Projet de loi constitutionnelle relatif à la Cour pénale internationale

BADINTER (Robert)

RAPPORT 318 (98-99) - commission des lois

Table des matières




N° 318

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale ,

Par M. Robert BADINTER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ. ) : 1462 , 1501 et T.A. 276 .

Sénat : 302 (1998-1999).


Droit pénal.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 28 avril 1999 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Robert Badinter, le projet de loi constitutionnelle n° 302, adopté par l'Assemblée nationale, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale.

M. Robert Badinter, rapporteur, a rappelé que la commission des Lois avait appelé de ses voeux la création d'une juridiction pénale internationale permanente lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la législation française à la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant le tribunal international pour le Rwanda.

Le rapporteur s'est félicité de ce que le statut de la Cour pénale internationale ait été adopté par 120 Etats lors de la conférence tenue à Rome en juillet 1998. Il a présenté l'organisation de la Cour, soulignant en particulier que le procureur disposerait de pouvoirs étendus, mais que son action, et notamment la décision d'engager des poursuites, serait contrôlée par une chambre préliminaire.

Evoquant la compétence de la Cour, M. Robert Badinter, rapporteur, a souligné qu'elle serait limitée aux crimes les plus graves que sont le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et l'agression. Il a observé que la Cour ne deviendrait compétente à l'égard du crime d'agression que si les Etats parties parvenaient à élaborer une définition de cette infraction.

Le rapporteur a indiqué que la Cour pourrait être saisie par un Etat partie, par le procureur ou par le Conseil de sécurité des Nations Unies. A propos des relations entre la Cour pénale et les Etats, il a fait valoir que le principe retenu était celui de la compétence des Etats et que la Cour, conformément au principe de complémentarité, n'interviendrait que si un Etat n'avait pas la volonté ou était dans l'incapacité de mener à bien des poursuites.

Abordant la révision constitutionnelle, M. Robert Badinter a rappelé que le Conseil constitutionnel avait relevé trois incompatibilités entre le traité portant statut de la Cour pénale internationale et la Constitution française.

En premier lieu, la possibilité pour la Cour pénale de poursuivre toute personne, quelle que soit sa qualité, est incompatible avec les immunités dont bénéficient, en vertu de la Constitution, le président de la République, les membres du Gouvernement et les parlementaires.

En second lieu, la possibilité qu'une personne puisse être remise à la Cour pénale en raison de faits couverts par l'amnistie ou la prescription est susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Enfin, le droit pour le procureur d'intervenir sur le territoire d'un Etat partie en l'absence des autorités de cet Etat, notamment pour entendre un témoin ou visiter un site public a également été considéré par le Conseil constitutionnel comme susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

M. Robert Badinter, rapporteur, a souligné que le président de la République et le Premier ministre avaient choisi de présenter un projet de loi constitutionnelle prévoyant la possibilité pour la France d'accepter l'ensemble des dispositions du statut de la Cour pénale internationale et ne mentionnant pas explicitement les motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel. Il a fait valoir que ce choix était le seul possible pour éviter un texte trop complexe. Enfin, le rapporteur a indiqué que le projet de loi constitutionnelle ne couvrait que les stipulations du statut de la Cour pénale dans son état actuel et qu'une révision de ce statut appellerait, le cas échéant, une nouvelle révision de la Constitution.

La commission a adopté le projet de loi constitutionnelle sans modification.

Mesdames, Messieurs,

Le siècle qui s'achève aura été marqué par la multiplication d'atrocités " qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine " 1( * ) . Face à celles-ci, l'impunité - outrageante pour les victimes et offensante pour l'humanité tout entière - a été la règle commune, malgré les nombreux projets élaborés pour donner corps à une justice internationale indépendante permettant de sanctionner les auteurs de crimes contre l'humanité. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, première expression de cette exigence de justice, symbolisaient la justice des vainqueurs et avaient été mis en place après les crimes dont ils devaient connaître. Par la suite, la guerre froide et les réticences de nombre d'Etats, plus soucieux de parvenir à un règlement diplomatique des conflits que de favoriser la poursuite des criminels contre l'humanité, ont pendant longtemps constitué des obstacles insurmontables à la création d'une juridiction internationale permanente et indépendante des Etats.

La création des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda a incontestablement permis de faire progresser la conscience de la nécessité d'une telle juridiction. La Conférence de Rome, qui s'est tenue du 15 juin au 17 juillet 1998, a enfin donné naissance à la Cour pénale internationale.

Le statut de la Cour pénale peut inspirer des sentiments mitigés, nombre des dispositions qu'il contient - fruits de compromis difficiles - peuvent appeler des réserves, mais l'essentiel n'est pas là. Cinquante ans après l'adoption de la Convention de 1948 sur le génocide, qui posait le principe d'une telle juridiction, la " communauté internationale " a donné une preuve de son existence en parvenant enfin à créer cette juridiction indépendante, dotée de pouvoirs importants, qui permet d'espérer que les bourreaux de demain ne bénéficieront pas de la scandaleuse immunité qui fut celle des criminels d'hier. La France s'honorerait en étant l'un des premiers Etats à ratifier un traité qui, malgré ses insuffisances, est un progrès considérable pour la justice.

Le Conseil constitutionnel a estimé que certaines stipulations du statut de la Cour appelaient une révision de la Constitution. Afin de permettre la ratification du traité, le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, a pris l'initiative d'une révision constitutionnelle que le Sénat est aujourd'hui invité à examiner.

I. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : NAISSANCE D'UNE JUSTICE

A. LES ORIGINES DE LA COUR PÉNALE

L'idée d'une juridiction internationale, qui serait compétente pour juger les crimes les plus graves portant atteinte à l'ensemble de la communauté internationale n'est pas neuve. Il aura fallu presque un siècle pour l'imposer.

Dès la fin de la première guerre mondiale, le traité de Versailles avait prévu, dans son article 227, la traduction de l'ex-empereur Guillaume II devant une cour internationale pour " offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités ". Le Kaiser ne fut pourtant jamais jugé parce qu'il se réfugia aux Pays-Bas et que les autorités de ce pays refusèrent de l'extrader en invoquant le fait que le crime dont il était accusé constituait un " délit politique " exclu de l'extradition.

De nombreuses réflexions furent conduites pendant l'entre-deux guerres afin de mettre en place une juridiction pénale internationale. Ainsi, à la suite de l'attentat du 9 octobre 1934, qui coûta la vie au roi Alexandre de Yougoslavie et à Louis Barthou, ministre des affaires étrangères, le gouvernement français adressa au secrétariat général de la Société des nations une proposition de création d'une cour pénale internationale, qui aurait eu à juger les individus accusés d'actes de terrorisme. Deux conventions furent conclues le 16 janvier 1937, dont l'une prévoyait la mise en place de cette juridiction, mais elles n'entrèrent jamais en vigueur.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, furent mis en place les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, qui constituèrent une étape essentielle dans la prise de conscience de la nécessité d'un tribunal pénal international pour juger les crimes contre l'humanité . Cependant, créés après la guerre pour juger des faits qui n'étaient pas définis légalement au moment où ils furent commis, ces tribunaux, dont la légitimité morale était incontestable, ont pu donner le sentiment d'être les instruments d'une " justice des vainqueurs ".

Des initiatives furent alors prises afin de favoriser l'émergence d'une véritable juridiction pénale internationale. En 1947, l'Assemblée générale des Nations-Unies chargea sa commission du droit international de préparer un projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. En 1948, fut adoptée la convention pour la répression du crime de génocide, premier acte de droit international faisant directement référence à une juridiction pénale internationale . L'article 6 de cette convention prévoit en effet que " les personnes accusées de génocide (...) seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction ".

En 1950, l'Assemblée générale des Nations-Unies chargea un comité d'experts de rédiger un projet de statut d'une cour criminelle internationale. Mais en 1957, l'Assemblée générale décida, par une résolution 1187 du 11 décembre 1957, " d'ajourner l'examen de la question d'une juridiction criminelle internationale permanente jusqu'au moment où reprendra la question de la définition de l'agression et celle du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité ".

En fait, la guerre froide et les réticences de nombreux Etats face à l'idée de mettre en place une juridiction pénale internationale réellement indépendante, bloquèrent tout progrès pendant plusieurs décennies.

La création en 1993 du tribunal pénal international appelé à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, puis la mise en place du tribunal international pour le Rwanda ont manifestement contribué à accélérer réflexions et négociations sur la mise en oeuvre d'une juridiction permanente. Ces tribunaux, compte tenu de l'urgence de leur mise en place, furent créés par des résolutions du conseil de sécurité des Nations-Unies.

En effet, le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies a constitué le fondement juridique de la création des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ce chapitre confère des pouvoirs au Conseil de sécurité " en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ". Dans ces hypothèses, l'article 39 de la Charte lui permet de décider " quelles mesures seront prises (...) pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ".

Le choix de ce fondement juridique a pu être contesté, mais il est clair que ces tribunaux n'auraient pu avoir aucune efficacité s'il avait fallu négocier pendant des mois ou des années une convention pour les créer. Malgré les nombreuses difficultés - notamment matérielles - qu'ils ont rencontrées, ces tribunaux sont parvenus à asseoir leur autorité, qui n'est plus contestée aujourd'hui.

La compétence limitée de ces tribunaux n'a toutefois rendu que plus évidente la nécessité d'une juridiction permanente. En effet, rien ne permet d'assurer que tous les génocides et crimes contre l'humanité donneront lieu à l'institution d'une juridiction ad hoc. Les intérêts de certaines puissances membres du conseil de sécurité des Nations unies pourraient même interdire la création de telles juridictions. Surtout, seule une juridiction permanente et dotée de compétences nécessaires peut constituer un facteur de dissuasion à l'encontre de ceux qui seraient enclins à commettre des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

C'est dans ce contexte que se sont accélérées les négociations sur la création d'une Cour pénale internationale. En 1989, lors de la 44 ème session de l'Assemblée générale des Nations-Unies Les représentants de Trinidad et Tobago suggérèrent de reprendre les travaux sur le projet de statut d'une juridiction pénale internationale, gelés depuis 1957. En 1992, l'Assemblée générale chargea la commission du droit international d'achever en priorité le projet de statut.

En 1994, la commission du droit international a présenté un projet de statut d'une cour criminelle internationale, tenant compte de l'expérience acquise dans le cadre du tribunal pénal international mis en place pour l'ex-Yougoslavie.

Les négociations se sont ensuite poursuivies sur cette base, dans le cadre d'un comité ad hoc puis d'un comité préparatoire mis en place par l'Assemblée générale des Nations-Unies, jusqu'à la Conférence de Rome, réunie du 15 juin au 17 juillet 1998, qui a abouti à la signature d'un traité portant statut de la Cour pénale internationale.

Le traité a été adopté par 120 Etats sur 160. Sept Etats (Etats-Unis, Chine, Inde, Israël, Bahrein, Qatar et Vietnam) ont voté contre, vingt-et-un se sont abstenus tandis que douze autres ne prenaient pas part au vote.

Le traité n'entrera en vigueur que lorsque 60 Etats l'auront ratifié. L'autorité future de cette juridiction est largement conditionnée par le nombre d'Etats qui s'engageront au plus tôt dans la reconnaissance de sa compétence.

B. LE STATUT DE LA COUR PÉNALE

Le statut adopté à Rome comporte 128 articles, décrivant en particulier avec précision la procédure applicable devant la Cour.

1. La compétence de la Cour

a) Ratione materiae

La Cour n'est compétente qu'à l'égard des " crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ", à savoir :

- le génocide ;

- les crimes contre l'humanité ;

- les crimes de guerre ;

- le crime d'agression.

Ces crimes sont d'ores et déjà consacrés en droit international, ont été inclus dans le statut du tribunal de Nuremberg et repris dans les statuts des tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Le projet de statut d'une Cour criminelle internationale élaboré en 1994 par la commission du droit international de l'Organisation des Nations-Unies prévoyait la compétence de la Cour pour un grand nombre d'autres infractions de nature diverse, comprenant en particulier l'apartheid, le trafic illicite de stupéfiants, la piraterie maritime ou aérienne, la prise d'otages... Cette option n'a finalement pas été retenue par la Conférence de Rome.

Le génocide est défini par l'article 2 de la Convention de 1948 et cette définition a été reprise dans le statut de la Cour pénale. Ainsi, constitue un crime de génocide l'un des actes suivants " commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres de groupe, atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle de membres du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ".

Il convient de noter que cette définition comporte une différence par rapport la solution retenue dans les statuts des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ceux-ci mentionnent également l'entente en vue de commettre un génocide, l'incitation, la tentative et la complicité.

L'explication de cette différence se trouve dans l'article 25 du statut de la Cour pénale internationale, qui incrimine, pour l'ensemble des crimes pour lesquels la Cour pénale a compétence, la tentative, l'aide , la contribution, l'incitation.

La définition des crimes contre l'humanité posait en revanche des difficultés plus complexes, dans la mesure où il était difficile de reprendre la définition inscrite dans le statut du tribunal de Nuremberg, définition trop marquée par le contexte de sa rédaction. L'article 7 du statut de la Cour pénale mentionne donc un grand nombre d'actes (le meurtre, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, la torture, le viol et les grossesses forcées...), qui sont susceptibles de constituer un crime contre l'humanité, dès lors qu'ils sont commis " dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque ".

La définition des crimes de guerre a été plus difficile encore à élaborer. L'article 8 du statut ne mentionne pas moins d'une cinquantaine d'infractions au sein desquelles sont distinguées les infractions portant sur la violation du droit des conflits armés internationaux et celles portant sur la violation du droit des conflits internes. A l'intérieur de chacune de ces catégories sont en outre distinguées les infractions graves aux conventions de Genève de 1949 et les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés.

Il est heureux que la Cour ait reçu compétence pour connaître des crimes commis non seulement dans le cas de conflits internationaux, mais aussi au cours de conflits internes. Les crimes les plus graves sont en effet souvent commis au sein d'Etats déchirés par la guerre civile ou lors d'affrontements entre communautés.

La compétence de la Cour s'exerce à l'encontre de l'ensemble des crimes de guerre, même s'il est précisé qu'elle a vocation à s'appliquer " en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent dans un plan ou une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle ".

L'article 124 du statut permet toutefois aux Etats parties de déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du statut, ils n'acceptent pas la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre, lorsqu'il est allégué qu'un tel crime a été commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants.

Enfin, en ce qui concerne le crime d'agression , le statut précise que la cour exercera sa compétence lorsqu'une définition de ce crime aura été adoptée, par exemple dans le cadre de la Conférence de révision qui devra être convoquée sept ans après l'entrée en vigueur du statut.

Le débat sur la définition du crime d'agression dure en fait depuis plusieurs dizaines d'années. La société des Nations puis l'Organisation des Nations-Unies se sont attachées sans succès à définir l'agression jusqu'à l'adoption de la résolution 3314 de l'Assemblée générale des Nations-Unies en date du 14 décembre 1974, qui énumère une longue liste d'actes susceptibles de constituer une agression. Malgré certaines propositions, formulées notamment par l'Allemagne, les négociateurs du statut de la Cour pénale internationale n'ont pu parvenir à un accord sur une définition qui aurait pu être inscrite dans le statut.

b) Ratione personae et ratione loci

L'article premier du statut prévoit que la Cour " peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale ".

L'article 12 du statut prévoit que la Cour peut exercer sa compétence si l'un des deux Etats suivants ou les deux sont parties au statut :

- l'Etat sur le territoire duquel le comportement en cause s'est produit ou, si le crime a été commis à bord d'un navire ou d'un aéronef, l'Etat du pavillon ou l'Etat d'immatriculation ;

- l'Etat dont la personne accusée du crime est un national.

Cet article prévoit en outre la possibilité pour un Etat n'étant pas partie au statut de reconnaître la compétence de la Cour à l'égard d'un crime.

Il convient de noter que ces règles de compétence ne mentionnent pas l'Etat dont la victime est ressortissante ni l'Etat sur le territoire duquel se trouve l'accusé.

Toutefois, en cas de saisine par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, la Cour sera compétente quel que soit l'Etat de nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le territoire duquel le crime aura été commis.

c) Ratione temporis

La Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après l'entrée en vigueur du statut, c'est-à-dire lorsque soixante Etats auront ratifié le traité.

2. L'organisation de la Cour pénale

La Cour pénale internationale aura son siège à La Haye, aux Pays-Bas. Les organes de la Cour sont la présidence, les chambres, le bureau du procureur et le greffe.

a) La présidence

Le Président et les deux vice-présidents sont élus à la majorité absolue des juges pour trois ans ou jusqu'à l'expiration de leur mandat de juge si celui-ci prend fin avant trois ans.

La présidence est en particulier chargée de la bonne administration de la Cour.

b) Les sections

La Cour se compose de 18 juges. Ce nombre peut être augmenté par la Conférence des Etats parties à la demande de la présidence. Les juges sont élus pour neuf ans par l'assemblée des Etats parties et leur mandat n'est pas renouvelable.

L'élection des juges est organisée de manière à permettre une représentation équilibrée des personnalités ayant une compétence reconnue dans les domaines du droit pénal et de la procédure pénale et des personnalités ayant une compétence reconnue en droit international. En outre, les Etats parties doivent tenir compte de la nécessité d'assurer la représentation des principaux systèmes juridiques du monde, une représentation géographique équitable, enfin une représentation équitable des hommes et des femmes.

Les juges sont répartis dans trois sections : la section des appels, la section de première instance et la section préliminaire. La section des appels est composée du Président et de quatre autres juges ; la section de première instance et la section préliminaire sont composées chacune de six juges au moins.

La chambre d'appel est composée de tous les juges de la section des appels ; les fonctions de la chambre de première instance sont exercées par trois juges de la section de première instance ; enfin, les fonctions de la chambre préliminaire sont exercées soit par trois juges de la section préliminaire soit par un seul juge de cette section.

c) Le bureau du procureur

Le bureau du procureur agit indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la Cour. Il est chargé de recevoir les communications et tout renseignement dûment étayé concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, de les examiner, de conduire les enquêtes et de soutenir l'accusation devant la Cour. Ses membres ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune source extérieure.

Le procureur est élu au scrutin secret par l'Assemblée des Etats parties à la majorité absolue des membres de celle-ci. Il est secondé par un ou plusieurs procureurs adjoints, habilités à accomplir tous les actes que le statut requiert du procureur.

d) Le greffe

Le greffe est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour. Le greffier est élu par les juges pour cinq ans et est rééligible une fois.

Il convient enfin de préciser que le greffier est chargé, aux termes du statut, de créer une division d'aide aux victimes et aux témoins. Cette division est chargée de conseiller et d'aider les témoins, les victimes qui comparaissent devant la Cour et les autres personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire courir un risque, ainsi que de prévoir les mesures et les dispositions à prendre pour assurer leur protection et leur sécurité.

3. Le cadre général de l'action de la Cour : le respect des principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale

Le statut de la Cour pénale prévoit le respect des principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale.

a) Le respect des principes généraux du droit pénal

Dans son article 20, le statut prévoit, en application du principe non bis in idem , que nul ne peut être jugé pour des actes constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté. La seule exception à ce principe concerne le cas dans lequel une procédure devant une juridiction aurait eu pour objet de soustraire une personne à sa responsabilité pénale.

L'article 22 du statut stipule qu'une personne n'est responsable pénalement que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de la Cour ( nullum crimen sine lege ). Par ailleurs, une personne condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du statut ( nulla poena sine lege ).

Nul n'est pénalement responsable pour un comportement antérieur à l'entrée en vigueur du statut. Lorsque le droit applicable à une affaire est modifié avant le jugement définitif, le droit le plus favorable à la personne faisant l'objet d'une enquête, de poursuites ou d'une condamnation s'applique.

b) Le respect des droits de la défense et de la présomption d'innocence

- Au cours d'une enquête, une personne n'est pas obligée de témoigner contre elle-même, ni de s'avouer coupable. Elle n'est soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, bénéficie gratuitement de l'aide d'un interprète compétent, ne peut être arrêtée arbitrairement. Avant un interrogatoire, toute personne doit notamment être informée de son droit de garder le silence et de son droit d'être assistée par le défenseur de son choix ou, si elle n'en a pas, par un défenseur commis d'office ;

- tout accusé a le droit d'être informé dans le plus court délai et de façon détaillée des motifs et de la teneur des charges dans une langue qu'il comprend et parle bien ; il doit pouvoir disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et communiquer librement et confidentiellement avec le conseil de son choix. Un accusé a également le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la comparution et l'interrogation des témoins à décharge.

c) Le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable

L'article 64 du statut prévoit que la chambre de première instance de la Cour veille à ce que le procès soit conduit de façon équitable et avec diligence. L'accusé doit être jugé sans retard excessif et a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement.

d) L'individualisation des peines

La Cour peut prononcer une peine d'emprisonnement à temps de 30 ans au plus ou une peine d'emprisonnement à perpétuité " si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ".

Ainsi, s'agissant des crimes les plus graves, la peine de mort est proscrite de la plus haute instance criminelle que le monde aura connue. Il faut saluer pareil progrès de la conscience humaine.

La Cour peut, en plus de la peine d'emprisonnement, prononcer une peine d'amende et décider la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime.

L'article 78 du statut impose à la Cour, lorsqu'elle fixe la peine, de tenir compte de considérations telles que la gravité du crime et la situation personnelle du condamné. Lorsqu'une personne est reconnue coupable de plusieurs crimes, la Cour prononce une peine pour chaque crime et une peine unique indiquant la durée totale d'emprisonnement.

e) Les voies de recours

L'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966 dans le cadre de l'organisation des Nations Unies, prévoit que " toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi ".

Le statut de la Cour pénale internationale respecte ces prescriptions. Les décisions de la chambre de première instance, sur la culpabilité comme sur la peine, peuvent en effet donner lieu à appel devant une chambre d'appel. Si celle-ci conclut que la procédure faisant l'objet de l'appel est viciée au point de porter atteinte à la régularité de la condamnation, ou que la condamnation faisant l'objet de l'appel est sérieusement entachée d'une erreur de fait ou de droit, elle peut annuler ou modifier la condamnation ou ordonner un nouveau procès devant une chambre de première instance différente.

Par ailleurs, les décisions définitives sur la culpabilité ou la peine peuvent donner lieu à requête en révision de la part de la personne déclarée coupable ou, en cas de décès, de son conjoint, de ses enfants, de ses parents ou de toute personne mandatée par écrit expressément à cette fin.

4. La saisine de la Cour

Trois modes de saisine de la Cour pénale internationale sont prévus par le statut :

- tout Etat partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis ;

- le procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour ; dans ce cas, il doit obtenir une autorisation de la chambre préliminaire pour ouvrir une enquête.

- enfin, le Conseil de sécurité des Nations-Unies peut également déférer au procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis. Le Conseil de sécurité peut non seulement saisir la Cour, mais également - ce qui paraît beaucoup plus contestable - empêcher toute poursuite ou enquête pendant douze mois, cette demande pouvant être renouvelée 2( * ) .

5. La procédure

Trois phases peuvent être distinguées dans la procédure devant la Cour : l'enquête, la confirmation des charges, le procès.

a) L'enquête

La décision d'ouvrir une enquête est prise, sous le contrôle de la chambre préliminaire, par le procureur, qui peut également conclure qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour engager des poursuites. Le procureur " enquête tant à charge qu'à décharge ". Il peut notamment recueillir et examiner des éléments de preuve, convoquer et interroger des personnes faisant l'objet d'une enquête, ainsi que des victimes et des témoins, demander la coopération de tout Etat ou organisation ou dispositif gouvernemental.

L'un des éléments remarquables du statut est que l'activité du procureur de la Cour pénale internationale est contrôlée par une " chambre préliminaire ", composée d'un ou plusieurs juges . Il est possible de voir dans cette disposition une influence des systèmes juridiques latins. Ce contrôle interne des poursuites paraît légitime. Compte tenu de la gravité des infractions à l'égard desquelles la Cour aura compétence, l'ouverture des poursuites peut difficilement être laissée à la discrétion d'une seule autorité.

La chambre préliminaire est appelée à prendre les principales décisions pendant l'enquête. Ainsi, lorsqu'il souhaite ouvrir une enquête de sa propre initiative, le procureur doit obtenir l'autorisation de la chambre préliminaire.

De même, lorsqu'il considère qu'une enquête offre l'occasion, qui ne se représentera plus par la suite, de recueillir un témoignage ou une déposition, ou d'examiner , recueillir ou vérifier des éléments de preuve aux fins d'un procès, le procureur en avise la chambre préliminaire, qui peut alors prendre toutes mesures propres à assurer l'efficacité et l'intégrité de la procédure, en particulier nommer un expert ou prendre toute mesure nécessaire pour recueillir ou préserver les éléments de preuves.

La chambre préliminaire peut délivrer les mandats nécessaires aux fins d'une enquête, autoriser le procureur à prendre certaines mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat partie sans s'être assuré la coopération de cet Etat lorsque celui-ci est incapable de donner suite à une demande de coopération. A tout moment, après l'ouverture d'une enquête, la chambre préliminaire peut délivrer sur requête du procureur, un mandat d'arrêt contre une personne.

b) La confirmation des charges

L'article 61 du statut prévoit que " dans un délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour ou sa comparution volontaire, la chambre préliminaire tient une audience pour confirmer les charges sur lesquelles le Procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement ". Cette audience peut se tenir en l'absence de l'intéressé, notamment lorsqu'il a pris la fuite.

Au cours de cette audience, le Procureur étaye chacune des charges avec des éléments de preuve suffisants pour établir l'existence de raisons sérieuses de croire que la personne a commis le crime qui lui est imputé.

A l'issue de l'audience, la chambre préliminaire peut confirmer les charges et renvoyer la personne devant une chambre de première instance pour y être jugée, ne pas confirmer les charges, enfin ajourner l'audience en demandant au Procureur d'apporter des éléments de preuve supplémentaires ou de modifier une charge.

c) Le procès

Le procès se déroule publiquement devant une chambre de première instance en présence de l'accusé. La chambre de première instance peut prononcer le huis clos, notamment pour protéger la sécurité des victimes et des témoins ou pour protéger des renseignements confidentiels ou sensibles donnés dans des dépositions.

L'accusé a la possibilité de plaider coupable. Dans ce cas, si la Cour est convaincue que l'accusé comprend la nature et les conséquences de l'aveu, qu'il a fait cet aveu volontairement, qu'enfin cet aveu est étayé par les faits de la cause, elle peut reconnaître l'accusé coupable du crime. Dans le cas contraire, elle ordonne que le procès se poursuive selon les procédures normales.

Le statut contient des règles relatives à l'administration des personnes, à la protection et à la participation au procès des victimes et des témoins, à la protection de renseignements touchant à la sécurité nationale.

L'article 74 prévoit que les juges s'efforcent de prendre leur décision à l'unanimité, faute de quoi ils la prennent à la majorité. La décision est présentée par écrit et contient l'exposé complet et motivé des constatations de la chambre de première instance sur les preuves et les conclusions. S'il n'y a pas unanimité, la décision contient les vues de la majorité et de la minorité.

6. Les relations entre la Cour pénale et les Etats parties

a) le principe de complémentarité

En ce qui concerne la recevabilité des affaires, le principe est qu'une affaire est jugée irrecevable par la Cour pénale lorsqu'elle fait ou a fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce . La solution retenue est donc différente de celle qui avait prévalu lors de la création des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Le statut de ces tribunaux pose en effet le principe de leur primauté sur les juridictions nationales et leur permet de demander le dessaisissement de ces juridictions à tout stade de la procédure.

Aux termes de l'article 18 du statut, le procureur doit informer les Etats dès le début de l'enquête. L'Etat dont le suspect a la nationalité dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître l'état des poursuites concernant cette personne. L'existence de telles poursuites oblige le procureur à suspendre l'instruction.

La Cour doit s'assurer, aux termes de l'article 19 du statut, qu'elle est compétente pour connaître d'une affaire portée devant elle. Elle peut d'office se prononcer sur la recevabilité de l'affaire.

Le principe de la compétence des Etats est tempéré par le fait que cette règle ne s'applique pas lorsqu'il apparaît que l'Etat en cause n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. Le statut précise les circonstances qui permettent de déterminer qu'il y a un manque de volonté de l'Etat. Il en va notamment ainsi lorsque la procédure a été engagée dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale.

Naturellement, conformément à la règle non bis idem , nul ne peut être jugé par la Cour s'il été jugé par une autre juridiction pour les mêmes faits, sauf si la procédure devant cette juridiction avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ou si elle a été menée d'une manière qui démentait l'intention de traduire l'intéressé en justice.

b) Une obligation de coopération

L'article 86 du statut prévoit une obligation générale pour les Etats de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence.

La Cour peut adresser des demandes de coopération aux Etats parties, notamment afin d'obtenir qu'une personne soit arrêtée pour lui être remise. Elle peut également formuler des demandes d'assistance concernant l'identification d'une personne, le rassemblement d'éléments de preuve, la signification de document, l'examen de localités ou de sites...

Lorsque l'exécution d'une mesure d'assistance demandée par la Cour est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique fondamental d'application générale, ledit Etat doit engager des consultations avec la Cour pour tenter de régler la question. Si la question n'est pas réglée à l'issue des consultations, la Cour modifie la demande.

Un Etat partie ne peut rejeter, totalement ou partiellement, une demande d'assistance de la Cour que si cette demande a pour objet la production de documents ou la divulgation d'éléments de preuve qui touchent à sa sécurité nationale. L'article 98 du statut prévoit que la Cour ne peut présenter une demande d'assistance qui contraindrait l'Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité des Etats ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un Etat tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération de cet Etat tiers en vue de la levée de l'immunité.

Enfin, l'article 99 prévoit notamment que le procureur peut procéder à certains actes d'enquête sur le territoire d'un Etat partie, y compris en l'absence des autorités de cet Etat. Les mesures qu'il peut prendre dans ce cadre, notamment recueillir une déposition ou inspecter un site public ou un autre lieu public, sont exclusives de toute contrainte.

*

Le statut de la Cour est ainsi marqué par la volonté de créer un système international efficace de répression des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre les plus graves. Il sauvegarde cependant la compétence juridictionnelle des Etats adhérents au statut. C'est aux Etats en effet qu'il revient au premier chef de poursuivre et de condamner les auteurs de ces crimes dans toute la mesure où ils relèvent de leur juridiction. C'est seulement faute pour ces Etats d'agir, soit par intérêt politique soit par défaut de moyens juridiques, que la Cour assurera la répression selon une procédure respectueuse des principes du procès équitable.

II. UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NÉCESSAIRE

Le 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a décidé que la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale devrait être précédée d'une révision de la Constitution 3( * ) . Cette décision était attendue et avait été précédée d'un avis du Conseil d'Etat, rendu en 1996 à propos d'un avant projet de statut, qui parvenait à la même conclusion.

A. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX

1. La procédure

Deux procédures permettent au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des engagements internationaux. L'article 61 de la Constitution permet de saisir le Conseil d'une loi autorisant la ratification ou l'approbation d'un engagement international . Cette procédure a été utilisée à sept reprises jusqu'à présent et n'a conduit à aucune déclaration d'inconstitutionnalité.

L'article 54 de la Constitution permet pour sa part au Président de la République, au Premier ministre, au Président de l'une ou l'autre assemblée et, depuis 1992, à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel d'un engagement international afin qu'il vérifie sa conformité à la Constitution. Si le Conseil déclare qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution .

Le traité instituant la Cour pénale internationale a été soumis au Conseil constitutionnel conjointement par le Président de la République et le Premier ministre -comme cela avait déjà été le cas pour le traité d'Amsterdam- sur le fondement de cet article 54.

2. Les précédents

Avant la décision du Conseil constitutionnel relative au traité de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, l'article 54 de la Constitution n'a donné lieu qu'à six saisines :

- en 1970, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le traité du 22 avril 1970 portant modification de certaines dispositions budgétaires des traités instituant les Communautés européennes et du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, ainsi que sur la décision du Conseil des Communautés européennes du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions des Etats membres par des ressources propres aux communautés ;

- en 1976, le Conseil s'est prononcé sur la décision du Conseil des Communautés européennes relative à l'élection de l'Assemblée européenne ;

- en 1985, le Conseil constitutionnel a été saisi du protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort ;

- en 1992, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à deux reprises dans le cadre de l'article 54 de la Constitution sur le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht ;

- enfin, en 1997, le Conseil constitutionnel a été interrogé sur la conformité à la Constitution du traité d'Amsterdam.

Si l'on prend en considération la décision relative à la Cour pénale internationale, il est intéressant de constater que quatre des sept saisines du Conseil constitutionnel sont intervenues au cours des sept dernières années, tandis que les trente années précédentes n'avaient été marquées que par trois saisines. De plus, trois des quatre dernières saisines ont eu pour résultat une déclaration de non conformité à la Constitution, le Conseil constatant un risque d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté. Le Conseil constitutionnel a ainsi décidé que la ratification des traités de Maastricht et d'Amsterdam devait être précédée d'une modification de la Constitution. Il est parvenu à la même conclusion après avoir examiné le statut de la Cour pénale internationale.

L'approfondissement des liens entre les Etats, singulièrement dans le cadre de la construction européenne, la signature de traités ou de conventions dans des matières régaliennes par essence, impose donc à la France des adaptations de sa Constitution plus fréquentes que par le passé.

B. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE STATUT DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a déclaré que la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale devait être précédée d'une révision de la Constitution.

Cette décision constate une contrariété d'une disposition du traité avec des articles de la Constitution ainsi qu'un risque d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

1. Le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde

Il convient tout d'abord de noter que le Conseil constitutionnel a admis le principe de la création d'une Cour pénale internationale.

Comme il le fait de manière habituelle, le Conseil constitutionnel a tout d'abord résumé le contenu de l'engagement international qui lui était soumis et rappelé les normes de référence applicables, en particulier le préambule de la Constitution de 1958 et celui de la Constitution de 1946, l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (" le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ") et l'article 3 de la Constitution (" la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum "). Le Conseil a cité également les quatorzième et quinzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 prévoyant respectivement que la République française se conforme aux règles du droit public international et que, sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix.

Le Conseil a alors indiqué, dans un considérant de principe qui mérite d'être intégralement cité que " le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsable de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties ; qu'ainsi la réserve de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer ".

De la même manière, le Conseil avait affirmé en 1992 et 1997, à propos des traités de Maastricht et d'Amsterdam, que le respect de la souveraineté nationale ne faisait pas obstacle à ce que la France puisse participer à la création et au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les Etats membres.

Ainsi, le principe d'une compétence juridictionnelle non nationale pour les crimes mentionnés dans le statut ne porte atteinte à aucune exigence constitutionnelle. Le Conseil d'Etat, dans son avis de 1996, était parvenu à la même conclusion, estimant que " le fait d'attribuer compétence aux organes de la Cour pour poursuivre et juger ces crimes lorsqu'ils sont commis en France n'est pas dans son principe de nature à compromettre les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ".

Contrairement à la solution explicitement retenue pour les traités de Maastricht et d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel affirme que la réserve de réciprocité inscrite dans l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne le statut de la Cour pénale internationale. Compte tenu de l'objet du traité - protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui lui seraient portée, et compétente pour juger les responsables des crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale - la réserve de réciprocité ne saurait être invoquée.

La solution retenue est intéressante, dans la mesure où dans des décisions précédentes, le Conseil constitutionnel avait suivi un raisonnement différent. Ainsi, à propos de la loi organique déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution relatif à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, le Conseil constitutionnel avait considéré que la condition de réciprocité prévue par l'article 88-3 de la Constitution était satisfaite dès lors que le traité sur l'Union européenne avait été ratifié par l'ensemble des signataires. Il avait alors ajouté " qu'un cas de manquement d'un Etat membre aux obligations qui découlent du paragraphe I de l'article 8 B (du traité sur l'Union européenne) précité, il appartiendrait à la France de saisir la Cour de justice, sur le fondement de l'article 170 du traité instituant la Communauté européenne " 4( * ) .

Une solution semblable aurait pu être retenue dans le cas de la Cour pénale, mais le Conseil a souhaité exclure toute possibilité d'invocation de la réserve de réciprocité.

Après avoir admis le principe de la création de la Cour pénale internationale, le Conseil rappelle que lorsque des engagements internationaux contiennent une clause contraire à la Constitution, mettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a examiné le statut de la Cour pénale internationale au regard de ces trois critères.

2. Trois motifs d'inconstitutionnalité

a) Une atteinte au régime des immunités

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 27 du statut de la cour pénale internationale, dont le contenu est le suivant :

Article 27
Défaut de pertinence de la qualité officielle

1. Le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne.


L'article 68 de la Constitution française prévoit notamment que " le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison " .

L'article 68-1 prévoit pour sa part que les ministres, qui sont " pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes et délits au moment où ils ont été commis " , sont jugés par la Cour de justice de la République.

Enfin, l'article 26 de la Constitution prévoit que les membres du Parlement bénéficient d'une immunité à raison des opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils ne peuvent faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d'une arrestation ou de toute autre mesure punitive ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont ils font partie.

Le Conseil constitutionnel a donc logiquement déclaré l'article 27 du statut contraire aux articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution. Dès 1996, lorsqu'il avait rendu un avis sur l'avant-projet de statut de la cour criminelle internationale, le Conseil d'Etat était parvenu à la même conclusion 5( * ) . L'article 27 du statut est la seule disposition déclarée contraire à des articles précis de notre Constitution.

b) Une mise en cause des régimes de l'amnistie et de la prescription

Si le Conseil a relevé, à propos du régime des immunités, une contradiction entre une disposition du statut et des articles de la Constitution, deux autres dispositions ont été jugées contraires à la Constitution parce qu'elles porteraient atteinte aux " conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ".

Il convient tout d'abord de noter que les stipulations qui permettent à la Cour de se déclarer compétente lorsqu'un Etat n'a pas la volonté réelle de mener à bien les poursuites n'ont pas été considérées comme contraires à la Constitution, au motif qu'elles découlent de la règle Pacta sunt servanda en vertu de laquelle un traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. En 1992, dans sa première décision relative au traité de Maastricht, le Conseil constitutionnel avait souligné qu'au nombre des règles de droit public international auxquelles se réfère le préambule de la Constitution de 1946 figurait la règle Pacta sunt servanda .

De même, le Conseil constitutionnel n'a pas déclaré contraire à la Constitution l'article 17-3 du statut qui permet à la Cour pénale de juger une affaire recevable lorsque l'Etat compétent est incapable de mener véritablement à bien des poursuites, en particulier en cas d'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son appareil judiciaire.

Il est vraisemblable, en l'absence de précision sur ce point, que le Conseil constitutionnel a considéré que, dans de tels cas, il ne saurait y avoir violation de la Constitution, puisque la garantie des droits ne serait plus assurée par la France et qu'en vertu de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ".

En revanche, le Conseil constitutionnel a constaté que la Cour pénale internationale pouvait être valablement saisie du fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière de prescription et que la France, en dehors de tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne en raison de faits couverts par l'amnistie ou la prescription. Le Conseil a vu dans ces dispositions une possibilité d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

De fait, si une loi d'amnistie intervenait avant le jugement d'une personne, mise en cause pour des crimes de la compétence de la Cour pénale internationale, celle-ci pourrait vraisemblablement ignorer la loi d'amnistie, qui ne constitue pas une cause d'irrecevabilité au titre de l'article 17 du statut. En revanche, dans le cas d'une amnistie intervenant après le jugement, la Cour pénale serait vraisemblablement tenue par la règle non bis in idem inscrite à l'article 20 du statut, sous cette réserve que la règle non bis in idem n'a pas vocation à s'appliquer lorsque la procédure devant la juridiction autre que la Cour a pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de la compétence de la Cour.

La portée de cette atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté doit être relativisée. En effet, les lois d'amnistie excluent naturellement les faits les plus graves. L'amnistie de crimes contre l'humanité, de génocides ou de crimes de guerre ne saurait être envisagée dans un Etat de droit.

En ce qui concerne la prescription, le Conseil constitutionnel constate " qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ". Le droit français prévoit l'imprescriptibilité du génocide et des crimes contre l'humanité (article 213-5 du code pénal).

Le Conseil d'Etat s'était montré plus réservé dans l'avis qu'il avait rendu à propos du projet de statut d'une Cour criminelle internationale :

" (...), le statut de la Cour ne contient aucune disposition relative à la prescription. Certains crimes relevant de la compétence de la Cour, comme le crime de génocide ou le crime contre l'humanité, et sans doute aussi le crime d'agression, peuvent être regardés comme imprescriptibles en droit international public, même si le droit pénal national ne les a pas déclarés comme tels dans tous les cas. Il n'en va pas nécessairement de même des violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés et des crimes, même d'une exceptionnelle gravité, liés par exemple à la sécurité de l'aviation civile et de la navigation maritime et au trafic illicite de stupéfiants, qui sont des crimes de droit commun. Le Conseil d'Etat considère que l'existence d'une règle de prescription qui est un principe fondamental reconnu par les lois de la République exige que, pour les crimes dont la nature n'est pas d'être imprescriptibles, un délai de prescription soit fixé dans le statut, en fonction de la gravité des crimes commis ".

En tout état de cause, il faut constater qu'en France, seuls, parmi les crimes pour lesquels la Cour aura une compétence, les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Dans ces conditions, la France pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour l'auteur d'un crime prescrit. Cette hypothèse n'est pas purement théorique dans la mesure où la Cour détient une compétence en matière de crimes de guerre, y compris lorsque ces crimes sont commis de manière isolée. Les règles de la prescription prévues par le législateur français pourraient donc se trouver privées d'effet. Le Conseil constitutionnel en a déduit qu'il existait un risque d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale .

c) Les pouvoirs d'enquête du procureur

Le Conseil constitutionnel a relevé une deuxième atteinte possible aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans les pouvoirs d'enquête confiés au procureur.

En principe, la Cour peut adresser des demandes de coopération et d'assistance aux Etats membres, que ceux-ci peuvent refuser, à condition d'engager des consultations avec la Cour, lorsque l'exécution d'une mesure particulière d'assistance est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique fondamental.

Toutefois, l'article 57 permet à la chambre préliminaire de la cour pénale d'autoriser le procureur à prendre certaines mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat partie sans s'être assuré la coopération de cet Etat si elle a déterminé que cet Etat est incapable de donner suite à une demande de coopération parce qu'aucune autorité ou composante compétente de son appareil judiciaire national n'est disponible pour donner suite à une demande de coopération. Le Conseil constitutionnel n'a pas déclaré contraire à la Constitution ces dispositions, vraisemblablement parce que dans l'hypothèse envisagée, les droits ne seraient plus garantis par la France.

En revanche, le Conseil a déclaré contraire à la Constitution l'article 99-4 du statut, qui permet au Procureur d'intervenir directement sur le territoire d'un Etat partie " notamment lorsqu'il s'agit d'entendre ou de faire déposer une personne agissant de son plein gré, y compris hors de la présence des autorités de l'Etat requis quand cela est déterminant pour la bonne exécution de la demande, ou lorsqu'il s'agit d'inspecter un site public ou un autre lieu public sans le modifier ". Le Conseil constitutionnel a estimé que cette stipulation était de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

En 1980, dans sa décision relative à la loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale 6( * ) , le Conseil constitutionnel avait estimé que " les autorités judiciaires françaises, telles qu'elles sont définies par la loi française, sont seules compétentes pour accomplir en France, dans les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire en matière pénale " . En 1991, dans sa décision relative à la loi autorisant l'approbation de la convention d'application de l'accord de Schengen 7( * ) , le Conseil constitutionnel avait en revanche admis la procédure de " poursuite transfrontalière " prévue par l'article 41 de la convention, en observant notamment " que les agents poursuivants ne disposent en aucun cas du droit d'interpellation ; que l'entrée dans les domiciles et les lieux non accessibles au public leur est interdite " .

A propos de la Cour pénale internationale, le Conseil a donc jugé que la possibilité pour le procureur de procéder à certains actes d'enquête hors la présence des autorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier, en dehors même du cas où l'appareil judiciaire national est indisponible, était contraire à la Constitution.

3. Un traité respectant les principes de droit pénal et de procédure pénale ayant valeur constitutionnelle

Dans sa décision, le Conseil ne s'est pas limité à indiquer celles des stipulations du traité qui étaient contraires à la Constitution. Il s'est au contraire attaché à examiner de manière détaillée la conformité du traité aux droits et libertés constitutionnellement garantis pour conclure qu'aucun de ces principes n'était mis en cause.

Ainsi, le Conseil a constaté que les dispositions du traité respectaient le principe de la présomption d'innocence posé par l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen en constatant notamment que ce principe était affirmé dans l'article 66 du statut et qu'il incombait au procureur de prouver la culpabilité de l'accusé.

De même, le statut de la Cour ne porte pas atteinte au principe de légalité des délits et des peines , dans la mesure notamment où il " fixe précisément le champ d'application des incriminations comme des exonérations de responsabilité pénale et définit les crimes, tant dans leur élément matériel que dans leur élément moral, en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et éviter l'arbitraire ".

Le principe de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère est également satisfait, compte tenu des articles 11 et 24 du statut qui prévoient respectivement que la Cour n'est compétente qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du statut et que le droit le plus favorable doit être appliqué en cas de modification du droit applicable avant le jugement définitif.

Aucune atteinte n'est portée aux droits de la défense , ceux-ci étant respectés " dès la procédure initiale devant la Cour et pendant le procès lui-même " .

Le Conseil constitutionnel a également constaté que le projet de statut ne portait pas atteinte à l'exigence d'impartialité et d'indépendance des juges , qu'il respectait les principes de nécessité et de légalité des peines , qu'un droit de recours était prévu et que la règle " non bis in idem " était respectée.

Il est heureux que le Conseil constitutionnel n'ait décelé, au sein du statut de la Cour pénale internationale, aucune disposition portant atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis. En effet, il eut été difficile, sinon impossible, de justifier une révision constitutionnelle, dont l'objet aurait consisté pour la France à accepter la juridiction d'une Cour ne garantissant pas aussi bien que le système judiciaire français des exigences aussi fondamentales que les droits de la défense ou la présomption d'innocence.

4. Le traité ne porte pas atteinte au droit de grâce présidentiel

Avant l'adoption par la Conférence de Rome du statut de la cour pénale internationale, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur la compatibilité de ce statut avec le droit de grâce présidentiel, tel qu'il est prévu par l'article 17 de la Constitution. En 1996, dans son avis sur l'avant-projet du statut de la cour criminelle internationale, le Conseil d'Etat avait estimé que ce projet était susceptible de porter atteinte aux prérogatives présidentielles en la matière.

Toutefois, la Conférence de Rome a adopté un texte différent, en cette matière, de l'avant-projet soumis au Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif retenu ne portait pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

L'article 103 du statut prévoit un effet que " lorsqu'il déclare qu'il est disposé à recevoir des condamnés, un Etat peut assortir son acceptation de conditions qui doivent être agréées par la Cour (...) " .

Le Conseil en a déduit que la France pourrait faire état de la possibilité d'accorder aux personnes condamnées une dispense de l'exécution des peines, totale ou partielle, découlant de l'exercice du droit de grâce.

L'article 103 du statut prévoit que l'Etat avise la Cour de toute circonstance, y compris la réalisation de toute condition convenue, qui serait de nature à modifier sensiblement les conditions ou la durée de la détention. La Cour devra être avisée au moins 45 jours à l'avance de toute circonstance de ce type connue ou prévisible et pourra décider de transférer un condamné dans une prison d'un autre Etat.

III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE SOUMIS AU SÉNAT

Le projet de loi constitutionnelle soumis au Sénat a été adopté sans modification par l'Assemblée nationale le 6 avril dernier.

Ce projet contient un article unique tendant à insérer un article 53-2 dans la Constitution, dont le contenu serait le suivant : " La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ".

Le choix d'insérer un article 53-2 dans la Constitution paraît opportun. Le titre VI de la Constitution, dans lequel s'inscrira ce nouvel article, concerne en effet les " traités et accords internationaux ". L'article 53 de la Constitution énumère les traités ou accords qui ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi, tandis que l'article 53-1, introduit dans notre Loi fondamentale en 1993 8( * ) , concerne la possibilité pour la République de passer, avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées.

Sur le fond, le gouvernement a choisi de présenter un projet prévoyant la possibilité pour la France d'accepter l'ensemble des dispositions du statut de la Cour pénale internationale et ne mentionnant pas explicitement les motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel. De fait, la modification des articles 68, 68-1 et 26 de la Constitution, relatifs aux immunités dont bénéficient respectivement le Président de la République, les ministres et les parlementaires aurait posé des problèmes complexes. Il aurait en outre été nécessaire de mentionner explicitement l'acceptation par la France des pouvoirs d'enquête du procureur de la Cour pénale ainsi que des règles susceptibles de priver le régime de l'amnistie et le régime de la prescription de leur effet.

Le choix d'insérer dans la Constitution une disposition générale est donc compréhensible, même si ce projet de loi constitutionnelle s'éloigne ainsi des solutions retenues pour les traités d'Amsterdam et de Maastricht. L'article 88-2 mentionne en effet les domaines dans lesquels la France peut consentir des transferts de compétences au profit de l'Union européenne (établissement de l'union économique et monétaire européenne, libre circulation des personnes).

Il convient de mentionner que le projet de loi constitutionnelle prévoit que la France " peut " reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale. Le choix de ce verbe vise à tenir compte du fait que le présent projet de loi constitutionnelle tend à rendre possible la ratification du traité et non à autoriser cette ratification. Une loi ordinaire devra autoriser la ratification du traité signé le 18 juillet 1998 après l'adoption définitive par le Congrès du Parlement du présent projet de loi constitutionnelle . La même solution a été retenue lors de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam. L'article 88-2 de la Constitution prévoit en effet désormais que " peuvent être consentis les transferts de compétences... ".

Le projet de loi fait référence à la juridiction de la Cour pénale internationale et non à sa compétence. Pourtant, la version française du statut de la Cour ne fait jamais référence à sa juridiction, mais à sa compétence. Ainsi, l'article premier du statut stipule : " Il est créé une Cour pénale internationale en tant qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au sens du présent statut ".

La difficulté que pourrait soulever l'emploi du terme juridiction tient à ce que ce mot recouvre un grand nombre de significations. La juridiction est en effet à la fois la " mission de juger ; pouvoir et devoir de rendre la justice par application du droit " 9( * ) et l'" organe institué pour exercer le pouvoir de juridiction ". En l'occurrence, le projet de loi constitutionnelle a pour objet de reconnaître la compétence et les prérogatives attribuées à la Cour pénale internationale par le statut. Quoi qu'il en soit, la rédaction proposée, si elle n'est pas la plus heureuse, permet de lever l'ensemble des obstacles constitutionnels à la ratification du traité, ce qui est l'essentiel.

La principale question que pose la rédaction du projet de loi constitutionnelle est celle de son champ d'application. L'article unique fait en effet référence à la reconnaissance de la juridiction de la Cour " dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ". On peut en déduire qu'il vise à rendre conformes à la Constitution les dispositions du statut qui lui ont été déclarées contraires et ne couvre pas les modifications futures du statut. Toutefois, le statut lui-même prévoit la possibilité d'amendements au statut sept ans après son entrée en vigueur. Des amendements aux dispositions du statut de caractère exclusivement institutionnel sont même possibles sans attendre le délai de sept ans. Il serait donc possible de considérer que ces amendements font partie des " conditions prévues par le traité du 18 juillet 1998 ". Le gouvernement considère néanmoins que la rédaction du projet de loi n'a pas pour effet de rendre automatiquement conformes à la Constitution les futurs amendements au statut quels qu'ils soient. Il est vrai que les stipulations du statut relatives à sa révision et aux amendements sont très générales et qu'elles ne permettent pas d'exclure a priori des modifications qui bouleverseraient l'équilibre du traité tel qu'il a été soumis au Conseil constitutionnel.

En tout état de cause, il convient de garder à l'esprit que les amendements au statut devront donner lieu à ratification par les Etats parties conformément à l'article 121 du statut. Dans ces conditions, rien ne saurait empêcher le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'une ou l'autre assemblée ou soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution des modifications apportées au statut de la Cour pénale internationale.

*

Le présent projet de loi constitutionnelle mérite d'être approuvé, dans la mesure où il permettra la ratification prochaine par la France d'un traité qui constitue un progrès considérable dans la lutte internationale contre l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité et des crimes de guerre les plus graves.

Les limitations à la souveraineté de la France qu'entraînera la mise en place de la Cour pénale internationale doivent être relativisées. Si par malheur des Français, quelle que soit leur qualité, venaient à se livrer à des crimes aussi graves que ceux pour lesquels la Cour pénale aura compétence, ils seront jugés par des juridictions françaises. Ce n'est que dans l'hypothèse d'un grave dysfonctionnement de notre Etat de droit que la Cour pénale recevrait compétence.

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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.

a) Décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999
b) Traité portant statut de la Cour pénale internationale

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 24 décembre 1998, par le Président de la République et le Premier Ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France, l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 doit être précédée d'une révision de la Constitution ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 18, alinéa 2, 19 et 20 ;

Vu le décret du 2 décembre 1910 portant promulgation de la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, signée à La Haye le 18 octobre 1907 et le règlement annexé concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ;

Vu le décret du 22 août 1928 promulguant le Protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé à Genève le 17 juin 1925 ;

Vu le décret n° 45-2267 du 6 octobre 1945 portant promulgation de l'accord entre le Gouvernement provisoire de la République française et les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, et de l'Union des républiques socialistes soviétiques concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l'axe, signé à Londres le 8 août 1945, ensemble le statut du tribunal militaire international ;

Vu le décret n° 46-35 du 4 janvier 1946 portant promulgation de la Charte des Nations Unies contenant le statut de la cour internationale de justice, signée à San-Francisco, le 26 juin 1945 ;

Vu le décret n° 50-1449 du 24 novembre 1950 portant publication de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide approuvée par l'assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 ;

Vu le décret n° 52-253 du 28 février 1952 portant publication de la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre, de la Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, de la Convention pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, de la Convention pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, signées à Genève le 12 août 1949 ;

Vu la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité ;

Vu la loi n° 83-1130 du 23 décembre 1983 autorisant l'adhésion de la République française au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (protocole II), adopté à Genève le 8 juin 1977, ensemble le décret n° 84-727 du 17 juillet 1984 portant publication de ce protocole ;

Vu la loi n° 87-1134 du 31 décembre 1987 autorisant la ratification d'une convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (ensemble les protocoles I et II), conclue à Genève le 10 octobre 1980, ensemble le décret n° 88-1021 du 2 novembre 1988 portant publication de cette convention ;

Vu la loi n° 90-548 du 2 juillet 1990 autorisant la ratification de la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990, ensemble le décret n° 90-917 du 8 octobre 1990 portant publication de cette convention ;

Vu la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ;

Vu la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s'agissant de citoyens rwandais, sur le territoire d'Etats voisins ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

-- Sur le contenu de l'engagement international soumis au conseil constitutionnel :

Considérant que le traité, signé à Rome le 18 juillet 1998, porte création de la Cour pénale internationale et en définit le statut ; qu'il précise que cette Cour, de caractère permanent et dotée de la personnalité juridique internationale, peut exercer sa compétence à l'égard des crimes les plus graves, commis par des personnes physiques, qui touchent l'ensemble de la communauté internationale et qui, suivant les termes du préambule du traité, sont de nature à menacer " la paix, la sécurité et le bien-être du monde " ; que le traité indique que la Cour, qui peut exercer ses fonctions et ses pouvoirs sur le territoire des Etats parties, " est complémentaire des juridictions criminelles nationales " ; qu'il stipule que la Cour " est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être approuvé par l'Assemblée des Etats parties au présent statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci " ; qu'il incombera à l'Assemblée des Etats parties d'adopter, à la majorité des deux tiers de ses membres, le règlement de procédure et de preuve la concernant ;

Considérant que la Cour, qui aura son siège à La Haye, aux Pays-Bas, " Etat hôte ", est composée en particulier d'une section préliminaire, d'une section de première instance et d'une section des appels ; que les juges, au nombre de dix-huit au moins, sont élus par l'Assemblée des Etats parties, pour un mandat de neuf ans ; que la section des appels est composée du président et de quatre juges, la section de première instance et la section préliminaire étant, quant à elles, composées de six juges au moins ; que les fonctions judiciaires de la Cour sont exercées dans chaque section par des chambres ; que les juges exercent leurs fonctions en toute indépendance et ne sont pas rééligibles ; qu'ils adoptent, à la majorité absolue, le règlement nécessaire au fonctionnement quotidien de la Cour ;

Considérant que les autres organes de la Cour sont le bureau du procureur et le greffe ; que le bureau du procureur, composé du procureur, qui le dirige, et des procureurs adjoints, " agit indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la Cour " ; que les procureurs sont élus par l'Assemblée des Etats parties et exercent leurs fonctions pendant neuf ans ; qu'ils ne sont pas rééligibles ; qu'enfin, le greffe, dirigé par un greffier, est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour ;

Considérant qu'un Etat partie ou le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies peut déférer au procureur une situation dans laquelle des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis ; qu'en outre, le procureur peut ouvrir une enquête au vu de renseignements concernant les mêmes crimes si la chambre préliminaire, après examen des éléments justificatifs qu'il a recueillis, lui en donne l'autorisation ;

Considérant que la chambre préliminaire, après ouverture d'une enquête, est seule compétente pour prendre, sur requête du procureur, des mesures restrictives ou privatives de liberté, telles que la délivrance d'un mandat d'arrêt ou d'une citation à comparaître ; que ladite chambre dispose d'un pouvoir général de suivi des enquêtes et poursuites diligentées par le procureur ; que ce pouvoir s'exerce notamment en matière de preuve, s'agissant de recueillir, d'examiner ou de vérifier certains éléments de preuve aux fins d'un procès à la demande du procureur ou à celle de la personne poursuivie ; que, dans un délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour, il appartient à la chambre préliminaire de confirmer éventuellement les charges sur lesquelles le procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement ; qu'elle tient à cette fin une audience, en présence du procureur et de la personne concernée, au cours de laquelle elle s'assure qu'" il existe des preuves suffisantes donnant des raisons sérieuses de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés " ; qu'à défaut de telles preuves, elle peut soit ne pas confirmer lesdites charges, soit demander au procureur une modification des charges ou un supplément d'enquête ;

Considérant que le procès ne commence devant la chambre de première instance qu'après la confirmation des charges ; qu'en cas de verdict de culpabilité, la chambre de première instance fixe la peine à appliquer ; qu'il peut être fait appel de la décision ainsi rendue devant la chambre d'appel qui a les mêmes pouvoirs que la chambre de première instance ; que la chambre d'appel peut annuler ou modifier la décision ou la condamnation ou ordonner un nouveau procès devant une chambre de première instance différente ;

Considérant que les peines d'emprisonnement prononcées par la Cour sont exécutées dans un Etat désigné par celle-ci sur la liste des Etats ayant fait savoir qu'ils sont disposés à recevoir des condamnés ; que, si aucun Etat n'est désigné, la peine est exécutée " dans un établissement pénitentiaire fourni par l'Etat hôte " ; que la Cour contrôle l'exécution des peines d'emprisonnement ;

-- Sur les normes de référence applicables :

Considérant que le peuple français a, par le préambule de la Constitution de 1958, proclamé solennellement " son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 " ; qu'il ressort, par ailleurs, du préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe de valeur constitutionnelle ;

Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation " ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que " la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum " ;

Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se " conforme aux règles du droit public international " et, dans son quinzième alinéa, que " sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix " ;

Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de " traités ou accords relatifs à l'organisation internationale " ; qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution de 1958 : " Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie " ;

Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties ; qu'ainsi, la réserve de réciprocité mentionnée à l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer ;

Considérant, toutefois, qu'au cas où ces engagements contiennent une clause contraire à la Constitution, mettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ;

Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité portant statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 ;

-- Sur le respect des dispositions de la constitution relatives a la responsabilité pénale des titulaires de certaines qualités officielles :

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 27 du statut : " Le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement... n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine " ; qu'il est ajouté, au 2 de l'article 27, que " les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne " ;

Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article ; qu'en vertu de l'article 68-1 de la Constitution, les membres du Gouvernement ne peuvent être jugés pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République ; qu'enfin, les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de l'article 26 de la Constitution, bénéficient d'une immunité à raison des opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions, et, en application du deuxième alinéa du même article, ne peuvent faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de l'assemblée dont ils font partie ;

Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution ;

-- Sur le respect des principes constitutionnels applicables au droit penal et a la procédure pénale :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 5, la Cour pénale internationale a compétence à l'égard du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et du crime d'agression ; qu'elle ne pourra toutefois exercer effectivement sa compétence à l'égard du crime d'agression que lorsque celui-ci aura été défini par un nouveau traité portant révision du statut, conformément aux articles 121 et 123 ;

Considérant que l'article 6 énumère les actes qui, " commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ", peuvent être retenus sous la qualification pénale de " crime de génocide " ; que l'article 7 précise, quant à lui, les actes qui, " commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque ", peuvent être qualifiés pénalement de " crimes contre l'humanité " ; qu'enfin, l'article 8 indique que la Cour a compétence à l'égard des " crimes de guerre " et en dresse la liste ; que figurent en particulier dans celle-ci les crimes qui " s'inscrivent dans un plan ou une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle " ;

Considérant qu'aux termes de l'article 29 du statut : " Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas " ; qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ;

Considérant que l'article 66 affirme la présomption d'innocence dont bénéficie toute personne jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie devant la Cour ; qu'il incombe au procureur de prouver la culpabilité de l'accusé ; qu'en application de l'article 67, celui-ci bénéficie de la garantie de " ne pas se voir imposer le renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la réfutation " ; que sont en conséquence respectées les exigences qui découlent de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant qu'il résulte de l'article 22 du statut qu'une personne n'est pénalement responsable que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de la Cour ; que la définition d'un crime est d'interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie ; que l'article 25 définit les cas de responsabilité pénale individuelle susceptibles de donner lieu à condamnation ; qu'en application de l'article 30, nul n'est pénalement responsable à défaut d'intention et de connaissance accompagnant l'élément matériel du crime ; que, par ailleurs, les articles 31 à 33 énumèrent les motifs d'exonération de la responsabilité pénale pouvant être retenus ; qu'ainsi, le statut fixe précisément le champ d'application des incriminations comme des exonérations de responsabilité pénale et définit les crimes, tant dans leur élément matériel que dans leur élément moral, en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et éviter l'arbitraire ; que sont également de nature à éviter l'arbitraire la motivation, exigée par l'article 74 du statut, de la décision rendue par la chambre de première instance, ainsi que la motivation de l'arrêt de la chambre d'appel prévue par l'article 83 ; que ces stipulations respectent le principe de légalité des délits et des peines qui découle des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant qu'il résulte du 1 de l'article 11 que la Cour n'est compétente qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du statut ; que l'article 24 pose le principe de " non-rétroactivité ratione personae " et celui de l'application immédiate du droit le plus favorable ; qu'il est ainsi satisfait au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 89 du statut, la Cour peut présenter à l'Etat sur le territoire duquel est susceptible de se trouver une personne, quelle que soit sa nationalité, une demande d'arrestation et de remise, et solliciter à cette fin la coopération de cet Etat ; que, lorsqu'elle présente une telle demande, la Cour se trouve dans l'exercice de ses compétences telles que définies par les articles 5 à 13 du statut, s'agissant de situations qui ont été déférées au procureur ou pour lesquelles le procureur a ouvert une enquête de sa propre initiative ; que la demande d'arrestation et de remise vise soit une personne qui a déjà été reconnue coupable par la Cour, soit une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt délivré par la chambre préliminaire et dont, aux termes de l'article 58, il y a de " bonnes raisons de croire " qu'elle " a commis un crime relevant de la compétence de la Cour ", son arrestation étant justifiée par l'un des motifs énoncés au b) du 1 de l'article 58 ; qu'eu égard à la finalité de la remise et aux garanties de procédure mises en oeuvre par la Cour, il n'est porté atteinte à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 59, il est procédé, conformément à la législation de l'Etat qui reçoit la demande, à l'arrestation provisoire ou à l'arrestation et à la remise ; que la personne arrêtée est déférée sans délai à l'autorité judiciaire de l'Etat qui s'assure, conformément à sa législation, notamment de la régularité de l'arrestation et du respect des droits de l'intéressé ; que l'autorité judiciaire compétente peut décider la mise en liberté de la personne concernée ; qu'est assuré le respect des droits de la défense dès la procédure initiale devant la Cour et pendant le procès lui-même ; qu'en particulier, selon l'article 55, la personne interrogée soit par le procureur, soit par les autorités judiciaires nationales peut être assistée à tout moment par le défenseur de son choix ou un défenseur commis d'office ; que seule la chambre préliminaire de la Cour peut délivrer les mandats nécessaires, notamment les mandats d'arrêt ; que la personne remise à la Cour peut demander sa mise en liberté provisoire en attendant d'être jugée ; qu'il résulte des dispositions de l'article 60 que la chambre préliminaire réexamine périodiquement sa décision de mise en liberté ou de maintien en détention ; qu'elle s'assure que la détention avant le procès ne se prolonge pas de manière excessive à cause d'un retard injustifiable qui serait imputable au procureur ; que la chambre de première instance, en vertu de l'article 64, " veille à ce que le procès soit conduit de façon équitable et avec diligence, dans le plein respect des droits de l'accusé " ; que le procès est public, sous réserve de la faculté pour la chambre de première instance de prononcer le huis clos en raison de circonstances particulières ; que la sentence est prononcée en audience publique ; que les exigences constitutionnelles relatives au respect des droits de la défense et à l'existence d'une procédure juste et équitable, garantissant l'équilibre des droits des parties, sont ainsi satisfaites ;

Considérant que l'article 23 précise qu'une personne qui a été condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du statut ; que les peines pouvant être prononcées contre une personne déclarée coupable d'un crime sont fixées par l'article 77 ; qu'en cas de verdict de culpabilité, la peine est arrêtée en tenant compte, conformément aux dispositions des articles 76 et 78, des conclusions et éléments de preuve pertinents présentés au procès , de la gravité du crime et de la situation personnelle du condamné ; que ces règles n'encourent aucune critique d'inconstitutionnalité et sont en particulier conformes aux principes de nécessité et de légalité des peines ;

Considérant que les juges composant la Cour exercent leurs fonctions en toute indépendance, les articles 40 et 48 du statut prévoyant à cet effet les incompatibilités et les immunités nécessaires ; que, par ailleurs, les juges qui sont affectés à la section des appels ne peuvent siéger dans d'autres sections ; que les articles 41 et 42 du statut fixent la procédure selon laquelle peuvent intervenir la décharge et la récusation des juges ainsi que des procureurs ; qu'enfin, l'article 46 prévoit la procédure selon laquelle un membre de la Cour peut être privé de ses fonctions en cas de faute lourde ou de manquements graves à ses devoirs ; qu'est ainsi satisfaite l'exigence d'impartialité et d'indépendance de la Cour ;

Considérant que, suivant les dispositions des articles 81 à 83 du statut, il peut être fait appel de certaines décisions de la chambre préliminaire et des décisions rendues par la Cour dans la formation de chambre de première instance ; qu'une procédure de révision d'une décision sur la culpabilité ou la peine est par ailleurs instaurée par l'article 84 ; que l'article 85 institue en outre une procédure d'indemnisation des personnes victimes d'une arrestation ou d'une mise en détention illégales, ainsi que des personnes ayant subi une peine en raison d'une condamnation ultérieurement annulée ; qu'en cas d'erreur judiciaire grave et manifeste, une indemnité peut également être accordée ; que l'article 68 du statut oblige la Cour à prendre toutes les mesures de nature à assurer la sécurité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins, notamment en dérogeant au principe de la publicité des débats s'agissant de l'audition de personnes vulnérables ; que l'article 75 précise que la Cour établit des " principes applicables aux formes de réparation... à accorder aux victimes " ; que, sur cette base, elle pourra déterminer, dans ses décisions, l'ampleur des dommages et des préjudices subis par les victimes, et rendre, contre une personne condamnée, une ordonnance indiquant la réparation qu'il convient d'accorder ; que l'indemnité allouée pourra être versée par un fonds créé au profit des victimes par l'Assemblée des Etats parties ; que l'ensemble de ces règles est conforme à la Constitution ;

-- Sur le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale :

• En ce qui concerne la complémentarité entre la Cour pénale internationale et les juridictions nationales :

Considérant que les dispositions du dixième alinéa du préambule et de l'article 1er du statut disposent que la Cour " est complémentaire des juridictions criminelles nationales " ; que cette complémentarité implique, ainsi qu'il résulte des dispositions des articles 17 et 20 du statut, qu'une affaire est jugée irrecevable par la Cour soit lorsqu'elle " fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce ", soit, lorsqu'après enquête, " cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée ", soit, enfin, lorsque cette dernière " a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte soumise à la Cour " ; qu'il résulte par ailleurs de l'article 18 que le procureur notifie à l'Etat concerné qu'une enquête est en voie d'être ouverte ou est ouverte et que, pour sa part, l'Etat peut informer la Cour qu'il ouvre ou a ouvert une enquête pour des actes en rapport avec les renseignements qui lui ont été notifiés ; qu'à sa demande, l'Etat se voit confier le soin de l'enquête, sauf si la chambre préliminaire autorise le procureur à la conduire ;

Considérant cependant que, nonobstant le principe de complémentarité, le 1 de l'article 17 permet à la Cour de connaître d'une affaire en cas de manque de volonté de l'Etat de mener véritablement à bien les poursuites ou lorsque le même manque de volonté de l'Etat conduit celui-ci à décider de ne pas poursuivre ; que le 2 de l'article 17 précise les critères s'imposant à la Cour pour déterminer s'il y a manque de volonté d'un Etat ; qu'un tel manque de volonté ne pourra être retenu que si la procédure a été engagée " dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ", ou si " la procédure a subi un retard injustifié " démentant " l'intention de traduire en justice la personne concernée ", ou enfin lorsque " la procédure n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale mais d'une manière qui, dans les circonstances, dément l'intention de traduire en justice la personne concernée " ; que, de plus, aux termes de l'article 20 du statut, dans le cas où la personne concernée a déjà été jugée par une autre juridiction pour un comportement visé à l'article 5, la Cour pourra également juger cette personne si la procédure devant la juridiction nationale " avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale " ou " n'a pas été...menée de manière indépendante ou impartiale...mais d'une manière qui, dans les circonstances, démentait l'intention de traduire l'intéressé en justice " ;

Considérant, en outre, que la Cour pourra juger une affaire recevable lorsque l'Etat compétent est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites, ou lorsque la décision de ne pas poursuivre est l'effet de cette même incapacité ; que, selon le 3 de l'article 17, cette incapacité correspond à l'hypothèse où " l'Etat n'est pas en mesure, en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l'accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure " ;

Considérant, d'une part, que les stipulations du traité qui apportent des restrictions au principe de complémentarité de la Cour par rapport aux juridictions criminelles nationales, dans les cas où l'Etat partie se soustrairait délibérément aux obligations nées de la convention, découlent de la règle " Pacta sunt servanda ", en application de laquelle tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ; que ces dispositions fixent limitativement et objectivement les hypothèses dans lesquelles la Cour pénale internationale pourra se déclarer compétente ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

Considérant, d'autre part, que les stipulations qui permettent également à la Cour de se reconnaître compétente dans l'hypothèse de l'effondrement ou de l'indisponibilité de l'appareil judiciaire national ne sauraient davantage méconnaître les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

Considérant, en revanche, qu'il résulte du statut que la Cour pénale internationale pourrait être valablement saisie du seul fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière de prescription ; qu'en pareil cas, la France, en dehors de tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

• En ce qui concerne la coopération internationale, l'assistance judiciaire et les pouvoirs du procureur :

Considérant que l'article 54 du statut définit les devoirs et pouvoirs du procureur en matière d'enquêtes ; qu'il doit, pour mener celles-ci, demander la coopération des Etats ; qu'il peut également enquêter sur le territoire d'un Etat ; que, dans une telle hypothèse, il doit se conformer soit aux stipulations du chapitre IX relatif à la coopération internationale et à l'assistance judiciaire, soit à celles du d) du 3 de l'article 57 ;

Considérant qu'il résulte du chapitre IX précité que la Cour est habilitée à adresser des demandes de coopération et d'assistance aux Etats parties ; que les Etats font droit à ces demandes conformément aux procédures prévues par leur législation nationale, notamment en ce qui concerne l'identification et l'interrogatoire des personnes, le rassemblement d'éléments de preuve, l'exécution des perquisitions et des saisies ; qu'ainsi qu'il ressort de l'article 93, si l'exécution d'une mesure particulière d'assistance est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique fondamental d'application générale dans cet Etat, ce dernier n'est pas tenu d'apporter l'assistance demandée dans la forme sollicitée par la Cour, mais doit engager des consultations avec celle-ci ; qu'en application du même article, un Etat peut rejeter totalement ou partiellement une demande d'assistance de la Cour si elle a pour objet la divulgation d'éléments de preuve ou la production de documents touchant à la sécurité nationale, dont la protection est par ailleurs assurée par l'article 72 ; que les articles 94 et 95 du statut prévoient des procédures de sursis à exécution des demandes d'assistance formulées auprès des Etats ; que l'ensemble de ces stipulations garantissent le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale;

Considérant que le d) du 3 de l'article 57 ne permet au procureur, autorisé par la chambre préliminaire, de prendre certaines mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat, sans s'être assuré de la coopération de celui-ci, que dans le cas où aucune autorité ou composante compétente de l'appareil judiciaire national n'est disponible pour donner suite à une demande de coopération ; que, dès lors, ces stipulations ne sauraient porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale;

Considérant, en revanche, qu'en application du 4 de l'article 99 du statut, le procureur peut, en dehors même du cas où l'appareil judiciaire national est indisponible, procéder à certains actes d'enquête hors la présence des autorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier ; qu'il peut notamment recueillir des dépositions de témoins et " inspecter un site public ou un autre lieu public " ; qu'en l'absence de circonstances particulières, et alors même que ces mesures sont exclusives de toute contrainte, le pouvoir reconnu au procureur de réaliser ces actes hors la présence des autorités judiciaires françaises compétentes est de nature à porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

• En ce qui concerne l'exécution des peines prononcées par la Cour pénale internationale :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 103 du statut, l'Etat qui se déclare disposé à recevoir des personnes condamnées par la Cour pénale internationale peut assortir son acceptation de conditions qui doivent être agréées par la Cour ; que ces dernières peuvent être " de nature à modifier sensiblement les conditions ou la durée de la détention " ;

Considérant qu'il résulte de ces stipulations que la France, en se déclarant disposée à recevoir des condamnés, pourra subordonner son accord à des conditions portant notamment sur l'application de la législation nationale relative à l'exécution des peines privatives de liberté ; qu'elle pourra en outre faire état de la possibilité d'accorder aux personnes condamnées une dispense de l'exécution des peines, totale ou partielle, découlant de l'exercice du droit de grâce ; que, dès lors, les stipulations du chapitre X du statut, relatives à l'exécution des peines, ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, non plus qu'à l'article 17 de la Constitution;

Considérant qu'aucune des autres stipulations du traité soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'est contraire à celle-ci ;

Considérant que, pour les motifs énoncés ci-dessus, l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale exige une révision de la Constitution ;

D E C I D E :

Article premier . -- L'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale internationale exige une révision de la Constitution.

Article 2 . -- La présente décision sera notifiée au Président de la République, ainsi qu'au Premier ministre, et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 janvier 1999, où siégeaient : MM. Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Yves GUENA, Mme Noëlle LENOIR, M. Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL.



1 Préambule du statut de la Cour pénale internationale.

2 Pour qu'une décision soit prise par le Conseil de sécurité, il faudra qu'une majorité de neuf voix sur quinze soit atteinte et qu'aucun des cinq membres permanents ne vote contre.

3 Décision n° 98-408 DC.

4 Décision n° 98-400 DC du 20 mai 1998.

5 Avis n° 358 597 du 29 février 1996 (Section de l'Intérieur).

6 Décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980.

7 Décision n° 91-294 DC du 25 juillet 1991.

8 Loi constitutionnelle n°93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords internationaux en matière de droit d'asile.

9 Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique.



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