III. LE GOUVERNEMENT SEMBLE POUVOIR SE PASSER DE LA CNAMTS

Le Conseil d'administration de la CNAMTS a adopté, le 12 juillet dernier, un plan de refondation du système de soins. Pour la première fois depuis que les ordonnances de 1967 lui avaient confié un rôle de proposition de réformes, rôle confirmé et amplifié par les ordonnances du 24 avril 1996, l'assurance maladie a pris ses responsabilités en définissant les contours d'une réforme globale et structurante, couvrant l'ensemble du système de santé (y compris l'hôpital) et d'assurance maladie.

Le fait que la CNAMTS se " mêle " ainsi d'un secteur qui le regarderait pas, l'hôpital, semble avoir indisposé le Gouvernement. Il est difficile en effet d'interpréter autrement les réponses indirectes adressées à la CNAMTS par le Gouvernement qui a conclu des accords séparés avec des syndicats représentatifs de certaines spécialités médicales, et les réponses directes que constituent l'exclusion de l'assurance maladie de la régulation des cliniques privées, la redéfinition du pouvoir de tutelle contenue dans le présent projet de loi... et l'absence de toute traduction législative des propositions de l'assurance maladie.

A. LE PLAN DE LA CNAMTS DE REFONDATION DU SYSTÈME DE SOINS : UN PLAN AMBITIEUX ET AUDACIEUX, QUI AURAIT MÉRITÉ DISCUSSION

Si elle n'adhère bien évidemment pas à toutes les propositions formulées par l'assurance maladie, votre commission ne peut qu'attirer l'attention sur l'introduction du plan que son conseil d'administration a adopté le 12 juillet dernier, et qui constitue la traduction des orientations stratégiques qu'il avait retenues au mois d'octobre.

Les orientations stratégiques

Au moment où le conseil d'administration examine la traduction opérationnelle des orientations stratégiques qu'il a arrêtées en octobre 1998, il entend réaffirmer avec force les principes qui ont fondé la construction de l'assurance maladie. En particulier, les partenaires sociaux et mutualistes qui gèrent l'assurance maladie expriment leur attachement au mode de solidarité entre bien portants et malades qui s'exerce par le biais de l'assurance maladie où chacun contribue au financement en fonction de ses revenus et perçoit des prestations en fonction de ses besoins de soins.

Ils rappellent que l'assurance maladie a choisi, à son origine, de solvabiliser les patients en remboursant leurs soins, plutôt que de systématiser le financement direct de l'offre de soins. Le conseil d'administration reste attaché à ce choix, empreint de liberté pour les professionnels comme pour les patients. Ce choix a permis le développement de l'offre de soins, à l'origine insuffisante, en préservant le libre choix de son praticien par le patient, et la liberté thérapeutique des médecins.

Ils sont convaincus que ce choix de liberté porte en lui-même une exigence de responsabilité. Il importe donc de définir de façon équilibrée la responsabilité de chacun des acteurs du système de soins, en sorte de parvenir à une maîtrise du système de soins qui garantisse la qualité des soins et la couverture de l'ensemble des besoins de soins, en même temps qu'une maîtrise des coûts. En préconisant cette régulation coordonnée de l'ensemble du système de soins, les partenaires sociaux et mutualistes estiment donc qu'elle peut également ouvrir, dans le cadre des lois de financement votées par le Parlement, la voie d'une amélioration de la couverture de besoins encore en émergence, ou mal assurée à ce jour.

Depuis l'adoption par le conseil d'administration, le 13 octobre 1998, des orientations stratégiques de l'assurance maladie, deux éléments nouveaux sont apparus, renforçant la nécessité d'une clarification de l'action publique dans le domaine de la santé et des soins.

L'évolution de la situation financière de l'assurance maladie démontre que les comptes de la branche restent très sensibles à une modification, même modeste, de la conjoncture économique, qui vient se répercuter sur le rythme de croissance de ses recettes. Mais surtout, la forte hausse des dépenses enregistrée en 1998, qui s'est accentuée de janvier à mai 1999, a mis en lumière l'insuffisance du dispositif de maîtrise, progressivement bâti durant la décennie ; la stabilisation de ces dépenses -à supposer même qu'elle soit durable- crée un déséquilibre financier.

L'annulation par le Conseil constitutionnel, le 18 décembre 1998, de la clause de régulation des dépenses médicales inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, a des effets immédiats, qui ne doivent toutefois pas être surestimés. Le principe de la responsabilité collective des professionnels de santé a été reconnu conforme à la constitution et, si la mise en oeuvre pratique de ce principe s'est évanouie, son impact financier est réduit, car la récupération des dépassements ne devait être, en tout état de cause, que très partielle.

En revanche, combinée avec les décisions de même nature et d'égale portée prises par le Conseil d'Etat, l'annulation du Conseil constitutionnel oblige à repenser fondamentalement l'économie, voire la philosophie de la responsabilité que doit assumer chacun des acteurs du système de soins, et pas seulement les professionnels de santé.

Ainsi, dans la mesure où le Conseil constitutionnel subordonne l'application de la responsabilité collective à la reconnaissance d'un droit à connaître et user de critères " objectifs et rationnels " de comportement, il paraît raisonnable et souhaitable d'étendre cette perspective aux assurés et de les faire également bénéficier de cette liberté d'optimiser leur comportement individuel.

Le plan mis en débat

Le plan de mise en oeuvre des orientations stratégiques a été adopté par le Conseil d'administration de la CNAMTS, le 30 mars 1999, en tant que contribution de l'assurance maladie à la période de réflexion, ouverte le 12 février 1999 par la ministre de l'emploi et de la solidarité ainsi que le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Le conseil d'administration a donc décidé de mettre en débat cette contribution. Les caisses primaires, régionales et générales, les unions régionales des caisses, la caisse nationale et le service médical ont pris l'attache de tous les acteurs du système de soins pour recueillir leur avis. Aussi sollicités, les autres régimes d'assurance maladie obligatoires, les assureurs complémentaires, les élus nationaux et locaux, les assurés, les responsables administratifs, les différentes catégories de professionnels de santé, les représentants institutionnels et syndicaux des hôpitaux et de leur personnel, les syndicats de cliniques privées, ainsi que les personnels du régime général, ont permis de recueillir plus de 500 contributions, formant un ensemble d'une exceptionnelle richesse. Leur contenu, présenté le 5 juillet aux responsables de tous les régimes d'assurance maladie obligatoires a naturellement conduit à modifier et approfondir le plan " des soins de qualité pour tous ", à nouveau présenté au conseil d'administration de la CNAMTS le 12 juillet 1999.

Pour autant, le débat n'a pas pour effet de modifier les limites, ni l'économie générale du plan.

En effet, si le plan inclut de nombreuses propositions nouvelles, il n'a toujours pas la prétention d'être exhaustif ni d'appréhender dans son champ la totalité des secteurs de soins. Ainsi, les réformes suggérées pour l'hôpital ne concernent que les activités de court séjour (médecine, chirurgie, obstétrique) : aujourd'hui, la réflexion de la CNAMTS n'est pas achevée sur les activités de long et moyen séjours, ni sur le secteur médico-social, qui constituent au demeurant des champs potentiels de redéploiement de l'activité et des emplois hospitaliers.

La cohérence du plan reste fondée sur la démarche qualité, car le débat a mis justement à jour un quasi-consensus sur les fondements du plan, définis et explicités à partir de ce choix initial.

Les conditions sont donc réunies pour que la logique de réforme s'exprime dans les faits, au travers notamment des dispositions du projet de loi de financement pour l'an 2000 et la future triennale d'objectif et de gestion 2000-2002, appelée à unir l'Etat et l'assurance maladie au service de cette ambition.

Les fondements du plan stratégique

L'assurance maladie, qu'elle soit obligatoire ou complémentaire, est aujourd'hui un " payeur aveugle ", car les règles assurant le fonctionnement du système de soins -et pas seulement la prise en charge des soins- lui interdisent d'être un acheteur avisé, à même de sélectionner ce qu'il finance en fonction de la qualité, des besoins, de l'utilité et des coûts.

Permettre à l'assurance maladie de devenir un acheteur avisé passe par la généralisation d'une démarche qualité s'inscrivant dans une politique de santé publique et reposant sur une articulation optimale des champs d'action et de responsabilité des différents acteurs : Etat, assurance maladie, professionnels de santé et assurés.

Seule la qualité est un critère de prise en charge également légitime aux yeux des assurés et des professionnels de santé. Seule la qualité peut structurer la nécessaire rationalisation des systèmes de soins et de leur prise en charge.

A/ La démarche qualité

La démarche qualité obéit à des critères stricts :

Elle est nécessairement sélective

Il faut d'abord déterminer les besoins pris en charge, c'est-à-dire les besoins en matière de santé, et, parmi ceux-ci, les besoins appelant une réponse sanitaire (et non environnementale par exemple). C'est bien pourquoi la démarche qualité pour devenir la règle de fonctionnement du système de soins doit impliquer l'ensemble de ses acteurs.

Les références que représente l'expérience acquise en ce domaine par les autres pays développés montrent que la définition des priorités de santé publique résulte d'un processus contradictoire et pluridisciplinaire faisant largement place à l'expression de la société civile dans toutes ses composantes.

Mais au final, c'est l'Etat et lui seul, qui, en étant responsable de la totalité des actions publiques concourant au maintien ou à l'obtention d'un bon état de santé de chaque individu, peut hiérarchiser les priorités de santé publique et, parmi elles, celles qui appellent une réponse du système de soins : il est donc maître de la définition des besoins de santé, des besoins de soins et des besoins en soignants.

Les ressources consacrées à la santé et aux soins sont limitées, il est donc impératif d'inverser la logique actuelle qui conduit inéluctablement aux gaspillages, aux inégalités croissantes dans l'accès aux soins, et, de fait, à une médecine à deux vitesses.

De même, la démarche sélective en matière de besoins constitue une des conditions à la non-sélection des populations, dont la prise en charge médicale est supposée engendrer des coûts importants.


C'est donc en fonction des besoins reconnus et hiérarchisés que la sélection doit s'exercer en s'appliquant aux produits que sont les prestations sanitaires. Cette sélection pèse déjà massivement sur le fonctionnement quotidien du système de soins dans l'accès aux soins, dans leur dispensation et dans leur prise en charge. Elle ne constitue pas pour autant un moteur de la qualité ni de la maîtrise des dépenses. D'abord parce qu'elle est largement irrationnelle : l'utilité médicale, le service médical rendu, la qualité intrinsèque de la prestation sont loin d'être les seuls critères de la sélection. Mais aussi parce qu'elle est opaque : sa mise en oeuvre échappe largement aux patients et même aux professionnels de santé, qui ne peuvent donc optimiser leur comportement. La définition contradictoire et la révision périodique du panier des biens et services pris en charge constituent donc un impératif.

La sélection des producteurs est le corollaire de la sélection des produits et répond aux mêmes impératifs. Vouloir sélectionner les prestations en fonction des critères de qualité énoncés plus haut conduit naturellement à remettre en cause le conventionnement automatique et à vie des prestataires, qui est à la fois illogique et illusoire, a fortiori quand l'offre de soins est excédentaire comme c'est le cas aujourd'hui.

Sur ce point, la CNAMTS croit nécessaire d'attirer l'attention de tous les acteurs du système de soins sur la contrainte que représente, pour chacun d'entre eux, l'excédent d'offre de soins. Son existence rend vaine la querelle portant sur le caractère public ou privé de la gestion de la prise en charge, sauf à considérer que les profits tirés d'une gestion privatisée seraient assurés par un financement public de la résorption de l'excédent. Ce qui revient à corriger une vanité par une illusion.

Il n'y a pas de démarche qualité possible si les offreurs de soins ne sont pas coresponsables de la mise en oeuvre des critères de besoin, d'utilité, de qualité et de coût. La CNAMTS a pleinement conscience de la portée de ce constat. Pour évident qu'il soit, il constitue une rupture profonde avec l'existant : cette rupture doit donc être définie de manière contradictoire, gérée par étape et assumée par la nation toute entière.

Elle est nécessairement partenariale

L'Etat et l'assurance maladie s'efforcent depuis plusieurs années d'améliorer la qualité des soins en agissant sur les trois composantes du système de soins : s'agissant de la prise en charge, des décisions ponctuelles et fréquentes d'admission au remboursement et de déremboursement de prestations sanitaires, en fonction de leur utilité médicale, sont observées de longue date. Plus récemment, l'élaboration de références médicales à partir de 1990, rendues opposables depuis 1993, a étendu la démarche qualité à la dispensation des soins. Enfin, l'accès aux soins rentre progressivement dans la même problématique avec la tentative conventionnelle de création d'un contrat de santé en 1991, la création du carnet de santé en 1993, la reconnaissance par l'Etat en novembre 1995 que " la coordination des soins est indispensable à la qualité des soins ", enfin l'émergence du médecin référent en 1997 et 1998.

Pour autant, cette recherche s'avère jusqu'ici peu efficiente, car elle n'implique pas de manière égale le professionnel de santé et l'assuré. Ce dernier reste conforté dans l'idée qu'il peut agir à sa guise, déambuler " librement " dans l'univers des soins, ne rendre compte à quiconque de ses initiatives ni de sa consommation de soins, tout en obtenant un résultat qu'il espère de qualité. En témoigne le fait que les références médicales portant sur les actes d'investigation ou de dépistage -par exemple le nombre d'échographies par grossesse ou encore la fréquence du dépistage du cancer du sein par mammographie- sont opposables aux professionnels de santé, mais pas aux patients. Ce faisant, l'action publique perd en cohérence et en crédibilité auprès des praticiens qui savent combien l'inscription du colloque singulier dans une démarche qualité implique nécessairement le patient autant qu'eux-mêmes. Parvenir à une égalité -et non à une identité- de droits et de devoirs du patient et du praticien dans la démarche de soins est donc impératif.

La démarche qualité est également partenariale au niveau du système de soins considéré dans son ensemble, et non plus seulement au niveau de la relation médecin-patient. Le fait que les pouvoirs soient aujourd'hui partagés, de droit ou de fait, entre l'Etat l'assurance maladie -obligatoire ou complémentaire- les professionnels et les industriels de santé, les assurés, témoigne de cette nécessité. Mais, là encore, le partage s'avère insuffisamment rationnel et ne constitue donc pas un moteur de la démarche qualité. Il est symptomatique à cet égard que l'assurance maladie soit appelée de façon pressante à maîtriser l'évolution des dépenses de soins de ville, mais n'ait pas à sa main les outils élémentaires de maîtrise tels que la tarification des actes et des produits remboursés, ni même la possibilité de ne plus prendre en charge des prestations inutiles pour la santé.

La démarche globale qui est proposée, consistant à agir sur le système de santé en le réorganisant à partir des critères de besoins, utilité, qualité et coût, permet également de clarifier les responsabilités sur chacun d'eux. En effet, la définition des besoins de santé relève de la responsabilité de l'Etat et de sa politique de santé publique, l'utilité des soins repose sur l'expertise complémentaire de la communauté scientifique et de l'assurance maladie qui puise là la légitimité de sa prise en charge, la qualité découle du dire de la communauté scientifique, les coûts enfin sont de la responsabilité de l'assurance maladie.


Ce constat est aujourd'hui partagé par la CNAMTS et par les assureurs complémentaires, privés comme mutualistes. Ils ont commencé à en tirer les conséquences en décidant de coordonner désormais leur action sur trois champs : la définition du panier des biens et services remboursables en fonction de leur utilité médicale, leurs taux respectifs de prise en charge de ces biens et services, l'économie, enfin, des conventions les liant aux différentes professions de santé. C'est sur ces bases que pourront se développer pleinement des expérimentations de coordination des soins et de leur prise en charge.

A l'évidence, cette communauté d'action ne peut s'engager concrètement qu'accompagnée d'une clarification du rôle de l'Etat, appelé simultanément à reconnaître pleinement l'autonomie de l'assurance maladie et à définir plus fortement les fondements de cette autonomie que sont les priorités de santé publique.

Cet encadrement de l'autonomie doit se lire dans la mise en oeuvre d'un dispositif cohérent, composé à la fois d'un cadre pluriannuel global et de déclinaisons annuelles de moyens -la loi de financement de la sécurité sociale-.

Cette base doit ensuite se traduire par les priorités que l'Etat donne à l'assurance maladie dans la convention d'objectifs et de gestion et ses avenants annuels, qui représentent alors, pour elle, le cahier des charges de la gestion du panier des biens et services.

C'est également dans ce cadre que la CNAMTS traduit les engagements réciproques souscrits avec les professions de santé par le biais des conventions la liant avec les syndicats qui les représentent.

Elle est nécessairement transparente

La transparence sur la nature, la qualité et le coût des prestations, est une condition sine qua non pour que les mesures de sélectivité et de responsabilisation des acteurs qui doivent être prises soient opératoires, soient justes -aux yeux des offreurs de soins comme des consommateurs- et soient acceptables par tous.

Sans transparence, l'accès aux soins de qualité -ou supposés tels- resterait réservé aux initiés, c'est-à-dire le plus souvent aux catégories culturellement avantagées : la médecine " à deux vitesses " pourrait se développer.

Sans transparence, le fondement même d'une politique de santé publique, à savoir la garantie de sécurité sanitaire, ne peut être assuré.

Ainsi, le codage des actes médicaux doit-il impérativement dépasser les seuls actes remboursables pour permettre une traçabilité complète : comment rappeler les bénéficiaires d'une prestation sanitaire s'avérant, a posteriori, risquée, en l'absence d'un historique les identifiant ?

Remboursables ou non, chacun sait que les actes médicaux sont potentiellement porteurs de risque sanitaire.

Un codage complet permet également un pilotage fin dans l'espace et dans le temps de l'offre de soins, ce qui profite également aux professionnels comme aux assurés :

- dans le temps, parce que l'évaluation du coût de la prise en charge des innovations redevient possible, avec, en corollaire, la modernisation du " panier " de biens et services remboursés.

- dans l'espace, parce que l'effet des déports d'activité, et même de compétences, entre disciplines, professions de santé et segments de la chaîne des soins, redeviennent lisibles.

Mais la transparence est aussi un préalable à l'adoption de la démarche qualité par les professionnels de santé et par les patients : la certification des professionnels de santé, l'accréditation des établissements, sont nécessaires pour que ces offreurs de soins apprécient leur niveau de compétence et pour que les assurés deviennent acteurs, et non plus consommateurs passifs, dans le système de soins.

De même, les patients doivent-ils être tenus à un minimum de transparence concernant leur consommation de soins, afin que leurs partenaires naturels que sont les offreurs de soins d'une part et leur assureur maladie d'autre part cessent de travailler en aveugle. Encore est-il nécessaire de souligner auprès des assurés -ce qui n'a encore jamais été fait- que la transparence des données sanitaires les concernant n'est pas seulement la contrepartie de la prise en charge de leurs soins par la solidarité. Elle participe aussi de leur intérêt personnel : toute information médicale dissimulée aux professionnels de santé représente une perte de chance potentielle pour le patient. Le souci de la dignité et de l'autonomie de la personne, qui a fondé la législation sur la protection de l'intimité et de la vie privée -donc du droit d'opposition que peut exercer chacun à ce que des données sanitaires le concernant soient gardées en mémoire- doit s'exprimer de façon équilibrée pour que les termes du choix soient pleinement perçus par chaque individu : la qualité totale des soins est antinomique avec la préservation absolue de l'intimité.

B/ La portée du plan

Changer de contraintes

Il n'y a pas de qualité sans contrainte. Contrainte de sélectivité, de responsabilité, de transparence.

Le plan de l'assurance maladie a pour objet de mettre en place des contraintes médicalisées, intelligentes et dynamiques en changeant la nature et en déplaçant le point d'impact des contraintes qui existent déjà : ce qui revient à déplacer les contraintes de l'aval du système de santé -prise en charge- vers l'amont -accès aux soins et dispensation- et à agir sur la qualité du système et non plus seulement sur son bouclage financier.

Ces contraintes ne peuvent donc pas être lues comme des restrictions, puisque ce sont elles qui concourent à l'émergence d'une qualité vraie et accessible à tous.

L'actuel système de soins fait déjà supporter aux praticiens et aux patients des contraintes très lourdes. Mais celles-ci s'avèrent inefficaces au regard des objectifs de qualité et de maîtrise des dépenses, car elles sont déséquilibrées et inadaptées.

Déséquilibrées, car elles pèsent en quasi-totalité sur la composante ultime du système de soins, c'est-à-dire la prise en charge par l'assurance maladie, ce qui reste sans effet sur la dynamique inflationniste et la non-qualité, et réduit significativement l'efficacité des régulations, qu'elles soient individuelles ou collectives.

Inadaptées, car, s'exerçant sur la prise en charge, elles sont de nature administrative (exemple : absence de généralisation du tiers payant) ou financière (importance du reste à charge) et ne sont donc pas intégrées à la démarche de soins.

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi l'extension aux professionnels de santé de la responsabilité, en voulant corriger une inégalité de situation entre ces derniers et les assurés, a accentué de fait le déséquilibre existant.

L'objectif est d'abord de " médicaliser " la contrainte en la faisant porter sur les modalités d'accès aux soins et leur dispensation, et en faisant reposer la sélection des hommes et des produits sur des critères de besoin et de qualité médicale, non de fortune ou de statut.

Cela induit un changement de règle de responsabilité, pour permettre à chacun, praticien et patient, d'optimiser son propre comportement, sur la base de critères de choix " objectifs et rationnels ", dans son propre intérêt et dans l'intérêt du système de soins.

Changer de logique

Changer de contraintes revient à changer de logique : le principe de responsabilité -identifiée et partagée- s'applique aussi à la gestion du système de soins, donc à l'assurance maladie.

Par son contenu, le plan stratégique écarte une quelconque revendication de monopole du pouvoir par l'assurance maladie tant à l'égard de l'Etat que des autres acteurs du système de soins.

La CNAMTS propose qu'une seule cohérence, fondée sur le principe de responsabilité, donne son sens à la prochaine convention d'objectifs et de gestion qu'elle doit conclure avec l'Etat pour les années 2000-2002 et réunisse tous ces acteurs.

A ce titre, elle est fondée à souhaiter que soient encore mieux définies les responsabilités qu'elle doit assumer dans le champ de compétences qui lui est reconnu. Ainsi est-il opportun de reconnaître à la caisse nationale, dont le statut peut évoluer, le plein exercice de la tutelle sur le réseau des organismes locaux de l'assurance maladie, tout en définissant précisément la mission d'évaluation revenant aux services déconcentrés de l'Etat.

Elle est également tenue d'accroître son propre niveau de performance. La cohésion de son réseau est une des voies d'obtention de l'égalité d'accès aux soins ; la transparence et la rigueur de son action constituent son apport nécessaire à la modernisation du système de soins.

Par l'élaboration en cours de son " projet de branche ", elle définit, à l'égard de tous les acteurs du système, ses ambitions et donc ses devoirs propres.

A cet égard, il convient de rappeler que l'assurance maladie a su, durant ces dix dernières années, accroître ses gains de productivité de 6 % à 7 % par an et, en conséquence, réduire ses effectifs d'environ 10.000 agents.

Pour 1999, ses efforts de gestion lui permettent de contribuer à la recherche de l'équilibre financier de l'exercice en proposant une réduction de 1 % de ses crédits de gestion administrative (soit 300 millions de francs), reconductible les années suivantes.

*

L'assurance maladie s'affirme donc, par ce plan, comme un acteur parmi d'autres, convaincu que l'émergence progressive d'une autonomie de décision du patient est une évolution majeure qui oblige à redéfinir les rôles traditionnellement tenus par l'Etat, les professionnels de santé et elle-même.

L'inscription de la démarche qualité dans une politique de santé publique, qui relève de l'Etat, en est la première traduction.

La reconnaissance du rôle de la communauté médicale et scientifique dans les processus de certification et d'habilitation de l'offre de soins en est une autre.

De même, la volonté de coordonner son action avec celles des assurances maladie complémentaires rompt avec une culture surannée de l'hégémonie distraite au profit d'une évidence : les assurances sont multiples, le patient est unique.

Au-delà, l'assurance maladie sait que seule la démarche qualité, impliquant également praticiens et patients, peut lui permettre d'être un tiers de confiance pour les uns et les autres.

Le MEDEF et la CGPME, l'UPA, la CFDT, la CFE-CGC, la Mutualité française, et la CFTC ont estimé légitime et nécessaire la démarche initiée par le Conseil d'administration. Parmi ces organisations, certaines ont approuvé l'ensemble du plan, d'autres ont formulé des réserves sur certaines propositions.

Mais le Gouvernement peut-il, en présentant le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ignorer à ce point la démarche des partenaires sociaux, en ne proposant aucun débat, ni aucune traduction législative de ses propositions ?