IV. QUELS REMÈDES ?

Au terme de cette analyse des piètres performances de notre pays en matière de transposition des directives, il convient de formuler quelques propositions.

De même que pour l'approche des causes du déficit français de transposition, il paraît utile de distinguer la phase administrative et la phase parlementaire.

1. Pour les dysfonctionnements administratifs

En ce domaine, comme nous l'avons constaté, non seulement le diagnostic a été établi, mais la thérapie a été clairement déterminée. Le patient, c'est-à-dire l'administration, dispose de son ordonnance, la circulaire du 9 novembre 1998. Toutes les suggestions que l'on serait tenté d'avancer y figurent.

Le problème tient au fait que le patient refuse de suivre le traitement. Et que le Gouvernement qui, aux termes de l'article 20 de la Constitution " dispose de l'administration " , semble indifférent ou hors d'état de ramener celle-ci à la raison.

La saine pratique du régime parlementaire veut alors que le Parlement joue le rôle d'aiguillon et de contrôleur et qu'il incite le Gouvernement à réagir.

Puisque la circulaire du 9 novembre 1998 prévoit fort justement que l'on doit établir des études d'impact juridique comprenant notamment la liste des textes de droit interne concernés et un avis sur le principe du texte, mais que ces études d'impact juridique, qui devraient tout à la fois éclairer la négociation et faciliter la transposition, ne sont pas en fait préparées par l'administration, il me semble que nous devrions contraindre le Gouvernement à fournir une telle étude aux délégations pour l'Union européenne des deux assemblées pour tout projet de directive ayant une incidence sur des dispositions législatives de droit interne. Le Gouvernement aura alors un bon motif d'exiger de l'administration qu'elle s'exécute et, s'il n'agit pas suffisamment en ce sens, nous serons en position d'exiger qu'il le fasse.

Et agissons de même pour les échéanciers d'adoption des textes de transposition que, selon la même circulaire, chacun des ministères participant à la transposition devrait dresser dans le délai de trois mois suivant l'adoption d'une directive.

Sans doute pourrait-on concevoir d'introduire ces exigences dans l'article 88-4 de la Constitution. Mais le réalisme et le souci de l'efficacité m'amènent plutôt à suggérer leur insertion dans l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires , c'est-à-dire dans le texte législatif qui régit les compétences et le fonctionnement des délégations pour l'Union européenne.

Dès lors que ce texte poserait l'obligation pour le Gouvernement de transmettre aux délégations ces études d'impact juridique et ces échéanciers de transposition, il serait, d'une part, plus facile pour les délégations de se prononcer sur les projets de directive qui sont soumises aux assemblées en application de l'article 88-4 et il leur reviendrait naturellement, d'autre part, la mission de suivre pas à pas les progrès des travaux administratifs de transposition.

Après le deuxième alinéa du IV de l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, insérer les deux alinéas suivants :

" Sur tout projet ou proposition d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne ayant une incidence sur des dispositions de nature législative, le Gouvernement leur communique, dans le délai d'un mois à partir de la communication de ce projet ou de cette proposition au Conseil de l'Union, une étude d'impact juridique comprenant la liste des textes législatifs de droit interne dont l'élaboration ou la modification sera nécessaire en cas d'adoption du texte, un avis sur le principe du texte sous l'angle juridique et celui de la subsidiarité, et un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales. Cette étude d'impact juridique est adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de connaître la proposition ou le projet.

Dans les trois mois suivant la notification d'une directive, le Gouvernement leur communique un échéancier d'adoption des textes législatifs permettant sa transposition en droit interne ".

2. Pour la phase parlementaire des transpositions

Faut-il, comme le suggérait le président de la délégation de l'Assemblée nationale, créer une commission permanente chargée de suivre depuis l'origine le développement des procédures juridiques correspondant aux politiques communautaires, de préparer et d'adopter les résolutions européennes et d'examiner au fond les projets de loi de transposition ?

Le sujet mériterait à coup sûr réflexion, mais on peut se demander si une telle modification institutionnelle porterait remède au déficit de transposition. Car nul n'a songé jusqu'ici à mettre en cause la disponibilité de nos six commissions permanentes pour examiner les projets de loi de transposition.

Le problème résulte en fait, soit du dépôt trop tardif de ces projets de loi pour des raisons administratives, soit de leur non-inscription à l'ordre du jour des assemblées pour des raisons politiques. Et l'on peut penser que la création d'une commission européenne n'y apporterait aucun remède.

Faut-il, comme le suggère également M. Alain Barrau, permettre aux délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat de " se saisir pour avis des projets ou propositions de loi transposant ou mettant en oeuvre des actes de la Communauté européenne ou de l'Union européenne " ?

On voit mal ce qu'une telle modification apporterait réellement de nouveau. D'ores et déjà, en effet, l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit que les délégations pour l'Union européenne " peuvent être consultées par une commission spéciale ou permanente sur tout acte ou tout projet d'acte de l'Union ou tout projet de texte législatif ayant trait aux domaines couverts par l'activité de l'Union ". Les projets de transposition entrant à l'évidence dans cette dernière catégorie, il est donc aujourd'hui possible à la commission permanente saisie d'un tel projet de solliciter l'avis de la délégation. Permettre aux délégations de se saisir pour avis proprio motu changerait-il vraiment grand chose ? On peut en douter.

Faut-il alors, comme le Gouvernement semble enclin à le souhaiter, limiter le nombre des textes soumis au Parlement pour transposition et recourir plus fréquemment à une habilitation ?

L'adoption, l'année dernière, de deux projets de loi d'adaptation au droit communautaire, l'un relatif aux transports, l'autre à l'agriculture, a montré comment le Parlement pouvait transposer rapidement et de manière rationnelle de nombreuses directives, souvent de nature très technique, sur la base d'un seul vecteur législatif.

Au demeurant, il n'est pas certain, comme on l'a vu précédemment, que cela permettrait de réduire le déficit français de transposition, mais il est sûr que cela ne contribuerait pas à la démocratisation de l'Union européenne.

En revanche, comme on l'a vu plus haut, il convient d'éviter que le Gouvernement, par crainte de heurter des composantes de sa majorité ou des partenaires économiques ou sociaux, n'empêche l'inscription d'un projet de loi de transposition à l'ordre du jour des assemblées.

A cet effet, la proposition de loi constitutionnelle, déposée par notre collègue Aymeri de Montesquiou, me paraît particulièrement judicieuse. Cette proposition tend en effet à instaurer une inscription automatique à l'ordre du jour des assemblées des textes de transposition dès lors qu'est constatée une carence du Gouvernement .

Selon le texte de la proposition d'Aymeri de Montesquiou, tout projet de loi de transposition devrait être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé pour la transposition.

Et, si cette disposition n'était pas respectée, toute proposition de loi ayant le même objet serait inscrite de plein droit à l'ordre du jour prioritaire.

En d'autres termes, si le Gouvernement ne respectait pas l'obligation qui lui est faite, il serait pénalisé en perdant la disposition d'une partie de l'ordre du jour prioritaire. Et le Parlement pourrait ainsi, sans être soumis à l'aval du Gouvernement, passer outre l'inertie gouvernementale.

*

Voilà quelques propositions, simples peut-être, mais réalistes, qui devraient permettre d'éviter que, d'ici quelques années, le Gouvernement du moment ne revienne devant le Parlement solliciter une habilitation à transposer par ordonnances un nouveau flux de directives.

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