B. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DU CADRE LÉGAL

Dans un arrêt d'assemblée du contentieux du 30 juin 2000, le Conseil d'Etat a annulé, à la demande de diverses associations de défense de la famille et de lutte contre l'avortement, de parents et de professionnels de santé, les dispositions du protocole national relatives à la contraception d'urgence. Il a en effet estimé qu'elles méconnaissaient les termes de l'article 3 de la loi du 28 décembre 1967 modifiée soumettant la délivrance des contraceptifs hormonaux à une double contrainte : la prescription médicale et la vente en pharmacie.

Ce faisant, la Haute Juridiction n'a pas fait siens les arguments du Gouvernement, ni celui qui tendait à faire prévaloir sur les dispositions de la loi Neuwirth les termes de la directive européenne n° 92-26 CEE, applicable en France et qui ne soumet à prescription médicale que les médicaments susceptibles de présenter un danger, ni celui qui se fondait sur le décret du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier pour démontrer qu'un rôle en matière d'urgence est déjà reconnu aux infirmières scolaires. On peut toutefois noter qu'elle n'a pas non plus retenu l'un des moyens soulevés par les requérants selon lequel le dispositif de la circulaire du 29 décembre 1999 contrevenait aux règles de l'autorité parentale définies par le code civil.

Cette décision du Conseil d'Etat a donc rendu caduque la partie du protocole national relative à la contraception d'urgence. Mais, en lui déniant toute base légale, elle a également fragilisé l'arrêté du 27 mai 1999 du secrétaire d'Etat à la santé autorisant la vente libre de NorLevo en pharmacie, lequel a d'ailleurs fait également l'objet d'un recours actuellement en cours d'instruction. C'est dire la nécessité de procéder à une rapide adaptation de l'article L. 5134-1 du nouveau code de la santé publique, conformément à ce qu'envisage l'article unique de la proposition de loi adoptée le 5 octobre dernier par l'Assemblée nationale, qui l'a complété par deux alinéas nouveaux.

1. Le dispositif de la proposition de loi

Le premier alinéa déroge à l'obligation de délivrer les contraceptifs hormonaux sur prescription médicale pour les "médicaments ayant pour but la contraception d'urgence et non susceptibles de présenter un danger pour la santé dans les conditions normales d'emploi" . Ainsi, toutes les femmes pourront désormais se procurer en pharmacie, sans ordonnance, tous les produits contraceptifs hormonaux et intra-utérins d'urgence qui auront été "délistés" par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé parce qu'ils ne présentent pas de contre-indication médicale. Dans l'état actuel des connaissances scientifiques, seul le NorLevo répond à cette caractéristique, le Tetragynon contenant des oestrogènes. La formule "dans les conditions normales d'emploi" n'est pas sans importance puisque le recours répété au NorLevo comme méthode contraceptive est notamment susceptible, comme l'a rappelé l'Académie nationale de médecine dans un communiqué du 7 mars 2000 exprimant son intérêt pour le protocole national sur l'organisation des soins et des urgences dans les écoles et les établissements publics locaux d'enseignement, "d'entraîner des perturbations du cycle menstruel telles que des grossesses non désirées risquent de survenir" . Votre Délégation souligne que cette mise en garde devrait être largement diffusée afin qu'il soit bien compris que la contraception d'urgence ne peut en aucun cas faire office de contraception permanente.

Ce premier alinéa est donc essentiel en ce qu'il tient compte des progrès scientifiques accomplis depuis plus de trente ans, anticipe ceux qui pourront être faits dans l'avenir, rend la loi Neuwirth compatible avec les dispositions de la directive européenne du 31 mars 1992 et, enfin, confère une base légale à l'arrêté du 27 mai 1999 autorisant la vente libre du NorLevo en pharmacie.

Le second alinéa permet la prescription et la délivrance de ces contraceptifs aux mineures désirant garder le secret, ainsi que leur administration tant aux mineures qu'aux majeures par les infirmières en milieu scolaire. L'exonération explicite de l'autorisation parentale pour les mineures désirant garder le secret, qui existait déjà depuis 1974 pour tous les contraceptifs dès lors qu'ils sont prescrits par le médecin d'un centre de planification ou d'éducation familiale, est une disposition qui se distingue de celle de 1974 sur deux points.

D'une part, le champ des produits est plus étroit, puisque seuls sont visés certains contraceptifs d'urgence. Ainsi, pour les mineures, la délivrance d'un traitement contraceptif de long terme sans le consentement parental ne peut avoir lieu qu'à l'issue d'une consultation dans un centre de planification familiale. Dans l'état actuel du droit positif, il est ainsi essentiel que tout soit fait pour qu'en cas d'absence de dialogue dans le cadre familial, constatée par les travailleurs sociaux ou les personnels médico-sociaux en milieu scolaire, les jeunes filles qui ont eu recours à la pilule du lendemain soient orientées vers un médecin de centre de planification pour que leur soit éventuellement ouvert l'accès à un traitement contraceptif régulier, plus sûr en termes d'efficacité. Pour autant, votre Délégation ne peut manquer d'évoquer la question de l'exonération générale de l'autorisation parentale pour la prescription médicale de contraceptifs aux mineures. Elle estime que, si l'objet restreint de la présente proposition de loi ne se prête pas à l'examen de cette question, il sera en revanche nécessaire d'y réfléchir à l'occasion de la prochaine adaptation des législations de 1967 et de 1975 sur la contraception et l'avortement.

D'autre part, le champ des prescripteurs est plus large, puisque tous les médecins autres que le médecin de centre de planification sont désormais concernés, qu'il s'agisse d'un généraliste (le médecin de famille ou tout autre), d'un gynécologue ou du médecin scolaire. S'agissant de ce dernier, en effet, le code de déontologie médicale applicable aux médecins de prévention assurant leur service de médecine pour le compte d'une collectivité lui interdit en principe la prescription de soins curatifs "sauf cas d'urgence ou prévu par la loi" . La formule "médicament ayant pour but la contraception d'urgence" figurant à l'alinéa précédent a par conséquent explicitement pour objet de lui autoriser la prescription et la délivrance de ce type de produit.

En ce qui concerne par ailleurs l'administration du contragestif d'urgence par les infirmières en milieu scolaire, il convient de relever qu'à l'initiative de Mme Hélène Mignon, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, cette faculté, limitée aux mineures par le texte initial de la proposition de loi, a été étendue au majeures. En effet, la circulaire du 29 décembre 1999 autorisait les infirmières scolaires à délivrer du NorLevo aux élèves tant mineures que majeures. Adopter un texte législatif plus restrictif aurait été difficilement compréhensible, d'autant que l'une des motivations du dispositif retenu par Mme Ségolène Royal avait été l'inégale facilité d'accès aux pharmacies des adolescentes majeures devant recourir au NorLevo de manière urgente, compte tenu des délais d'efficacité du produit.

2. Le renforcement du dispositif d'accompagnement en milieu scolaire

Votre Délégation souscrit pleinement à ces dispositions et reconnaît la nécessité de l'urgence sur cette proposition de loi. En effet, depuis la décision du Conseil d'Etat du 30 juin dernier, il existe tout à la foi un vide juridique préjudiciable à l'intérêt de nombreuses jeunes filles et un risque potentiel d'annulation de l'arrêté du 27 mai 1999 susceptible, lui, de porter atteinte aux intérêts de toutes les femmes.

Certes, par une instruction du 28 septembre 2000, le ministre de l'éducation nationale a défini un dispositif d'aide et d'accès à la contraception d'urgence qui, sans pouvoir être aussi utile que la circulaire du 29 décembre 1999 faute de base légale, a néanmoins pour double objectif d'aider à la prise en charge des situations les plus urgentes, dans l'attente de l'adoption de la proposition de loi, et d'instituer des mécanismes permanents de conseil et d'orientation des élèves en matière de contraception d'urgence. Articulé sur trois niveaux, ce dispositif comprend :

- un groupe de pilotage académique, placé sous la responsabilité du recteur et chargé, en relation avec la direction régionale de l'action sanitaire et sociale et la délégation régionale aux droits des femmes, de mettre en oeuvre une politique d'éducation à la sexualité ;

- l'établissement et la communication aux établissements scolaires par l'inspection d'académie, en liaison avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales et le conseil général, de la liste des centres de planification familiale, des médecins travaillant avec ces centres et de toutes les ressources hospitalières et sanitaires disponibles dans le département ;

- la fixation, par chaque chef d'établissement scolaire, des modalités pratiques d'accueil, de prise en charge et de suivi des adolescentes, qui devront notamment comprendre toutes les informations pratiques nécessaires (adresses, jours et horaires d'ouverture des centres de planification les plus proches, coordonnées des médecins rattachés à ces centres et conditions de leurs interventions) et qui seront inscrites dans le règlement intérieur et portées à la connaissance de tous les élèves et de leurs familles.

Ce dispositif devant donner à toute élève la possibilité d'avoir accès au centre de planification familiale le plus proche, un accord de principe concernant l'autorisation de sortie de l'établissement devra donc être donné en début d'année par le chef d'établissement à l'infirmière. Des modalités d'accompagnement par un adulte seront définies pour tenir compte de l'âge des élèves et de l'éloignement du centre et, si l'éloignement ou les horaires rendent inutile un déplacement, le médecin travaillant avec le centre de planification sera sollicité. Dans ce cas, l'établissement scolaire passera avec lui une convention d'honoraires, qui sera soumise au conseil d'administration, les fonds sociaux pouvant dans certains cas être utilisés.

3. La période critique des vacances scolaires

Reste qu'il est apparu, au cours des travaux de votre Délégation, que ni la présente proposition de loi, ni le dispositif mis en place par le ministère de l'éducation nationale n'offrent de réponse adaptée aux difficultés que pourraient éventuellement rencontrer les adolescentes pendant la période des vacances scolaires. Or, les risques de grossesse non désirée sont alors particulièrement importants et rendent nécessaire un effort d'imagination de la part des pouvoirs publics pour les prévenir de manière efficace.

Si, comme l'a rappelé Mme Ségolène Royal lors de son audition, la vente libre du NorLevo en pharmacie dispense de prévoir juridiquement qu'il puisse être administré aux jeunes filles par tel ou tel adulte (les infirmières scolaires mais aussi, par exemple, les différents personnels d'encadrement des centres de vacances ou d'autres structures d'accueil pour les adolescents), il pourrait être cependant opportun, par souci pédagogique, de faciliter explicitement cette hypothèse. Dans le même ordre d'idée devrait être examinée la possibilité pour les services hospitaliers d'urgence, qui sont ouverts 24 heures sur 24, de délivrer gratuitement, à l'instar des centres de planification, la pilule du lendemain aux jeunes filles, mineures et majeures, qui en feraient la demande.

En tout état de cause, votre Délégation est favorable à toute initiative, qu'elle relève ou non du domaine de la loi, qui aura pour double ambition de diminuer le nombre des grossesses non désirées et, par conséquent, celui des IVG, en particulier chez les jeunes filles, et de rendre les femmes plus autonomes, et donc plus responsables, vis-à-vis de la maîtrise de leur sexualité et de leur fécondité.

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