M. Maurice BLIN

III. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

A. UNE MISE EN oeUVRE IMPARFAITE DE LA LOLF

La structuration en programmes de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur » constituait un enjeu de pouvoirs pour les ministères concernés et un sujet d'interrogation pour les organismes sous leur tutelle.

Sommairement, le « pré-carré » de chacun a été préservé, le ministère de l'industrie, notamment, « gardant la main » pour ce qui concerne l'énergie et la recherche industrielle.

1. Des sujets d'interrogation

On peut s'interroger, cependant, sur plusieurs points.

- Tout d'abord, comme ne le laisse pas supposer son intitulé, le programme « orientation et pilotage de la recherche » contient des actions (formation à et par la recherche, diffusion de la culture scientifique et technique) qui en font tout autant un programme de sensibilisation à la recherche que de gouvernance de celle-ci.

L'importance de la question de l'emploi des post-doctorants aurait pu justifier qu'une action lui soit consacrée. En tout cas, on peut considérer que les intéressés, déjà diplômés, ne relèvent plus d'une formation « à et par la recherche », contrairement à ce qui a été affiché.

Par ailleurs, les crédits de rémunération des personnels de l'administration (inscrits à la section Enseignement scolaire du budget du grand ministère dirigé par M. François Fillon) ont été exclus « du fait de contraintes techniques 10 ( * ) » du nouveau chapitre 59-01 précité qui est censé regrouper, à titre d'expérimentation de la LOLF, tous les moyens du programme « orientation et pilotage » présentement évoqué.

Cette exception paraît hautement regrettable.

- L'INRA et le CEMAGREF ont déploré, pour leur part, de dépendre du programme « enseignement supérieur et recherches agricoles », placé, en principe, sous l'autorité du ministre chargé de l'agriculture, en même temps que de celui du ministère de la recherche concernant la gestion des milieux et des ressources (et leur biodiversité). « Cette difficulté, bien identifiée par les tutelles, devrait faire l'objet - est-il annoncé à votre rapporteur spécial - d'un traitement ultérieur ».

- Le partage de certaines compétences ne semble pas toujours avoir été, a priori, clairement effectué.

Le programme « formations supérieures et recherche universitaire » comporte ainsi une action « diffusion des savoirs », tandis que le programme « recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » consacre, de son côté, l'une de ses actions à l'« information scientifique et technique », comme le fait le programme « recherche culturelle et culture scientifique », pour les « opérateurs de la culture scientifique et technique ».

Concrètement, de qui dépendront, par exemple, la Cité des sciences ou le Palais de la découverte ? De l'enseignement supérieur, de la recherche ou de la culture ?

- Une certaine perplexité peut également être suscitée par certaines distinctions qui ont été faites à propos du nucléaire (la prévention des risques et la sécurité ne dépendent pas du même programme) ou du spatial (auquel sont dédiés à la fois un programme à part entière et une fraction d'une action concernant la recherche duale dans le domaine aérospatial).

2. Des retards regrettables

- Le lien entre la LOLF et la réforme du cadre budgétaire et comptable des EPST est essentiel , notamment pour l'élaboration des PAP (projets annuels de performance des programmes).

Les importantes modifications en cours 11 ( * ) des systèmes d'information et de gestion de ces établissements sont, à tous points de vue, éminemment nécessaires.

Or, selon les réponses du ministère de la recherche aux questions de votre rapporteur, « il apparaît que, dans tous les cas de figure, la totalité de ces adaptations ne pourra pas être achevée dans le délai nécessaire » (ce qui signifie que les dispositions prévues par un décret de février 2002 12 ( * ) ne seront appliquées qu'en ce qui concerne les budgets de 2006, et non pas, comme prévu, ceux de 2005).

- Sur d'autres points, des retards regrettables de préparation de la mise en oeuvre de la LOLF peuvent aussi être constatés.

Ainsi, est-il annoncé qu'« il va falloir concevoir, développer et faire fonctionner tout un dispositif d'information pour produire les données nécessaires à l'information du Parlement et des conseils d'administration ». Où en est-on ? Apparemment, seulement au stade des réflexions préalables.

On annonce, à ce sujet, la « mise en chantier » prochaine d'un schéma directeur d'évolution du système d'information actuel du ministère qui suppose la mise au point d'un référentiel d'information et de gestion des activités de recherche, partagé avec les établissements.

Les décisions relatives aux modalités de gestion du programme 6 (orientation et pilotage de la recherche) « ne sont - paraît-il - pas arrêtées à ce jour », bien que ses crédits aient été regroupés, comme on l'a vu, sur un seul chapitre.

Le périmètre des BOP (budgets opérationnels de programme) correspondants n'est pas non plus encore tracé, leur nombre ne devrait pas dépasser deux ou trois, et leur dotation devrait être significative.

B. LE LIEN ENTRE MOYENS BUDGÉTAIRES ET RÉFORME

M. Claude Allègre, du temps où il avait la charge de ce secteur, avait déclaré vouloir faire d'une réforme des structures de la recherche un préalable à une augmentation significative de ses moyens.

Notre ancien collègue, René Trégouët, alors rapporteur spécial des crédits concernés, lui avait rétorqué qu'une telle augmentation pouvait constituer le moyen d'enclencher une dynamique de changement.

C'est en quelque sorte la voie choisie aujourd'hui par le gouvernement.

La majoration, constatée, pour 2005, des crédits de la recherche, précède, en effet, la discussion par le Parlement de la loi d'orientation et de programmation annoncée par le Président de la République.

Cette progression peut cependant apparaître aussi comme un rattrapage, en même temps que le moyen de sortir d'une crise provoquée (cf. supra ) par les effets, décalés et exagérément rigoureux, des mesures prises en 2002 pour contraindre les organismes à mobiliser leurs réserves.

En tout état de cause, seule une réforme profonde, mais dont la réussite suppose une certaine progressivité, de la recherche à la française, peut garantir l'efficacité d'une augmentation de ses moyens.

Il ne s'agit pas, cependant, d'accroître purement et simplement les dépenses publiques de recherche, dont le niveau, en France, est déjà en proportion du PIB, l'un des plus élevés du monde, mais d'améliorer leur effet d'entraînement sur l'effort des entreprises qui demeure, lui, très insuffisant.

Le gouvernement l'a compris et utilise, en même temps que l'outil budgétaire, d'autres formes d'incitation, fiscales en particulier, aux partenariats public-privé et au développement de la recherche des entreprises (cf. le crédit d'impôt recherche et les mesures relatives aux fondations, aux jeunes entreprises innovantes, aux pôles de compétitivité...).

C. LES MAUX DE LA RECHERCHE FRANÇAISE ET LEURS REMÈDES

1. Très schématiquement, la recherche « à la française » se caractérise par :

- une moindre implication des entreprises ;

- corrélativement, un financement public plus important (sauf en ce qui concerne les dépenses de recherche civile de l'Allemagne) ;

- la spécificité du CNRS ;

- l'« écrémage » des élites par les grandes écoles ;

- un rôle moins éminent des universités ;

- la « fonctionnarisation » des chercheurs.

2. Les principaux inconvénients de notre système résident dans :

- le foisonnement de ses structures ;

- leur cloisonnement (entre public et privé, entre organismes publics, entre organismes publics et universités) ;

- les pesanteurs bureaucratiques de leur fonctionnement ;

- des insuffisances d'évaluation, qu'il s'agisse des recrutements (surtout pour les universités), des carrières, des équipes, des organismes ou de l'ensemble de la recherche ;

- le manque de mobilité des personnels ;

- l'insuffisance des débouchés offerts, notamment par l'industrie à nos jeunes chercheurs ;

- les rigidités (manque de souplesse et de réactivité) qui découlent du statut de chercheur à vie, ainsi que des cloisonnements et du manque de mobilité précités ;

- une insuffisante valorisation des travaux de nos chercheurs (en terme de dépôts de brevets et de créations d'entreprises).

3. Les pistes de réforme

La prudence impose de procéder de façon progressive et par expérimentation, comme cela a été tenté avec un essai de substitution d'un nouveau contrôle a posteriori au contrôle antérieur a priori des activités de certains EPST.

Quelques universités prestigieuses pourraient aussi de voir doter d'un statut expérimental particulier (leur donnant plus d'autonomie, notamment en matière de recrutement, etc...).

En revanche, d'autres réformes nécessitent encore une réflexion préalable (qui ne devrait cependant pas se prolonger à l'excès) comme :

- la mise en place d'un statut unique enseignement chercheur ;

- une nouvelle politique de l'emploi scientifique (rééquilibrage des effectifs entre titulaires et contractuels, évaluation plus équitable des individus et des équipes, gestion prévisionnelle et redéploiements au profit des disciplines prioritaires, mobilité accrue, accroissement des débouchés offerts aux jeunes docteurs dans le secteur privé...) ;

- des restructurations (par exemple dans le domaine de la recherche biomédicale), entraînant des fusions et des élagages (« si l'on a créé une nouvelle structure - s'interroge l'INSERM dans un document qui présente sa stratégie pour les prochaines années - qu'a-t-on fait disparaître ? ») ;

- une évolution vers :

* une plus grande liberté laissée à la recherche en contrepartie d'un niveau d'exigence de résultats plus élevée ;

* une augmentation des financements sur projets et sur contrats au détriment du subventionnement du fonctionnement des organismes appelés à alléger leurs structures et à se transformer, en tout ou partie, en agences de moyens.

* 10 Selon les termes de la réponse à la question idoine de votre rapporteur spécial.

* 11 Elaboration d'un budget matriciel avec une entrée par destination et l'autre par nature de dépenses, consolidation des moyens apportés par plusieurs tutelles.

* 12 Décret en Conseil d'Etat n° 2002-251 du 22 février 2002 portant modification des dispositions relatives à l'organisation et au fonctionnement des EPST.