B. DES PROBLÈMES TECHNIQUES ET POLITIQUES COMPLEXES

L'élargissement constitue un problème politique et technique particulièrement complexe. Le fait que le processus d'adhésion se construise - car c'est ressenti comme tel - sur une base purement technocratique constitue une déception pour les pays candidats, qui auraient souhaité organiser d'une autre manière les retrouvailles avec leurs " cousins " européens. Pourtant, derrière l'arsenal impressionnant de critères mesurés par la Commission européenne, chaque pays membre défend son " protégé " : l'Allemagne veut que la Pologne soit inclue dans la première vague d'adhésion, la Grèce menace d'un veto toutes les propositions d'adhésion avant l'entrée de Chypre dans l'Union, les pays baltes ne veulent pas subir de traitement différencié... Entre la technique et la politique, la voie de l'élargissement paraît bien étroite.

L'ampleur des problèmes techniques posés par l'élargissement est considérable. La Pologne en concentre, à elle seule, une grande partie : si l'élargissement concerne principalement des pays de taille modeste, la Pologne est un pays de plus de 40 millions d'habitants, dont l'agriculture représente une proportion importante de la main d'oeuvre nationale, et dont la porosité des frontières à l'est est largement avérée. Au cours de sa visite à Varsovie, votre rapporteur spécial s'est rendu à ce qu'il est convenu d'appeler le " marché russe ". C'est un stade de sport désaffecté où s'installent des marchands en tout genre ; on y trouve des logiciels informatiques piratés et des objets contrefaits, et une rumeur insistante suggère qu'il n'est pas impossible de s'y procurer des armes en parfait état de marche... Pour l'essentiel, ces marchandises proviennent de la contrebande organisée entre la Pologne, l'Ukraine et la Biélorussie. Il est évident qu'une telle situation est difficilement compatible avec le marché unique européen.

C. UN RISQUE DE MARGINALISATION DE LA FRANCE ?

Certains experts craignent que l'élargissement , réduit à sa seule composante financière, n'ait, pour les pays de l'Union européenne , et la France en particulier, un impact négatif : la politique agricole commune (PAC) et les fonds structurels dont bénéficie la France n'y résisteront pas. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle certains pays candidats sont parfois tentés de nous imputer une politique dilatoire en matière d'élargissement . Ainsi, alors que la Pologne demande un accès immédiat aux aides directes de la politique agricole commune, elle peut craindre que certains pays européens, dont la France, souhaitent freiner son adhésion afin de préserver les fonds européens dont bénéficie leur agriculture.

Afin de mieux faire connaître ses positions et de souligner les avantages de la PAC, la France a renforcé l'équipe des attachés agricoles en fonction dans ses ambassades dans les pays candidats, et a procédé à l'envoi de nombreux experts français dans le cadre des projets de jumelage financés par l'Union européenne.

L'un des problèmes majeurs posé par l'élargissement est celui du devenir de la politique agricole commune (PAC), qui pourrait être mise à mal avec l'adhésion de nouveaux pays, et en particulier, de la Pologne. Or, la pérennité de la PAC dans sa configuration actuelle constitue un enjeu majeur pour la France. Le président de la République, Jacques Chirac, a rappelé à plusieurs reprises que la France ne pourrait accepter une remise en cause de la politique agricole commune décidée lors du sommet de Berlin en mars 1999, avant la date prévue pour sa renégociation, en 2006.

Pour préserver un équilibre en matière de politique agricole commune, et afin d'amortir le choc d'un alignement brutal des prix, des périodes de transition pourraient être aménagées, au cours desquelles les agriculteurs des nouveaux pays membres ne bénéficieraient pas des aides au revenu, mais pourraient recevoir les aides structurelles de l'Union européenne.

Le système des aides régionales et des fonds structurels va également être profondément affecté par l'élargissement de l'Union européenne dès lors que les régions les plus défavorisées de l'Europe des 15 deviendront, pour la plupart d'entre elles, des régions relativement prospères dans une Europe à 27 . A critères constants, plus d'un tiers de la population européenne pourrait être éligible aux aides structurelles dans une Europe à 27, contre seulement un sixième aujourd'hui. Or, les principaux pays bénéficiaires de ces aides seront sans doute particulièrement affectés par un élargissement et un " détournement " des aides structurelles vers les nouveaux pays membres.

L'élargissement va également déplacer le centre de l'Union européenne vers l'est , en donnant une importance centrale à l'Allemagne, et en marginalisant quelque peu la France et les pays méditérranéens.

Notre pays, comme ses partenaires au sein de l'Union, ne peut ignorer les tensions que provoqueront l'élargissement. Les pays de l'Union européenne craignent des vagues d'immigration, tandis que les pays candidats craignent que leurs terrains soient rachetés par des entreprises et des ressortissants de l'Union. C'est donc sur un sentiment d'inquiétude partagée que se construit malheureusement la réunification de l'Europe...

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