B. LES RÉPONSES DU GOUVERNEMENT À LA CNAMTS

Votre commission ne dispose d'aucun élément permettant de qualifier de riposte indirecte au plan de la CNAMTS, ni les propositions de réformes élaborées par un groupe de députés sous la présidence de M. Jean Le Garrec, président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, qui ont été rendues publiques juste avant le vote du conseil d'administration de la CNAMTS, ni ce que le rapport (n° 1876-1999, p. 42) de M. Claude Evin a qualifié de " constat alarmant " de la Cour des comptes sur la gestion du risque par l'assurance maladie.

Le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale estime en effet que " la branche maladie est pour l'essentiel demeurée, malgré ses ambitions, un payeur ".

De tels propos sont pourtant à rapprocher de ceux tenus par le conseil d'administration de la CNAMTS, qui est allé encore plus loin que la Cour en qualifiant l'assurance maladie de " payeur aveugle " (introduction au plan de refondation, p. 3).

1. Une réponse indirecte : sans l'assurance maladie, l'Etat a conclu, en 1999, trois accords sectoriels avec des représentants de deux spécialités médicales et avec les biologistes

Alors que la convention d'objectifs et de gestion conclue entre l'Etat et l'assurance maladie confie à la CNAMTS la mission d'établir des relations conventionnelles avec les professionnels de santé, c'est l'Etat, seul, qui a conclu trois accords sectoriels avec certains professionnels de santé.

Protocoles d'accord avec les radiologues

Le 9 février 1999, après que le Gouvernement a baissé unilatéralement, en 1998, les tarifs des radiologues, il a conclu un protocole d'accord avec la Fédération nationale des médecins radiologues.

Cet accord procède d'abord à une réévaluation de la lettre-clé Z1 : après sa baisse en 1998, elle est désormais fixée à 10,60 francs. Il prévoit des rendez-vous de suivi des dépenses au 4 ème et au 8 ème mois de l'année, à la suite desquels cette valeur pourra être modifiée pour garantir une évolution globale des dépenses, sur 1998 et 1999, conforme aux objectifs fixés pour les honoraires des spécialistes sur ces deux années (NB : aucun objectif n'a été fixé pour 1999).

Les parties sont ensuite convenues de certaines dispositions :

- la création d'un Observatoire de l'imagerie médicale ;

- la participation des radiologues à l'extension du dépistage des cancers décidée dans la loi de financement pour 1999 (NB : le décret d'application de cet article de loi n'a pas été publié) ;

- le contrôle de qualité des appareils utilisés lors des examens radiologiques et échographiques (NB : ce contrôle est également prévu par la loi, mais le décret d'application de cette mesure incluse dans la loi du 1 er juillet 1998 n'a pas encore été publié) ;

- l'engagement de la FNMR à favoriser la télétransmission des feuilles de soins ;

- l'engagement de la FNMR à participer aux discussions sur la modulation du MICA (NB : le décret d'application nécessaire à sa mise en oeuvre n'a pas été publié) ;

- l'engagement de l'Etat de donner à une personnalité qualifiée une mission d'information sur l'avenir de la radiologie. Enfin, l'accord a prévu une mesure de nomenclature en radiologie vasculaire.

Protocole d'accord avec les cardiologues

Le 14 juin 1999, l'Etat a ensuite conclu un protocole d'accord avec le syndicat national des spécialistes des maladies du coeur et des vaisseaux.

Ce protocole a fixé un objectif prévisionnel de dépenses d'honoraires remboursables des cardiologues : il s'élève à 3,8 milliards pour 1999 et à 3,9 milliards pour 2000. Cet accord autorise donc une progression des honoraires des cardiologues de 6 % de 1997 à 2000.

Le syndicat s'est engagé à " promouvoir un meilleur recours à l'échographie Doppler cardiaque et à l'électrocardiogramme préopératoire.

Il s'est ainsi engagé à assurer la diffusion et à encourager le respect des deux recommandations de bonne pratique non encore élaborées :

- la RMO relative aux examens préopératoires, dont l'ANAES établit une nouvelle rédaction ;

- la recommandation sur l'échographie Doppler cardiaque, en cours d'élaboration par la Société française de cardiologie.

Les deux parties sont aussi convenues d'établir un bilan de l'application de cet accord le 15 octobre 1999, le 15 avril et le 15 octobre 2000 et, le cas échéant, de prendre des mesures correctrices.

Protocole d'accord avec les biologistes

Enfin, le 22 juin dernier, a été rendu public un accord entre l'Etat, le syndicat des biologistes et le syndicat des grands laboratoires de biologie clinique.

Ce protocole d'accord fixe deux objectifs, pour 1999 et pour 2000 (12,8 milliards pour 1999, et 12,9 milliards de francs pour 2000).

Pour assurer le respect de cet objectif, l'Etat et les syndicats signataires sont convenus :

- d'une baisse de la lettre-clé B de 4 centimes ;

- d'une évolution à la baisse de certains actes cotés à la nomenclature.

Ils sont également convenus de trois rendez-vous de suivi, au 15 octobre 1999, au 15 avril et au 15 octobre 2000, à la suite desquels pourront être prises des mesures correctrices.

L'Etat et les syndicats signataires ont décidé de mettre en place, dans les meilleurs délais un groupe de travail ayant pour mission de faire des propositions en vue de promouvoir la qualité des examens biologiques et d'améliorer les conditions d'exercice de la profession.

Votre rapporteur a demandé au président du conseil d'administration de la CNAMTS son point de vue sur les accords conclus entre l'Etat et les représentants de certaines spécialités médicales.

Il lui a transmis la réponse suivante, à laquelle s'associe pleinement votre commission :

Avis du président du conseil d'administration de la CNAMTS
sur les accords conclus entre le Gouvernement et les représentants
de certaines spécialités médicales

" On indiquera les trois points suivants :

" 1. Les relations entre les professionnels de santé et les pouvoirs publics doivent s'exercer dans un cadre global.

" Les conventions passées entre ces professionnels et l'assurance maladie permettent de garantir cette logique.

" Les représentants des médecins spécialistes n'ont pas souhaité en 1999 signer une convention avec l'assurance maladie. Ils se trouvent donc toujours sous le coup du règlement conventionnel minimal prévu par l'article L. 162-5-9 du code de la sécurité sociale. La multiplication d'accords avec certaines catégories de spécialistes conduit à un morcellement accru du système de soins, comme l'avait écrit le président du conseil d'administration de la CNAMTS à Mme la Ministre dès le 30 avril 1999.

" 2. La passation de ces accords rend plus difficile le partage des responsabilités défini par la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la CNAMTS signée en avril 1997.

" Celle-ci précise notamment : " la CNAMTS remplit une mission de régulation des dépenses de soins de ville avec pour but l'amélioration constante de la qualité et de l'efficience du système de soins ; à cette fin, la CNAMTS entretient des relations conventionnelles avec les professions de santé "...

" Ces accords contribuent à persuader les professions de santé qu'en cas d'échec des négociations conventionnelles un accord avec le ministère reste une voie possible.

" 3. Les accords en question ne constituent pas un mode de régulation adapté.

" Les accords ont pour but une inflexion de l'évolution des dépenses, mais les moyens mis en oeuvre pour garantir cet objectif n'apparaissent pas clairement. "

2. Une réponse directe : le dispositif d'obstruction à l'égard de la CNAMTS mis en place par le projet de loi de financement de la sécurité sociale

L'objectif affiché des dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale est clair : il s'agit de donner plus de responsabilités à la CNAMTS, en lui donnant toute marge de manoeuvre pour réguler les dépenses au sein d'un objectif dont la gestion lui serait confiée : l' " objectif de dépenses délégué ", comprenant l'ensemble des honoraires des professionnels de santé.

La CNAMTS ne doit pas s'occuper que de cet objectif mais de tous les éléments de cet objectif.

Tous les éléments, cela veut dire que l'Etat sort de la régulation des laboratoires privés d'analyses de biologie, et que le tripartisme en vigueur depuis 1991 entre l'Etat, l'assurance maladie et les biologistes devient un bipartisme réunissant l'assurance maladie et les biologistes.

Mais la CNAMTS ne doit gérer que son objectif délégué, ce qui implique une sortie de la CNAMTS de la régulation des cliniques privées, elle aussi tripartite depuis 1991.

Le projet de loi prévoit, non seulement que la CNAMTS ne sera plus partie aux accords avec les cliniques, mais que la définition du cadre global de la régulation, qui entrait auparavant dans le champ conventionnel, sera désormais du domaine du seul pouvoir réglementaire.

L'Etat devient ainsi l'interlocuteur privilégié et le décideur pour toute l'hospitalisation, publique et privée.

Cette réforme va à l'encontre de l'évolution des techniques médicales et du système de santé qui induit la perméabilité des deux secteurs, qui oblige à une coopération et une coordination de l'hospitalisation et des soins de ville.

De plus en plus, l'hospitalisation est " ambulatoire ", voire " à domicile ", alors que les plateaux techniques de spécialistes intervenant en libéral n'ont rient à envier à certains plateaux hospitaliers. En outre, c'est le même patient qui reçoit des soins à l'hôpital et en ville, rendant artificielle et contreproductive toute gestion séparée des deux secteurs.

Enfin, c'est probablement aux confins des deux secteurs que l'on peut trouver des gisements d'économies, c'est l'insuffisante coordination entre l'hospitalisation et la ville qui coûte cher et qui est contreperformante en termes sanitaires.

Mais la CNAMTS ayant osé proposer des mesures d'économies à l'hôpital, elle se voit retirer la gestion de l'hospitalisation privée...

Une fois la CNAMTS sortie de la régulation de l'hospitalisation privée, reste à lui définir clairement un champ de responsabilité : c'est l'objectif de dépenses délégué.

Aux termes de l'article L. 227-1 du code de la sécurité sociale tel que modifié par l'article 17 du projet de loi, les " dépenses déléguées " comprennent les honoraires ainsi que les frais de transport.

On rappellera, à cet égard, que plus de 50 % des prescriptions de transport de malades sont réalisées à l'hôpital, et que la CNAMTS ne dispose d'aucun moyen pour supprimer d'éventuelles surprescriptions.

Ainsi, malgré la conclusion de la convention nationale des transporteurs sanitaires conclue le 1 er mars 1997 en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 (loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996), les transporteurs sanitaires n'ont pas tenu l'objectif de - 5,8 % qui leur était assigné, et les dépenses de transport ont crû de 8,9 % à la fin de l'année 1998 et de 8,7 % à la fin juin 1999, dont 11,3 % pour l'ambulance et 6,6 % pour le VSL.

Ce dérapage des dépenses résulte de plusieurs facteurs :

- le développement des traitements ambulatoires,

- le désengagement des SMUR des hôpitaux et des services d'incendie et de secours du fait de compressions budgétaires dans ces secteurs,

- la suppression depuis fin 1996 du remboursement de certains transports " assis " postopératoires en VSL ou en taxi, à la suite d'arrêts de la Cour de Cassation aux termes desquels la " prise en charge d'un transport lié à une hospitalisation " doit se limiter aux seuls transports consécutifs à l'entrée et à la sortie de l'établissement après un séjour effectif. Cette situation a conduit les médecins à surprescrire des transports en ambulance qui sont systématiquement remboursés.

Cet exemple montre à lui seul la vanité et l'inefficacité d'un cloisonnement entre l'hospitalisation et la ville.

Une fois cet objectif de dépenses délégué défini, quels instruments confie le projet de loi à la CNAMTS pour assurer la régulation des dépenses correspondant à l'activité des médecins libéraux ?

En fait, d'un seul instrument légal, les lettres-clés flottantes, dont le présent rapport a montré à quel point l'institution allait paralyser le système conventionnel.

Et, aux termes du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la gestion de ces lettres-clés flottantes nécessitera de multiples réunions avec les autres caisses nationales et la rédaction de multiples " rapports d'équilibre ".

Selon l'article 17 du projet de loi, un " rapport d'équilibre " est un rapport rédigé par les caisses nationales d'assurance maladie et présenté au Gouvernement :

- pour chaque profession de santé, au moment de la conclusion des annexes annuelles aux conventions ;

- pour chaque profession de santé, à l'occasion des mesures correctrices intervenant après le quatrième mois de l'année ;

- pour chaque profession de santé, à l'occasion des mesures correctrices intervenant après le huitième mois de l'année.

... et, le cas échéant, à l'occasion de la conclusion des " protocoles d'accords sectoriels " dont l'Assemblée nationale a autorisé la conclusion en cours d'année.

Le contenu de ces rapports d'équilibre est prévu par le projet de loi, qui dispose :

" Ce rapport comporte les éléments permettant d'apprécier la compatibilité des annexes ou des mesures déterminées par les caisses nationales avec l'objectif de dépenses déléguées mentionné au II de l'article L. 227-1.

" Le rapport indique également les moyens mis en oeuvre par l'assurance maladie pour maîtriser l'évolution des dépenses de prescription des médecins, sages-femmes et dentistes. Il détaille à ce titre les actions, notamment de contrôle, prévues par le service médical, les actions d'information, de promotion des références professionnelles opposables et des recommandations de bonne pratique ou d'évaluation des pratiques ainsi que celles menées au titre des accords médicalisés visés à l'article L. 162-12-17.

" Le rapport précise l'effet projeté de chaque action sur les dépenses de prescription, par catégorie. "


Et, au cas où le projet de loi aurait oublié quelque chose, un arrêté ministériel viendra, dit le projet de loi... définir le contenu du rapport.

Sur le plan juridique, si " la tutelle ne se présume pas " et si son contenu doit être prévu par la loi, la description minutieuse de ces rapports d'équilibre ne relève pas, à l'évidence, du domaine législatif.

Et votre commission refuse l'évolution souhaitée par le projet de loi, au terme de la quelle l'assurance maladie passerait du statut de " payeur aveugle " à celui de " gratte-papier éclairé "....