M. Michel Mercier

V. UNE MISSION ATYPIQUE

A. UNE MISSION PEU PROPICE À LA MISE EN PLACE D'OBJECTIFS ET D'INDICATEURS

1. L'Etat n'a aucun pouvoir de décision pour 80 % des crédits de la présente mission

La principale caractéristique de la présente mission est que l'Etat n'a aucun pouvoir de décision pour 80 % des crédits , comme l'indique le graphique ci-après.

Le pouvoir de décision de l'Etat

(crédits de paiement demandés pour 2006,
en millions d'euros)

Sources: présent projet de loi de finances, commission des finances

Comme votre rapporteur spécial le soulignait il y a un an, l'Etat n'a un pouvoir de décision que dans le cas :

- de l'action 01 « Soutien aux projets des communes et groupements de communes » du programme 119, c'est-à-dire de la DGE des communes et de la DDR, le préfet décidant de l'attribution des subventions (530 millions d'euros) ;

- les deux premières actions du programme 122 « Concours spécifiques et administration », intitulées « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales » et « Administration des relations avec les collectivités territoriales » (17 millions d'euros au total, hors abondement à titre non reconductible traditionnellement réalisé chaque année, de l'ordre de 130 millions d'euros).

Dans tous les autres cas, l'Etat n'a aucun pouvoir de décision, la répartition des dotations entre collectivités territoriales découlant mécaniquement de l'application de la loi.

2. Le nombre d'indicateurs est inversement proportionnel au montant des différents programmes

Il découle de cette situation paradoxale que le nombre d'indicateurs est inversement proportionnel au montant des différents programmes , comme l'indique le graphique ci-après.

Des programmes qui ont d'autant moins d'indicateurs qu'ils sont d'un montant élevé

Source : présent projet de loi de finances

Ainsi, le programme 121 « Concours financiers aux régions », qui correspond aux crédits les plus élevés (1.431 millions d'euros) ne se voit associer aucun indicateur. Inversement, le programme 122 « Concours spécifiques et administration », s'élevant à seulement 199 millions d'euros, doit être évalué par 7 indicateurs.

Il ne s'agit pas d'une mauvaise conception des indicateurs - qui, comme on le verra ci-après, sont dans l'ensemble satisfaisants -, mais de la conséquence du fait qu'il est impossible d'associer un indicateur à l'attribution d'une dotation pour laquelle l'Etat ne dispose d'aucun pouvoir de décision.

3. Seulement quatre indicateurs pour les trois premiers programmes

Ainsi, on observe que les trois premiers programmes (programmes 119, 120 et 121) comportent au total seulement quatre indicateurs, alors qu'ils correspondent à la quasi-totalité des crédits de la présente mission.

a) Les dotations compensant des transferts de charges ne font, par nature, l'objet d'aucun objectif ni indicateur

Les dotations ayant vocation à compenser des transferts de charges (DGD, DDEC et DRES), au sujet desquelles l'Etat a compétence liée, ne font l'objet d'aucun objectif et indicateur. Il en résulte que le programme 121, relatif aux régions, qui ne comprend que de telles dotations (la DRES et la DGD), n'a ni objectif et indicateur.

b) Les dotations d'équipement ne compensant aucun transfert de charge se voient attribuer des objectifs et indicateurs, ce qui semble inapproprié dans le cas de la DGE des départements

Parmi les trois premiers programmes, seules les dotations d'équipement ne correspondant pas à la compensation d'un transfert de charges se voient associer des objectifs et des indicateurs. Les dotations concernées sont la DDR - attribuée aux EPCI - et la DGE - attribuée aux communes et aux départements. Cela vient du fait qu'il s'agit de dotations au sujet desquelles l'Etat dispose d'une certaine faculté d'appréciation dans la décision d'attribution. Ainsi, c'est le préfet qui prend la décision d'attribuer les subventions dans le cas de la DGE des communes, dans les catégories et limites fixées par une commission départementale, et de la DDR, après l'avis d'une commission d'élus.

(1) La mesure de l' « effet de levier »

Dans son rapport d'information « LOLF : culte des indicateurs ou culture de la performance ? » (2 mars 2005) 4 ( * ) , le président de votre commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, estime que « s'agissant (...) du programme « Concours financiers aux communes et aux groupements de communes » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », il serait souhaitable d'avoir une idée plus précise de l'effet de levier réel des dotations - c'est-à-dire de connaître les projets d'investissements qui n 'ont pu être réalisés que grâce aux subventions - que ne le propose l'unique indicateur (« Evolution du volume des investissements des collectivités territoriales réalisés grâce à la DGE ou à la DDR associées à ce programme »). A défaut, il pourrait être utilement envisagé de cibler l'indicateur sur des thèmes jugés prioritaires ».

Ces observations ont été prises en compte.

Ainsi, chacune des dotations dotées d'indicateurs doit voir son efficacité évaluée en fonction, notamment, de son « effet de levier ». L'indicateur utilisé à cette fin est le supplément de croissance des investissements réalisés grâce à la dotation concernée par rapport à ceux de l'ensemble des administrations publiques. Ainsi, l'objectif est que la croissance de ces investissements réalisée grâce à chacune de ces dotations d'équipement (DGE, DDR, DDEC) soit, en 2006 et en 2007, respectivement supérieure de 0,2 point et égale à celle des administrations publiques.

(2) L'existence d'un indicateur relatif à la DGE des départements ne semble pas justifiée

Comme il y a un an, votre rapporteur spécial considère qu'il n'est pas pertinent d'associer un indicateur à la DGE des départements.

En effet, l'évolution de cet indicateur ne dépend pas de l'action du responsable du programme. Depuis la réforme réalisée par l'article 38 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances initiale pour 2006, la DGE des départements comporte une fraction principale (attribuée par taux de concours, au prorata des investissements réalisés en matière d'aménagement foncier et de subventions versées par les départements pour des travaux d'équipement rural) et deux majorations, la première au titre des dépenses d'aménagement foncier du département, la seconde en faveur des départements défavorisés.

Comme le gouvernement le reconnaît dans une réponse au questionnaire budgétaire pour 2007 adressé par votre rapporteur spécial, « en raison de son mode d'attribution par taux de concours, au prorata des dépenses réelles d'investissement, la DGE des départements laisse effectivement peu de marges de manoeuvre au Gouvernement, à l'exception de la détermination du taux de concours ». Autrement dit, le gouvernement n'a en réalité aucune marge de manoeuvre , cette détermination étant « effectuée en début d'année, en divisant le montant des crédits affectés à la fraction principale par le montant estimé des dépenses d'aménagement foncier et des subventions versées au titre des travaux d'équipement rural ».

Le gouvernement justifie cet indicateur par le fait que celui-ci constitue une information utile, au même titre que ceux de l'annexe relative aux prélèvements sur les recettes de l'Etat. Ainsi, il considère que « si les marges de manoeuvre du Gouvernement sur cet indicateur ne sont pas totalement libres, son suivi constitue un élément d'éclairage pour le Parlement, qu'il n'est pas envisagé de supprimer ».

Votre rapporteur spécial n'est pas convaincu par cette réponse. Si cet indicateur est en effet utile, et peut à ce titre être maintenu dans le PAP, c'est au seul niveau de la présentation du programme. La LOLF a pour objet de mesurer l'efficacité de la gestion des programmes. La multiplication des indicateurs échappant au responsable de programme reviendrait à vider la LOLF de son sens.

(3) Les autres indicateurs relatifs à la DGE des communes et à la DDR

La DGE des communes et la DDR se voient également associer deux autres objectifs :

- porter de 40 % en 2005 à 65 % en 2006 le pourcentage de projets bénéficiant d'un taux de subvention compris entre 25 % et 35 % ;

- porter de 4 ans en 2005 à 3 ans en 2006 le délai moyen séparant la décision de subvention de la fin de réalisation du projet.

Ces objectifs, pleinement justifiés, tendent respectivement à éviter le « saupoudrage » et à permettre une réalisation plus rapide des projets.

L'efficacité de ces dépenses de l'Etat est d'autant plus importante que la DGE des communes et la DDR figurent parmi les principaux instruments de la politique d'aménagement du territoire. Elles s'élèvent en effet au total à 530 millions d'euros en 2007, contre 300 millions d'euros pour le programme 112 « Aménagement du territoire », correspondant aux crédits de la DATAR, de la mission « Politique des territoires ».

c) Le programme 119 pourrait se voir doter à moyen terme d'un indicateur destiné à favoriser le maintien des services publics en zone rurale

Il serait envisageable de doter le programme 119 « Concours financiers aux communes et groupements de communes » d'un indicateur destiné à favoriser le maintien des services publics en zone rurale.

En effet, l'article 140 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances initiale pour 2006 a créé, au sein de la DDR, une seconde part destinée au maintien et au développement des services publics en milieu rural.

Il y a un an, votre rapporteur spécial envisageait la création d'un objectif spécifique.

En réponse à une question de votre rapporteur spécial à ce sujet, le gouvernement propose plutôt de mettre en place une déclinaison spécifique du premier indicateur actuellement retenu pour l'objectif actuel « Promouvoir les projets de développement local » 5 ( * ) , relatif à la DGE et à la DDR. Cet indicateur, correspondant au « supplément de croissance des investissements réalisés grâce à la DGE ou à la DDR par rapport à ceux des APU (en points) », est actuellement différencié selon que l'on considère la DGE ou la DDR.

Cette solution aurait l'avantage de la simplicité.

La possibilité d'instaurer, dans le PAP pour 2008, un indicateur concernant spécifiquement la seconde part de la DDR : extrait de la réponse du gouvernement

« La mesure de la performance de la seconde part de la DDR pourrait être réalisée en distinguant, au sein de l'objectif n°1 « Promouvoir les projets de développement local » du programme 119 « Concours financiers aux communes et groupements de communes », les investissements réalisés au titre de la première part de la DDR et ceux réalisés au titre de la seconde part. Les indicateurs illustrant cet objectif seraient alors modifiés en ce sens.

« La réforme de la DDR étant mise en oeuvre à compter de l'exercice 2006, les premières données ne seront connues qu'à l'occasion du bilan de gestion 2006 établi au premier semestre 2007. Cet indicateur pourrait donc être ajouté et renseigné pour le PLF 2008. »

Source : réponse du gouvernement à la question 8 du questionnaire budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2007

4. Le programme 122, qui correspond à 1 % des crédits, se voit à juste titre attribuer la plupart des indicateurs

Le programme de la présente mission auquel est associé le plus grand nombre d'indicateurs (7, contre 4 pour les trois autres programmes) est le programme 122 « Concours spécifiques et administration », qui, avec 25 millions d'euros, ne correspond qu'à moins de 1 % des crédits.

Cela vient du fait que c'est le programme dont l'efficacité dépend le plus de l'Etat, alors que celle des trois autres programmes dépend d'autres acteurs, en particulier des collectivités territoriales.

B. LES LIMITES DE LA NOTION DE FONGIBILITÉ DES CRÉDITS

1. Une mission peu propice à la fongibilité des crédits

La présente mission est peu propice à la fongibilité des crédits , dans la mesure où, comme cela a été indiqué ci-avant, l'Etat n'a aucun pouvoir de décision pour 80 % des crédits .

On rappelle que l'Etat n'a un pouvoir de décision que dans le cas :

- de l'action 01 « Soutien aux projets des communes et groupements de communes » du programme 119, c'est-à-dire de la DGE des communes et de la DDR, le préfet décidant de l'attribution des subventions (530 millions d'euros) ;

- les deux premières actions du programme 122 « Concours spécifiques et administration », intitulées « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales » et « Administration des relations avec les collectivités territoriales » (17,3 millions d'euros au total, hors abondement à titre non reconductible traditionnellement réalisé chaque année, de l'ordre de 130 millions d'euros en 2004, 2005 et 2006).

C'est dans ce dernier cas que pourra s'appliquer la fongibilité asymétrique , le programme 122 regroupant les crédits de personnel de la DGCL.

Dans tous les autres cas, l'Etat n'a aucun pouvoir de décision sur l'utilisation des crédits, la répartition des dotations entre collectivités territoriales découlant mécaniquement de l'application de la loi.

Cela empêche de facto toute fongibilité.

2. Selon le gouvernement, la fongibilité des crédits ne videra pas de son sens les règles d'indexation de la DGE des communes et de la DDR

On peut s'interroger sur les conséquences de la fongibilité des crédits sur la DGE des communes et des EPCI et sur la DDR.

Interrogé à cet égard par votre rapporteur spécial, le gouvernement estimait il y a un an que la fongibilité pourrait permettre « une souplesse de gestion entre les dotations destinées aux mêmes catégories de collectivités territoriales (par exemple entre la DGE des communes et la dotation de développement rural au sein du BOP 1 du programme « concours financiers aux communes et groupements de communes ») ». En pratique, cela signifie qu'un préfet de département, constatant que la DDR est peu consommée (le taux de consommation de cette dotation est de l'ordre de seulement 80 % chaque année), pourra décider d'utiliser certains crédits, inscrits en loi de finances comme concernant la DDR, pour financer la DGE des communes.

Comme votre rapporteur spécial l'indiquait alors, « cette plus grande souplesse devrait, globalement, accroître les dotations allouées aux collectivités territoriales. Cependant, il conviendra de s'assurer que cette nouvelle faculté allouée aux préfets ne vide pas de son sens la détermination de l'évolution de la DGE des communes et de la DDR par la loi de finances. Un préfet ne devra pas utiliser la fongibilité des crédits pour décider, par exemple, de n'attribuer que de la DGE ».

Dans une réponse au questionnaire budgétaire adressé cette année par votre rapporteur spécial, le gouvernement se montre rassurant à cet égard, soulignant que les règles d'emploi de chacune des dotations doivent faire l'objet d'une information devant une commission locale d'élus, et que « les premières remontées d'information prouvent que l'usage de la fongibilité reste limité aux crédits qui risqueraient de ne pouvoir être consommés d'ici la fin de l'année ».

La fongibilité des crédits entre DGE des communes et DDR : extraits de la réponse du gouvernement

« (...)

« Il convient (...) de signaler que la faculté de choix des préfets reste limitée. En effet, les règles d'emploi de chacune des dotations doivent faire l'objet d'une information devant les deux commissions locales d'élus. De plus, s'agissant de la commission d'élus de la DDR, celle-ci doit émettre un avis sur chaque proposition de subvention ; elle est donc en mesure d'apprécier la pertinence de la réduction ou de l'augmentation éventuelle de l'enveloppe globale accordée à cette dotation.

« Dans les faits, les premières remontées d'information prouvent que l'usage de la fongibilité reste limité aux crédits qui risqueraient de ne pouvoir être consommés d'ici la fin de l'année.

« Conformément aux objectifs de la LOLF, accordant davantage de flexibilité au gestionnaire de crédits, la fongibilité entre ces deux dotations garantit une consommation des crédits plus performante, et plus conforme à l'ouverture de crédits votée par le Parlement en loi de finances initiale. »

Source : réponse à la question 7 du questionnaire budgétaire

* 4 Rapport d'information n° 220 (2004-2005).

* 5 Cet objectif est le premier objectif de l'action 01 « Soutien aux projets des communes et groupements de communes » du programme 119 « Concours financiers aux communes et groupements de communes ».