PREMIÈRE PARTIE
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ÉQUILIBRES FINANCIERS GÉNÉRAUX

I. LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1998 ET 1999 : UN REDRESSEMENT FRAGILE DES COMPTES SOCIAUX

A. LE REDRESSEMENT DES COMPTES SOCIAUX A ÉTÉ PAYÉ PAR UN ALOURDISSEMENT SPECTACULAIRE DES PRÉLÉVEMENTS SOCIAUX

Le Gouvernement affirme que le redressement des comptes de la sécurité sociale a été atteint " sans augmentation du taux des cotisations " et " sans déremboursement des médicaments " .

Cette " formule magique " mérite toute l'attention : il s'agit, depuis l'origine, d'une des constantes des lois de financement de la sécurité sociale. Ces dernières se distinguent ainsi des différents " plans de replâtrage " de la sécurité sociale, qui s'étaient bornés jusqu'alors, sans succès durable, à relever le taux des cotisations et à procéder à un déremboursement partiel ou total de certains médicaments.

Mais la fiscalisation des recettes de la sécurité sociale est une réalité que l'on ne peut ignorer ; les cotisations représentent aujourd'hui 59 % des recettes, contre 72,2 % en 1996 ; parallèlement, la part des impositions affectées est passée de 10,6 à 24,4 %.

Force est de constater que le redressement des comptes de la sécurité sociale a été rendu possible par l'accroissement, depuis 1996, des prélèvements affectés à la sécurité sociale.

1. L'accroissement des prélèvements affectés à la sécurité sociale...

a) L'affectation de nouveaux prélèvements ou l'extension d'assiette de prélèvements affectés à la sécurité sociale

Les ordonnances de 1996 ont institué trois contributions à la charge de l'industrie pharmaceutique. Par ailleurs, la dette de la sécurité sociale a été transférée à la charge de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), celle-ci la finançant grâce à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), imposition s'appliquant à tous les revenus à hauteur de 0,5 %.

Des " mesures de redressement " ont été décidées par les deux premières lois de financement de la sécurité sociale.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 a permis d'aligner l'assiette de la CSG sur les revenus d'activité sur l'assiette de la CRDS et d'étendre l'assiette de la CSG sur les revenus de remplacement et sur les revenus du capital.

En outre, elle a créé une CSG affectée à l'assurance maladie, au taux de 1 %, en échange d'une baisse de 1,3 point du taux d'assurance maladie des actifs.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 a étendu l'assiette du prélèvement social affecté à la CNAF et à la CNAVTS sur l'assiette de la CSG s'appliquant aux revenus du capital.

Parallèlement, opérant un " basculement " brutal, cette loi de financement a autorisé une hausse du taux de CSG affectée à l'assurance maladie de 4,1 points, en échange d'une baisse de 4,75 points du taux des cotisations des salariés du régime général.

En raison des différences d'assiette entre cotisations et CSG, le basculement est loin d'être neutre.

Solde pour les régimes d'assurance maladie des deux opérations de substitution CSG/cotisations

 

1998

1999

2000

CSG maladie

208,3

236,9

245,3

Pertes de cotisations maladie

- 207,8

- 232,5

- 240,7

Droits sur les alcools

4,8

4,8

4,9

Solde

5,2

9,3

9,4

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale

Votre rapporteur tient à observer que les tableaux publiés par la Commission des comptes de la sécurité sociale laissent planer une incertitude. En effet, une fraction des " droits 403 " sur les alcools (40 %), auparavant affectés intégralement au Fonds de solidarité vieillesse, est attribuée aux régimes d'assurance maladie depuis la loi de financement de 1997. S'il convient de les inclure pour analyser le bilan des deux opérations de substitution, l'examen du solde particulier de la substitution pour 1998 n'a donc pas, en conséquence, à prendre en considération les droits sur les alcools. Malheureusement, ce solde particulier est indisponible.

Votre rapporteur a tenté de l'estimer 1( * ) :

La substitution en 1998

 

Effets de la 1ère substitution (décidée par la LFSS 1997)

Effets de la 2 ème substitution (décidée par la LFSS 1998)

Total

CSG maladie

47,4

160,9

208,3

Pertes de cotisations maladie

- 45,0 ?

- 162,8 ?

- 207,8

Droits sur les alcools

4,8

 

4,8

Solde

7,2

- 1,9

5,2

Source : CAS, d'après CCSS.

Votre rapporteur a essayé également d'évaluer la masse des prélèvements supplémentaires affectés à la sécurité sociale sur 1997, 1998 et 1999.

Cette évaluation est facile pour les contributions nouvelles : il suffit de constater sur chaque exercice les recettes. En revanche, pour les prélèvements supplémentaires nés de l'extension de l'assiette d'une imposition déjà existante, il convient d'évaluer le rendement du prélèvement sans extension, ce qui est relativement facile la première année 2( * ) , mais commence à perdre beaucoup en précision dès la seconde année 3( * ) .

Le tableau ci-dessous ne prétend en aucun cas à l'exactitude. Il tente de donner un " ordre de grandeur ". Il est regrettable que ni la Commission des comptes de la sécurité sociale, ni la Cour des comptes ne présentent de telles estimations.

Il est frappant de constater l'effet en année pleine, porté par la croissance, d'extensions de prélèvements décidées les années précédentes.

Produit des impositions supplémentaires affectées à la sécurité sociale 1997-2000

Impositions et taxes

Textes

1997

1998

1999

2000

Taxe sur les contributions patronales au financement de la prévoyance complémentaire

article 8 ordonnance 24/01/1996 -relèvement article 14 LFSS 1998

1.500

2.600

2.752

2.780

Contribution due par les grossistes répartiteurs sur leurs ventes aux offices pharmaceutiques

article 76 loi du 12 avril 1996
extension assiette article 32 LFSS 1997 relèvement article 12 LFSS 1998

1.100

1.300

1.240

1.200

Taxe sur les ventes directes de médicaments

art. 12 LFSS 1998

 

172

170

171

Contribution due par les laboratoires sur leurs dépenses de publicité

hausse taux article 11 LFSS 1998

1.744

2.318

1.215

1.205

Contribution à la charge des laboratoires pharmaceutiques non conventionnés avec le comité économique du médicament

art. 31 LFSS 1999

 
 
 

510

CSG maladie

LFSS 1997 et LFSS 1998

40.800

208.300

236.900

245.300

Perte cotisations maladie

LFSS 1997 et LFSS 1998

- 43.500

- 207.800

- 232.500

- 40.700

Alignement assiette CSG revenu, capital sur assiette CRDS et extension assiette CSG remplacement (CNAF et CNAVTS)

articles 10, 13 à 15 LFSS 1997

2.300

2.500

2.600

2.700

Majoration droits consommation sur les boissons alcoolisées

LFSS 1997 (art. 28)

850

850

850

850

Taxe sur les prémix (article 29)

LFSS 1997 (art. 29)
+ LFSS 1999 (art. 12)

3

1

1

1

Droits sur le tabac

article 27 LFSS 1997
art. LFSS 1998

2.263

3.857

4.380

8.099

Elargissement assiette 1 % CNAF

LFSS 1998

 

3.460

4.500

4.600

Elargissement assiette 1 % CNAVTS

LFSS 1998

 

1.500

2.500

2.600

Déplafonnement total des cotisations famille des employeurs

LFSS 1998

 

340

350

360

Droits de fabrication sur les alcools (406 A)

LFI 1999 + LFSS 1999

 
 

- 322

- 322

TOTAL

 

7.060

19.398

24.636

29.354

L'accroissement des prélèvements nouveaux représenterait, pour les années 1997 à 1999, un solde cumulé de 51 milliards de francs.

A ce prix, si l'on peut s'exprimer ainsi, le redressement des comptes sociaux, dans une période de croissance, n'a rien d'étonnant.

b) Une ponction globale sur les ménages

La substitution CSG/cotisations est souvent présentée par le Gouvernement comme une mesure favorable à la consommation, ayant fortement participé à la relance de la demande intérieure.

Il faut pourtant constater que la substitution CSG/cotisations a eu un effet négatif sur le revenu global des ménages, en raison notamment des prélèvements supplémentaires sur l'épargne.

Incidence sur le revenu des ménages
de la substitution CSG/cotisations intervenue en 1998

en milliards de francs

Réduction sur les prélèvements d'activité

-18,5

Augmentation du prélèvement sur les revenus du capital

+ 21,0

Augmentation du prélèvement sur les revenus de remplacement

+ 2,1

SOLDE

+ 4,6

Source : rapport économique, social et financier du PLF 1999, p. 169.

Ce tableau est " actualisé " pour 2000 en incluant l'élargissement de l'assiette du prélèvement social de 2 %, mais en omettant de chiffrer l'augmentation du prélèvement sur les revenus de remplacement :

Incidence sur le revenu des ménages en 2000

en milliards de francs

Réduction sur les prélèvements d'activité

- 16,6

Augmentation CSG sur les revenus du capital

+ 19,0

Elargissement assiette 2 % prélèvement social

+ 6,2

SOLDE

+ 8,6

Source : rapport économique, social et financier du PLF 2000, p. 240.

Si l'on prend en compte l'augmentation du prélèvement sur les revenus de remplacement, le prélèvement " global " supplémentaire sur les ménages résultant de la substitution cotisations/CSG et de l'élargissement de l'assiette du prélèvement social de 2 % atteindrait désormais près de 11 milliards de francs.

2. ... conjugué au retour de la croissance...

a) Une reprise dès fin 1996

Selon l'INSEE, la reprise a débuté en 1996, pour s'affirmer en 1997 et plus encore en 1998. Sur la période 1996-97, la croissance a été tirée, " comme dans le reste de l'Europe, par une très forte croissance de la demande extérieure, dont bénéficiait principalement l'industrie " 4( * ) . Au moment où la demande extérieure s'affaiblissait (fin 1997), la demande intérieure a pris le relais ; les ménages ont bénéficié d'une croissance forte de leur pouvoir d'achat, en raison des créations d'emplois et du ralentissement de l'inflation se traduisant avec retard sur l'évolution des salaires nominaux. Indiscutablement, la confiance des ménages s'est redressée dans les premiers mois de 1997.

L'analyse objective est bien éloignée des propos de Mme Martine Aubry, expliquant que le Gouvernement a contribué à la reprise de la demande intérieure par le basculement CSG/cotisations, censé procurer 1,1 % de gain de pouvoir d'achat, non seulement parce qu'il apparaît que ce basculement a eu pour conséquence un prélèvement global supplémentaire pour les ménages, mais également parce que les conditions de cette reprise étaient présentes avant les effets de la substitution.

Contrairement aux " reprises " du début et du milieu des années quatre-vingt-dix, interrompues immédiatement, l'année 1997 a été suivie par deux années d'une croissance relativement forte.

La croissance du PIB 1997-1999

 

1997

1998

1999 (estimations)

PIB en volume

2,2

3,2

2,3

PIB en valeur

3,4

4,1

2,9

Source : Comptes de la Nation.

b) Un effet direct sur la croissance de la masse salariale

Les années 1997-1999 représentent trois années où la croissance de la masse salariale a été supérieure à 3 %.

Récapitulatif 1997 - 1999

 

1997

1998

1999 (estimations)

Salaire moyen par tête

2,7

2,1

2,2

Effectifs salariés

0,4

1,9

1,5

Masse salariale secteur privé

3,2

4,0

3,7

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale.

La croissance de la masse salariale a été portée par une croissance exceptionnelle du salaire moyen par tête en 1997.

En 1998 et en 1999, les prévisions ont systématiquement surestimé la croissance du salaire moyen par tête. La croissance des effectifs salariés liée à la baisse du chômage, sous-estimée par les prévisions, a été le principal moteur de la croissance de la masse salariale.

Prévisions successives de la croissance de la masse salariale en 1998

 

septembre 1997

septembre 1998

septembre 1999

Salaire moyen par tête

2,6

2,2

2,1

Effectifs salariés

1,3

1,8

1,9

Masse salariale secteur privé

3,9

4,0

4,0

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale.

Votre rapporteur avait douté, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 5( * ) , de la pertinence de la prévision de croissance du salaire moyen par tête, en raison du contexte de modération salariale dû à la réduction du temps de travail.

Prévisions successives de la croissance de la masse salariale en 1999

 

septembre
1998

mai
1999

septembre
1999

Salaire moyen par tête

2,5

2,1

2,2

Effectifs salariés

1,8

1,3

1,5

Masse salariale secteur privé

4,3

3,4

3,7

Effet emplois jeunes - RTT (*)

 

0,4

0,4

Assiette encaissements du secteur privé du régime général

 

3,8

4,1

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale.

(*) cet effet s'applique aux effectifs, mais a été " individualisé " par la Commission des comptes.


L'effet " modération salariale " lié à l'annonce de la réduction du temps de travail semble ainsi avoir joué un rôle dès 1998 6( * ) , alors que les effets sur l'emploi des 35 heures ont été pour l'instant minimes.

La baisse du taux de croissance du PIB (2,3 % en 1999 contre 3,2 % en 1998) n'a eu qu'un impact faible dans la baisse de la croissance de la masse salariale. La croissance française, grâce aux différents dispositifs d'allégements de charges sociales décidés par les gouvernements de MM. Balladur et Juppé, est devenue " plus riche en emplois ".

3. ... explique la progression massive des recettes de la sécurité sociale

En conséquence, les années 1998 et 1999 ont été deux années de forte croissance des recettes de la sécurité sociale.

Dans les deux cas, les prévisions votées en loi de financement ont été dépassées.

Pour 1998, le surcroît de recettes est de 7,3 milliards de francs.

Recettes par catégorie 1998

 

LFSS 97 réalisations (1)

PrévisionsLFSS 1998 (2)

RéalisationsLFSS 1998 (3)

Ecart en milliards de francs (3) - (2)

Evolution (3)/(1)

Cotisations effectives

1.154,9

1.034,1

1.042,8

+8,7

- 9,71%

Cotisations fictives

181,2

186,9

187,1

+0,2

+ 3,26%

Contributions publiques

62,3

62,0

60,5

- 1,5

-2,89%

Impôts et taxes affectés

221,0

403,0

401,2

- 1,8

+ 81,54%

Transferts reçus

4,8

4,6

4,8

+0,2

-

Revenus des capitaux

1,4

1,3

1,4

0,1

-

Autres ressources

32,6

31,1

32,5

+1,4

- 0,31%

Total

1.658,2

1.723,0

1.730,3

+7,3

+ 4,35%

NB : hors majoration de l'allocation de rentrée scolaire : 6,1 milliards de francs en 1998.

Le surcroît de " cotisations effectives " par rapport à la prévision est de 8,7 milliards de francs. En revanche, les " cotisations fictives " n'ont été que très légèrement sous-estimées.

En ce qui concerne les " impôts et taxes affectés ", l'écart entre la prévision et la réalisation porte sur la CSG (dont le rendement a été surestimé en septembre 1997) et, à moindre degré, sur la C3S. La progression est spectaculaire, en raison du basculement CSG/cotisations.

La nouvelle estimation des prévisions de recettes par catégorie pour 1999 montre également un " surcroît " de recettes disponibles.

Recettes par catégorie 1999

 

(1)
LFSS 98 (réal)

(2)
LFSS 1999

(3)
Prév.sept 1999

(4)
Ecart (milliards de francs)

Evolution
(3)/(1)

Cotisations effectives

1.042,8

1.062,9

1.066,8

+ 3,9

+ 2,30 %

Cotisations fictives

187,1

194,8

195,0

0,2

+ 4,22 %

Contributions publiques

60,5

63,8

62,6

- 1,2

+ 3,47 %

Impôts et taxes affectés

401,2

438,7

439,7

+ 1,0

+ 9,59 %

Transferts reçus

4,8

5,2

4,9

- 0,3

+ 2,08 %

Revenus des capitaux

1,4

1,4

1,6

+ 0,2

+ 14,28 %

Autres ressources

32,5

32,6

33,4

+ 0,8

+ 2,77 %

Total

1.730,3

1.799,5

1.804,0

+ 4,5

+ 4,26 %

NB : hors majoration de l'allocation de rentrée scolaire : 6,85 milliards de francs en 1999.

La ligne " Impôts et taxes affectés " bénéficie d'une croissance de 9,59 % entre 1999 et 1998 alors qu'il n'y a pas d'extension notable des impôts et taxes affectés à la sécurité sociale en 1999. La simple reconduction des mesures prises par les lois de financement de la sécurité sociale 1997 et 1998, leur application " en année pleine " et " l'effet croissance " retardé de certaines impositions (C3S, par exemple 7( * ) ) expliquent cette évolution.

Au total, le rythme de la croissance des recettes de la sécurité sociale en 1999 (4,26 % contre 4,35 % en 1998) ne ralentit qu'à peine.

Ce surcroît de recettes, observé tant en 1998 qu'en 1999, aurait pu permettre un excédent des comptes sociaux dès 1998, et une réduction plus rapide que prévue du déficit du régime général. Malheureusement, le Gouvernement a démontré son incapacité à maîtriser l'évolution des dépenses sociales.