EXAMEN EN DÉLÉGATION

(réunion du 10 janvier 2001)

M. Aymeri de Montesquiou :

Après cet exposé exhaustif de la situation, je voudrais revenir sur deux points :

- d'une part, je tiens à souligner le caractère apolitique de ma proposition de révision constitutionnelle. En effet, l'ensemble des gouvernements successifs porte la responsabilité des mauvais résultats de la France en matière de transposition des directives européennes ;

- d'autre part, je voudrais insister sur l'ampleur du phénomène. Il existe actuellement un stock de 176 directives communautaires qui sont en attente de transposition, dont 136 pour lesquelles le délai de transposition a été dépassé.

De plus, certaines de ces directives sont très précises et pourraient faire l'objet de mesures de transposition quasiment en l'état. Les raisons de ce retard tiennent donc plus à des considérations d'ordres politique et administratif, que juridique, comme le souligne le rapport présenté par le Président. Or, les conséquences de ce retard sont problématiques. Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que les directives, même lorsqu'elles n'ont pas été transposées, pouvaient être invoquées directement par le citoyen.

Pour combler ce retard, différents moyens ont été mis en oeuvre, comme les projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire ou le recours aux ordonnances.

Toutefois, ces moyens n'ont pas fait leurs preuves. De plus, quel que soit le Gouvernement en place, le Parlement est toujours réticent à l'égard des ordonnances qui s'assimilent à un dessaisissement du Parlement par l'exécutif. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé d'ajouter un article 88-5 dans la Constitution, qui contiendrait la disposition suivante :

" Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive adoptée en application des traités visés au présent titre doit être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition.

A défaut, toute proposition de loi ayant le même objet est inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire ".

Comme vous pouvez le constater, cette révision laisse un délai suffisant au Gouvernement pour déposer un projet de loi, mais donne au Parlement un rôle d'aiguillon en la matière.

Malgré tout, cette proposition présente l'inconvénient de nécessiter une révision de la Constitution. Certes, le texte constitutionnel a été révisé à de nombreuses reprises et certaines de ces révisions avaient un caractère plus technique, comme, par exemple, celle sur la date d'ouverture des sessions parlementaires. En outre, certaines révisions de la Constitution ne concernaient pas l'ensemble des citoyens, comme celle relative au statut de la Nouvelle-Calédonie, alors que les directives concernent directement la vie quotidienne de tous les citoyens.

M. Simon Sutour :

Je me réjouis que l'on poursuive ainsi le débat sur la transposition des directives qui a eu lieu récemment au Sénat et à l'Assemblée nationale. Lors de son audition par la commission des lois du Sénat, le ministre délégué chargé des Affaires européennes, avait d'ailleurs souhaité qu'une réflexion soit menée sur cette question.

Il considérait, en effet, que le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire était indispensable mais ne constituait pas une solution satisfaisante pour l'avenir.

Néanmoins, le caractère consensuel du débat me semble contestable. Je rappellerai que la discussion de ce projet de loi a suscité des controverses à l'Assemblée nationale. Ayant moi-même participé aux travaux de la Commission mixte paritaire, qui avait abouti à un accord, j'ai pu constater que certains députés de l'opposition étaient, par la suite, revenus sur leur position.

Je considère donc que, si le rapport du Président et la proposition de M. Aymeri de Montesquiou me semblent intéressantes, il convient aussi de prendre en considération ces propositions formulées par le président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, M. Alain Barrau. Il me paraît également nécessaire de connaître la position du Gouvernement sur cette question. En effet, je souhaiterais que ce processus se déroule de manière véritablement consensuelle en tenant compte de l'avis de chacune des parties concernées.

M. Yann Gaillard :

Ce débat me laisse très perplexe. De manière quelque peu provocatrice, pourquoi ne pas proposer de rendre les directives directement applicables dans l'ordre interne ? Après tout, ces directives ont été adoptées par un mécanisme démocratique, qui associe le Conseil et le Parlement européen, dans le cadre de la codécision.

Tant qu'à organiser la dépossession des Parlements nationaux, autant le faire jusqu'au bout, plutôt que de nous transformer en notaires de notre propre insuffisance.

Mme Marie-Claude Beaudeau :

Ayant été saisie par plusieurs organisations lors de la discussion du projet de loi du Gouvernement à propos de la directive relative à la protection des jeunes au travail, j'ai pu constater la complexité de ce texte et la difficulté de connaître ses implications sur la réglementation en vigueur en France, notamment sur le Code du travail.

Je pourrais dire la même chose, en ce qui concerne la directive concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées au allaitantes au travail. Je suis donc très étonnée de l'absence d'étude d'impact.

Je crois qu'il s'agit d'une affaire sérieuse qui touche à la confiance entre les citoyens et leurs représentants et qu'il est nécessaire de faire des propositions, afin qu'au moins ces études d'impact soient rendues obligatoires.

M. Claude Estier :

Je rejoins les observations formulées par M. Sutour.

Je voudrais simplement ajouter que ce sujet doit être abordé en liaison avec le Gouvernement. En effet, il convient de ne pas se faire trop d'illusions sur la proposition de révision constitutionnelle qui restera lettre morte.

M. Robert Del Picchia :

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Beaudeau sur la nécessité d'une explication claire du contenu des directives, qui sont souvent trop complexes pour les citoyens et parfois même pour les experts.

Je ne partage pas, en revanche, le pessimisme de mon collègue sur la révision constitutionnelle, car il s'agit tout simplement de la création d'un mécanisme d'alerte.

M. Maurice Blin :

Je souhaiterais poser deux questions :

- d'une part, la transposition d'une directive doit faire l'objet d'un débat public ou peut-on imaginer une procédure plus rapide ? En effet, une directive ne tombe pas du ciel. Elle a pu être inspirée par un Etat. Elle bénéficie, de plus, d'un préjugé favorable, puisque le Gouvernement l'a approuvée. Il s'agit donc d'une procédure comparable à celle des projets de loi ;

- d'autre part, je souhaiterais connaître la manière dont les autres Etats membres mettent en oeuvre la transposition des directives européennes.

M. Hubert Haenel :

Je voudrais rappeler, pour répondre à votre première interrogation, que c'est la Commission européenne qui a le monopole de l'initiative pour l'adoption formelle des directives.

Par ailleurs, les raisons principales du retard de la France en matière de transposition sont, d'une part, le désintérêt de l'administration, et, d'autre part, des désaccords sur le fond.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je suis parti d'un constat bien connu de chacun et dépourvu de toute arrière pensée politique : le retard chronique de la France en matière de transposition des directives.

A cet égard, je voudrais saluer l'idée provocatrice de M. Yann Gaillard, mais je ne crois pas que l'opinion française soit favorable au fédéralisme.

J'ai donc proposé un système qui évite le recours aux ordonnances, pour les dispositions de nature législative.

M. Hubert Haenel :

Je crois que tout le monde est d'accord sur la nécessité de remédier à ce problème et je pense qu'il est nécessaire de travailler sur cette question avec le Gouvernement.

La proposition de révision constitutionnelle, présentée par M. Aymeri de Montesquiou, a déjà été déposée devant la commission des lois constitutionnelles et de la législation.

J'ai l'intention de déposer ma propre proposition de loi ordinaire visant à modifier l'ordonnance du 17 novembre 1958 afin qu'elle soit discutée devant la même commission.

Ces deux textes pourront ensuite être inscrits à l'ordre du jour de la séance mensuelle réservée au Parlement.

La délégation a alors approuvé le rapport d'information.

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