N° 89

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès verbal de la séance du 25 novembre 1999.

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2000 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

(Deuxième partie de la loi de finances)


ANNEXE N° 12

ÉCONOMIE, FINANCES ET INDUSTRIE :

II. - INDUSTRIE


Rapporteur spécial : M. Jean CLOUET

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 1805 , 1861 à 1866 et T.A. 370 .

Sénat : 88 (1999-2000).


Lois de finances.

PRINCIPALES OBSERVATIONS

A titre liminaire, il convient de s'élever contre la disparition du fascicule budgétaire " industrie " qui témoigne symboliquement du peu d'importance que le gouvernement accorde à l'action industrielle et à l'avenir industriel de notre pays.

Les crédits consacrés à l'industrie qui ont pu être mis en évidence dans le " bleu " désormais unique du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, appellent les observations suivantes :

Un effort à conforter de calibrage plus rigoureux des besoins de crédits

Les dotations des chapitres budgétaires consacrés à l'industrie du fascicule de l'économie et des finances traduisent un souci accru de se rapprocher des besoins réels, ce dont votre rapporteur se réjouit. Il convient toutefois d'aller plus loin, si l'on en croit le montant important des reports de crédits qui ont lieu d'un budget à l'autre.

En effet, il faut rappeler que le montant des crédits réellement disponibles pour l'industrie en cours d'année excède généralement très largement celui qui est voté par le Parlement en loi de finances initiale, compte tenu, d'une part, d'un transfert important de crédits au profit du CEA en provenance du ministère de la défense (7 099 millions de francs en 1998), d'autre part, du montant important des reports de crédits sur des chapitres dont les taux de consommation sont erratiques (et surtout imprévisibles), et, enfin, des crédits généralement importants ouverts en loi de finances rectificative au profit, le plus souvent, de la construction navale.

Votre rapporteur s'élève par principe contre des reports de crédits excessifs ou l'ouverture de crédits très importants en loi de finances rectificative, surtout lorsque ces pratiques deviennent la norme.

Pour le budget de l'industrie, les reports de crédits , qui se sont élevés à 1 644 millions de francs en 1998, portent principalement sur les chapitres 64-93 " équipement naval ", 64-96 " restructurations industrielles " et 62-01 " reconversion ". S'il est vrai que la consommation des crédits de ces chapitres est très difficile à anticiper, le seul fait que les reports se perpétuent d'année en année prouve qu'ils sont probablement trop dotés.

Le gouvernement en a tenu compte cette année puisque les crédits du chapitre 64-96 (qui incluent désormais les crédits de reconversion) sont contractés de 27 % dans le budget pour 2000, ce dont votre rapporteur se félicite. Il en est de même pour les crédits du Fonds de soutien aux hydrocarbures qui sont diminués de 46 % afin de tenir compte des importants reports qui avaient traditionnellement lieu d'une année sur l'autre sur le compte d'affectation spéciale n° 902-12 budgétisé l'année dernière.

S'agissant des ouvertures de crédits en cours d'année, la loi de finances rectificative pour 1998 a ouvert 2 493,2 millions de francs de crédits nouveaux au profit du budget de l'industrie, dont 2 476 millions de francssont venus alimenter le chapitre 64-93 " équipement naval - interventions " pour financer des aides à de nouvelles commandes passées aux Chantiers de l'Atlantique et des aides complémentaires pour couvrir une dérive sur le coût de contrats des Chantiers du Havre.

Quelle que soit la justification de ces crédits, la pratique de l'ouverture d'enveloppes importantes de crédits en loi de finances rectificative est une entorse à l'annualité budgétaire dès lors qu'elle a pour objet, non pas de compléter une enveloppe de crédits trop étroite pour l'année en cours, mais d'anticiper des besoins sur l'exercice suivant et se traduisent par d'importants reports.

On peut se féliciter à cet égard que le gouvernement ait décidé d'accroître sensiblement cette année les dotations du chapitre 64-93 afin de mieux les faire correspondre avec les besoins réels de l'industrie navale.

Des efforts de sincérité budgétaire occultés par la grande volatilité du périmètre du budget de l'industrie

Le gouvernement procède dans le budget de l'industrie pour 2000 à deux budgétisations significatives.

Sont budgétisés pour un montant de 497,5 millions de francs les crédits de la Direction de la sécurité des installations nucléaires (DSIN) sur le chapitre 57-13 " études ". La DSIN était jusqu'à présent financée par un fonds de concours alimenté par les redevances perçues sur les exploitants d'installations nucléaires de base à l'occasion des contrôles et des inspections que requièrent leur activité (soit 477 millions de francs en 1998 et 467 millions de francs en 1999).

Parallèlement, l'article 24 du projet de loi de finances pour 2000 propose de substituer aux redevances sur les installations nucléaires de base une nouvelle taxe dont le produit, estimé à 829 millions de francs pour 2000, viendrait abonder les recettes de l'Etat.

Cette budgétisation procède de la volonté de régulariser la procédure des fonds de concours, à laquelle il est trop souvent recouru abusivement.

Par ailleurs, les crédits de 5 des 18 centres techniques industriels sont inscrits au budget pour 2000, pour un montant de 247 millions de francs. Ces centres étaient jusqu'à présent financés par des redevances.

On rappelle que la fusion des crédits de personnel et de fonctionnement du Secrétariat d'Etat à l'industrie avec ceux des charges communes du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en 1999, a fait disparaître l'essentiel des postes de personnel et de fonctionnement du titre III qui faisaient - abusivement - l'objet de financements par voie de fonds de concours, pour des montants proches ou supérieurs au milliard de francs.

Au total, seuls les crédits du fonds de concours " préfinancement OTAN " continueront d'être rattachés au chapitre 37-61 du budget de l'économie, des finances et de l'industrie, pour un montant prévisionnel de 265 millions de francs, après 270 millions de francs en 1999 et 297 millions de francs en 1998.

Ces efforts de transparence sont toutefois occultés par les très importantes restructurations budgétaires qui interviennent chaque année, et qui rendent très ardue la comparaison des crédits consacrés à l'industrie d'une année sur l'autre.

Les agrégats du budget de l'industrie ont en effet subi des modifications de nomenclature budgétaire qui en compliquent la lecture à l'extrême et rendent impossibles les analyses sur longues séries.

A titre d'exemple, les crédits consacrés à la formation des administrateurs des postes et télécommunications sont désormais rattachés au chapitre 43-01 " actions d'incitation et de formation " et non plus sur le chapitre 36-40 " enseignement supérieur des postes et télécommunications ", sans que la logique apparaisse clairement.

Les crédits destinés aux travaux de sécurité dans les mines sont cette année inscrits dans un chapitre 57-91 nouveau rattaché à un des agrégats de l'industrie et non plus sur le chapitre 57-90 " Équipements administratifs et techniques " rattaché à l'agrégat " Administration générale et dotations communes ".

Les crédits de fonctionnement du Groupe des écoles de télécommunications (autrefois inscrits sur le chapitre 36-40 mentionné plus haut), des Ecoles nationales des mines (autrefois inscrits sur le chapitre 36-70 " écoles nationales des mines ") et de l'Agence nationale des fréquences (anciennement inscrits au chapitre 36-20 " ANF ") sont désormais rattachés au chapitre 36-10 intitulé sommairement " subventions de fonctionnement " sur lequel figurent en vrac les subventions de fonctionnement octroyées par le Secrétariat d'Etat à l'industrie et des crédits du ministère de l'économie et des finances (crédits de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre, de l'Institut national de la consommation...).

Enfin, on peut s'interroger sur la motivation qui a conduit à rattacher à l'agrégat " Actions sur l'environnement des entreprises et modernisation des PMI " certains des crédits destinés aux écoles des mines, pour un montant de 40 millions de francs (chapitre 37-90), alors qu'un certain nombre de crédits de fonctionnement destinés aux mêmes écoles restent rattachés à l'agrégat " Administration générale et dotations communes ".

Il reste à espérer que le périmètre budgétaire des crédits consacrés à l'industrie et leur nomenclature se figeront à ce stade pour les années ultérieures, afin de permettre des comparaisons sur longue période.

Pour une plus grande sélectivité dans l'attribution des aides aux entreprises et un renforcement du contrôle

Le sujet des aides publiques aux entreprises a fait l'objet de critiques sévères ces derniers mois. Ainsi, un article récent de la presse économique faisait état de 170 milliards de francs versés aux entreprises en 1998, de façon opaque et cloisonnée, et hors de tout véritable contrôle.

Au sein du budget de l'industrie, il est possible d'identifier une demi-douzaine de chapitres comportant des aides aux entreprises. Bien sûr, toutes ces aides ne sauraient être mises sur le même plan ; certaines sont attribuées dans le cadre d'un processus de développement, de modernisation ou de certification, d'autres sont destinées à favoriser les programmes de recherche des entreprises et la diffusion de l'innovation dans les PMI, d'autres enfin sont accordées dans le cadre d'une restructuration ou d'un programme de soutien spécifique à un secteur industriel en difficulté :

- certains articles du chapitre 44-80 regroupent les subventions destinées à financer des actions de soutien à l'industrie au travers d'organismes sous tutelle assurant une mission d'intérêt général (création d'entreprise, développement de la productique, création industrielle, prévention des risques industriels) ou d'initiatives prenant la forme d'actions collectives ; ils sont dotés de 109,8 millions de francs dans le budget pour 2000 ;

- de même, les 365 millions de francs des chapitres 44-93 et 64-94 ont pour objet de promouvoir la qualité dans les entreprises et le développement de la normalisation, de la certification et de la métrologie ;

- le chapitre 64-92, doté de 703 millions de francs en crédits de paiement dans le budget pour 2000 après 656 millions de francs en 1999 (+ 7,2 %), est destiné, d'une part, à favoriser la diffusion des techniques au sein des petites et moyennes industries à travers la procédure ATOUT (pour 174 millions de francs), et, d'autre part, à co-financer des projets de développement des PMI dans le cadre des nouveaux contrats de plan Etat-Régions 2000-2006 (pour 529 millions de francs) ; cette dernière enveloppe de crédits mettra l'accent sur l'investissement immatériel, la diffusion des technologies et des usages des nouveaux outils d'information et de communication ;

- le chapitre 64-93, doté de 1 287 millions de francs en crédits de paiement dans le budget pour 2000, regroupe les crédits destinés à restaurer la compétitivité des chantiers navals ;

- le chapitre 64-96, doté de 256 millions de francs, regroupe les crédits destinés à faciliter la restructuration d'entreprises en difficulté, notamment au travers des crédits gérés par le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et par le fonds d'industrialisation de la Lorraine (FIL), et la restructuration de zones industrielles particulièrement affectées (notamment au travers des crédits du Fonds d'industrialisation des bassins miniers) ;

- le chapitre 66-01, doté de 1 723 millions de francs, recense les crédits destinés au développement de la recherche industrielle (grands programmes interministériels, grands programmes européens de coopération EUREKA et MEDEA, actions de développement de la filière électronique) ;

- le chapitre 66-02, doté de 673,5 millions de francs, regroupe les dotations du Secrétariat d'Etat à l'industrie à l'ANVAR, consolidant sa capacité d'intervention en faveur de l'innovation à 1 400 millions de francs.

Le montant global des aides distribuées par le Secrétariat d'Etat à l'industrie, soit directement, soit de façon intermédiée, s'élève ainsi à 5 843 millions de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement dans le budget pour 2000. Si l'on ajoute à ce montant la subvention de Charbonnages de France et celle de la Poste, on parvient à un total de 10 583 millions de francs.

Le Secrétariat d'Etat à l'industrie est quant à lui résolu à réformer le dispositif des aides aux entreprises afin d'une part, de transformer les subventions en avances remboursables dans toute la mesure du possible, et, d'autre part, de simplifier les procédures régionales d'examen et d'octroi des aides : l'année 2000 verra ainsi se généraliser la mise en place des contrats de développement, appelés à intégrer l'ensemble des aides directes accordées par le Secrétariat d'Etat à l'industrie à une même entreprise.

Par ailleurs, il s'est donné pour objectif de mieux contrôler l'utilisation des aides qui sont attribuées. L'élaboration d'indicateurs dans le fascicule budgétaire pour 2000 a ainsi pour objet de permettre un meilleur suivi par le Parlement des crédits du département ministériel, ce dont il convient de se réjouir.

Votre rapporteur restera évidemment très attentif au problème des aides, de leurs critères d'attribution et de leur contrôle. Il considère pour sa part que, pour éviter les effets d'aubaine, les aides doivent être concentrées sur l'amont du processus industriel, et destinées à rendre possible un processus d'innovation que l'entreprise n'aurait pas mené à bien sans l'aide de l'Etat. Celui-ci jouerait ainsi pleinement son rôle de catalyseur et de visionnaire, censé remédier à la " myopie " des marchés en traçant le chemin à long terme.

Un effort louable en faveur de l'enseignement

Les crédits en faveur des écoles du groupe des écoles de télécommunication (GET) et des écoles des mines sont en progression soutenue, traduisant la priorité de l'Etat pour l'investissement éducatif. Ils représentent 5,54 % du budget total de l'industrie.

Les écoles des mines bénéficient ainsi de 12 créations d'emplois et d'une progression de leurs crédits d'investissement de 8,6 % (5 MF).

Au delà des moyens attribués pour mettre en oeuvre le nouveau cadre de gestion de ses personnels, le Groupe des écoles des télécommunications (GET) se voit accorder les moyens d'intégrer des équipes de recherche d'intérêt général du Centre national d'études de télécommunications (26 chercheurs) conduisant ainsi à renforcer en son sein la synergie entre l'enseignement et la recherche, soit 34,5 millions de francs supplémentaires. Cette décision fait suite à un rapport particulier de la Cour des comptes relatif aux comptes et à la gestion du CNET envoyé au président de la commission des finances le 7 octobre dernier et qui observait qu'à la suite des restructurations qui touchaient les activités de recherche publique, une centaine de chercheurs du CNET devaient trouver refuge dans des organismes publics divers (CNRS, GET, CEA).

SUPELEC et l'ENSCI voient leur subvention de fonctionnement progresser de l'ordre de 4 % leur permettant ainsi de renouveler leurs équipements pédagogiques.

Le Secrétariat d'Etat à l'industrie s'est fixé pour objectifs d'adapter le contenu de la formation à l'évolution de l'attente des entreprises, de développer des coopérations entre les écoles et le tissu industriel (développement des incubateurs d'entreprises suite à la loi sur la recherche et l'innovation de juin 1999) et de susciter chez les étudiants le goût d'entreprendre et d'innover. La mise en oeuvre de ces actions s'est notamment traduite par l'élaboration d'une charte de la qualité à laquelle sont appelées à adhérer l'ensemble des écoles.

La nécessité pour la Poste d'améliorer sa comptabilité analytique

La Poste bénéficie dans le projet de budget pour 2000 d'une dotation de 1.900 millions de francs au titre de l'aide au transport de la presse, en hausse de 50 millions de francs par rapport à 1999, conformément au contrat de plan signé entre l'Etat et la Poste pour la période 1998-2001.

A l'instar de notre collègue Gérard Larcher, on peut regretter que la transposition de la directive postale du 15 décembre 1997 n'ait pas fait l'objet d'une véritable loi d'orientation postale qui aurait pu fixer un cadre ambitieux d'évolution du service public, même si la détermination du périmètre du service universel postal telle que fixée par la loi correspond au souhait formulé par le Sénat (envois postaux d'un poids inférieur ou égal à 2kg, colis postaux jusqu'à 20kg, envois recommandés, envois à valeur déclarée).

On observera en effet que l'enjeu n'était pas tant de transposer la directive de 1997 que de préparer La Poste au véritable choc concurrentiel qui aura lieu en 2003 avec l'ouverture plus large des monopoles postaux à la concurrence. Il faut toutefois rappeler que le retard en matière de réglementation postale tient aussi aux lenteurs de l'administration bruxelloise qui n'a toujours pas élaboré de proposition en vue de l'achèvement du marché intérieur des services postaux.

Enfin, votre rapporteur se doit de rappeler la nécessité pour la Poste d'adopter une comptabilité analytique plus rigoureuse, afin de distinguer les charges qui se rapportent aux services financiers de celles qui sont liées au service public postal. Cet effort n'a pas encore été mené à son terme par l'opérateur public, si l'on en croît le rapport de Gérard Larcher, et reste indispensable pour mettre fin à toute polémique sur le subventionnement des services financiers de la Poste par les missions de service public.

La question des ressources du Commissariat à l'énergie atomique

Comme l'année dernière, votre rapporteur appelle l'attention du gouvernement sur les risques que fait courir au patrimoine industriel de CEA-Industrie le calibrage insuffisant des dotations budgétaires accordées à l'établissement public au regard de ses besoins en matière d'assainissement.

En effet, selon la Cour des comptes qui a consacré un chapitre de son dernier rapport aux pratiques des entreprises du secteur nucléaire en matière de couverture des dépenses futures, le CEA devra financer sur les trente ans à venir plus de 40 milliards de francs pour le démantèlement de ses installations et le traitement, l'entreposage et le stockage des déchets qu'il produit. Or, l'établissement n'a pas prévu le financement de ces charges sur son exploitation comme en témoigne l'absence quasi-totale de provisions à son bilan. L'assainissement des installations civiles, qui représente selon les années, entre 400 et 800 millions de francs par an, était entièrement financé, jusqu'en 1993, sur la subvention de l'Etat au CEA.

Or, à la veille de l'expiration de la convention d'assainissement qui prévoit une participation d'EDF et de la Cogéma au financement de ces actions, les partenaires industriels du CEA ont fait part de leur volonté de diminuer leur contribution financière. A défaut de trouver un financement spécifique en accord avec les pouvoirs publics, le CEA se verrait donc obligé de trouver dans ses ressources internes et dans la cession d'actifs industriels du CEA-Industrie le complément de ressources nécessaire pour faire face à ses besoins.

Votre rapporteur s'élève contre une telle pratique qui peut entraîner des conséquences sur la poursuite de programmes menés en commun, ainsi que, plus généralement, sur le rôle de l'Etat dans la filière nucléaire et rappelle que le rapport de la Cour des comptes observe que l'utilisation de ce patrimoine se heurte à des obstacles de nature fiscale et juridique. Si l'utilisation du patrimoine du CEA devait être confirmée, le traitement comptable des charges d'assainissement devrait être modifié afin de faire apparaître des provisions.

Enfin, la situation du CEA pourrait de surcroît être fragilisée par le poids accru des redevances qu'il devra acquitter au titre du contrôle des installations nucléaires de base qu'il exploite. Comme indiqué plus haut, l'article 24 du projet de loi de finances prévoit en effet de refondre totalement le régime de ces redevances, ce qui, selon les estimations de l'opérateur public, pourrait se traduire par un complément de charges compris entre 12,8 et 100 millions de francs.

Une décision qui s'impose : la construction d'une tête de série du réacteur EPR

La phase d'optimisation du projet EPR (European Pressurized Water Reactor) qui avait pour but d'accroître la compétitivité de ce réacteur, est désormais achevée. La phase suivante consiste à construire un prototype afin de valider la construction d'un tel réacteur à plus grande échelle.

Votre rapporteur considère qu'une telle décision ne doit pas être différée, afin, d'une part, de disposer du temps nécessaire pour procéder aux tests et aux études indispensables avant sa généralisation, d'autre part, de maintenir le niveau de nos compétences et de notre expertise en ce domaine, et, enfin, comme le souligne Framatome, de disposer d'une vitrine à l'exportation.

En effet, quels que soient la sensibilité de l'opinion publique, le degré de compétitivité des énergies de substitution, et la durée de vie des centrales actuelles, l'électricité d'origine nucléaire demeure un élément indispensable de notre indépendance énergétique, et, il ne faut pas l'oublier, contribue à la lutte contre l'effet de serre. L'enjeu aujourd'hui n'est pas de relancer le programme nucléaire mais de disposer des compétences suffisantes pour pouvoir en temps utile renouveler notre parc de centrales.

Or, la fiabilité et la sûreté des centrales nucléaires - ainsi évidemment, que la résolution de la question des déchets nucléaires - conditionne plus que jamais l'acceptabilité de cette énergie par les citoyens. A cet égard, l'EPR semble présenter toutes les garanties de sûreté souhaitées ; il permet en outre une très grande souplesse dans l'utilisation de nouveaux combustibles ; il est enfin moins consommateur de combustibles et capable de fournir un kW à un prix très compétitif grâce à une optimisation des systèmes, des composants et des dimensionnements des bâtiments.

Le lancement d'un tête de série pour l'EPR n'est évidemment pas incompatible avec le renforcement de la part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique de la France, ni avec la relance de la politique d'utilisation rationnelle de l'énergie.

L'urgence de la transposition de la directive sur le marché intérieur de l'électricité

Le processus en cours de transposition de la directive sur le marché intérieur de l'électricité appelle les remarques suivantes.

Tout d'abord, le retard pris par le gouvernement dans la transposition de la directive - dont les dispositions auraient du être intégrées dans notre droit national avant le 19 février 1999 - expose EDF à des mesures de rétorsion de la part de ses concurrents excédés de voir l'opérateur public intervenir sur leurs marchés alors que la réciproque n'est pas encore possible ; sans parler d'une mise en demeure de la part de la Commission européenne, qui ne pourrait que ternir l'image de la France déjà bien écornée aux yeux de ses partenaires européens.

Ensuite, on peut regretter que le gouvernement ait retenu une approche a minima de l'ouverture du marché électrique à la concurrence - 26 % de la production d'électricité sera ouverte à la concurrence alors que les deux-tiers du marché européen sont déjà libéralisés - comme le Portugal et la Grèce et à la différence de l'Allemagne, de l'Italie ou de l'Espagne qui sont allés plus loin que ce que la directive requiert.

En adoptant cette vision minimaliste et protectionniste, le gouvernement espère pouvoir mener la paradoxale tâche de se conformer aux obligations européennes en matière de concurrence tout en restant fidèle à la loi de nationalisation du 8 avril 1946 et à son corollaire, le quasi-monopole d'EDF. Ainsi fait-il naître le risque de fragiliser la position de l'opérateur public, menacé par la clause de réciprocité et les nouvelles entraves dont le texte le ligote.

Tout au plus cette excessive prudence permet-elle de prédire, sans risque excessif de se tromper, que le Parlement sera amené à légiférer de nouveau sur le sujet de la libéralisation du marché électrique dans un proche avenir pour répondre à la légitime attente des consommateurs. N'oublions pas en effet, comme le rappelle excellemment notre collègue Henri Revol dans son rapport sur le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, que l'institution d'un marché de l'électricité actif, dans lequel se rencontrent l'offre et la demande, est la condition nécessaire de la baisse du prix de l'électricité et de l'accroissement de la qualité et de la variété de l'offre.

Il est par ailleurs permis de s'interroger sur la motivation qui a poussé le gouvernement à proposer d'étendre le statut national électrique et gazier, dit statut des " IEG ", à tous les nouveaux opérateurs. Il convient en effet de rappeler que le régime de retraite prévu par ce statut est financé par une " cotisation ouvrière " fixée à 7,85 % du salaire hors prime, et par une contribution d'équilibre automatiquement prélevée sur les entreprises électriques et gazières. En 1996, cette contribution représentait 51,47 % de la masse salariale des agents des industries concernées, et pourrait, selon le rapport Revol, atteindre près des trois quarts de la masse salariale en 2010 et près de 100 % de cette dernière en 2020. On comprend dès lors l'utilité d'accroître le nombre d'acteurs qui participent à l'équilibre de ce système. N'aurait-il cependant pas été plus pertinent de réformer le statut des IEG et ses modalités de financement ? Tout report d'une telle réflexion accroît les charges qui pèsent sur les opérateurs du système.

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