illicites ou en interdire l'accès ;

- Enfin, les prestataires exerçant une activité de simple transport ou d'hébergement ne sont tenus à aucune obligation générale de contrôle des informations fournies par les tiers. Ils peuvent en revanche être astreints à des activités de surveillance " ciblées ou temporaires " à la demande des autorités judiciaires nationales.

Seule pourrait donc être mise en cause la responsabilité éditoriale des " fournisseurs de contenus ". Or ceux-ci, bien souvent, ne peuvent être identifiés qu'à travers les indications détenues par les prestataires de services techniques.

Pour que l'irresponsabilité des prestataires de services techniques qui ne sont pas également " fournisseurs de contenus " ne permette pas, en fait, d'assurer l'impunité des contrefacteurs, il serait indispensable que les Etats membres puissent imposer aux prestataires de services, et notamment aux " hébergeurs ", un certain nombre d'obligations, par exemple :

- informer leurs cocontractants des obligations légales qui s'imposent à eux ;

- se mettre en état de fournir l'identité et les coordonnées des responsables des sites qu'ils hébergent ou des abonnés aux services qu'ils offrent ;

- conserver pendant un certain délai les données de connexion, à seule fin de les communiquer, si nécessaire, aux autorités judiciaires ;

- agir, dès qu'ils sont informés du caractère illicite d'un contenu, en vue de la cessation du trouble constaté.

De telles obligations, qui correspondent ni plus ni moins aux principes généraux de la responsabilité civile qui, mutatis mutandis , pèse sur tout professionnel, permettraient de concilier l'irresponsabilité des prestataires de services à raison des contenus dont ils ne maîtrisent ni la mise à disposition du public ni la circulation avec la possibilité pour les personnes lésées de faire respecter leurs droits.

IV. POSITION DE LA COMMISSION

Les considérants et le dispositif de la proposition de résolution adoptée par la délégation du Sénat pour l'Union européenne mettent clairement en évidence l'intérêt et l'utilité de la proposition de directive, mais aussi les incertitudes qui peuvent résulter de la définition des exceptions aux droits qu'elle définit.

La proposition de résolution insiste, en particulier, à ce titre, sur la nécessité de considérer comme limitative l'énumération proposée de ces exceptions et d'éviter l'insertion dans le texte de la proposition de directive de toute " formule générale " qui laisserait à l'appréciation des Etats membres la définition de ces exceptions.

Votre commission, pour donner plus de relief à cette recommandation, dont dépendra en effet, comme l'a montré le présent rapport, la réalité de l'harmonisation proposée et de la protection qu'elle doit assurer aux titulaires de droits, vous proposera de ne pas la faire figurer dans le détail du dispositif mais de la reprendre, immédiatement à la suite des considérants, sous forme d'une prise de position générale du Sénat à l'égard de la proposition de directive.

Cet aménagement de forme ne remet en cause ni l'esprit ni l'orientation de la proposition de directive, dont votre commission vous propose de retenir l'ensemble du dispositif sous réserve de quelques modifications rédactionnelles ou de précision.

Elle vous propose en outre, à la lumière des développements qui précèdent et des travaux du Parlement européen, de compléter le dispositif de la proposition de résolution en y insérant trois paragraphes nouveaux invitant le gouvernement :

- à faire préciser les domaines respectifs de la communication au public et de la communication privée ;

- à s'assurer que la création d'un droit de distribution soumis à épuisement n'aura pas pour conséquence la remise en cause de la directive française du droit de destination, qu'elle ne remettra pas en cause les droits des auteurs sur leurs oeuvres originales, et qu'elle ne fera pas obstacle au respect de la chronologie des médias ;

- à faire préciser, en s'inspirant des propositions du Parlement européen, la portée de l'exception facultative relative à la copie privée, qui doit faire l'objet d'une compensation équitable et qui ne doit pas avoir pour conséquence d'interdire aux titulaires de droits de se protéger contre la copie privée numérique.

*

* *

XAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné la proposition de résolution n° 541 (1997-1998) au cours de sa réunion du mercredi 28 avril 1999, tenue sous la présidence de M. Jean-Paul Hugot, vice-président.

Après l'exposé de Mme Danièle Pourtaud , M. Pierre Laffitte , félicitant le rapporteur pour la clarté de son analyse, a insisté sur l'importance du sujet traité par la proposition de directive, qui sera déterminant pour le développement de la société de l'information dans les prochaines années.

M. Louis de Broissia , rappelant que le problème de l'utilisation des oeuvres par les enseignants avait été plusieurs fois soulevé au sein des assemblées parlementaires, a regretté que la proposition de directive ne comporte pas de dispositions facilitant cette utilisation, qui est essentielle pour la diffusion des oeuvres et des connaissances.

Confirmant que la proposition de directive n'imposait pas aux Etats membres de prévoir d'exception au droit de propriété littéraire et artistique pour l'utilisation des oeuvres dans le cadre de l'enseignement, Mme Danièle Pourtaud, rapporteur , a souligné que, s'il était essentiel de faciliter le plus large accès aux oeuvres, il ne fallait pas que ce soit au détriment des auteurs et de leur droit à percevoir une rémunération pour l'utilisation de leurs oeuvres, et elle a estimé que le droit français permettait de concilier la protection des droits des auteurs et le souci d'assurer la diffusion de la création et des connaissances.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution proposée par son rapporteur.

Elle a fixé au lundi 10 mai 1999, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de résolution et au mercredi 12 mai 1999, à 9 h 30, la date de la réunion de la commission au cours de laquelle ils seront examinés.

*

* *

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(Texte adopté par la commission
en application de l'article 73 bis-6 du Règlement du Sénat)

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (n° E 1011)

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (E 1011) ;

Considérant qu'une protection efficace du droit d'auteur et des droits voisins est une condition nécessaire à la création culturelle et constitue, de ce fait, une source importante de création d'emplois par la conception ou la commercialisation de biens et services basés sur des oeuvres littéraires ou artistiques ;

Considérant que les nouvelles technologies de l'information, et notamment la numérisation, multiplient les possibilités d'utilisation d'oeuvres et de biens protégés par lesdits droits et facilitent leur circulation transfrontalière ;

Considérant que ce nouvel environnement technologique ne nécessite pas de recourir à de nouveaux concepts juridiques mais impose une adaptation des règles actuellement applicables en matière de droit d'auteur et de droits voisins ainsi qu'une harmonisation aux niveaux international et communautaire ;

Considérant que, le 20 décembre 1996, deux traités ont été adoptés dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle afin de procéder à cette adaptation et à cette harmonisation au niveau mondial ;

Considérant que la proposition d'acte communautaire E 1011 vise à y procéder dans le cadre communautaire en assurant un niveau de protection élevé du droit d'auteur et des droits voisins ;

Considérant que, à cette fin, ladite proposition tend notamment à préciser l'étendue du droit d'auteur et des droits voisins, à énumérer les exceptions ou limitations dont ils peuvent ou doivent faire l'objet, et à imposer aux États membres de prévoir une protection juridique appropriée contre toutes les activités permettant ou facilitant la neutralisation des mesures techniques destinées à protéger tout droit d'auteur ou droit voisin ;

- Souligne la nécessité d'assurer la meilleure protection du droit d'auteur et des droits voisins dans le respect du droit de chaque citoyen à la culture et à l'éducation ;

- Soutient le principe d'une énumération limitative des exceptions aux droits de reproduction et de communication au public, et s'oppose fermement à toute initiative qui tendrait à insérer une formule générale laissant la définition des exceptions à la seule appréciation des États membres, vidant ainsi la proposition de directive de sa substance ;

Invite en outre le Gouvernement :

- à oeuvrer pour une adoption dans les meilleurs délais de la proposition de directive E 1011 ;

- à faire préciser les domaines respectifs de la communication au public soumise à un droit exclusif et de la communication privée, de manière à limiter les exceptions au droit exclusif de communication au public aux utilisations privatives des oeuvres et des éléments protégés dans un cercle de famille ;

- à attirer l'attention sur le risque que peuvent représenter, pour les ayants droit et pour la survie de l'industrie phonographique, le développement de services audionumériques thématiques de diffusion musicale, et sur la nécessité de mettre à l'étude, le cas échéant, les mesures qui s'avéreraient indispensables pour que le développement souhaitable de ces nouveaux services ne se fasse pas au détriment des auteurs et des autres titulaires de droits ;

- à s'assurer que les dispositions de la proposition de directive relatives à l'épuisement communautaire du droit de distribution ne font pas obstacle à l'exercice du droit de destination reconnu aux auteurs par le droit français, qu'elles ne s'opposent pas au respect de la chronologie des médias, et qu'elles ne remettent pas en cause la distinction entre la propriété corporelle des oeuvres originales et les droits de propriété intellectuelle qui s'attachent à ces oeuvres ;

- à obtenir de circonscrire l'exception obligatoire au droit de reproduction aux reproductions volatiles strictement nécessaires, pour des raisons techniques, à une exploitation autorisée, à l'exclusion des reproductions temporaires ayant une incidence sur les conditions d'accès des utilisateurs aux oeuvres et éléments protégés ;

- à demander une limitation du champ de l'exception facultative prévue pour les reproductions par reprographie à certains usages précisément définis et permettant notamment les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste ;

- à faire préciser la portée de l'exception facultative relative à la copie privée, afin de garantir que cette exception, qui doit toujours avoir pour contrepartie une rémunération équitable, ne puisse avoir pour effet d'interdire aux titulaires de droits de recourir à des mesures techniques de protection contre la copie numérique ;

- à demander une modification des paragraphes 2 (b et c) et 3 de l'article 5 afin d'obtenir que les autres exceptions facultatives au droit de reproduction et au droit de communication au public soient mieux définies tant en ce qui concerne les bénéficiaires de ces exceptions qu'en ce qui concerne leurs modalités d'application ;

- à demander que les exceptions aux droits exclusifs aient pour contrepartie le droit, pour les auteurs et les titulaires de droits voisins, à une rémunération équitable, le cas échéant évaluée de manière forfaitaire, pour les reproductions et communications au public de leurs oeuvres ;

- à demander une modification de l'article 6 afin d'étendre le champ de la protection juridique des mesures techniques destinée à protéger le droit d'auteur ou les droits voisins sur le modèle du dispositif retenu par les Traités de l'OMPI.

*

* *

ANNEXE

Proposition de résolution n° 541 (19971998)

présentée par Mme Danièle POURTAUD

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition d'acte communautaire E 1011 ;

Considérant qu'une protection efficace du droit d'auteur et des droits voisins est une condition nécessaire à la création culturelle et constitue, de ce fait, une source importante de création d'emplois par la conception ou la commercialisation de biens et services basés sur des oeuvres littéraires ou artistiques ;

Considérant que le régime juridique de cette protection a été élaboré dans un contexte technologique dominé par la technique analogique ;

Considérant que les nouvelles technologies de l'information, et notamment la numérisation, multiplient les possibilités d'utilisation d'oeuvres protégées par lesdits droits et confèrent à leur circulation un caractère transfrontalier ;

Considérant que ce nouvel environnement technologique rend nécessaire une adaptation des règles actuellement applicables en matière de droit d'auteur et de droits voisins ainsi qu'une harmonisation au niveau international et communautaire ;

Considérant que, le 20 décembre 1996, deux traités ont été adoptés dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle afin de procéder à cette adaptation et à cette harmonisation au niveau mondial ;

Considérant que la proposition d'acte communautaire E 1011 vise à y procéder dans le cadre communautaire en se fondant sur un niveau de protection élevé ;

Considérant que, à cette fin, ladite proposition tend notamment à préciser l'étendue du droit d'auteur et des droits voisins, à énumérer les exceptions ou limitations dont ils peuvent ou doivent faire l'objet, et à imposer aux Etats membres de prévoir une protection juridique appropriée contre toutes les activités exclusivement commerciales permettant ou facilitant la neutralisation des mesures techniques destinées à protéger tout droit d'auteur ou droit voisin ;

Souligne la nécessité d'assurer la meilleure protection du droit d'auteur et des droits voisins dans le respect du droit de chaque citoyen à la culture et à l'éducation ;

Invite le Gouvernement :

- à oeuvrer pour une adoption dans les meilleurs délais de la proposition de directive E 1011 ;

- à soutenir le principe d'une énumération limitative des exceptions aux droits de reproduction et de communication au public, en s'opposant fermement à toute initiative qui tendrait à insérer une formule générale laissant la définition des exceptions à la seule appréciation des Etats et viderait ainsi la directive de sa substance ;

- à demander une extension du droit de communication au public reconnu aux titulaires de droits voisins à toutes les communications sous forme numérique, et non plus au seules communications dites " à la demande "

- à obtenir de circonscrire les exceptions obligatoires au droit de reproduction aux reproductions autorisées par la loi et strictement nécessaires, pour des raisons techniques, à une exploitation des oeuvres en réseau ;

- à demander une limitation du champ de l'exception facultative prévue pour les reproductions par reprographie à certains usages précisément définis et permettant notamment les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste ;

- à demander une modification des paragraphes 2 (b et c) et 3 de l'article 5 afin d'obtenir que les autres exceptions facultatives au droit de reproduction et au droit de communication au public soient mieux définies tant en ce qui concerne les bénéficiaires de ces exceptions qu'en ce qui concerne leur utilisation, étant entendu que les Etats doivent pouvoir édicter des dérogations à des fins d'intérêt général et notamment au profit des bibliothèques publiques, des établissements de recherche ou d'enseignement et des archives à des fins de documentation , de recherche, d'éducation ou d'archivage ;

- à demander l'insertion d'un article sur le droit pour les auteurs, interprètes, producteurs de phonogrammes et d'oeuvres cinématographiques, à une rémunération équitable, le cas échéant évaluée de manière forfaitaire, pour les reproductions et communications au public de leurs oeuvres ;

- à demander une modification de l'article 6 afin d'étendre le champ de la protection juridique des mesures techniques destinée à protéger le droit d'auteur ou les droits voisins sur le modèle du dispositif retenu par le traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes.



1 Document Com (95) 82 final du 19 juillet 1995.

2 Document Com (96) 568 final du 20 novembre 1996.

3 En définissant dans les mêmes termes et en mettant sur le même plan le droit de reproduction reconnu aux auteurs et aux différents titulaires de droits voisins, l'article 2 paraît se rattacher à la tradition du copyright et heurter les conceptions du droit français. Mais il convient de rappeler que la proposition de directive s'appliquera " sans préjudice des directives existantes ", et qu'elle ne doit donc pas être considérée comme remettant en cause l'article 14 de la directive 92/100 harmonisant la définition des droits voisins, qui dispose que " la protection des droits voisins du droit d'auteur par la présente directive n'affecte en aucune façon la protection du droit d'auteur ".

4 Cf : André Lucas (" Droits d'auteur et numérique " Litec, 1998) qui ajoute : " Imaginerait-on d'obliger l'éditeur à solliciter une autorisation distincte pour reproduire l'oeuvre sur support informatique en vue de la fabrication des livres ? Ou l'exploitant d'un satellite à obtenir une autorisation pour faire monter le signal vers le satellite et une autre pour le faire redescendre ? Qui ne voit qu'on déformerait la réalité en scindant le processus de consultation en ligne d'une base de donnée pour distinguer l'acheminement du signal et la visualisation des données sur l'écran du destinataire ? "

5 Cette proposition, un peu baroque car il est généralement considéré que le droit de location ou de prêt ne peut s'appliquer qu'à un support matériel, comportait pour la Commission un avantage pratique, le droit de location et de prêt ayant déjà été harmonisé par la directive 92/100.

6 Les premières décisions en la matière ont été deux ordonnances de référé rendues le 14 août 1996 par le TGI de Paris dans les affaires " Brel " et " Sardou ", concernant la mise à disposition des utilisateurs de sites web du texte de chansons.

7 Dans le cadre du " Digital performance right in Sounds recordings Act ", modifié en 1998 pour tenir compte du développement du webcasting.

8 La directive ne " transpose " pas les dispositions des traités OMPI relatives au droit de distribution des titulaires de droits voisins, la directive 92/100 leur reconnaissant déjà ce droit par des dispositions (article 9) qui n'ont d'ailleurs pas été transposées en droit français.

9 Arrêt " Deutsche Grammophon " du 8 juin 1971.

10 Arrêt Basset du 9 avril 1987.

11 Arrêt Société Cinéthèque contre FNCF, 12 juillet 1990.

12 Par exemple le système SCMS (Social Copy Management System) ne permettant qu'une seule copie numérique.

13 l'impossibilité matérielle d'exiger une autorisation pour chaque utilisation individuelle, d'une part, et, d'autre part, l'impossibilité à la fois matérielle et juridique (respect de la vie privée) de contrôler l'usage privé des oeuvres.

14 Com (98) 586 final. Document E 1210.

15 Digital millenium copyright Act du 28 octobre 1998.



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