AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Lieu privilégié de l'éducation des enfants et de la solidarité entre les générations, la famille est une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée notre société. C'est sur elle que repose l'avenir de la Nation.

Notre pays a toujours souligné l'attachement qu'il portait à la famille : le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme ainsi que " la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " . Il précise en outre que la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ".

La famille n'est pas simplement une affaire privée, elle est aussi une affaire publique. Elle a besoin d'être soutenue par une politique familiale volontariste, dont témoigne par exemple la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille.

Force pourtant est de constater que l'actuel Gouvernement n'a pas fait de la politique familiale l'une de ses priorités. Il a certes renoncé à la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Mais ce recul s'est accompagné d'une nouvelle mesure très critiquable : la diminution brutale du quotient familial. La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a été à cet égard très révélatrice : malgré le retour à l'excédent de la branche famille, les rares mesures positives ont été financées par de nouvelles économies réalisées au détriment des familles.

Comme l'a montré excellemment notre collègue Jacques Machet dans son rapport consacré au volet famille de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 1( * ) , le Gouvernement mène en réalité une politique familiale en trompe-l'oeil qui consiste essentiellement à reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre.

Au moment même où la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité (PACS) vient fragiliser l'institution familiale, notre pays manque, à l'évidence, d'une politique familiale à la hauteur des enjeux.

La présente proposition de loi, déposée le 2 juin dernier par les quatre présidents de groupes de la majorité sénatoriale -MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan-, vise par conséquent à donner une nouvelle impulsion à la politique familiale. Elle se caractérise par sa démarche globale, cohérente et volontariste.

Elle répond également au souhait exprimé par le Président de la République, le 31 mai dernier, de " replacer la famille au premier rang des priorités ", de voir la France se doter " d'une nouvelle ambition familiale " et redonner " souffle et vigueur à sa politique de la famille, une politique qui doit se traduire non par une redistribution entre familles, mais un accroissement régulier des ressources que la Nation leur consacre ".

Le temps a été compté à votre commission pour examiner un texte d'une telle ampleur. Elle aurait souhaité notamment pouvoir procéder à un large programme d'auditions publiques qui aurait permis, le cas échéant, d'enrichir une proposition déjà, il est vrai, très complète.

Mais votre rapporteur se réjouit, sans réserve, que le Sénat puisse adopter, avant la fin de la présente session, une proposition de loi aussi fondamentale pour l'avenir de notre pays et la cohésion de notre société.

I. LA NÉCESSITÉ D'UNE POLITIQUE FAMILIALE AMBITIEUSE

A. L'ACTION DU GOUVERNEMENT : UNE POLITIQUE FAMILIALE EN TROMPE-L'oeIL

1. Le rétablissement de l'universalité des allocations familiales s'est accompagné d'une diminution du plafond du quotient familial

Depuis son arrivée au pouvoir, en juin 1997, le Gouvernement de M. Lionel Jospin a multiplié les mesures défavorables aux familles.

La mise sous condition de ressources des allocations familiales, prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, a été à cet égard la première erreur majeure.

L'opposition à cette mesure s'est manifestée sous des formes diverses mais de manière quasi-unanime.

Chacun se souvient que le Sénat s'était, pour sa part, très vigoureusement opposé à cette mesure qui, pour M. Jacques Machet, rapporteur de la commission des Affaires sociales, remettait en cause " les fondements de la politique familiale ".

Lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, la commission des Affaires sociales, par la voix de son rapporteur, avait souligné que la mise sous condition de ressources des allocations familiales portait atteinte à un principe fondateur de la politique familiale : l'universalité des allocations familiales, qui sont un droit ouvert à l'enfant indépendamment du statut et de la situation de ses parents. Les allocations familiales visent en effet à compenser les charges liées à la présence d'enfants. Elles symbolisent le soutien dont peut bénéficier chaque famille parce qu'elle assure l'avenir de la collectivité nationale.

La commission des Affaires sociales avait tenu à rappeler solennellement que la politique familiale a été conçue dans notre pays comme un principe de compensation horizontale des charges liées à la présence d'enfants.

Elle avait en outre estimé que la mise sous condition de ressources des allocations familiales transformait la politique familiale en une politique d'aide sociale à vocation redistributive.

Enfin, elle avait souligné que le Gouvernement prenait ainsi une décision lourde de menaces pour l'avenir de notre système de protection sociale. La mise sous condition de ressources des allocations familiales ouvrait la voie à l'instauration de conditions de ressources pour d'autres branches de la sécurité sociale, notamment l'assurance maladie 2( * ) .

Cette mesure risquait en outre de conduire des parts croissantes de la population à se détourner d'une protection sociale dont elles ne percevraient plus la prestation et donc le bien-fondé.

Malgré cette opposition et cette mise en garde, la mise sous condition de ressources des allocations familiales a été maintenue par l'Assemblée nationale en lecture définitive et cette disposition est devenue l'article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.

Très vite cependant, le Gouvernement affirma que cette mesure serait " provisoire ". Dès le 12 juin 1998, il annonçait à l'occasion de la Conférence de la famille le retour à l'universalité des allocations familiales à compter du 1 er janvier 1999. Etudiée dans le cadre du rapport Thélot-Villac et recommandée par Mme Gillot, la réduction du plafond du quotient familial était présentée comme la contrepartie de cette mesure.

Le choix du Gouvernement de renoncer à cette réforme -trois mois seulement après l'entrée en vigueur effective de la mesure- a confirmé a posteriori le bien-fondé et la pertinence des analyses formulées par la commission des Affaires sociales, par la voix de votre rapporteur.

On ne peut cependant que regretter que le Sénat n'ait pas été entendu plus tôt, lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.

Cette mesure se sera finalement traduite par la perte des allocations familiales pour 351.000 familles, soit 7,8 % de l'ensemble des familles bénéficiaires, et par une diminution de leur montant pour 35.000 familles, dont les revenus ne sont que légèrement supérieurs aux plafonds et qui perçoivent une prestation différentielle.

Ces chiffres ne peuvent à eux seuls rendre compte des conséquences, morales et psychologiques pour les familles de ces modifications répétées et contradictoires de la législation sur les allocations familiales. Outre le sentiment d'incompréhension et de confusion qu'ils génèrent auprès des familles, la mise sous condition de ressources des allocations familiales puis son abandon témoignent d'une décision mal préparée et difficilement assumée. On ne peut qu'être frappé du contraste entre cette opération " coup de poing ", qui se termine en bavure, et les hésitations et atermoiements à prendre des mesures courageuses sur les retraites.

De surcroît, la suppression de la condition de ressources pour le versement des allocations familiales ne constitue pas, pour les familles, un simple retour à la situation antérieure à 1998. En effet, cette mesure s'est accompagnée d'un corollaire particulièrement injustifié : la diminution du plafond du quotient familial de l'impôt sur le revenu.

L'article 2 de la loi de finances pour 1999 a en effet abaissé de 16.380 francs à 11.000 francs le plafond de la demi-part de droit commun.

Cette mesure, présentée par le Gouvernement comme la contrepartie indispensable du rétablissement des allocations familiales pour toutes les familles, constitue un recul important de la politique familiale menée depuis la Libération et se traduit par une augmentation d'impôt pour 500.000 familles.

Sont particulièrement frappées par cette substitution les familles qui ne percevaient pas d'allocations et ne bénéficient donc pas de leur rétablissement : les familles avec un enfant et les familles avec un ou des enfants âgés de plus de 20 ans.

Pour votre commission, cette réforme a porté un coup sévère au principe d'équité horizontale et à la politique fiscale en faveur des familles menée depuis 1945.

En effet, le système du quotient familial ne fournit en soi aucune aide, aucun avantage aux familles ; il garantit seulement que le poids de l'impôt est équitablement réparti entre des familles de taille différente, mais de niveau de vie équivalent, selon un principe d'équité horizontale familiale.

Depuis 1945, le principe du quotient familial n'a jamais été remis en cause, bien que l'avantage fiscal en résultant ait été plafonné. Il ne faudrait pas que, par l'abaissement du plafond, il devienne progressivement une coquille vide.

La suppression de la mise sous condition de ressources des allocations familiales apparaissait comme la correction d'une erreur. Il est regrettable que la correction de cette erreur se soit faite au prix d'une nouvelle erreur au détriment des familles.

Le bilan de ces allers et retours est accablant pour les familles : leur situation en 1999 restera plus défavorable qu'elle ne l'était en 1997, avant la mise sous condition de ressources des allocations familiales ; beaucoup de familles auront perdu les allocations familiales en 1998 et verront leur impôt sur le revenu augmenter en 1999 ; enfin, dans un contexte de prétendue stabilisation des prélèvements obligatoires, seules les familles subiront une augmentation de leur charge fiscale.

2. La réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) a rendu plus difficile la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 comprenait également une mesure particulièrement pénalisante pour les familles où les deux conjoints travaillent : la réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED).

Instaurée en 1986 puis étendue en 1995, l'AGED est destinée aux familles qui font garder à domicile leurs enfants de moins de six ans.

La loi du 25 juillet 1994 relative à la famille avait prévu, d'une part, la prise en charge par l'AGED de la totalité des cotisations patronales et salariales dans la limite d'un montant maximal correspondant, pour un enfant de moins de 3 ans, au montant des charges sociales dues pour l'emploi d'un salarié rémunéré selon le minimum conventionnel, d'autre part, la possibilité de bénéficier de l'AGED pour la garde d'un enfant de 3 à 6 ans. Dans ce cas, le plafond était divisé par deux.

L'article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 n° 97-1164 du 19 décembre 1997 a procédé à la mise sous condition de ressources de cette allocation et à la réduction du plafond maximum de prise en charge des cotisations sociales.

Pour la garde d'un enfant âgé de moins de 3 ans, l'AGED est désormais égale :

- à 50 % des cotisations versées dans la limite de 6.489 francs par trimestre si les ressources 1997 du ménage sont supérieures ou égales à 218.376 francs nets annuels ;

- à 75 % des cotisations versées dans la limite de 9.733 francs par trimestre pour un ménage disposant de revenus inférieurs à 218.376 francs.

A l'occasion de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, le Sénat s'était élevé contre cette mesure qui constituait une régression pour les femmes qui travaillent et un risque certain pour le développement des emplois à domicile. Il avait fait valoir que le mode de garde à domicile pouvait apporter une réponse plus adaptée aux besoins de certains parents que l'accueil collectif. Le Sénat avait également souligné que ce mode de garde à domicile offrait plus de souplesse horaire, une aide précieuse en cas de naissances multiples, et était souvent la solution possible lorsque les structures d'accueil collectif s'avéraient en nombre insuffisant.

Votre commission considère que la garde d'enfant à domicile, qui seule permet une disponibilité suffisante des mères pour leur vie professionnelle (flexibilité d'horaires, garde des enfants malades refusés en structures collectives...), est une condition essentielle de l'accession des femmes à des postes de responsabilité. Elle ne peut se développer que si elle est financièrement encouragée.

Le Gouvernement avait à l'époque présenté la réduction de l'AGED comme une mesure provisoire devant s'inscrire dans le cadre plus général d'une réforme des aides pour l'emploi à domicile.

Dix-huit mois plus tard, aucune décision n'a été prise et l'AGED reste toujours réduite de moitié.

3. Les rares mesures positives ont été financées par de nouvelles économies au détriment des familles.

Parmi les mesures décidées par le Gouvernement et annoncées lors de la Conférence de la famille du 12 juin 1998, certaines étaient indéniablement positives et méritent d'être saluées : il en est ainsi de l'extension du bénéfice de l'allocation de rentrée scolaire aux familles d'un enfant, du relèvement de l'âge limite d'ouverture du droit aux prestations familiales de 19 à 20 ans, de l'augmentation des moyens accordés à l'action sociale...

On regrettera simplement que ces mesures soient financées par des économies sur d'autres prestations familiales, au moment même où la branche famille est excédentaire.

Le Gouvernement a ainsi décidé de revaloriser de manière modeste (+ 0,71%) les prestations familiales au 1 er janvier 1999.

Il a fait le choix, pour la deuxième année consécutive, d'opérer un rattrapage négatif sur l'évolution de la base mensuelle de calcul des prestations familiales (BMAF) qui conditionne la progression de la plupart des prestations familiales. Le rattrapage effectué en 1999 est particulièrement sévère puisqu'il atteint 0,5 %.

Il convient en outre de noter que si les prestations familiales n'ont été revalorisées que de 0,71 %, les pensions de retraite l'ont été, quant à elles, de 1,2 %.

Le Gouvernement a choisi, en effet, de ne pas proroger le mécanisme de revalorisation des retraites institué par la loi de 1993 pour éviter d'appliquer aux pensions de retraites le rattrapage négatif de 0,5 % qu'il impose pourtant aux prestations familiales. Les retraités conserveront le gain de pouvoir d'achat acquis au titre de 1998, pas les familles.

Cette décision est apparue à votre commission d'autant plus surprenante qu'avant ajustement comptable la branche vieillesse devait être déficitaire de 4 milliards de francs en 1999 tandis que la branche famille devait être, elle, excédentaire. Le Gouvernement donne un " coup de pouce " aux retraités et accroît encore les dépenses d'une branche déficitaire ; parallèlement, il refuse tout effort supplémentaire en faveur des familles alors que la branche famille enregistre un excédent important.

Le Gouvernement a en outre décidé de repousser les majorations pour âge des allocations familiales respectivement de 10 à 11 ans et de 15 à 16 ans pour les enfants atteignant leur dixième et leur quinzième anniversaires après le 1er janvier 1999.

Cette mesure qui relève du pouvoir réglementaire et concerne un nombre très important de familles, apparaît très contestable.

Sa seule justification semble financière : le recul de l'âge de majorations permettra d'économiser 870 millions de francs en 1999 (526 millions de francs pour le report de 10 à 11 ans et 344 millions de francs pour celui de 15 à 16 ans) et 1,8 milliard de francs en année pleine, à partir de 2000.

Par cette mesure discrète et peu médiatique, le Gouvernement s'apprête à économiser 1,8 milliard de francs en année pleine au titre des allocations familiales, soit presque la moitié de l'économie réalisée en 1998 par la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Une fois encore, le Gouvernement joue les illusionnistes et reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre.

B. UN IMPÉRATIF: DONNER UN NOUVEAU SOUFFLE À LA POLITIQUE FAMILIALE

1. La situation démographique justifie les efforts accomplis dans le cadre de la politique familiale

Il est naturellement toujours hasardeux d'établir une corrélation entre la politique familiale et la situation démographique d'un pays.

Il faut cependant souligner que la France connaît aujourd'hui une situation démographique plus favorable que celle de ses principaux partenaires.

Votre rapporteur considère que ceci n'est sans doute pas sans lien avec les efforts importants accomplis en matière de politique familiale par notre pays.

Selon le bilan démographique de l'INSEE pour 1998 3( * ) , le nombre de naissances a augmenté de nouveau en 1998 avec 740.300 nouveau-nés, soit 1,9 % de plus qu'en 1997. Ce chiffre est à peu près égal au nombre de naissances (737.100) enregistré vingt ans plus tôt, en 1978 et le nombre absolu des moins de 20 ans se stabilise enfin, après 24 ans de baisse ininterrompue.

La natalité retrouve pratiquement son niveau de 1992 (avant la baisse importante de 1993). Ainsi, après un sursaut en 1995, la natalité est stable depuis trois ans, voire en légère hausse.

L'indicateur conjoncturel de fécondité remonte à 1,75 enfant par femme en 1998, le plus élevé de ces sept dernières années. La France a l'un des indicateurs conjoncturels les plus hauts de l'Union européenne. En 1997 (derniers résultats disponibles pour l'Europe), notre pays se situait au troisième rang avec 1,71 enfant par femme, comme le Royaume-Uni et le Luxembourg, après l'Irlande (1,92) et le Danemark et la Finlande (1,75). L'Italie et l'Espagne avaient les indicateurs les plus faibles d'Europe, et même du monde : respectivement 1,22 et 1,15. L'indicateur conjoncturel de fécondité pour l'ensemble de l'Union européenne s'est stabilisé à 1,44 enfant par femme depuis 1994.

Avec l'allongement de la durée des études, les difficultés pour trouver un emploi stable, de plus en plus de femmes retardent l'arrivée de leurs enfants. La fécondité des femmes de moins de 30 ans diminue progressivement au cours des vingt dernières années alors qu'elle augmente nettement à partir de la trentaine. Lorsque la fécondité augmente, comme en 1995 ou 1996, c'est que la fécondité en hausse des femmes de plus de 28 ans compense la baisse de celle des plus jeunes. Lorsqu'elle se stabilise ou diminue, la réduction est particulièrement prononcée chez les plus jeunes : en 1997, la légère baisse était entièrement redevable aux femmes de moins de 30 ans. L'âge de la maternité augmente régulièrement : 29,2 ans en 1997 contre 26,5 ans vingt ans plus tôt. En 1977, seulement un quart des nouveau-nés avaient une mère âgée de trente ans ou plus ; en 1997, c'est le cas pour presque la moitié des naissances (46 %).

Ces décalages ont eu jusqu'ici peu d'incidence sur la descendance finale des générations. Les Françaises nées avant le début des années soixante sont parmi les plus fécondes de l'Union européenne, après les Irlandaises. Ainsi, les femmes de la génération 1958 ont assuré leur remplacement bien avant la fin de leur vie féconde en ayant eu, en moyenne, 2,08 enfants chacune à 39 ans, soit autant que les femmes de la génération 1948 au même âge, alors qu'à 26 ans elles présentaient un retard de 0,22 enfant. Le rattrapage reste possible pour les générations du début des années soixante qui auront certainement plus de deux enfants en moyenne ; pour les plus jeunes, il est encore trop tôt pour conclure.

2. Le Président de la République vient de réaffirmer les principes qui doivent guider la politique familiale de notre pays

Lors de la remise de la médaille de la famille française, au Palais de l'Elysée, le 31 mai dernier, M. Jacques Chirac, Président de la République, a réaffirmé avec force l'attachement que voue la France aux familles et les principes qui doivent guider la politique familiale de notre pays.

Le Président de la République a tout d'abord fait part de sa conviction que " notre société, pour le XXI e siècle, aura plus que jamais besoin de la famille, une famille forte et reconnue, une famille unie, assurée d'elle-même, une famille capable de remplir pleinement sa fonction irremplaçable auprès de l'individu. "

Il a souhaité " que la France se dote d'une nouvelle ambition familiale, qu'elle redonne souffle et vigueur à sa politique de la famille, une politique qui doit se traduire non par une redistribution entre familles, mais par un accroissement régulier des ressources que la Nation leur consacre. " 4( * )

Le Président de la République a considéré que " cette politique (devait) partir des réalités d'aujourd'hui (...) La première de ces réalités, c'est le travail des femmes.

" Bien sûr, beaucoup de femmes continuent à opter pour un engagement de tout leur temps au sein de la cellule familiale. C'est un vrai choix qui doit pouvoir s'exercer librement. D'autres décident de s'arrêter de travailler pendant quelques années pour s'occuper de leurs enfants. Il faut les y aider. De ce point de vue, l'allocation parentale d'éducation, associée au congé parental, a constitué un progrès important. Depuis qu'elle a été étendue, en 1994, au deuxième enfant et au temps partiel, plus de 500 000 familles en bénéficient.

" Aujourd'hui, 80% des femmes en âge de travailler exercent un métier. C'est une aspiration très profonde. Elle n'est pas négociable. Ce n'est pas en éloignant les femmes du monde du travail qu'on donnera un nouvel élan à la politique familiale. C'est au contraire en leur offrant la possibilité de continuer à exercer, si elles le souhaitent, une activité extérieure. Pour cela, il faut mettre en place une souplesse accrue des emplois du temps et des facilités de garde, notamment à domicile, qui permettent de mieux concilier travail et enfants.

" Il faut aussi apprendre à ne plus faire peser exclusivement sur les femmes le poids de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Beaucoup d'hommes sont d'ailleurs eux aussi à la recherche d'un meilleur équilibre de vie entre leur métier et leur famille. Beaucoup souhaitent s'investir davantage dans leurs responsabilités familiales. C'est une voie nouvelle pour l'évolution de notre organisation sociale. Elle exige une politique adaptée, une politique qui soit définie et mise en oeuvre, une politique qui demandera un engagement fort de la part des pouvoirs publics mais aussi, par la négociation collective, de la part des entreprises et des partenaires sociaux. Ensemble, les couples pourront alors organiser plus harmonieusement leur vie commune, et surmonter les contraintes qui freinent le développement de leur famille.

" C'est tout le sens de cette évolution vers la mixité que, pour ma part, j'appelle de mes voeux. L'accès des femmes aux responsabilités politiques en est un élément essentiel. Je suis sûr qu'il permettra de changer radicalement notre approche de ces problèmes. "


Le Président a ensuite formulé un certain nombre de propositions concrètes : " Les entreprises qui s'engageront dans des plans importants pour rendre plus compatibles les exigences de la vie familiale et de la vie professionnelle devront être soutenues dans leurs initiatives. "

" Il est temps de nous interroger aussi sur la poursuite de la modernisation de nos prestations familiales. Elle a commencé avec la création puis avec l'élargissement de l'allocation parentale d'éducation qui est aujourd'hui un acquis essentiel pour les Français.

" De nouveaux progrès sont nécessaires pour adapter notre système aux grands enjeux démographiques de notre temps. Nous devrons en particulier nous pencher sur l'âge de la première maternité, de plus en plus tardif, et sur l'accueil du deuxième enfant et des suivants, gage du redressement de notre natalité. Une aide plus efficace aux familles qui s'élargissent permettrait de mieux compenser les charges que fait peser l'arrivée d'un enfant supplémentaire.

" Nous devons aussi soutenir la fonction de solidarité qui est au coeur de l'institution familiale. La création d'un congé de solidarité familiale pour s'occuper de parents âgés ou d'adolescents en difficulté constituerait un progrès important, de même que l'élargissement du droit au passage à temps partiel, pour une période limitée . N'oublions pas qu'à chaque fois que peut jouer la solidarité familiale, c'est autant de moins laissé à la charge de la société. Or, nos solidarités collectives, aussi indispensables soient-elles, sont à la fois plus coûteuses et moins efficaces que la famille, car elles ne reposent pas sur un lien d'affection, un lien de personne à personne. Et, même si la création de nouveaux congés non rémunérés constitue une contrainte de gestion pour l'entreprise, cette contrainte doit pouvoir être surmontée par le dialogue social.

" Dans ce même esprit de solidarité entre les générations, je souhaite que soit davantage encouragée la transmission de biens entre grands-parents et petits-enfants, pour que les jeunes puissent mieux réaliser leurs projets de création d'activité.

" Au-delà, il importe que les réformes nécessaires et maintenant urgentes qui devront être conduites pour sauvegarder nos régimes de retraite ne pénalisent pas les familles. Ce serait le cas si des prélèvements nouveaux devaient peser sur l'ensemble des actifs, au moment où leur nombre est appelé à se réduire, ou si les avantages familiaux pris en compte dans le calcul des retraites devaient, d'une manière ou d'une autre, être mis en cause. N'oublions jamais, en effet, que ceux qui ont une famille à charge peuvent rarement constituer un patrimoine pour leurs vieux jours, alors qu'ils auront assuré, à travers leurs enfants, le financement des retraites de tous ! La dette de la Nation doit être reconnue et acquittée.

" La politique familiale forme un tout (...) D'autres domaines d'action devront être réinvestis, qu'il s'agisse de la politique fiscale et du rôle du quotient familial, qu'il faut consolider, qu'il s'agisse de l'éducation, avec par exemple l'aménagement des rythmes scolaires, qu'il s'agisse, bien entendu, du logement, en particulier du logement des jeunes adultes et du logement social. (...) L'important est aujourd'hui de lancer le mouvement et de replacer la famille au premier rang des priorités de notre pays. "


Pour votre commission, ces principes et ces orientations qui ont été réaffirmés avec force par le Président de la République doivent guider notre politique familiale. C'est précisément l'objet de cette proposition de loi que de les mettre en oeuvre.

II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE DÉMARCHE GLOBALE, COHÉRENTE ET VOLONTARISTE

La présente proposition de loi, déposée le 2 juin dernier par les quatre présidents de groupes de la majorité sénatoriale - MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan -, s'inscrit dans la droite ligne des propos tenus par le Président de la République le 31 mai dernier.

Elle se caractérise par sa démarche globale, cohérente et volontariste, et répond à trois exigences :

- permettre aux parents de concilier vie professionnelle et vie familiale ;

- assurer le renouvellement des générations en aidant les familles à réaliser leur désir d'avoir un deuxième ou un troisième enfant ;

- permettre aux familles de jouer pleinement leur rôle de l'éducation des enfants en revalorisant la fonction parentale.

Après avoir réaffirmé, dans l'article premier , la place essentielle que joue la famille dans notre société, la proposition de loi s'organise autour de six axes :

1.  Encourager l'accueil du deuxième et du troisième enfant ;

2.  Faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ;

3.  Généraliser l'allégement et l'enrichissement des rythmes scolaires ;

4.  Aider les jeunes adultes ;

5.  Compenser l'effort financier des familles ;

6.  Garantir les ressources de la branche famille.

A. LES AXES D'UNE POLITIQUE FAMILIALE RENOUVELÉE

1. Encourager l'accueil du deuxième et du troisième enfant

La proposition de loi met l'accent sur la nécessité de ne plus faire porter exclusivement l'effort de la politique familiale sur le troisième enfant. Elle vise à encourager également l'accueil du deuxième enfant, dont le coût pèse considérablement sur le niveau de vie des familles et auquel ces dernières tendent aujourd'hui à renoncer.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit la création d'une allocation universelle d'accueil de l'enfant (AUAE) versée sans condition de ressources à toutes les familles, à partir du deuxième enfant, et dont l'objectif est de compenser le surcoût de la venue de l'enfant.

Cette prestation serait versée dès la naissance et pendant les dix premiers mois de l'enfant, pour un montant de 1.000 francs par mois pour le deuxième enfant et de 2.000 francs par mois pour le troisième et les suivants.

Cette prestation pourrait se cumuler à l'allocation parentale d'éducation et se substituerait à l'allocation pour jeune enfant pendant les dix premiers mois de l'enfant.

2. Faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

Cet objectif se traduit dans la proposition de loi par un ensemble cohérent de mesures.

Une augmentation de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED)

Les articles 3, 4 et 5 proposent un retour aux conditions d'attribution de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) antérieures à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. L'AGED serait désormais attribuée sans condition de ressources et son montant permettrait la prise en charge intégrale des cotisations sociales payées pour l'emploi d'une personne qui garde l'enfant à domicile.

La création d'une réduction d'impôt spécifique pour la garde d'un enfant à domicile

L'article 6 institue une réduction d'impôt spécifique pour la garde d'un enfant à domicile. Cette réduction d'impôt correspondrait à 50 % des sommes versées pour la garde de l'enfant, plafonnées à 45.000 F. Elle serait naturellement cumulable avec la réduction d'impôt qui existe déjà pour l'emploi d'une personne à domicile et qui est plafonnée au même montant.

La création d'un congé de solidarité familiale

Les articles 7 et 8 prévoient la création d'un congé de solidarité familiale. D'une durée d'un an maximum, ce congé de six mois minimum constituerait un droit pour toute personne qui en ferait la demande pour motif familial dûment justifié.

Ce congé pourrait être par exemple accordé pour motifs médicaux, en cas d'échec scolaire des enfants, de séparation ou de divorce du couple, de soutien aux personnes âgées.

L'extension de la durée du droit au temps partiel

L'article 9 prévoit une extension jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant du droit au temps partiel, aujourd'hui limité au troisième anniversaire de l'enfant.

La valorisation du rôle des pères

Afin d'inciter les pères à jouer un rôle plus actif dans la vie de la famille et l'éducation des enfants, les articles 10 et 11 majorent les droits à congés familiaux offerts aux deux parents de la moitié du temps de congé pris par les pères, dans la limite d'un an.

La compensation de l'effort familial accompli par les entreprises

L'article 12 prévoit que les recrutements auxquels procéderont les entreprises pour remplacer les salariés bénéficiant d'un congé de solidarité familiale donneront lieu à une exonération de charges sociales. Selon les auteurs de la proposition de loi, cette exonération serait de 1.000 francs par mois, soit 12.000 francs par an.

L'article 13 de la proposition de loi prévoit que les fonds d'action sociale des caisses d'allocations familiales bénéficient d'une dotation de l'Etat, fixée chaque année en loi de finances, destinée à soutenir la mise en oeuvre d'accords d'entreprise permettant d'améliorer la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, et particulièrement la création de crèches d'entreprises.

3. Généraliser l'allégement et l'enrichissement des rythmes scolaires.

L'article 14 prévoit la généralisation, dans les écoles primaires, de l'allégement et l'enrichissement des rythmes scolaires, sur la base d'une semaine de cinq jours, en réservant une demi-journée quotidienne aux disciplines dites de la sensibilité (éveil à la nature, travaux manuels, sports, activités artistiques...).

Les zones d'éducation prioritaire bénéficieront en premier lieu de cette réforme des rythmes scolaires. Cette réforme sera mise en oeuvre sous la forme d'un plan quinquennal dont le suivi fera l'objet d'un rapport présenté au Parlement chaque année.

4. Aider les jeunes adultes

Cet objectif se traduit par deux dispositions :

L'institution d'un prêt à taux zéro pour les jeunes adultes

L'article 15 instaure un prêt à taux zéro pour les jeunes de 18 à 25 ans, afin de les aider à la réalisation d'un projet professionnel. Ce prêt serait accordé par les établissements de crédit auxquels la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) verserait une subvention destinée à compenser l'absence d'intérêt.

Ce prêt serait attribué pour financer un cursus d'études ou de formation, un projet professionnel ou une création d'entreprise. Son montant maximum serait de 24.000 francs par an, remboursable avec un différé de remboursement de trois à cinq ans.

Une incitation à la transmission anticipée du patrimoine

L'article 16 facilite la transmission anticipée du patrimoine. Il prévoit une exonération fiscale particulière en cas de donation des grands-parents à leurs petits-enfants âgés de 16 à 30 ans, sous la forme d'un abattement de 200.000 francs sur la part de chacun des petits enfants pour la perception des droits de mutation à titre gratuit.

5. Compenser l'effort financier des familles

Cet objectif trouve sa traduction dans :

Le relèvement du plafond du quotient familial

L'article 17 rétablit le plafond du quotient familial qui avait été abaissé par l'Assemblée nationale dans la loi de finances pour 1999. Il prévoit par conséquent que la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 16.380 francs contre 11.000 francs aujourd'hui.

La revalorisation des prestations familiales

Les articles 18 et 19 visent à garantir l'évolution des prestations familiales.

L'article 18 procède au rattrapage de revalorisation des prestations familiales au titre de l'année 1999. Celles-ci n'ont été revalorisées que de 0,71 % au 1er janvier 1999 alors que les retraites ont été parallèlement revalorisées de 1,2 %, soit l'équivalent de l'évolution prévisionnelle des prix. L'article 18 prévoit par conséquent une revalorisation des prestations familiales de 1,2 % en 1999.

L'article 19 pose pour principe que les prestations familiales sont revalorisées chaque année à un taux qui ne peut être inférieur au taux de revalorisation des pensions de retraite du régime général.

6. Garantir les ressources de la branche famille

Cette volonté se traduit par :

La reconduction pour cinq ans de la garantie de ressources de la branche famille

L'article 20 reconduit pour cinq ans, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2003, une disposition figurant dans la loi famille de 1994 relative à la garantie de ressources dont bénéficie la branche famille. Chaque année, les ressources de cette branche doivent être au moins égales à ce qu'elles auraient été à la fin de l'année en cas de maintien des dispositions législatives et réglementaires applicables le 1er janvier 1993.

La prise en charge par l'Etat de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire

L'article 21 prévoit que la majoration de l'allocation de rentrée scolaire (ARS), décidée chaque année par le Gouvernement, ne peut être mise à la charge de la branche famille. Cet article réaffirme donc le principe selon lequel la majoration de l'ARS doit être intégralement financée par le budget de l'Etat qui rembourse son montant à la branche famille.

Enfin, l'article 22 constitue le gage financier de la proposition de loi ; il prévoit que les pertes de recettes pour l'Etat résultant de la présente proposition de loi seront compensées par une augmentation à due concurrence des droits sur les tabacs.

B. UN EFFORT QUE NOTRE PAYS PEUT ASSUMER

Par la diversité des thèmes abordés et l'ampleur des mesures proposées, cette proposition de loi se veut à l'évidence un projet cohérent, ambitieux et porteur d'espoir pour les familles. Il n'est pas abusif de dire que ce texte s'apparente par bien des aspects à une " nouvelle loi famille ".

Tout ceci a naturellement un coût, estimé par les auteurs de la proposition de loi à 8,8 milliards de francs par an. Ce coût se partagerait entre 2,2 milliards de francs de dépenses supplémentaires pour la branche famille et 6,6 milliards de francs d'allégements fiscaux supportés par le budget de l'Etat.

Votre commission considère que le coût réel pour la branche famille sera probablement supérieur. Le chiffrage du coût de l'allocation universelle d'accueil de l'enfant est en effet délicat en raison de la difficulté à prendre en compte statistiquement le rang des enfants.

Elle observe cependant que les dépenses supplémentaires résultant pour la branche famille de la présente proposition de loi devraient pouvoir être amorties par les excédents de cette branche tels qu'ils apparaissent dans les comptes prévisionnels annexés à la loi de financement de la sécurité sociale.

L'amélioration de la situation financière de la branche famille - elle devrait connaître des excédents croissants dans les prochaines années : + 2,3 milliards de francs en 1999, + 4,8 milliards de francs en 2000 et + 8,3 milliards de francs en 2001- permettra en effet de dégager les marges de manoeuvre nécessaires au financement de l'" ardente obligation " que constitue une politique familiale ambitieuse.

La présente proposition de loi garantit en quelque sorte que ces excédents bénéficieront bien aux familles et ne seront pas détournés pour pallier les carences des pouvoirs publics à maîtriser les dépenses d'assurance maladie et à réformer les retraites.

S'agissant des conséquences pour le budget de l'Etat des dispositions contenues dans la proposition de loi, votre commission juge indispensable que les diminutions de recettes fiscales soient compensées par des économies sur les dépenses.

Votre commission souhaite enfin réaffirmer solennellement qu'il est des coûts que notre pays se doit d'assumer. La politique familiale n'est pas un coût pour la collectivité, c'est un investissement indispensable pour l'avenir de la Nation.

Convaincue que ce texte constituait, tel qu'il est, une avancée considérable pour les familles, votre commission n'a apporté à la proposition de loi que des modifications mineures tendant à rectifier des erreurs matérielles ou à améliorer la rédaction de certaines dispositions.

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Votre commission vous propose d'adopter la proposition dans le texte résultant de ses conclusions, tel qu'il est inclus dans le présent rapport.

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