II. LA NÉCESSITÉ D'UN ORGANISME D'ÉVALUATION DES RISQUES SANITAIRES DUS À L'ENVIRONNEMENT

Pour porter une appréciation sur l'agence telle qu'elle apparaît dans la proposition de loi, il faut l'examiner au regard de trois critères : la nécessité de sa création, la difficulté d'évaluer les risques sanitaires liés à l'environnement et les conditions d'efficacité de son action.

La nécessité d'une agence de sécurité sanitaire environnementale est incontestable aux yeux de votre rapporteur.

A cet égard, le bilan de la situation de la France, pour ce qui concerne sa capacité à appréhender et à maîtriser les atteintes à la santé liées à l'environnement, est très proche de celui qui avait été dressé par la mission d'information de votre commission en 1997 7( * ) : les réponses administratives ne sont pas à la hauteur des besoins quant aux produits de santé et aux aliments et des attentes de nos concitoyens.

A. UNE ATTENTE FORTE

L'attente est à la mesure des inquiétudes que suscite la dégradation de divers indicateurs concernant l'environnement.

Qui plus est, les atteintes à l'environnement font généralement l'objet d'une forte médiatisation qui conduit l'opinion à mettre en cause les " pouvoirs publics ".

Plusieurs affaires ont défrayé la chronique au cours des dernières années : le nuage de dioxine de Seveso, le nuage radioactif de Tchernobyl, les transformateurs électriques au pyralène, le saturnisme dû aux anciennes conduites d'eau en plomb ou à certaines peintures, la recrudescence des pics de pollution atmosphérique urbaine sous l'effet notamment de la chaleur, l'incidence des ondes radioélectriques de basse fréquence, le danger des particules fines émises par les moteurs diesels, l'incidence des nitrates dans l'eau, le traitement des bâtiments contenant de l'amiante, le débat sur les effluents rejetés par l'usine de La Hague.

Il est frappant de constater que les accusations de négligence donnent souvent lieu, de la part des pouvoirs publics, à des discours qui se veulent rassurants sur la faiblesse de la réalité des risques mais que " des incertitudes scientifiques mettent en porte-à-faux les discours rassurants qui perdent ainsi de leur crédibilité " 8( * ) .

Dans les sociétés modernes, le progrès technique et le développement économique provoquent une augmentation de l'exposition des individus à des risques environnementaux chroniques ou accidentels, en raison de l'accroissement des nuisances et des pollutions diverses, mais aussi de l'apparition, de plus en plus rapide, de substances ou de techniques nouvelles dont les effets se mesurent parfois tardivement sur la santé.

Le rapport de M. Aschieri et Mme Grzegrzulka fait état d'une augmentation en France de 67 % des lymphomes et de 46 % des tumeurs du cerveau depuis dix ans 9( * ) et souligne " qu'une évolution aussi rapide sur une période de temps aussi courte plaide pour l'implication de facteurs environnementaux notamment liés aux substances chimiques, plus que pour la responsabilité de facteurs génétiques " ; de surcroît le vieillissement de la population ne serait pas une explication satisfaisante en raison de l'augmentation constante des cancers de l'enfant.

La pollution atmosphérique est un des phénomènes dont les conséquences sont particulièrement étudiées même si les relations de causalité restent difficiles à établir.

M. Denis Zmirou rappelle qu'avec 40.000 décès par an (soit 7 % de la mortalité totale), les pathologies pulmonaires représentent la quatrième cause de mortalité en France. Le nombre croissant des personnes touchées par l'asthme est troublant, même si cette maladie n'est pas toujours liée à la qualité de l'air respiré.

L'étude ERPURS (évaluation des risques de la pollution urbaine pour la santé) réalisée en Ile-de-France (1987-1992) a montré qu'une augmentation de 50 microgrammes par m 3 des niveaux quotidiens de pollution était associée à un accroissement de 4 à 5 % de la mortalité pour causes respiratoires et de 1 % à 4 % de la mortalité pour causes cardio-vasculaires.

L'étude réalisée par le Haut comité de la santé publique sur la pollution atmosphérique 10( * ) précise que les faits sont encore incertains concernant le risque cancérogène lié à la pollution atmosphérique, plusieurs études montrant néanmoins une augmentation des cancers du poumon et de la vessie constatée chez les travailleurs des chemins de fer, de compagnies d'autobus, chauffeurs routiers et chauffeurs de taxi en contact avec des effluents diesels en milieu professionnel. Par ailleurs, il est souligné que " les habitants des zones urbaines à plus haut niveau de pollution semblent présenter une réduction de la fonction respiratoire ", ce qui pourrait avoir des conséquences très importantes en matière de santé publique.

Enfin, diverses controverses sont apparues sur le rôle de l'aluminium dans le développement de la maladie d'Alzheimer ou sur l'impact des dioxines sur le système immunitaire.

L'opinion ressent parfois confusément l'existence d'un risque sur lequel elle ne détient que peu d'information.

S'agissant des nouvelles substances introduites par l'homme dans son environnement, aucune information claire n'est rassemblée et analysée sur les seuils de doses dangereuses, sur l'impact des temps d'exposition et sur les synergies qui peuvent exister entre les différentes substances ; d'où un sentiment général de défiance à l'égard des autorités qui semblent incapables de hiérarchiser les priorités en matière de protection contre les risques sanitaires environnementaux : toute crise risque alors de conduire à des mesures disproportionnées et peu cohérentes au regard du risque réel. Le traitement de la perception du risque par des mesures spectaculaires risque alors de l'emporter sur le traitement rationnel de ce même risque.

Comme le remarque M. Denis Zmirou 11( * ) : " Il n'est pas évident de comprendre pourquoi l'importance de l'émoi dans la population ne semble pas proportionnelle à l'ampleur des risques. Ce qui fait peur, c'est moins l'ampleur du risque que l'incertitude sur l'existence d'un risque invisible et indétectable par tout un chacun. Dès lors, il ne sert à rien et il est même contreproductif de vouloir tout faire pour rassurer. Si les scientifiques ne peuvent pas se prononcer formellement, il est d'une certaine façon normal que la population s'inquiète. Si les autorités disent que cette incertitude n'est pas fondée et qu'en même temps les incertitudes sont patentes c'est la confiance qui est ébranlée. La rationalité de l'opinion n'est pas de type scientifique mais est-elle irrationnelle pour autant ? "

Il est donc bien devenu indispensable de créer une agence de sécurité sanitaire environnementale qui soit apte, dans un domaine confus, à introduire dans le débat public sur les risques un principe de cohérence et un principe de transparence :

- cohérence en systématisant les règles d'interprétation des résultats scientifiques et en prenant en compte toutes les sources d'exposition et tous les types d'effets potentiels ;

- transparence en débattant et en passant au crible les faits scientifiques avant de les valider.

Sur ce dernier point, votre rapporteur souligne que les mécanismes d'expertise collective, qui ont été mis en place de manière novatrice à l'INSERM comme l'a souligné, lors de son audition, M. Claude Griscelli, directeur général de cet organisme, sont de nature à favoriser cette confrontation entre experts, nécessaire pour articuler une véritable synthèse des positions. Cette démarche est préférable à la technique de la contre-expertise qui n'aboutit qu'à étaler et figer des positions divergentes.

B. UNE RÉPONSE INSTITUTIONNELLE MANQUANT DE COHÉRENCE

Le sentiment de défiance, comme dans le domaine alimentaire, est largement inspiré par le foisonnement, le cloisonnement et la dispersion des organismes chargés aujourd'hui de procéder à l'analyse, l'évaluation et à l'expertise des risques sanitaires environnementaux .

Comme votre rapporteur l'a déjà constaté lors de la mission d'information 12( * ) présidée par M. Charles Descours en matière de sécurité sanitaire des produits de santé, et plus encore des aliments, il est révélateur que certains ministères soient incapables de dresser la liste des organismes intervenant dans l'évaluation ou la gestion des risques sanitaires liés à l'environnement.

En réponse à ses interrogations, le ministère de l'emploi et de la solidarité a mentionné sept organismes nationaux et trois catégories d'organismes déconcentrés.

Le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement s'est borné à lui indiquer que " nombre d'organismes ont un volet de leur activité lié plus ou moins directement aux risques sanitaires environnementaux " et lui a transmis le rapport d'activité du ministère pour 1999 pour que votre rapporteur puisse " se rendre compte " de l'ensemble de son activité !

1. Les organismes intervenant dans l'évaluation des risques

De fait, en matière d'évaluation des risques, le dispositif actuel se caractérise par une multiplicité d'organismes dont plusieurs ont retenu particulièrement notre attention.

- L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Il comprend 415 personnes dont 175 ingénieurs et chercheurs et dispose d'un budget de 260 millions de francs en 1999 . Il est chargé d'évaluer et de prévenir les risques accidentels ou chroniques pour l'homme et l'environnement liés aux installations industrielles, aux substances chimiques et aux exploitations souterraines.

Aux termes du décret n° 90-1089 du 7 décembre 1990, l'Institut a pour mission " de réaliser ou de faire réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, ainsi que sur l'environnement et de fournir toute prestation destinée à faciliter l'adaptation des entreprises à cet objectif ".

Il peut réaliser " soit sur sa propre initiative, soit en exécution de contrats, tous travaux d'étude, de recherche, de consultation, d'essai, de contrôle, de fabrication ou toute prestation d'assistance technique et de coopération internationale concourant à sa mission ".

Dotés de laboratoires d'analyses physico-chimiques et de moyens d'essais parmi les plus importants au plan national, l'INERIS remplit cinq grandes missions :

- en matière de risque chronique : évaluation des risques sanitaires et environnementaux à long terme des substances chimiques ;

- en matière de risques accidentels : prévention et expertise des risques liés aux activités industrielles (explosion, incendie) et aux systèmes de transports (tunnels, ports, matières dangereuses...) ;

- s'agissant des risques du sol et du sous-sol : modélisation et évaluation des risques géotechniques ; surveillance et diagnostic de sites ; étude de la circulation des eaux souterraines (hydrogéologie) de l'environnement ; évaluation des risques liés aux émissions de gaz en milieu confiné et de biogaz ;

- concernant la certification : certification et évaluation des matériels, équipements, systèmes et produits contribuant à la sécurité industrielle ;

- s'agissant de la valorisation et de la formation : diffusion des savoir-faire, publication d'ouvrages, développement de bases de données réglementaires.

Même s'il ne travaille pas uniquement sur les questions relatives à la relation entre santé et environnement, il apparaît que l'INERIS est bien doté aujourd'hui des structures les plus avancées en matière de santé environnementale, hors radiation ionisante.

- L'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) est une association de la loi de 1901 constituée sous l'égide de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Placé sous la direction d'un conseil d'administration paritaire employeurs-salariés, il est chargé de procéder à des études et des recherches et de recueillir des informations sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Créé depuis 1947, l'INRS exerce son activité, aux termes de ses statuts, " suivant les directives de la CNAMTS et sous le contrôle de celle-ci dans le cadre de la politique définie par le ministre des affaires sociales ". L'INRS a pour but de contribuer sur le plan technique par tous les moyens appropriés à l'amélioration de la sécurité et de l'hygiène du travail, ainsi qu'à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Aux termes de ses statuts associatifs, l'INRS se propose notamment de développer l'esprit de sécurité dans le travail, de procéder à des études et des recherches, de recueillir, élaborer et diffuser de la documentation, d'assurer la formation des techniciens de la prévention, d'apporter un concours technique aux caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) et d'assurer une coopération internationale.

L'INRS est géré paritairement mais son financement est assuré en quasi totalité (seulement 3 à 4 % de ressources externes) par les cotisations des entreprises. L'Institut bénéficie en effet d'une subvention d'équilibre attribuée par la commission des accidents du travail de la CNAMTS sur le fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles . Le budget annuel de l'INRS est d'environ 400 millions de francs et il emploie 627 personnes principalement localisées à Issy-les-Moulineaux et à Vandoeuvre-les-Nancy.

L'INRS consacre 40 % de son activité aux études et recherches, 30 % à l'assistance, 30 % à l'information et à la formation.

Il est à noter que dans le cadre de la mission d'assistance, l'INRS a été chargé, depuis 1979, par le ministère du travail d'assurer le contrôle des produits en application des directives européennes. Cette mission, qui occupe 17 personnes, est financée en partie par le Fonds national de prévention susvisé et en partie par les redevances versées par les industriels au moment du dépôt du dossier.

Les contrôles portent le dossier de notification après essais physico-chimiques toxicologiques et écotoxicologiques pour les nouvelles substances, sur l'évaluation et le contrôle des risques des substances existantes, sur la classification et l'étiquetage des produits chimiques et sur le contrôle des préparations.

Votre rapporteur souligne que le fait que l'INRS ne soit pas un établissement public, le caractère spécifique de sa gestion et surtout son mode de financement assis sur les cotisations patronales de sécurité sociale, rendent très difficiles à concevoir un transfert en l'état vers la nouvelle agence.

Au demeurant, les activités de recherche ou de formation pour la prévention des accidents du travail ont une importance particulière pour les salariés et échappent largement à la notion de sécurité sanitaire environnementale.

Ces deux organismes interviennent sur les risques physiques ou chimiques mais ils ne sont pas concernés par les évaluations dans le domaine des rayonnements radioactifs.

En matière de radioactivité, le système de surveillance est morcelé en 19 services, organismes rattachés à 6 ministères concernés par la protection contre les rayonnements (environnement, industrie, défense, travail, recherche, santé).

Concernant les radiations ionisantes, comme le rappelle M. Jean-Yves Le Déaut 13( * ) , le contrôle est assuré par différentes structures en fonction des diverses réglementations applicables.

Les installations civiles les plus importantes (centrales EDF, grands accélérateurs, usines de retraitement) sont soumises à la réglementation des installations nucléaires de base (INB) 14( * ) . La mise en oeuvre appartient soit à la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) qui relève des ministres de l'environnement et de l'industrie, avec l'appui technique de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN).

Les installations intéressant la défense nationale comprennent les installations nucléaires de base secrètes qui dépendent de l'industrie et les installations nucléaires intéressant la défense qui dépendent du ministère de la défense. Ces deux types d'installation sont contrôlées par le Haut commissariat à l'énergie atomique (HCEA) aidé techniquement par l'IPSN.

Concernant le transport de matières radioactives et fissiles, il est également opéré une distinction entre la DSIN ou le HCEA suivant qu'il s'agit de matières civiles ou militaires. Le secrétaire général du Comité interministériel de sécurité nucléaire intervient en coordination en cas de relation avec un pays étranger.

S'agissant des appareils utilisant des rayonnements ionisants (gammagraphie, appareils médicaux), l'autorité compétence est la Direction générale de la santé qui repose largement sur les fonctions de contrôle et d'expertise de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI).

Concernant les radioéléments artificiels de toute nature (" petit nucléaire "), ces sources doivent être en principe répertoriées par la Commission interministérielle des radioéléments artificiels (CIREA).

Deux organismes semblent plus particulièrement importants aux yeux de votre rapporteur :

l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI) qui a été érigé en établissement public administratif de l'Etat par un décret n° 96-604 du 19 juillet 1996. Placé sous l'autorité des ministres de la santé et du travail, l'OPRI exerce les missions d'expertise et de contrôle propres à assurer la protection de la population, des personnes professionnellement exposées et de l'environnement contre les rayonnements ionisants.

Sa mission s'articule autour de quatre grandes orientations :

- participer à l'élaboration des lois et règlements dans le domaine de la radioprotection ;

- conseiller les pouvoirs publics sur les mesures médicales et sanitaires à prendre en cas d'incident ou d'accident et assurer à cet effet, une veille permanente ;

- contribuer à l'information et la formation des personnes exposées ;

- organiser la réflexion sur l'évolution des normes de radioprotection et des techniques de mesure des rayonnements.

L'OPRI exerce donc des compétences dans les domaines :

- de la mise sur le marché des sources radioactives en particulier à usage médical, diagnostique et thérapeutique ;

- de la protection des travailleurs contre les rayonnements ionisants ;

- de la métrologie pour harmoniser les mesures de radioactivité de l'environnement ;

- et de la protection des populations contre les risques radioactifs environnementaux qu'il s'agisse de l'air respiré ou de la qualité des eaux.

Doté d'un budget de 85,5 millions de francs en 1999 dont 48 millions de francs de subventions budgétaires (57 %) et de 29 millions de francs de ressources propres 15( * ) (34 %), l'OPRI emploie 200 agents (187 agents en équivalent temps plein) dont 30 % environ d'ingénieurs et agents de catégorie A.

L'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) est l'instrument d'expertise et d'analyse technique de la DSIN. L'IPSN fait partie intégrante du CEA, tout en jouissant d'une autonomie financière et fonctionnelle reconnue par un arrêté interministériel du 28 mai 1990. Financé à partir d'une enveloppe de 450 millions de francs de redevance perçus par la DSIN auprès des INB, l'IPSN rassemble selon le rapport précité de M. Jean-Yves Le Déaut près de 350 experts en analyse et évaluation de sûreté et plus de 500 chercheurs en sûreté.

Le projet de réforme du système français de radioprotection,
de contrôle et de sécurité nucléaire

Le 6 mars 1998, le Premier ministre a confié à M. Jean-Yves Le Déaut une mission de réflexion et de proposition sur le système de contrôle et d'expertise dans les domaines relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioprotection.

Ce rapport sur le système français de radioprotection de contrôle et de sécurité nucléaire -sous-titré : " la longue marche vers l'indépendance et la transparence "- a été déposé le 7 juillet 1998.

Ce rapport met en avant cinq principes :

- affirmer que le nucléaire, la politique énergétique et l'environnement relèvent de la loi, éventuellement par une révision de l'article 34 de la Constitution ;

- rapprocher la radioprotection et la sûreté, comme en Grande-Bretagne notamment ;

- séparer administrativement l'IPSN du CEA, ce dernier pouvant être considéré comme un organisme exploitant et promoteur du nucléaire ;

- laisser au politique les " grandes options nucléaires " et faire relever les décisions de sûreté d'une autorité indépendante des exploitants et des gouvernements ;

- renforcer la similarité des procédures de sûreté et de radioprotection nucléaire dans le domaine de la défense nationale avec celles du civil, tout en maintenant un système séparé de contrôle.

Ces considérations conduisent le rapporteur à proposer les réformes institutionnelles suivantes :

- création d'une autorité indépendante de radioprotection et de sûreté nucléaire sous la forme d'une autorité administrative indépendante chargée de prendre les arrêtés et décisions " pendant que la loi et le décret conserveraient les grandes options au niveau politique ". Le directeur de cette " autorité civile " aurait un droit de regard dans le secteur de la défense nationale ;

- création d'une agence française de sûreté nucléaire et de radioprotection sous forme d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) destiné à devenir un pôle d'expertise et de recherche. Cet organisme serait constitué par le rapprochement entre l'IPSN et l'OPRI ;

- création au niveau consultatif d'un Conseil supérieur du nucléaire et de la radioprotection qui remplacerait la Commission interministérielle des installations nucléaires de base (CIINB) et la section " radioprotection " du Conseil supérieure d'hygiène publique de France (CSHPF) ;

- extension des attributions du Conseil supérieur de la sécurité et de l'information nucléaire (CSSIN) au domaine de la radioprotection afin de le transformer en " Commission citoyenne de la sécurité et de l'information sur le nucléaire et la radioprotection ".

Le 2 décembre 1998, le Gouvernement a adopté, dans le cadre d'une réunion interministérielle, un relevé de conclusions portant sur le nucléaire et mettant en avant les points suivants :

- contrôle des installations nucléaires par une autorité administrative indépendante, dirigée par un collège de cinq membres 16( * ) , dans le cadre d'un projet de loi à déposer " au premier semestre de 1999 " ;

- renforcement des moyens de la radioprotection par l'affectation à l'OPRI d'une fraction de la redevance perçue sur les INB et l'amélioration du statut des personnels de l'OPRI et le renforcement de ses compétences scientifiques et médicales ;

- transformation de l'IPSN en établissement public qui ne serait plus intégré au CEA ;

- renouvellement du rôle de transparence et de débat public du CSSIN et de ses commissions locales d'information.

Toutefois, il apparaît que le projet de loi " sur l'organisation effective de la transparence et du contrôle dans le domaine nucléaire " qui créait l'autorité indépendante a reçu un avis défavorable du Conseil d'Etat au motif que les arbitrages de sécurité relevaient strictement de la compétence du Gouvernement et ne pouvaient donc être délégués à une autorité indépendante de la même manière que pour les arbitrages de nature économique.

A la suite d'une réunion interministérielle du 28 juin 2000, il a été décidé de préparer un projet de décret créant une nouvelle structure baptisée " Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire " formée par la fusion entre des services d'expertise de l'IPSN et de l'OPRI. Ce nouvel institut qui exercerait " des missions d'expertise et de recherche dans les domaines de la sûreté nucléaire, de la protection de l'homme et de l'environnement contre les rayonnements ionisants, ainsi que du contrôle des matières nucléaires et de la protection contre les actes de malveillance " serait placé sous la tutelle de cinq ministres : défense, énergie, environnement, recherche et santé.

Une autre mesure réglementaire devrait assurer la fusion des services de contrôle à l'OPRI avec ceux que détient la DSIN pour former une Direction générale de la radioprotection et de la sûreté nucléaire.

Enfin, un nouveau projet de loi sur la transparence nucléaire serait présenté en vue d'une promulgation qui ne serait pas prévue avant 2002.

2. Les organismes consultatifs

S'agissant de l'évaluation, il existe également plusieurs organismes d'expertise et d'aide à la décision sous forme de comités ou de conseils au sein de différents ministères : le Comité de prévention et de précaution (CPP) créé par Mme Corinne Lepage en 1996 auprès du ministre de l'environnement ; le Conseil supérieur de l'hygiène publique de France (CSHPF) rattaché au ministre de la santé ; le Conseil supérieur de l'air et le Conseil national du bruit sous la tutelle du ministre de l'environnement ; la Commission interministérielle pour la prévention et la protection contre les risques liés à l'amiante créée auprès du Premier ministre par arrêté du 12 juillet 1996 ; la Commission d'évaluation de l'écotoxicité des substances chimiques relevant du ministre chargé de l'environnement ; la Commission de la toxicovigilance instituée auprès du ministre chargé de la santé.

Le comité de prévention et de précaution (CPP)

Créé par arrêté du 30 juillet 1996, le comité de prévention et de précaution est chargé " d'une fonction de veille et d'alerte sur l'ensemble des questions d'environnement susceptibles d'avoir des incidences sur la santé ". Ce comité assure également une " expertise dans l'évaluation des risques liés à l'environnement sur la santé ".

Il est à noter que son champ de compétence porte sur l'air, l'eau, les sols, les rayonnements, le bruit et les substances chimiques et biologiques. Le CPP est donc bien en charge des questions relatives aux radiations ionisantes et a d'ailleurs mis en place une commission sur cette question à la suite d'une étude sur les cas de leucémie autour de l'usine de La Hague.

De 1996 à 1998, le comité a pris quatre recommandations sur des domaines qui intéressent directement les liens entre santé et environnement : ces recommandations portent sur les particules fines, le radon, les dioxines et les nitrates.

3. Les organismes pouvant jouer un rôle dans la veille sanitaire

Enfin, il faut ajouter les divers organismes qui jouent un rôle en matière de veille environnementale, c'est-à-dire de détection des perturbations environnementales : le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) rattaché à l'industrie, l' Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) placée sous la tutelle des ministres chargés de l'environnement, de la recherche et de l'industrie, l' Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) placé auprès de la recherche, du ministre chargé de la pêche et du ministre des transports, les agences de l'eau , les réseaux de mesure de la qualité de l'air, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Tous ces organismes ont vocation à coordonner leurs travaux sous l'égide de l'IVS.

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

Créé en janvier 1992, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a pour missions principales de développer le recyclage et la valorisation des déchets ménagers et industriels, la maîtrise de l'énergie et la réduction des pollutions atmosphériques en s'appuyant sur trois types de compétences : l'expertise scientifique et technique, l'aide à la décision pour le montage de projets et l'aide financière.

En matière de sécurité sanitaire environnementale, l'ADEME est fortement impliquée dans la conduite d'actions de recherche et de développement.

Parce qu'elle est une agence d'objectifs, l'ADEME ne dispose pas de laboratoires de recherche en son sein mais s'appuie sur le réseau des organismes publics de recherche, des universités et des centres techniques.

S'appuyant sur sa capacité de programmation des crédits du budget civil de recherche et développement (BCRD), l'ADEME pilote le financement de cinq programmes de recherche sur l'analyse du risque sanitaire : maîtrise de la qualité de l'air en liaison avec l'INSERM et le CNRS (programme PRIMEQUAL-PREDIT), risques sanitaires liés aux déchets et à leur mode de gestion, gestion biologique des déchets, risques sanitaires liés aux sites pollués, qualité de l'air et performances énergétiques des bâtiments.

Il est à noter que l' Institut français de l'environnement (IFEN) rattaché au ministre de l'environnement assure également une centralisation de la documentation et de l'information scientifiques et statistiques relatives à l'environnement, qu'il met en forme dans un rapport annuel.

L'Institut français de l'environnement (IFEN)

Doté d'un budget d'environ 50 millions de francs en 2001 et comptant environ 40 emplois budgétaires, l'IFEN est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de l'environnement qui est chargé du développement du système statistique public sur l'environnement.

Créé par un décret n° 91-1177 du 18 novembre 1991, l'IFEN exécute au nom de l'Etat des enquêtes statistiques sur l'environnement et a accès à toutes les informations relatives à l'état de l'environnement collectées par les administrations ou établissements publics de l'Etat. Il public un rapport annuel sur l'état de l'environnement.

L'IFEN assure en outre les fonctions de rapporteur devant la commission des comptes et de l'économie de l'environnement. Il participe aux travaux de l'agence européenne de l'environnement (AEE).

Au total, le constat du rapport au Premier ministre de M. Aschieri et Mme Grzegrzulka n'apparaît que trop pertinent, ce qui n'est pas pour surprendre ! Les auteurs regrettent la dispersion des dispositifs de veille, la multiplicité de structures de conseil concurrentes, l'absence de vision globale des enjeux, les cloisonnements persistants.

Le Haut comité de la santé publique porte également un diagnostic sévère 17( * ) : " Le dispositif actuel d'expertise en France se caractérise par son morcellement et son manque de professionnalisme . Chaque ministère dispose d'un réseau d'experts, souvent formalisés en des comités institutionnalisés. La faiblesse majeure du système réside dans son insuffisante structuration. Carence logistique (inexistence ou modestie des secrétariats permanents administratifs et scientifiques), recours systématique au bénévolat des experts (supposés trouver au sein de leurs institutions l'appui leur permettant d'accomplir leur mission), fréquente duplication des travaux, d'un comité à l'autre (par insuffisance du travail interministériel), non-reconnaissance voire dévalorisation professionnelle de cette activité au sein des organismes de recherche et des universités..., tout concourt à ce que le potentiel scientifique français soit gravement sous-utilisé, laissant le décideur face à des choix qu'il n'aura pas toujours eu le moyen de fonder en toute connaissance de cause. "

Il apparaît donc à nouveau, de même que pour l'étude de la filière alimentaire, que le dispositif français n'est dépourvu ni de moyens ni de compétences reconnues mais qu'il souffre de deux défauts majeurs :

- il est peu lisible : en cas de crise grave ou d'inquiétude légitime, l'opinion, les médias -et parfois même les pouvoirs publics- sont déroutés. Dans une organisation aussi dispersée, aucun organisme ne dispose à lui seul d'une forte crédibilité.

- son rapport coût-efficacité est faible : la taille insuffisante des organismes concernés, le recoupement possible de leurs analyses et travaux d'expertise entraînent à l'évidence une déperdition d'énergie et de moyens.

C. LE CONTRASTE AVEC LES PAYS-BAS

Comme le rappelle le rapport " Aschieri-Grzegrzulka ", chaque pays a mis en place des structures qui reflètent des différences de culture administratives en matière de contrôle des risques sanitaires de l'environnement. Si la Grande-Bretagne laisse coexister une multitude d'organismes, le Japon ne prévoit qu'une seule agence de gestion des crises sanitaires. Les Pays-Bas ont choisi le principe d'une agence unique qui combine les capacités de veille, d'expertise et de prospective en matière d'environnement et de santé.

De fait, le contraste entre la France et les Pays-Bas est particulièrement frappant : ces derniers disposent d'un instrument puissant à travers l'Institut national de la santé publique et de l'environnement , le Rijksinstituut voor volksgezondheid en milieu (RIVM), que votre rapporteur est allé visiter avec le concours de l'Ambassade de France à La Haye qu'il tient à remercier 18( * ) .

Le RIVM rassemble sur un site unique près d'Utrecht près de 30 laboratoires et centres regroupés en quatre divisions.

Doté d'un budget équivalent à un milliard de francs, il regroupe 1.315 agents temps plein, dont 400 relèvent de la division " risque environnement et santé " et 263 de la division " recherche environnementale ".

En effet, le RIVM est issu de la fusion réalisée en 1984 de l'Institut d'Etat néerlandais pour la santé publique -qui avait près d'un siècle d'existence- et de l'Institut pour l'environnement.

Le RIVM joue pour une part le rôle de l'agence française des produits de santé tout en détenant des attributions importantes en matière d'environnement, de détection et de suivi de la situation.

Doté d'une fonction de conseil et d'expertise, le RIVM formule librement des recommandations aux ministres qui disposent d'un pouvoir d'appréciation souverain pour prendre les mesures d'interdiction ou de protection nécessaires.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page