II. AUDITIONS

A. AUDITION DE M. PIERRE JOXE, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES

Réunie le mercredi 27 octobre 1999 sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a tout d'abord procédé à l 'audition de MM. Pierre Joxe, premier président de la Cour des Comptes, Gabriel Mignot, président de la sixième chambre, et Claude Thélot, rapporteur général de la Cour des Comptes , sur le rapport annuel de la cour consacré à l'application des lois de financement de la sécurité sociale ..

M. Jean Delaneau, président, a souligné l'importance de l'audition annuelle du Premier président de la Cour des Comptes, sachant la mission qui est celle de la haute juridiction d'assister le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Il a indiqué qu'en application de l'article L. 132-3-1 du code des juridictions financières, la commission avait envoyé à la Cour un premier courrier le 19 mars 1999, demandant à la haute juridiction de recenser les freins ou obstacles s'opposant à une remise accélérée des comptes des organismes de sécurité sociale, et un second courrier, le 25 septembre 1999, sur le rapport de la Cour sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 portant sur l'impact effectif en 1998 des différentes mesures prises par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 et l'analyse de la décomposition définitive de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) 1998.

M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des Comptes, a observé que le rapport de la Cour rendu public le 15 septembre 1999 était le cinquième rapport rendu au Parlement sur la sécurité sociale et le deuxième rendant compte de l'application d'une loi de financement, en l'occurrence celle de 1998. Il a indiqué que la Cour avait réduit ses délais d'un mois par rapport à l'an dernier. Il a déclaré que la Cour n'avait pas seulement pour mission de contrôler les comptes, mais également d'évaluer les politiques publiques. Il a expliqué que la Cour s'attachait à suivre avec attention les suites données aux recommandations des rapports précédents. Il a précisé que 75 % des recommandations avaient été mises en oeuvre, ce qui constituait un pourcentage intéressant. Il a toutefois noté qu'une des recommandations de la Cour, particulièrement fondamentale, n'était pas mise en oeuvre. Il a ainsi regretté l'impossibilité de suivre l'application des lois de financement à travers les " grandeurs fondamentales de la loi " (objectifs de dépenses par branche, prévisions de recettes par catégorie, ONDAM).

M. Gabriel Mignot, président de la sixième chambre de la Cour des Comptes, a présenté les thèmes abordés par le rapport 1999. Il a rappelé que la première partie de ce rapport était relative à l'exécution des mesures de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. Il a indiqué que ses deuxième et troisième parties traitaient plus particulièrement de la gestion du risque maladie par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et de la politique de ressources humaines et de l'informatique des organismes de sécurité sociale. Il a ajouté que la quatrième partie de ce rapport présentait les résultats des travaux des comités départementaux d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale (CODEC).

Il a ensuite présenté les réponses écrites aux questions posées par la commission en mars et en septembre 1999.

S'agissant de l'impact des mesures de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, il a observé que la Cour disposait d'un faible délai, de l'ordre de quarante-huit heures, pour commenter les comptes. Il a considéré qu'un chiffrage des mesures avait néanmoins été réalisé dans le rapport pour toutes les mesures de loi de financement de la sécurité sociale, en dehors de la substitution entre contribution sociale généralisée et cotisations d'assurance maladie. Il a expliqué que ce chiffrage était très difficile à faire, l'année 1998 ayant été la première année d'entrée en vigueur du système RACINE, mis en place au niveau des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) pour ventiler à la source les imputations comptables. Il a regretté que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale n'ait pas été pour l'instant en mesure de présenter des comparaisons entre l'ancien et le nouveau système. Il a noté que le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale avait chiffré l'opération de substitution à un gain de 5,2 milliards pour les régimes d'assurance maladie.

S'agissant de l'ONDAM, il a noté que la Cour s'était fondée sur les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 1999, qui s'étaient révélées à peu près exactes. Il a considéré que le commentaire consacré à cette question dans le rapport de septembre 1999 restait valable.

Concernant " les freins à l'accélération de la remise des comptes ", il a rappelé que la construction des comptes de la sécurité sociale s'opérait en trois étapes. La première étape est marquée par la production des comptes des organismes de base. La seconde étape est constituée par l'élaboration, par la Direction de la sécurité sociale, des comptes de l'ensemble des organismes de sécurité sociale. La troisième étape consiste à construire les agrégats de la loi de financement de la sécurité sociale.

Il a considéré que la première étape, autrefois très longue, avait tendance à s'accélérer, au moins pour le régime général. Il a rappelé que les caisses nationales avaient eu, en 1999, six semaines d'avance sur le calendrier 1998. Il a constaté que les difficultés se concentraient désormais sur les deuxième et troisième étapes, puisque trois mois étaient nécessaires à la Direction de la sécurité sociale pour passer de la réception des comptes à la construction des agrégats de la loi de financement.

Concernant la mission interministérielle de réforme de la comptabilité des organismes de sécurité sociale (MIRCOSS), il a observé que les travaux de cette mission, placée sous la responsabilité de M. Alain Déniel, avaient pour objectif d'aboutir à l'adoption d'un plan comptable unique pour les organismes de sécurité sociale. Il a précisé que les propositions de la MIRCOSS seraient connues courant 2000. Il a expliqué que le plan comptable unique, ainsi que les moyens nécessaires pour suivre son application par les organismes de sécurité sociale, nécessiteraient des dispositions législatives, qu'il serait souhaitable de prendre dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Dans l'hypothèse où ces dispositions législatives seraient mises en oeuvre en 2001, il faudrait donc attendre 2002 pour pouvoir bénéficier de leurs effets. Il a précisé que la mise à disposition des comptes définitifs de l'année n-1 en mai de l'année n aurait probablement pour conséquence la présentation au début de l'été du rapport de la Cour des Comptes sur l'application de la loi de financement.

A la demande de M. Jean Delaneau, président, M. Gabriel Mignot a précisé que la commission des comptes de la sécurité sociale ne statuait pas sur ces comptes, mais prenait acte des comptes présentés par la Direction de la sécurité sociale. Il a précisé, en outre, que le compte tendanciel de l'année n + 1 présenté lors de la réunion de septembre de la commission des comptes de la sécurité sociale, recouvrait deux notions différentes : une évolution spontanée des comptes, mais également des anticipations quant aux mesures annoncées par le Gouvernement.

M. Claude Thélot, rapporteur général de la Cour des Comptes, a indiqué que l'année 1998 avait été marquée par le basculement de grande ampleur des cotisations d'assurance maladie vers la contribution sociale généralisée (CSG). Il a noté que ce basculement s'était effectué dans de bonnes conditions et que la structure du financement de la sécurité sociale avait été profondément modifiée. Il a précisé que le prélèvement sur les ménages avait été accru, en raison de la charge plus lourde pesant sur les revenus du patrimoine et sur les revenus de remplacement.

M. Claude Thélot a ensuite insisté sur les difficultés de l'information comptable de la sécurité sociale. Faisant référence aux propos de M. Déniel retranscrits en annexe du rapport de M. Charles Descours " Les lois de financement : un acquis essentiel, un instrument perfectible ", il a considéré que de véritables incertitudes pesaient sur les estimations d'excédents et de déficits, variant considérablement selon qu'elles étaient effectuées en encaissements/décaissements ou en droits constatés. Il a indiqué que si le système RACINE représentait un réel progrès, son effet immédiat avait été de diminuer la compréhension des comptes. Il a considéré que les comptes de la sécurité sociale se trouvaient " au milieu du gué " et que deux à trois années seraient nécessaires pour parvenir à de réelles améliorations. Il a considéré que l'opposabilité d'une information comptable d'une qualité moyenne posait problème. Il a insisté sur les moyens quantitatifs et qualitatifs indispensables à toute réforme dans le domaine de l'information comptable et statistique.

Il a considéré que les outils d'évaluation présentaient une problématique tout à fait similaire. Citant l'exemple de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES), il a estimé que de réels espoirs pouvaient être fondés sur cette agence, mais que du temps serait nécessaire pour que ses travaux prennent de l'importance.

M. Claude Thélot a présenté les grandes lignes du rapport 1999 sur l'assurance maladie. Il a expliqué que ce rapport constituait l'étape d'un travail d'ampleur de la Cour sur ce sujet, s'étalant sur plusieurs années. Il a indiqué que le thème abordé par le rapport 1999 était relatif au comportement, en tant qu'assureur, de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Il a estimé qu'une réflexion sur un nouveau dispositif de relations entre les régimes d'assurance maladie et les professionnels de santé était nécessaire. Il a douté de la pertinence de reconduire le système conventionnel. Il a considéré que la CNAMTS n'effectuait pas une gestion du risque. Il a précisé que le régime des sanctions n'était pas adapté.

Abordant la troisième partie du rapport, il a indiqué que la Cour s'était intéressée à l'action sociale menée par les caisses du régime général. Rappelant que les dispositifs en vigueur avaient pour objectif de compléter les prestations légales, il a observé que la conciliation entre la nécessité, d'une part, de s'adapter à la situation particulière des assurés et, d'autre part, le principe d'équité minimale, était une question très importante. Il a noté que cette conciliation pouvait être atteinte par l'intermédiaire des conventions d'objectifs et de gestion signées entre l'Etat et les caisses.

Il a également abordé le problème de la gestion prévisionnelle des effectifs du régime général. Rappelant que 160.000 personnes étaient concernées, il a noté que les personnels devaient faire face à l'évolution extrêmement rapide du progrès technique et à la nécessité de répondre aux besoins des usagers. Il a expliqué que la sécurité sociale avait besoin de personnels qualifiés et d'une meilleure formation de ses agents. Il a regretté que la gestion prévisionnelle des effectifs soit quasiment embryonnaire.

M. Claude Huriet a demandé si la Cour des Comptes était en mesure d'évaluer les effets attendus des mesures inscrites dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Il a souhaité connaître le sentiment de la Cour des Comptes sur le système des points ISA, la notion de " région sous-équipée" en matière d'équipements hospitaliers et le rôle dévolu à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES).

Relevant l'observation de la Cour des Comptes selon laquelle l'inadéquation était grande entre l'état actuel des systèmes d'information de la CNAMTS et l'ambition de rendre opposables les données qu'ils produisent, M. Claude Huriet a considéré que le manque de fiabilité des informations disponibles expliquait pour partie le climat de défiance qui caractérisait les relations entre les professionnels de santé, l'Etat et la sécurité sociale. Il a jugé que le système envisagé par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, dans lequel la CNAMTS modifiait tous les quatre mois les conditions applicables aux professionnels de santé, ne pouvait guère améliorer la qualité des relations entre les différents acteurs.

En réponse à M. Claude Huriet, M. Gabriel Mignot a rappelé que l'évaluation des effets attendus de mesures inscrites dans la loi n'entrait pas dans la compétence de la Cour des Comptes, laquelle était chargée d'assister le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Il a rappelé que l'impact des mesures votées en loi de financement était analysé dans l'annexe b du projet de loi de financement de l'année suivante.

M. Gabriel Mignot a fait observer que le système de sécurité sociale traduisait une masse considérable d'informations, pas toujours de bonne qualité. Il a considéré qu'il n'était pas possible de concevoir un système où les enveloppes globales seraient l'agrégation des opérations individuelles. Il a souligné la nécessité de réfléchir à d'autres modes de relations contractuelles entre les professionnels de santé et la sécurité sociale.

M. Claude Thélot , rapporteur général, a dit partager l'analyse de M. Claude Huriet sur l'ANAES. Il a jugé que cet organisme accomplissait un travail de bonne qualité et qu'il convenait de le laisser poursuivre sa mission d'évaluation et d'accréditation, en prenant garde à ne pas multiplier les tâches qui lui étaient confiées. Evoquant la question des points d'indice synthétique d'activité (ISA), il a considéré que les fortes disparités entre hôpitaux au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) nécessitaient une étude approfondie, que la Cour des Comptes s'apprêtait d'ailleurs à lancer. S'agissant de la répartition des dotations hospitalières entre régions, il a constaté l'extrême diversité des situations, et a souligné que les modalités concrètes de répartition des moyens ne favorisaient pas la réduction des coûts et la recherche d'une plus grande équité entre les régions.

M. Jean Chérioux a souligné à son tour la très grande diversité de situations existant entre les différents établissements de l'AP-HP. Il a craint une déstabilisation de certains services de pointe de l'AP-HP par l'application de la méthode des points ISA et s'est interrogé sur la pertinence de cet indicateur.

M. Jean Chérioux a considéré que la mission de la Cour des Comptes était difficile par sa nature même puisque l'appréciation portée sur l'impact des mesures votées conduisait souvent à émettre un jugement sur des décisions politiques approuvées par le Parlement.

En réponse à M. Jean Chérioux, M. Pierre Joxe a souligné qu'il était facile de faire l'évaluation d'une politique en comparant les résultats obtenus par rapport aux objectifs assignés et aux moyens affectés. Après avoir rappelé que la Cour des Comptes n'avait aucune légitimité à accomplir une autre tâche que ce qui lui était demandé par le Parlement, il a souligné que les études parfois controversées de la Cour, notamment celle portant sur l'allocation de garde d'enfant à domicile, s'étaient généralement bornées à constater que l'objectif affiché par le législateur n'avait pas été respecté.

M. Pierre Joxe a jugé qu'il y avait un travail important de pure comptabilité à accomplir en matière de finances sociales. Il a fait valoir que ces dernières étaient encore loin d'avoir atteint la qualité et la fiabilité des finances de l'Etat, en raison notamment de l'absence de normes. Il a considéré que le système était aujourd'hui hybride, puisqu'il reposait en partie sur la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances.

En réponse à M. Jean Chérioux, M. Gabriel Mignot a souligné qu'une étude sur la validité des points ISA constituait un travail comptable très complexe, qui nécessitait un examen détaillé et des moyens très lourds. Il a considéré que le problème soulevé par M. Jean Chérioux était réel et que la Cour des Comptes s'était pour le moment limitée à constater que les établissements de l'AP-HP étaient globalement mieux dotés que les autres.

M. Pierre Joxe a rappelé que les moyens de la Cour des Comptes étaient limités : cette juridiction ne comportait au total que 200 personnes dont 35 pour la sixième chambre en charge du contrôle des finances sociales.

M. André Vézinhet s'est félicité que la CSG soit allée dans le sens d'une plus grande justice sociale. Il a souhaité connaître les recommandations de la Cour sur la répartition de la dotation globale hospitalière entre régions et au sein même des régions. Notant que la Cour s'était prononcée en faveur du Programme de médicalisation du système d'information (PMSI), il a fait part de son expérience de vingt-cinq ans de président de conseil d'administration d'un centre hospitalier universitaire (CHU) : le PMSI est unanimement critiqué dans les CHU, la correction des points ISA ne s'avérant pas suffisante. Il a considéré que le véritable problème était de donner les moyens aux CHU pour développer leurs actions de recherche. Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité, par la Cour des Comptes, de chiffrer les économies qu'apporterait le développement des actions de prévention des soins.

M. Gabriel Mignot a confirmé qu'il était tout à fait nécessaire de développer les actions de prévention. Il a regretté que peu d'études soient menées en France aujourd'hui sur le sujet. Il a reconnu que le PMSI était un outil perfectible, mais que ce programme représentait néanmoins un progrès par rapport à l'absence de toute unité de mesure. Il a considéré que le problème des CHU ne pouvait pas être distinct de celui de la formation médicale, actuellement trop concentrée.

M. François Autain a douté de la pertinence de l'affectation au budget de l'Etat des droits sur les tabacs. Il a considéré que le produit de ces droits devait financer le coût sanitaire occasionné par le tabagisme. Evoquant un rapport récent montrant l'importance du coût social de l'alcoolisme, il s'est interrogé sur les transferts financiers entre l'Etat et la sécurité sociale.

M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des Comptes, a estimé qu'il était désormais nécessaire d'établir un budget consolidé des collectivités publiques, correspondant à l'ensemble des prélèvements obligatoires. Il a considéré que la question de l'affectation des droits sur les tabacs à l'Etat ou à la sécurité sociale était finalement secondaire. Il a observé que la définition d'une véritable politique de santé publique était, en revanche, essentielle. Il a estimé qu'il était impossible de " répondre à toutes les demandes " et qu'il était nécessaire d'effectuer des choix, ce qui pose des problèmes éthiques. Il a précisé que cette politique de santé publique était, pour l'instant, définie de manière implicite.

Faisant part de son attachement à la régionalisation de la politique de santé, M. Claude Huriet s'est interrogé sur le rôle joué, dans ce cadre, par les chambres régionales des comptes.

M. Pierre Joxe a estimé qu'il était tout à fait envisageable de donner aux chambres régionales des comptes le soin de contrôler les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).

En conclusion, il a considéré qu'il faudrait encore beaucoup de temps pour disposer de comptes sociaux précis et fiables.