INTRODUCTION

L'histoire des propositions de réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances est aussi longue et abondante que stérile.

L'une des plus ambitieuses et des plus complètes avait été rédigée en 1980 par Laurent Fabius, à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel de la loi de finances pour 1980 2 ( * ) . Elle avait essentiellement pour but d'affirmer davantage l'autorité du Parlement, les auteurs qualifiant l'ordonnance de " texte de conception technocratique et largement antiparlementaire ".

Sans doute, les rédacteurs du texte avaient-ils mal perçu que ce qu'ils considéraient comme un défaut grave du dispositif organique était en réalité considéré par l'exécutif comme une de ses principales qualités. La mise à l'écart du Parlement est en effet une des principales sources de la longévité d'un texte qui, il faut le concéder, a mis un terme aux dérives de la décision budgétaire sous la IV ème République.

D'ailleurs, élu un an plus tard, presque jour pour jour, Président de la République, l'un des plus éminents signataires de la proposition de loi, François Mitterrand, l'a bien vite oubliée. Vingt ans après le dépôt de ce texte, une seule réforme, très mineure et portant sur un point de procédure, a été votée en 1995, afin d'adapter l'ordonnance aux révisions constitutionnelles de cette année-là.

Mais depuis vingt ans, le monde et les finances publiques ont changé, et ces vingt années ont sans doute également changé la vision des signataires de la proposition de loi, entre-temps confrontés aux difficultés de la gestion gouvernementale.

Les finances publiques ont changé. Leur poids s'est considérablement accru, pour atteindre plus de la moitié de la richesse nationale, et la forte croissance de la dette publique a montré qu'il ne suffisait pas d'écarter le Parlement pour éviter une gestion déséquilibrée.

Les finances publiques sont devenues plus complexes. La montée en charge de la sécurité sociale et des collectivités locales fait du budget de l'Etat un élément certes important, mais qui n'est plus le seul dans le panorama des finances publiques ; le tout constitue un système où les éléments sont désormais en interrelation confuse ; les modalités d'intervention de l'Etat se sont affinées et ses démembrements ont encore réduit la pertinence du budget comme document censé retracer les enjeux financiers de l'intervention de l'Etat.

Le monde a changé et reste en mouvement.

La compétition internationale s'est accentuée à mesure que progressait la globalisation, et les finances publiques sont devenues un enjeu dans cette concurrence.

L'Europe s'est intégrée, et l'avènement de l'euro n'est pas seulement un événement monétaire majeur. C'est aussi un événement pour les finances publiques, dont témoigne le " pacte de stabilité et de croissance ".

La hausse des prélèvements obligatoires et la satisfaction très relative ressentie par les citoyens devant le fonctionnement des services publics attisent l'attente de justifications et de transparence.

L'Etat n'est donc plus perçu comme puisant son autorité de lui-même. Il doit rendre des comptes, et le sentiment prévaut qu'il ne le fait pas assez. La coexistence de ce sentiment avec la permanence figée de l'ordonnance organique de 1959 - notre constitution financière - conduit naturellement à s'interroger sur d'éventuelles interférences entre ces deux phénomènes.

Un consensus s'est progressivement forgé pour répondre par l'affirmative à cette interrogation.

Les témoignages recueillis par votre rapporteur vont le plus souvent en ce sens.

Les travaux de l'Assemblée nationale, ceux du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire (janvier 1999) et la proposition de loi organique de M. Didier Migaud (juillet 2000), confirment également ce consensus.

Les travaux de votre commission des finances, dans le cadre de son enquête sur l'élaboration et l'exécution des lois de finances, ont manifesté avec éclat que, sous son aspect budgétaire, le mode de fonctionnement traditionnel de l'Etat n'était plus accepté 3 ( * ) .

La réforme de la constitution financière de l'Etat aura lieu. Elle doit avoir deux objectifs.

Le premier est de moderniser la gestion publique, en faisant des lois de finances des outils efficaces de décision et de pilotage du budget de l'Etat ; bref, de réaffirmer toute la portée des lois de finances.

Le second est de rééquilibrer les pouvoirs en matière de finances publiques, dans le strict respect de l'initiative gouvernementale et de l'interdiction pour le Parlement de dégrader le solde du budget de l'Etat.

Ces deux objectifs sont complémentaires. L'un ne doit pas être privilégié par rapport à l'autre. Cette opinion partagée est sans doute la raison pour laquelle cette réforme va enfin voir le jour.

* 2 Proposition de loi organique n° 1718 du 14 mai 1980 tendant à modifier, préciser et compléter les dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. L'ensemble du groupe socialiste de l'Assemblée nationale avait signé la proposition de loi. Parmi les signatures figurent notamment celles d'Henri Emmanuelli, Raymond Forni, Pierre Joxe et Christian Pierret.

* 3 " En finir avec le mensonge budgétaire " - Sénat n° 485 (1999/2000) Alain Lambert - Philippe Marini.

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