N° 482

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 29 juin 2000

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE, relatif à l' archéologie préventive ,

Par M. Jacques LEGENDRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-François Picheral, Guy Poirieux,  Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ.) : Première lecture : 1575, 2167 et T.A. 453 .

Deuxième lecture : 2303 , 2393 et T.A. 513 .

Sénat : Première lecture : 239, 276 et T.A. 110 (1999-2000).

Deuxième lecture : 357 (1999-2000).


Patrimoine.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale a examiné le 23 mai dernier en deuxième lecture le projet de loi relatif à l'archéologie préventive que le Sénat avait adopté le 28 mars en première lecture.

Avant de présenter les modifications introduites par l'Assemblée nationale, votre rapporteur rappellera les préoccupations qui avaient guidé le Sénat lors de la première lecture.

Le projet de loi présenté par le gouvernement, dont l'Assemblée nationale n'avait pas modifié la logique en première lecture, poursuivait deux objectifs :

- créer un monopole d'exécution des fouilles d'archéologie préventive, confié à un nouvel établissement public administratif issu de la transformation de l'association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) ;

- instaurer un nouveau mécanisme de financement des opérations de fouilles fondé sur une redevance perçue par le nouvel établissement public sur les aménageurs.

Le Sénat n'avait pas contesté la nécessité de clarifier les règles juridiques applicables aux opérations d'archéologie préventive, nécessité soulignée au demeurant tant par les aménageurs que par les archéologues.

Il convenait en effet, de mettre fin à la fiction juridique selon laquelle ces fouilles se déroulent dans le cadre du titre II de la loi du 27 septembre 1941 qui autorise l'Etat à exécuter des fouilles sur des terrains qui ne lui appartiennent pas alors même qu'il ne les réalise pas plus qu'il ne les finance.

Une réforme de la loi de 1941 s'imposait à l'évidence.

Le Sénat a souhaité que cette réforme soit l'occasion de parvenir à un équilibre satisfaisant entre deux objectifs également légitimes mais qui sur le terrain, apparaissent encore trop souvent contradictoires : les impératifs de la protection du patrimoine et de la science historique, d'une part, et les contraintes pesant sur la réalisation d'équipements nécessaires au développement économique, d'autre part.

Cet équilibre ne semblait pas aller de soi dans le projet transmis par l'Assemblée nationale.

•  La première préoccupation du Sénat a consisté à établir une distinction très claire entre l'autorité qui prescrit les fouilles et celui qui les réalise . La confusion entretenue sur ce point par le projet de loi créait, en effet, entre les services de l'Etat et l'établissement, dont l'équilibre financier dépend du nombre des opérations archéologiques prescrites, une consanguinité aux conséquences fâcheuses.

Ainsi, constatant que le texte s'en tenait à un rappel très général des compétences de l'Etat en ce domaine, dont l'articulation avec la loi de 1941 n'apparaissait pas clairement, le Sénat avait souhaité réaffirmer à l'article premier les prérogatives de l'Etat et préciser à l'article 1 er bis les conditions dans lesquelles sont prescrites les opérations archéologiques.

A cette occasion, le Sénat avait tenté de corriger le déséquilibre, déjà constaté aujourd'hui, entre des services de l'Etat faiblement dotés et un opérateur de fouilles disposant de fortes capacités d'expertise. A ce titre, il avait renforcé les garanties scientifiques dont doivent être entourées les prescriptions de l'Etat, en introduisant dans la loi une procédure consultative calquée sur celle qui prévaut depuis 1994.

Par ailleurs, pour répondre au souhait des aménageurs d'anticiper le coût et donc la durée des fouilles, le Sénat avait prévu que celle-ci serait fixé par l'Etat dès la prescription des opérations archéologiques.

•  Le Sénat, également soucieux de garantir l'efficacité économique mais aussi scientifique de l'organisation de l'archéologie préventive, avait considéré que le monopole concédé à l'établissement public posait plus de problèmes qu'il n'en résolvait . Il est apparu que les incertitudes pesant sur le produit de la redevance comme les rigidités induites par le statut de l'établissement risquaient de se traduire par des dysfonctionnements préjudiciables au bon déroulement des opérations d'aménagement.

En effet, en période de forte activité, l'établissement devra, en raison des droits exclusifs qui lui sont reconnus, faire face à une demande accrue des aménageurs, ce qui imposera éventuellement des ajustements en terme d'effectifs. Or, la nature des ressources de l'établissement pourrait entraîner des décalages de trésorerie qui rendront délicats ces ajustements et se traduiront par des délais supplémentaires imposés aux aménageurs. Ces derniers ne disposeraient plus alors de la possibilité de se tourner vers d'autres opérateurs pour exécuter les prescriptions archéologiques que leur impose l'Etat. Il en résulterait alors des phénomènes de " file d'attente " fort préjudiciables.

En période de ralentissement économique, l'établissement public devra faire face à des ruptures de charge qui engendreront une diminution de ses ressources alors même que ses coûts fixes demeureront inchangés. La tentation serait alors grande d'alourdir les prescriptions archéologiques dans le souci d'assurer l'équilibre financier de l'établissement.

Au-delà, le monopole n'est pas apparu comme le meilleur moyen de promouvoir l'émergence d'une véritable recherche archéologique. Outre l'absence de distinction claire entre l'autorité qui prescrit les fouilles et l'opérateur de terrain, les incertitudes pesant sur la possibilité de faire intervenir sur les chantiers de fouilles des archéologues extérieurs à l'établissement suscitent de légitimes inquiétudes sur la pérennité de la diversité des approches scientifiques, pourtant indispensable pour garantir la qualité des opérations préventives.

Pour ces raisons, le Sénat était donc revenu sur le principe du monopole sans pour autant remettre en cause le principe de création d'un établissement public chargé d'exécuter les fouilles, considérant que la structure associative actuelle était manifestement devenue insuffisante. Cependant, afin d'accorder à cet établissement la souplesse de gestion indispensable à l'accomplissement de sa mission, il lui avait conféré un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial.

Le refus du monopole apparaissait comme une condition nécessaire pour permettre le développement des services archéologiques des collectivités territoriales auxquels l'Assemblée nationale avait accordé un rôle subsidiaire, méconnaissant leur importance pour assurer au plus près du territoire l'exploitation des découvertes mais aussi pour assumer un rôle de conseil auprès des collectivités territoriales.

•  Sans s'opposer au mécanisme de financement proposé par le projet de loi, qui présentait l'avantage de mettre un terme aux débats sur la charge du coût de l'archéologie, le Sénat avait toutefois modifié le mécanisme de la redevance afin de satisfaire deux objectifs .

En premier lieu, afin de tirer les conséquences de la suppression du monopole, le mécanisme de réduction de la redevance avait été étendu et son plafonnement supprimé afin que les aménageurs ne supportent pas deux fois le coût des opérations de fouilles lorsque l'établissement public ne procède pas à leur réalisation.

Par ailleurs, le Sénat avait souhaité corriger un effet pervers du barème de la redevance d'archéologie préventive. En effet, établi sur des valeurs moyennes, le taux retenu pour les sites non stratifiés n'apparaissait guère dissuasif pour un aménageur doté de fortes capacités contributives projetant une opération située sur des terrains exceptionnellement riches en vestiges. Afin d'éviter que l'établissement ne soit alors contraint d'exécuter à ses frais des fouilles coûteuses sur un terrain qui aurait mérité de ne pas être détruit, le Sénat avait prévu dans un souci bien compris de protection du patrimoine un taux majoré lorsque la complexité des vestiges l'imposait.

Force est de constater qu'en deuxième lecture, l'Assemblée nationale n'a guère pris en considération les observations formulées par le Sénat sur le dispositif proposé par le projet de loi.

I. LA POSITION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE : LE RETOUR AU DISPOSITIF ADOPTÉ EN PREMIÈRE LECTURE

En deuxième lecture, si elle a pris en considération certaines des observations qui avaient justifié les modifications introduites par le Sénat, l'Assemblée nationale est revenue pour l'essentiel au texte qu'elle avait adopté en première lecture.

Toutefois, elle a modifié assez sensiblement les dispositions de l'article 4 du projet de loi relatives au calcul de la redevance et a introduit trois nouveaux articles destinés à combler les lacunes de la loi de 1941 en matière de propriété des découvertes archéologiques.

A. LE RETOUR AU TEXTE DE PREMIÈRE LECTURE

S'agissant du cadre législatif dans lequel s'exercent les compétences dévolues à l'Etat pour assurer la protection du patrimoine archéologique qui figurait aux articles 1er (définition de l'archéologie préventive), 1er bis (rôle de l'Etat) et 1er ter (carte archéologique nationale), l'Assemblée nationale a rétabli pour l'essentiel son texte de première lecture.

L'Assemblée nationale a notamment supprimé le dispositif adopté par le Sénat à l'article 1er bis qui précisait les modalités selon lesquelles l'autorité administrative prescrit des fouilles préventives.

Toutefois, on relèvera que l'Assemblée nationale a apporté à son texte de première lecture des modifications destinées à tenir compte des préoccupations exprimées par le Sénat.

Ainsi, partageant la volonté du Sénat d'assurer une distinction plus claire entre l'Etat et l'opérateur de fouilles, elle a substitué au pouvoir de proposition accordé en première lecture à l'établissement pour la désignation du responsable de fouilles, un simple pouvoir d'avis.

Tout en supprimant les articles 1er ter A et 1 ter B qui inscrivaient dans la loi le CNRA et les CIRA au motif que de telles dispositions ne ressortiraient pas du domaine législatif, l'Assemblée nationale a prévu à l'article 1 er bis , la possibilité pour l'Etat de consulter des organes scientifiques pour l'exercice de ses missions, disposition dont le caractère législatif peut également prêter à interrogation et qui présente l'inconvénient de prévoir une saisine facultative là où le Sénat avait prévu une consultation obligatoire.

Par ailleurs, si elle est revenue sur la rédaction de l'article 1er bis adoptée par le Sénat, qui prévoyait que l'autorité administrative fixe les délais de réalisation des opérations de terrain, l'Assemblée nationale a adopté un article 2 bis nouveau destiné à limiter les aléas qui font peser sur les aménageurs les opérations archéologiques. Cet article prévoit la conclusion d'une convention entre l'aménageur et l'établissement public afin de fixer les modalités de déroulement des opérations de terrain, et en particulier leurs délais de réalisation et les conséquences de leur éventuel dépassement.

En ce qui concerne la réalisation des opérations archéologiques préventives, l'Assemblée nationale est revenue au dispositif adopté en première lecture, qui ne différait guère de celui proposé par le gouvernement.

Elle a ainsi rétabli à l'article 2 le principe de création d'un établissement public administratif doté de droits exclusifs.

Par ailleurs, elle a supprimé l'article 1 er quater introduit par le Sénat qui définissait les principes d'organisation et les critères de compétences des services archéologiques des collectivités territoriales.

B. LES DISPOSITIONS NOUVELLES

La modification des modalités de calcul de la redevance

L'Assemblée nationale, sur proposition du gouvernement, a modifié à nouveau les règles relatives à l'assiette, au taux et aux mécanismes de réduction et d'exonération de la redevance prévues par l'article 4 du projet de loi.

D'après les explications fournies par le gouvernement, le nouveau dispositif devrait permettre de dégager un produit équivalent à celui qui résultait du texte adopté en première lecture mais selon une répartition différente de la charge fiscale entre opérations de diagnostics et opérations de fouilles.

Le gouvernement a précisé que ce barème présentait l'avantage d'être " plus équitable et plus proche de la réalité du coût des opérations de terrain ". De tels propos n'ont pu que susciter la perplexité de votre rapporteur dans la mesure où ces motifs avaient également, on le rappellera, justifié le dispositif proposé par le gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale.

L'assiette de la redevance a été étendue à toutes les opérations d'affouillements, que le projet de loi soumet à déclaration administrative préalable.

Les taux retenus par l'Assemblée nationale visent à :

- réduire le montant de la redevance " diagnostics " de 2,58 francs/m2 à 2 francs/m2 ;

- augmenter celui de la redevance " fouilles " en intégrant le coût de décapage des terres qui ne contiennent pas de vestiges (terres " stériles ") ;

- et tenir compte de la présence de structures archéologiques complexes dans le cas de sites non stratifiés.

En ce qui concerne les mécanismes d'exonération et de plafonnement , les modifications adoptées par l'Assemblée nationale ont principalement pour objet :

- de tirer les conséquences du rétablissement du monopole en supprimant le mécanisme d'exonération prévu par le Sénat dans le cas où les opérations archéologiques ne seraient pas exécutées par l'établissement public ;

- de restreindre le champ de la réduction à laquelle ouvrent droit les travaux pris en charge par l'aménageur lui-même aux seules opérations de déblaiement des terres stériles, ce qui alourdira la charge de travail de l'établissement, les aménageurs n'étant plus incités à fournir eux-mêmes des prestations concourant à la réalisation des fouilles ;

- et de limiter la portée du plafonnement dont bénéficient les constructions affectées à l'habitation.

Vers un nouveau régime de propriété pour les vestiges archéologiques ?

L'Assemblée nationale a adopté trois nouveaux articles relatifs au régime de propriété des découvertes archéologiques.

En ce qui concerne les objets mobiliers, les règles posées par la loi de 1941 si elles demeurent applicables aux découvertes archéologiques programmées ou fortuites se sont révélées mal adaptées à la nature des vestiges exhumés à l'occasion d'opérations préventives. Dans la pratique, la loi de 1941 n'est pas appliquée. En effet, les objets, qui pour la plupart n'ont pas ou peu de valeur marchande, n'excitent guère la convoitise des aménageurs, essentiellement soucieux de mener à bien leurs projets et, une fois les fouilles achevées, sont en général conservés dans des dépôts publics dans des conditions souvent précaires.

Afin de mettre fin à cette situation peu satisfaisante, le Sénat avait adopté à l'article 2 une disposition prévoyant que le mobilier archéologique découvert à l'occasion des fouilles préventives appartient à l'Etat.

L'Assemblée nationale a substitué à cette disposition deux nouveaux articles 2 ter et 5 bis visant respectivement les fouilles préventives et les fouilles programmées. La solution retenue maintient le principe du partage entre l'inventeur et le propriétaire du terrain prévu à l'article 11 de la loi de 1941 conformément aux règles de l'article 716 du code civil, tout en ménageant la possibilité, pour une durée qui ne peut excéder cinq ans, de les confier à l'Etat afin de procéder à leur étude scientifique.

Au-delà du débat ouvert par le Sénat sur le statut des objets mobiliers découverts à l'occasion des fouilles préventives, l'Assemblée nationale a également souhaité modifier les règles de propriété applicables aux découvertes immobilières avec le souci de prévenir des imbroglios juridiques comparables à celui auquel avait donné lieu la découverte de la grotte dite Chauvet.

La loi de 1941 ne comportait aucune précision sur le régime de propriété applicable aux découvertes immobilières. En l'absence de dispositions spécifiques, s'appliquaient les règles de l'article 552 du code civil attribuant au propriétaire du fonds la propriété du " dessus et du dessous ". Toutefois l'Etat disposait de la possibilité de classer le vestige ou d'exproprier le terrain sur lequel il se trouvait.

L'article 5 ter introduit par l'Assemblée nationale insère dans le titre IV de la loi de 1941 un article 18-1 qui tend à régler la question de la propriété des vestiges mais également à préciser les droits de l'inventeur dans le cas où un vestige fait l'objet d'une exploitation commerciale.

L'économie de ce dispositif est la suivante.

Le premier alinéa de l'article 18-1 soustrait les vestiges archéologiques immobiliers du champ d'application de l'article 552 du code civil. Compte tenu des précisions apportées par le gouvernement, il semble qu'il faut considérer que s'appliqueront désormais les dispositions de l'article 539 du code civil relatives aux biens vacants. Dans ce cadre, l'ensemble des vestiges immobiliers seraient, sauf preuve contraire, considérés comme propriété de l'Etat qui bénéficierait sur les propriétés privées voisines d'un droit d'accès prévu par le deuxième alinéa de l'article 18-1.

En outre, l'article 18-1 prévoit dans le cas des découvertes fortuites faisant l'objet d'exploitation commerciale, que la personne qui assure cette exploitation verse à l'inventeur une rémunération calculée en fonction de l'intérêt archéologique du vestige.

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