II. MIEUX PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION TEMPORELLE DU BUDGET

Le principe d'annualité budgétaire qui s'applique sous la forme d'un vote annuel du budget constitue un fondement essentiel de la démocratie parlementaire. Il donne une forte substance au consentement du peuple à l'impôt, consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 . Il vise à assurer le contrôle parlementaire sur l'action du gouvernement. D'emblée, le concept de pluriannualité apparaît comme fondé sur des bases fragiles. En votant des crédits pour les années à venir, le Parlement ne se lierait-il pas les mains, dès lors qu'il ne pourrait plus constater chaque année l'utilité de la dépense publique pour l'année à venir ? Si le Parlement, comme il se doit, peut défaire ce qu'il a fait, quelle peut être la portée de la pluriannualité ?

A ces questions, l'ordonnance a apporté ses réponses. Elle tient peu compte de la dimension pluriannuelle. Mais la pratique a accentué cette situation en limitant encore la gestion pluriannuelle des finances publiques. En témoigne également l'insuccès des initiatives prises pour la développer, cet insuccès n'étant d'ailleurs pas strictement hexagonal. Si ces constats conduisent votre commission des finances à maintenir l'annualité de la plupart des autorisations données par les lois de finances, elle ne cache pas l'intérêt d'affirmer une meilleure prise en compte du temps. Les gestionnaires peuvent avoir besoin de s'appuyer sur des perspectives excédant l'année. Les " décideurs " doivent pouvoir appréhender dans le temps l'environnement de leurs décisions et leurs effets. Actuellement, l'horizon des lois de finances est au plus, d'une année. Tout le monde sait cette perspective temporelle trop courte. Elle est devenue en effet synonyme de " myopie " budgétaire.

A. LA PRATIQUE BUDGÉTAIRE A BEAUCOUP RESTREINT LA PLURIANNUALITÉ

1. Si la pluriannualité est strictement encadrée dans l'ordonnance du 2 janvier 1959...

L'annualité est un principe essentiel de la comptabilité et du droit des finances publiques. L'ordonnance du 2 janvier 1959 rappelle donc que " la loi de finances de l'année prévoit et autorise, pour chaque année civile , l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat " (article 2) et que " l'autorisation de percevoir les impôts est annuelle " (article 4).

En conséquence, les dispositions dérogatoires au principe d'annualité et introduisant des perspectives pluriannuelles sont peu nombreuses, même si elles sont réaffirmées à de nombreuses reprises, dès lors qu'elles s'écartent du droit commun et des principes fixés par elle.

La pluriannualité dans l'ordonnance : des dispositifs dérogatoires, limités aux engagements financiers et aux dépenses d'investissement

La pluriannualité a été introduite dans l'ordonnance organique, mais de manière restrictive. Le sixième alinéa de l'article premier indique que : " les plans approuvés par le Parlement, définissant des objectifs à long terme, ne peuvent donner lieu à des engagements de l'Etat que dans les limites déterminées par des autorisations de programme votées dans les conditions prévues par la présente ordonnance . Les autorisations de programme peuvent être groupées dans des lois dites " lois de programme ". ".

Les occasions de mise en oeuvre de la pluriannualité sont ensuite énoncées par le cinquième alinéa de l'article 2 sous la forme d'exceptions : " Seules les dispositions relatives à l'approbation de conventions financières, aux garanties accordées par l'Etat, à la gestion de la dette publique ainsi que de la dette viagère, aux autorisations d'engagement par anticipation ou aux autorisations de programme peuvent engager l'équilibre financier des années ultérieures . Les lois de programme ne peuvent permettre d'engager l'Etat que dans la limite des autorisations de programme contenues dans la loi de finances de l'année. ". En effet, l'article 17 rappelle le principe de droit commun selon lequel : " Sous réserve des dispositions concernant les autorisations de programme, les crédits ouverts au titre d'un budget ne créent aucun droit au titre du budget suivant ".

Le caractère pluriannuel des dispositions contenues dans les lois de finances se limite essentiellement à des dépenses spécifiques - les engagements internationaux de la France, la gestion de sa dette - et à certaines procédures - les autorisations de programme mentionnées à l'article premier -. Les autorisations de programme sont définies à l'article 12 comme " la limite supérieure des dépenses que les ministres sont autorisés à engager pour l'exécution des investissements prévus par la loi. "

Il faut également citer le second alinéa de l'article 11 qui mentionne des " dispositions spéciales prévoyant un engagement par anticipation sur les crédits de l'année suivante et (...) des exceptions au principe de l'annualité qui pourraient y être apportées par le décret prévu à l'article 16 ". Celui-ci vise essentiellement les conditions de clôture de l'exercice, soit la période complémentaire permettant de mettre en oeuvre les opérations de régularisation. Si l'existence d'une période complémentaire constitue une entorse formelle à la lettre du principe de l'annualité budgétaire, elle n'a pour autant pas de portée pluriannuelle. Elle n'est qu'un aménagement technique du principe d'annualité rendu nécessaire par les contraintes pratiques liées aux opérations de régularisation afin de permettre l'établissement définitif des comptes de l'Etat.

Enfin, les articles 31 et 32, qui définissent le contenu du projet de loi de finances ainsi que la liste des documents annexés, introduisent la notion d'échéancier et d'" échelonnement sur les années futures des paiements résultant des autorisations de programme ".

A l'époque de l'élaboration de l'ordonnance du 2 janvier 1959, le système des autorisations de programme se justifiait notamment par la nécessité de pouvoir engager des investissements en bénéficiant d'une garantie de disposer des ressources nécessaires à la réalisation des projets. Le cadre annuel s'avérait déjà mal adapté au financement des grands projets d'investissement de l'Etat.

Le système institué par l'ordonnance apparaît rationnel dans sa conception : les autorisations de programme, qui permettent d'engager les dépenses, sont valables " sans limitation de durée jusqu'à ce qu'il soit procédé à leur annulation " (article 12), alors que les crédits de paiement qui leur sont associés sont votés chaque année dans la loi de finances. Les autorisations de programme sont donc complétées annuellement par des crédits de paiement constituant le plafond des dépenses pouvant être mandatées, et qui, à ce titre, sont les seuls pris en compte pour le calcul de l'équilibre du budget. Ils peuvent couvrir des autorisations de programme votées les années précédentes ou la première tranche des autorisations de programme votées dans le budget de l'année. Les modalités de mise en oeuvre des dépenses d'investissement combinent donc un élément de pluriannualité - les autorisations de programme - avec un respect du principe du vote annuel des crédits par le Parlement . Si l'engagement peut être pluriannuel, le paiement reste solidement ancré dans les limites de l'exercice budgétaire.

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