B. AUDITION DE M. JEAN-MARIE SPAETH, PRÉSIDENT DE LA CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS SALARIÉS (CNAMTS)
La
commission, sous la présidence de
M. Jean Delaneau,
président
, a poursuivi son programme d'
auditions sur le projet de
loi n° 1835
(AN) de
financement de la sécurité
sociale pour 2000
.
Elle a tout d'abord entendu
M. Jean-Marie Spaeth
,
président
de la
Caisse nationale d'assurance maladie des
travailleurs salariés
(CNAMTS).
M. Jean-Marie Spaeth
s'est félicité que, quatre ans
après la réforme constitutionnelle instituant les lois de
financement de la sécurité sociale, les questions de santé
et d'assurance maladie soient désormais sorties de la
clandestinité, ce qui constitue un progrès de la
démocratie. Il a également indiqué qu'un plan de
refondation du système de soins avait été adopté
par le conseil d'administration de la CNAMTS au mois de juillet après
qu'elle ait ouvert pendant plusieurs mois un large débat, relayé
dans toute la France par les organismes locaux d'assurance maladie.
Evoquant la situation de l'assurance maladie,
M. Jean-Marie Spaeth
a
constaté les effets positifs de la croissance économique sur les
recettes, estimant toutefois que la croissance faisait " baisser la
fièvre " mais ne traitait pas le " foyer infectieux ".
S'il est normal en effet que les dépenses de santé progressent,
il n'est pas acceptable qu'une telle progression ne s'organise pas autour
d'objectifs de santé, alors que tant de besoins sanitaires ne sont pas
satisfaits.
Il a ainsi fait part de sa crainte que le Parlement ne reçoive pas, au
cours de la discussion du projet de loi de financement de la
sécurité sociale, les explications médicales du
dépassement de l'objectif national de dépenses d'assurance
maladie (ONDAM) voté pour 1999 ; il a indiqué à titre
d'exemple que ce dépassement correspondait à peu près aux
crédits qui seraient nécessaires pour supprimer toute
participation de l'assuré aux dépenses dentaires ou
prothétiques.
M. Jean-Marie Spaeth
a ainsi estimé qu'il n'existait pas d'autre
domaine où les décisions financières prises par le
Parlement ne viennent pas appuyer des choix politiques. Plus encore, le projet
de loi de financement de la sécurité sociale qui est soumis
à l'examen du Parlement propose un changement de méthode de
calcul, les objectifs de dépenses d'assurance maladie étant
désormais calculés à partir des dépenses
réelles constatées l'année précédente et non
plus des dépenses votées par le Parlement au titre de ladite
année.
M. Jean-Marie Spaeth
a affirmé qu'au-delà de ce qui
pourrait n'apparaître que comme une question de méthodologie
comptable, c'était un véritable choix politique qui était
proposé au Parlement, celui de ne pas tirer les conséquences du
dépassement des objectifs de dépenses. Il a
considéré qu'il n'était pas admissible, lorsque l'on
" remettait les pendules à l'heure ", comme proposait de le
faire le Gouvernement, de ne pas dire ouvertement ce que l'on faisait des
comptes dépassés ainsi soldés.
M. Jean-Marie Spaeth
a pris acte de l'annonce faite par le Gouvernement
de clarifier les responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance
maladie, constatant toutefois à la lecture du projet de loi que la marge
était grande entre cette volonté et sa traduction juridique. Ce
décalage a conduit la CNAMTS, dans une démarche constructive,
à proposer aux parlementaires des amendements à ce projet de loi
afin de donner corps à la volonté du Gouvernement.
Evoquant la possibilité ouverte à la CNAMTS, par le projet de
loi, de modifier par accord ou unilatéralement les tarifs des
professionnels ou la cotation de leurs actes tous les quatre mois, il a
considéré que la variation d'un tarif pouvait, ponctuellement,
être utile mais qu'elle ne saurait constituer une politique et ne
répondait pas à une volonté de réforme structurelle
dont nul ne niait pourtant la nécessité. En outre, en
contraignant la CNAMTS à des rendez-vous normatifs, dont il fixe tant le
rythme que le contenu avec quelque trente syndicats professionnels, le projet
de loi accaparait la vie conventionnelle sur des sujets purement financiers et
comptables.
M. Jean-Marie Spaeth
a en outre considéré que
l'organisation du suivi de l'objectif de dépenses
délégué proposé par le Gouvernement portait en
germe un carcan paralysant, empêchant toute réactivité de
l'assurance maladie. Aussi, il a annoncé que la CNAMTS proposait un
amendement dont le contenu était animé par une démarche de
simplification.
Craignant en outre que la faculté offerte à la CNAMTS de
décider unilatéralement de mesures financières
pénalisantes pour les professionnels risquait de décourager tout
investissement des syndicats dans une démarche contractuelle, il a
proposé plusieurs amendements tendant à donner de la
visibilité aux partenaires conventionnels pour que ceux-ci puissent
s'engager en sachant à l'avance, plutôt qu'a posteriori, ce qui se
passerait en l'absence d'accords conventionnels. Ces amendements concernent les
aspects financiers, bien sûr, mais aussi l'ensemble des dispositions
conventionnelles. C'est pourquoi
M. Jean-Marie Spaeth
a
indiqué qu'il proposait d'étendre à toutes les professions
de santé le principe d'un règlement conventionnel minimal,
conformément à un engagement pris par le Gouvernement dans la
convention d'objectif et de gestion conclue avec l'assurance maladie. En
particulier, pour les médecins du secteur 2,
M. Jean-Marie Spaeth
a affirmé que le plafonnement des dépassements devait être
une obligation et non une faculté.
M. Jean-Marie Spaeth
a également souhaité que l'assurance
maladie puisse réellement exercer la responsabilité qui lui est
confiée sur l'objectif de dépenses délégué.
Or, celui-ci comporte un certain nombre de dépenses sur lesquelles elle
n'aura aucun moyen direct d'action : il s'agit en particulier des
prescriptions établies par les médecins hospitaliers et
réalisées en ville, comme les prescriptions de transport
sanitaire. Pour des raisons de cohérence,
M. Jean-Marie Spaeth
a
donc émis le voeu que ces dépenses soient exclues de l'objectif
délégué à la CNAMTS.
Evoquant la partition des responsabilités entre l'hospitalisation et les
soins de ville réalisée par le projet de loi de financement de la
sécurité sociale,
M. Jean-Marie Spaeth
a estimé
qu'elle ne correspondait pas à une réalité médicale
et ne pourrait donc perdurer. Néanmoins, au-delà de cette
partition apparente, il a rappelé que les agences régionales de
l'hospitalisation étaient constituées à parité par
les représentants de l'Etat et de l'assurance maladie, et que les
contributions de cette dernière étaient déterminantes pour
l'action de ces agences.
Enfin,
M. Jean-Marie Spaeth
a abordé la contribution au
financement des allégements de charges accordés aux entreprises
décidée par les pouvoirs publics dans le cadre de la
réduction du temps de travail, prévue par l'article 2 du projet
de loi. Il a rappelé que l'ensemble des organismes sociaux
s'était élevé contre cette contribution, car il
n'était pas admissible que les ressources de l'assurance maladie, de
l'assurance vieillesse ou du chômage soient détournées de
leur finalité au profit de mesures sans rapport avec leur raison
d'être qui était, pour l'assurance maladie, l'amélioration
de l'état sanitaire de la population.
M. Jean-Marie Spaeth
a affirmé que les représentants des
assurés sociaux et des financeurs qu'étaient les partenaires
sociaux ne pouvaient admettre cette remise en cause de la loi de juillet 1994,
qui avait été une étape importante dans la clarification
des comptes sociaux en ce qu'elle avait posé le principe
général de la compensation par le budget de l'Etat de toutes les
exonérations de charges qu'il décidait.
Au moment où le Parlement doit décider du montant des
dépenses d'assurance maladie auquel chacun souhaite pouvoir donner le
plus rapidement possible un contenu médical,
M. Jean-Marie Spaeth
s'est demandé comment il était possible d'engager cette
démarche de médicalisation nécessaire du débat
financier et, dans le même temps, proposer un détournement de la
finalité de ces mêmes dépenses.
M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers
généraux et l'assurance maladie,
a affirmé, en
introduction, qu'il proposerait à la commission et au Sénat
d'adopter une position cohérente avec celle qui venait d'être
exprimée par M. Jean-Marie Spaeth, notamment sur l'article 2 du
projet de loi.
Il a demandé au président du conseil d'administration de la
CNAMTS si sa position sur l'article 2 du projet de loi serait maintenue si le
Gouvernement renonçait à effectuer une ponction sur les
ressources de l'UNEDIC pour financer les conséquences de la
réduction du temps de travail. Il l'a également interrogé
sur l'absence de prise en considération par le Gouvernement du plan
stratégique de la CNAMTS dans les dispositions du projet de loi de
financement de la sécurité sociale. Il a souhaité que M.
Jean-Marie Spaeth précise la position de la CNAMTS sur le
mécanisme de régulation des dépenses médicales, et
lui dise si elle était opposée aux rendez-vous des
quatrième et huitième mois de l'année, ou au principe des
lettres-clés flottantes ou encore si elle était opposée
à ces deux dispositions du projet de loi.
Enfin, constatant que, si le projet de loi de financement de la
sécurité sociale était adopté en l'état,
l'Etat serait responsable de la régulation des secteurs de
l'hospitalisation publique, de l'hospitalisation privée, du
médicament et du tarif interministériel des prestations
sanitaires (TIPS), il s'est étonné des termes de cette
" clarification des responsabilités " annoncée par le
Gouvernement.
Répondant à M. Charles Descours, rapporteur pour les
équilibres financiers généraux et l'assurance maladie,
M. Jean-Marie Spaeth
a exposé les raisons qui avaient conduit la
CNAMTS à proposer un plan stratégique de refondation de
l'assurance maladie. Il a affirmé qu'au cours des trente
dernières années la responsabilité économique avait
toujours pesé sur les seuls assurés sociaux et que cette
concentration de la responsabilité économique, à travers
l'augmentation de leur participation financière, avait
créé un phénomène d'exclusion. C'est le constat de
cette exclusion qui a rendu nécessaire l'institution d'une couverture
maladie universelle.
M. Jean-Marie Spaeth
a regretté que les professionnels de
santé aient réussi à accréditer l'idée selon
laquelle toute responsabilité économique mise à la charge
des médecins constituerait une sanction à leur encontre. Il a
affirmé que le plan stratégique avait été
conçu en partant de l'idée qu'il n'était plus possible de
continuer à gérer le système de soins de manière
segmentée, sans perspective d'avenir répondant aux besoins
sanitaires des assurés sociaux. Il a toutefois considéré
que plusieurs des propositions de ce plan stratégique relevaient du
domaine réglementaire ou n'auraient pas eu leur place dans un projet de
loi de financement de la sécurité sociale.
M. Jean-Marie Spaeth
a affirmé que la CNAMTS était hostile
à la fixation par la loi de dates fixes pour des rendez-vous
infra-annuels et qu'elle estimait que l'institution de lettres-clés
flottantes ne pouvait tenir lieu de politique structurelle et empêcherait
toute signature d'accords conventionnels par les syndicats.
Evoquant le partage des responsabilités entre l'Etat et la CNAMTS, il a
indiqué que depuis de longues années les pouvoirs accordés
à la CNAMTS étaient en grande partie virtuels. Il a
rappelé que, depuis deux ans, des représentants de l'assurance
maladie siégeaient au Comité économique du
médicament.
Admettant qu'il ne niait pas que les nouveaux pouvoirs accordés à
la CNAMTS par le projet de loi pouvaient constituer, au moins en partie, un
piège pour l'assurance maladie,
M. Jean-Marie Spaeth
a
considéré qu'il était rare qu'une institution se voie
confier sans arrière-pensée des pouvoirs par une autre
institution. Il a toutefois rappelé que la segmentation que propose le
Gouvernement entre hospitalisation et soins de ville était artificielle
et qu'un tel système ne pouvait être que très transitoire.
Il a estimé qu'il appartenait au Parlement d'affirmer des
priorités sanitaires et de dire s'il préférait que les
crédits de l'assurance maladie soient affectés, par exemple,
plutôt aux cures thermales ou plutôt à l'hôpital ou
plutôt au traitement de la maladie de Parkinson. Il a en effet
considéré que de tels choix n'étaient pas effectivement
réalisés actuellement, sauf en " catimini ". Rappelant
les termes d'un récent communiqué de presse du ministère
de l'emploi et de la solidarité sur les cures thermales selon lequel
elles participaient de la " tradition " et du
" bien-être " des Français,
M. Jean-Marie
Spaeth
a indiqué qu'il avait écrit au ministre en lui
demandant de définir la notion de " bien-être " à
l'usage des médecins-conseil de l'assurance maladie chargés de
contrôler le recours aux cures thermales.
M. Dominique Leclerc
s'est étonné que M. Jean-Marie Spaeth
fasse porter sur les parlementaires la responsabilité de l'absence de
priorité sanitaire dans les lois de financement de la
sécurité sociale. Il a regretté que l'assurance maladie
cherche à encadrer l'évolution des dépenses par des
enveloppes sectorielles alors que l'on constate dans la réalité
de nombreux transferts d'activités de l'hôpital vers la ville. Il
lui a demandé quelle était l'évolution des coûts de
gestion de l'assurance maladie.
M. Louis Souvet
a demandé à M. Jean-Marie Spaeth comment
financer les allégements de charges décidés par le
Gouvernement dans le cadre de la politique de la réduction du temps de
travail. Il l'a également interrogé sur les conséquences
des dispositions du projet de loi prévoyant la motivation des
prescriptions d'arrêt de travail par les médecins.
M. Serge Franchis
a évoqué les reports de charges entre
l'hôpital et la médecine de ville et leur manque de transparence.
Il a également estimé que les usagers devraient être
responsables, mais que la gratuité des soins n'incitait pas toujours
à la prise de conscience de la nécessité de cette
responsabilité.
M. Lucien Neuwirth
s'est félicité du contenu de la
proposition n° 16 du plan stratégique de la CNAMTS concernant
les soins palliatifs. Constatant que l'assurance maladie avait consacré,
cette année, 50 millions de francs à la prise en charge des
dépenses de formation des bénévoles participant aux soins
palliatifs et à l'accompagnement, il lui a demandé s'il serait
favorable au vote d'une disposition législative tendant à
pérenniser ce financement.
Répondant aux orateurs,
M. Jean-Marie Spaeth
a
évoqué la question de la réduction du temps de travail,
affirmant que celui qui décidait de la mise en place d'une aide aux
entreprises devait en trouver le financement et l'assumer par lui-même.
Il a affirmé être tout à fait conscient de l'ampleur des
transferts d'activités entre l'hôpital et la ville, comme il
existait aussi des transferts dans l'autre sens, de la ville vers
l'hôpital, et indiqué qu'il était difficile de disposer
d'outils performants pour en évaluer l'ampleur. Il a nié toute
agression à l'égard du Parlement concernant la définition
de priorités sanitaires et réaffirmé qu'il appartenait
à l'Etat de définir certaines règles, notamment celles qui
président à la définition du panier de biens et services
remboursables par l'assurance maladie.
Evoquant les coûts de gestion administrative de la CNAMTS, il a
affirmé qu'ils représentaient environ 5,5 % de ses
dépenses et rappelé, d'une part, qu'avec l'informatisation
progressive de la transmission des feuilles de soins, l'assurance maladie
devait gérer à la fois des feuilles de soins électroniques
et des feuilles de soins sur un support papier et, d'autre part, que chaque
fois que les dépenses de santé augmentaient, l'assurance maladie
avait de plus en plus de feuilles de soins à traiter.
Evoquant la question des dépenses hospitalières,
M. Jean-Marie
Spaeth
a estimé qu'une réforme instituant une tarification
par pathologie serait de nature à induire une plus grande transparence.
Il a enfin répondu à M. Lucien Neuwirth en affirmant que
l'ambition de la CNAMTS était de pérenniser des financements
qu'elle accorde aux associations intervenant dans l'accompagnement des malades
en définissant des critères et des objectifs sanitaires auxquels
ces associations devraient répondre.