III - UN NOUVEL ÉLAN POUR LA RECHERCHE DU DÉBUT DU XXIE SIÈCLE, DANS LE CADRE D'UN GRAND CONTRAT NATIONAL

Dans les dix dernières années, les découvertes scientifiques ont été plus nombreuses que durant toute l'histoire de l'humanité. Il n'existe aucun raison pour qu'un ralentissement se produise dans les prochaines années.

Le rôle moteur de la recherche dans la croissance et pour la compétitivité de l'économie nationale ne laissent en réalité aucune alternative à un effort massif de recherche et développement national.

Ainsi que le déclarait en mai dernier M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, ministre de la recherche, " il appartient plus que jamais à la recherche de préfacer et de préparer l'avenir. Celle-ci est à la fois la matrice de la production de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs et le principal moteur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi. La recherche est devenue le premier booster de l'économie et de l'emploi. " 22 .

Un trait majeur de la science moderne est la réduction drastique des délais qui séparent certains travaux de recherche fondamentale de leur application dans le domaine de la recherche technologique et dans l'industrie.

S'agissant de l'industrie elle-même, la durée de l'ensemble du processus depuis l'émergence d'une idée jusqu'à la mise sur le marché tend à se réduire et en particulier le volet recherche.

Au demeurant, la mutation des économies industrialisées vers des activités à haute valeur ajoutée est un processus incontournable dont l'effet d'entraînement sur l'ensemble de l'économie est majeur et positif, à condition d'être à la fois soutenu et équilibré.

Parallèlement à la demande de l'économie et de l'industrie, s'ajoute la demande d'expertise de la société sur des questions touchant à la sûreté et à la sécurité.

Nombreuses sont les crises récentes, qu'elles soient alimentaires, énergétiques, environnementales ou climatiques, où la société s'étonne que la science ne mette pas à sa disposition des éléments de décision suffisamment fondés et où la société appelle en conséquence à une accélération de la recherche et à une interaction plus forte entre les connaissances, les problèmes de la société et les applications industrielles.

Enfin, l'accroissement des connaissances est un mouvement irrépressible de l'humanité, qui, depuis la nuit des temps, avance vers une meilleure compréhension du monde. Cette quête inlassable est bien sûr symbolisée par la demande autocentrée de la communauté scientifique de disposer de moyens toujours plus étendus pour son développement

Simultanément, le coût de la recherche augmente en raison d'un recours croissant à l'instrumentation.

La science moderne, on l'a vu, dans les première et deuxième parties du présent rapport fait un appel croissant à des très grands équipements pour effectuer des percées scientifiques dans une discipline particulière. L'ensemble des disciplines utilisent par ailleurs des très grands équipements d'infrastructure de haut niveau technologique. Enfin des très grands équipements sont également mis au point et utilisés dans le cadre de grands programmes d'utilité sociale.

L'examen détaillé de la question des très grands équipements scientifiques et technologiques fait au total apparaître des demandes d'investissement considérables dans les années à venir.

Au demeurant, les besoins en très grands équipements de la recherche ne sauraient représenter la totalité de ses besoins de financement. Les groupes de laboratoires exigent des équipements lourds et les laboratoires des équipements mi-lourds qui entraînent des dépenses d'acquisition et de fonctionnement importantes.

Enfin, l'on ne saurait minimiser les dépenses de personnel, qui, dans certains organismes, représentent une part considérable du budget annuel, souvent plus des deux tiers.

Cette croissance des besoins jointe à des questions très préoccupantes sur l'évolution prévisible des effectifs des personnels de la recherche fait clairement apparaître qu'un risque réel existe aujourd'hui de marginalisation de la science française dans de nombreuses disciplines.

Ces menaces se précisent alors que nombreux sont les pays qui donnent depuis plusieurs années une réelle priorité à la recherche.

1. L'audace exemplaire de différents pays

Les Etats-Unis ont clairement et collectivement fait le choix d'une accélération considérable de leur effort de recherche et développement.

Cet effort de recherche aura atteint, en 1998, 202 milliards de dollars alors que, la même année, l'Union européenne et le Japon réunis y consacraient 244 milliards de dollars. En 1999, le total de leurs dépenses aura atteint 247 milliards de dollars 23 , leur permettant d'égaler le total de leurs deux principaux concurrents.

Une telle accélération ne se produit-elle que dans un grand pays, doté d'une recherche militaire puissante, d'une recherche couvrant tous les domaines à un excellent niveau et bénéficiant d'une avance notable dans certains domaines ?

En réalité, il n'en est rien. Certains pays de l'Union européenne se singularisent en effet par des efforts considérables en faveur de la recherche.

Ainsi, la Suède se caractérisait par un ratio DIRD / PIB de 3,7 % en 1997.

La Finlande a fait le choix de reconvertir son industrie vers des productions à forte valeur ajoutée et pour atteindre cet objectif a fait passer son ratio DIRD/PIB de 1,8 en 1989 à 3,11 % en 1999.

Tableau 5 : Evolution du ratio DIRD/PIB des pays d'Europe du Nord, depuis 1989 24

DIRD/PIB en %

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Suède

2,94

2,89

3,27

3,46

3,7

Finlande

1,8

1,88

2,04

2,13

2,17

2,29

2,29

2,54

2,72

2,9

3,11

Danemark

1,51

1,57

1,64

1,68

1,74

1,84

1,85

1,94

1,92

2

Norvège

1,69

1,65

1,73

1,71

1,67

1,75

Mais au delà des niveaux relatifs, exprimés en pourcentage du PIB, il convient aussi d'analyser les dépenses en niveaux absolus.

Les dépenses totales de l'Allemagne en 1998 pour la R& D ont représenté 44,1 milliards d'écus, soit 56 % de plus que celles de la France qui se sont élevées à 28,3 milliards d'écus la même année.

Cet écart n'est-il pas suffisamment important pour que la France n'entreprenne pas de le combler ?

Figure 15 : DIRD de 1998 en millions d'écus dans l'Union européenne 25

En tout état de cause, il semble possible par un effort déterminé de compenser une différence de poids relatif des économies nationales. Cet exemple est donné par la Suède.

Grâce à un effort considérable, la Suède atteint en effet une masse critique de dépenses de R&D qui la font talonner l'Italie et devancer l'Espagne dont les PIB sont pourtant considérablement plus élevés (voir tableau suivant).

Tableau 6 : PIB et DIRD de 1998

milliards d'écus

PIB

DIRD

Italie

1099,1

10,9

Espagne

559,4

4,7

Suède

223,9

8,0

Au demeurant, au sein de l'OCDE, on constate trois groupes de pays, qui se distinguent en fonction de leur effort de R&D : les grands pays ayant clairement opté pour un effort accru de R&D, les grands pays hésitants et les pays offensifs (voir graphiques ci-après).

Figure 16 : Evolution de l'effort de R&D des principaux pays de l'OCDE - pays principaux et pays à spécialisation offensive dans les productions à forte valeur ajoutée 26

Grâce à leur effort massif de R&D, les Etats-Unis et le Japon, sont à même de développer leurs spécialisations industrielles à forte valeur ajoutée.

L'Allemagne et surtout la France, tout en faisant des efforts importants, semblent hésiter quant à elles à tourner leur économie toute entière vers les productions à forte valeur ajoutée.

La Suède, la Finlande, mais aussi la Suisse et la Corée du Sud, ont fait le choix déterminé de relever le défi de jouer un rôle mondial dans certaines activités productives à fort contenu en matière grise.

Ce choix est non pas celui de la tertiarisation de leur économie, mais celui des industries à forte valeur ajoutée du XXI e siècle, électronique, informatique, télécommunications, pharmacie, biotechnologies, sur le constat que l'industrie constitue toujours la matrice du développement.

C'est exactement le type de défi que la France doit aujourd'hui relever : s'engager avec enthousiasme et détermination vers une économie de matière grise, avec la participation de toute la population et une place pour chacun de nos concitoyens .

Au reste, cette évolution vers une place plus importante donnée à la science correspond à l'attente de la société française, comme l'indiquent de nombreux éléments, le succès de l'Université de Tous les Savoirs, les succès des Journées de la science, et le sondage réalisé à l'occasion du Colloque " Science et société " .

Parmi un ensemble de questions, ce sondage 27 montre que, pour contrôler le progrès scientifique et s'assurer de son respect des questions éthiques, les personnes interrogées font confiance à 53 % aux scientifiques eux-mêmes, et à 19 % aux intellectuels et aux philosophes.

Une autre question posée à l'occasion de ce sondage montre que près des deux tiers des personnes interrogées souhaitent un renforcement de la part du budget de l'Etat consacrée à la recherche scientifique et technologique (voir figure ci-après).

Figure 17 : Les Français et la recherche scientifique 28

Le moment est donc venu de changer la dimension de la recherche française.

2. Un grand débat national pour un grand contrat d'objectifs

Au final, quels que soient les moyens choisis, c'est d'un élan national dont la France a besoin pour accélérer sa conquête de la science du XXI e siècle.

La première étape à boucler, c'est de mieux faire comprendre l'impératif de la recherche scientifique et obtenir l'adhésion de nos concitoyens à cet objectif vital. L'Etat a sans doute un rôle à jouer d'impulsion et de catalyse des efforts.

Mais il faut surtout que la communauté scientifique se mobilise pour faire comprendre son travail et faire partager son enthousiasme.

Si la communauté scientifique explique l'intérêt et les limites de ses recherches, alors il ne fait aucun doute que la science aura fait un grand pas dans notre pays.

Alors il sera possible d'engager la France dans la voie d'un effort accru.

2.1. Le Colloque national de la Recherche de 1981-1982

La France a connu en 1981 et 1982, grâce au dynamisme et à l'esprit de conquête du ministre d'Etat, ministre de la recherche, M. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, un grand débat national sur la recherche qui a fait date et qui a joué un rôle important dans le redressement de l'effort de recherche.

Ce Colloque national de la Recherche a compris trois niveaux d'organisation :

? les Assises régionales

? les Journées sectorielles

? les Journées nationales

Un témoignage sur ce Colloque national a été fait le 21 juin 1982, à l'Assemblée nationale, lors de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique, par M. Robert CHAPUIS.

Les Assises régionales de Rhône-Alpes ont permis à des centaines de chercheurs, industriels, syndicalistes concernés par le mouvement de la science ou le progrès des techniques de se sentir " responsables, non plus seulement sur la base de leur intérêt personnel mais du point de vue collectif, social, national, voire international ".

Ces Assises régionales et le Colloque national ont permis des rencontres qui apparaissaient naguère impossibles, " non seulement entre les disciplines et opinions différentes, entre des personnes différentes, chercheurs, ingénieurs, techniciens, administratifs mais aussi entre universitaires et industriels, et entre syndicats de tendances diverses " .

M. Robert CHAPUIS ajoutait que " dans chacun de ces deux colloques, j'ai rencontré des hommes et des femmes dont l'esprit était animé par l'enthousiasme, certes, mais aussi par un grand sens des réalités et de la nature des efforts actuellement nécessaires et possibles ".

En réalité, l'ensemble des intervenants lors de la discussion parlementaire se sont réjouis de la dynamique créée dans le pays par cette consultation généralisée.

C'est ce sentiment que retrace M. Jacques VALADE, dans son rapport d'information de 1985 sur le bilan de la loi du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation de la recherche 29 .

Ainsi, " des changements fondamentaux sont apparus dans le monde de la recherche à la suite du grand mouvement des Assises et du Colloque national de la Recherche de 1981 à 1982 ".

Plus important encore, le Rapporteur ajoutait : " On assiste à une démocratisation de l'idée de la nécessité de la recherche " .

On sait par ailleurs que la prise de conscience de l'importance de la recherche au cours de la consultation nationale a ensuite été relayée par la loi d'orientation et de programmation du 15 juillet 1982, qui a fixé des objectifs quantitatifs et surtout développé les moyens d'expression et de consultation de la communauté scientifique.

Ainsi, lors de l'étape ultérieure, les instances représentatives de tous les grands organismes de recherche, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie et les régions ont pu être associés à la préparation de l'étape triennale suivante, la loi du 23 décembre 1985.

2.2. Pour des Etats généraux de la recherche du début du XXI e siècle

Parmi les effets bénéfiques de la loi de 1982, le processus de consultation nationale est sans doute reconnu comme l'un des principaux.

Vos Rapporteurs invitent le Gouvernement à prendre cette initiative dans les prochaines semaines.

A l'occasion des rencontres que vos Rapporteurs ont eues avec les chercheurs lors d'auditions que ceux-ci ont préparées avec un grand soin et conduites avec un respect extrême de la représentation nationale, la communauté scientifique française a manifesté un besoin criant d'être entendue.

En l'occurrence, les chercheurs ont montré qu'il ne pouvait suffire aujourd'hui d'organiser des discussions avec les décideurs de la science.

Il faut impérativement aux chercheurs un dialogue en premier lieu avec la Nation mais aussi avec la représentation nationale, dans l'enceinte du Parlement, où ils savent qu'aucun enjeu direct de pouvoir, d'attribution de crédits ou de jugements de carrière ne vient perturber la sincérité des échanges.

A de multiples égards, ces moments de dialogue d'une qualité rare, entre vos Rapporteurs et les chercheurs sur le sujet des très grands équipements scientifiques, ont représenté une véritable adresse à la Nation.

Refonder le rôle de la science dans la Nation est une urgence.

On constate en effet une singulière fracture entre l'image des chercheurs et celle de la recherche.

Les uns sont estimés pour leurs capacités, leur désintéressement et leur éthique.

Mais la recherche et ses institutions sont jugées avec sévérité par des pans entiers de la société, comme si les chercheurs pouvaient s'accommoder d'organisations totalement inadaptées à leurs activités et cautionner des institutions qu'ils ne pourraient estimer, ce qui est évidemment absurde.

Cette fracture d'image et la dévalorisation des institutions de recherche, faute d'information et d'insertion dans la société, doivent cesser.

La Nation et la science doivent se rencontrer pour définir en commun leur vision de la recherche du XXI e siècle et l'organisation qu'il convient de refonder dans cette perspective.

Les Etats généraux de la recherche du XXI e siècle dont l'organisation est proposée par vos Rapporteurs, auraient une triple mission  :

? faire connaître au plus grand nombre de nos concitoyens les défis de la science moderne et les réalités de la recherche

? faire émerger une vision de la science du XXI e siècle partagée par la communauté scientifique et la communauté nationale toute entière

? définir une organisation optimale de la recherche dans le respect de la dignité de chacun et au service de l'efficacité collective.

Cette grande consultation nationale ne serait pas réduite au monde de la recherche et de l'industrie. Elle serait conduite en présence du peuple et de leurs représentants. Elle déboucherait sur un Grand contrat national pour la recherche.

2.3. Un grand Contrat d'objectifs pour la Recherche du début du XXI e siècle

Les Etats généraux de la recherche du XXI e siècle prendraient la forme d'une vaste consultation dans tout le pays, dans les régions puis au niveau national, en prenant comme point de départ les très grands équipements de la recherche du futur.

L'organisation d'Etats généraux de la recherche du XXI e siècle pourrait prendre appui sur toutes les instances consultatives du monde de la recherche, sur les organismes de recherche, sur les régions, sur le Parlement, dans un vaste processus de coopération en réseau, où l'Etat ne jouerait qu'un rôle de coordination et s'interdirait toute intervention sur le choix des thèmes abordés.

On pourrait imaginer à cet égard une organisation coopérative tripartite réunissant l'exécutif, le Parlement et les organismes de recherche, sur la base d'une Charte de la consultation nationale définissant ses objectifs et ses principes.

Les enseignements des Journées de la Science et des journées portes ouvertes de différents laboratoires, dont ceux du CEA, sont d'une grande utilité pour concevoir et organiser une opération de plus grande ampleur, qui, compte tenu de la consultation nationale réalisée, mobiliserait encore davantage la communauté scientifique.

L'organisation des Etats généraux de la recherche du XXI e siècle bénéficierait à l'évidence des médias modernes tels que les forums Internet, les chaînes thématiques voire généralistes de radiotélévision.

Ainsi serait exaucé, pour le plus grand bien de la communauté nationale, le souhait des chercheurs d'être entendus et de participer aux processus de décision.

Cette consultation permettrait de forger une vision partagée de la recherche française pour les années à venir et de faire émerger la meilleure organisation possible de la recherche pour le début du XXI e siècle, tant sur le plan des institutions de recherche que sur celui de l'aménagement du territoire.

Le peuple français et les chercheurs ressentent le besoin de passer un contrat d'objectifs pour la Recherche du début du XXI e siècle.

Il convient à la situation présente que des Etats généraux de la Recherche entreprennent de révéler les attentes, les besoins et la vision commune de la Nation et de sa communauté scientifique pour la science du futur

et,

que le Parlement traduise solennellement dans la loi commune ce Grand contrat d'objectifs pour la Recherche du début du XXI e siècle.

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