E. LES COOPÉRATIONS RENFORCÉES

Le thème des coopérations renforcées a été ajouté à l'ordre du jour de la CIG en juin 2000, lors du Conseil européen de Feira, alors que la Conférence était déjà lancée.

Cependant, ce thème a toujours été étroitement lié à celui de l'élargissement. Avec l'accroissement du nombre de ses membres, l'Union devient progressivement moins homogène : pour que le rythme de la construction européenne ne soit pas dicté par les pays membres les moins disposés à avancer ou les moins en mesure de le faire, il paraît indispensable d'offrir la possibilité d'aller plus loin dans l'intégration, dans des domaines déterminés, aux Etats membres qui en ont la volonté et la capacité, dès lors que les autres Etats membres conservent à tout moment la possibilité de les rejoindre.

Si les coopérations renforcées n'ont pas figuré dès le départ à l'ordre du jour de la CIG, c'est parce que le traité d'Amsterdam comportait déjà un dispositif très complet dans ce domaine, et que certains Etats membres jugeaient ce dispositif suffisant, ou du moins faisaient valoir que le recul du temps et l'expérience manquaient pour l'évaluer : le traité d'Amsterdam était en vigueur depuis moins de deux ans, et aucune coopération renforcée n'avait été lancée dans le cadre qu'il avait mis en place. D'autres Etats membres, au contraire, estimaient que, si aucune coopération renforcée n'avait été lancée, c'était parce que les dispositions d'Amsterdam étaient exagérément rigoureuses, au point de déboucher sur une impossibilité pratique.

L'accord final prévoit une réécriture complète des dispositions du traité d'Amsterdam, mais en conservant une grande partie de leur substance. Malgré des assouplissements sur des points importants, le régime des coopérations renforcées reste très contraignant sur bien des points.

1. Les dispositions générales

Comme le traité d'Amsterdam, le traité de Nice contient des dispositions générales, applicables à toutes les coopérations renforcées, et des dispositions spécifiques, en fonction du pilier concerné. Toutefois, alors que le traité d'Amsterdam réservait les coopérations renforcées au premier et troisième piliers, celui de Nice prévoit leur possibilité dans les trois piliers.

Les conditions de fond générales à remplir pour lancer une coopération renforcée reprennent les dispositions en vigueur , en apportant la précision supplémentaire que les coopérations renforcées ne doivent pas porter atteinte au marché intérieur, ni à la cohésion économique et sociale.

Comme auparavant, les coopérations renforcées ne peuvent être lancées qu'en dernier ressort. Sur ce point toutefois, le traité de Nice apporte deux modifications.

Les dispositions en vigueur prévoient qu'une coopération renforcée ne peut être lancée que " lorsque les objectifs des traités ne pourraient être atteints en appliquant les procédures pertinentes qui y sont prévues " (article 43 du TUE). Selon la clause de dernier ressort du traité de Nice, les coopérations renforcées ne peuvent être engagées que " lorsqu'il a été établi au sein du Conseil que les objectifs qui leur sont assignés ne peuvent être atteints, dans un délai raisonnable, en s'en tenant aux dispositions pertinentes des traités " .

La nouvelle rédaction mentionne les objectifs des coopérations renforcées, et non plus les objectifs des traités eux-mêmes, ce qui suggère que les coopérations renforcées pourraient poursuivre des objectifs ne découlant pas directement et explicitement des traités (mais, en toute hypothèse, une coopération renforcée ne peut, au titre des conditions de fond à remplir, avoir d'autre but que de favoriser la réalisation des objectifs de l'Union, de préserver et servir ses intérêts, et de renforcer le processus d'intégration).

Par ailleurs, le texte adopté à Nice introduit la notion de " délai raisonnable " pour l'évaluation de la nécessité du recours à une coopération renforcée, ce qui pourrait être un argument important pour les Etats membres ayant à justifier leur volonté de lancer une coopération renforcée.

•  Pour ce qui est des conditions de forme, la nouveauté apportée par le traité de Nice est que le nombre d'Etats membres requis pour lancer une coopération renforcée est fixé ne varietur à huit , alors que, jusqu'à présent, une majorité des Etats membres était requise. Dans l'Union élargie, une coopération renforcée pourra donc être engagée par moins d'un tiers des Etats membres.

•  Les nouvelles dispositions générales contiennent également une clause qui charge le Conseil et la Commission d'assurer la " cohérence des actions entreprises " dans le cadre des coopérations renforcées, " ainsi que la cohérence de ces actions avec les politiques de l'Union et de la Communauté " .

•  Enfin, les dispositions retenues à Amsterdam pour le fonctionnement des coopérations renforcées ne sont pas modifiées . Les règles de décision fixées par les traités sont applicables. Le Parlement européen et la Commission jouent leur rôle avec la totalité de leurs membres. Au sein du Conseil, tous les Etats membres peuvent prendre part aux délibérations, mais seuls les Etats qui participent à la coopération renforcée ont le droit de vote.

Le maintien de ces dispositions, alors que dans l'Union élargie des coopérations renforcées pourront être lancées par moins d'un tiers des Etats membres, constituera dans certains cas une contrainte très forte. En effet, lorsqu'une coopération renforcée portera sur un domaine où le Parlement européen dispose d'un pouvoir de codécision, il exercera ce pouvoir avec la totalité de ses membres. On aboutira donc, dans ce cas, à une codécision entre un Conseil où ne voteront qu'une partie - éventuellement huit sur vingt-sept - des Etats membres, et un Parlement européen où voteront les députés de tous les Etats membres.

Ainsi, les députés des Etats membres ne participant pas à une coopération renforcée pourront être en majorité dans le Parlement européen lorsque celui-ci codécidera des mesures à prendre dans le cadre de cette coopération renforcée.

Dans les nombreux domaines où le Parlement européen dispose d'un pouvoir de codécision, le dispositif des coopérations renforcées n'aura donc de pertinence que lorsque la coopération renforcée regroupera la très grande majorité des Etats. Mais comme, dans de cas, la majorité qualifiée sera normalement obtenue au sein du Conseil, le recours à une coopération renforcée n'aura alors guère de raison d'être.

Les coopérations renforcées semblent donc appelées à concerner principalement les deux piliers intergouvernementaux de l'Union et le petit nombre de domaines relevant du premier pilier où la procédure de codécision n'est pas applicable.

2. Les dispositions spécifiques

a) Le pilier communautaire

Le principal assouplissement introduit par le traité de Nice est la suppression du droit de veto des Etats membres . Aux termes du traité d'Amsterdam, le Conseil donnait certes à la majorité qualifiée l'autorisation de lancer une coopération renforcée, mais si un Etat membre faisait valoir " des raisons de politique nationale importantes ", le Conseil ne pouvait passer au vote, mais seulement saisir le Conseil européen - ou plus exactement le Conseil réuni au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement, ce qui excluait le président de la Commission européenne - en vue d'une décision à l'unanimité.

Désormais, un Etat membre opposé au lancement d'une coopération renforcée peut seulement demander que cette question soit " évoquée " devant le Conseil européen. Ensuite - sauf conclusion contraire de ce dernier - le Conseil statue à la majorité qualifiée pour autoriser la coopération renforcée.

En revanche, comme auparavant, une coopération renforcée ne peut être engagée dans le premier pilier qu'avec l'accord de la Commission européenne , qui est seulement tenue, en cas de refus, d'expliquer aux Etats membres concernés pourquoi elle ne donne pas suite à leur demande.

En outre - et il s'agit là d'une contrainte nouvelle - lorsque la coopération renforcée vise un domaine qui relève de la procédure de codécision (ce qui est le cas le plus fréquent dans le pilier communautaire), l'avis conforme du Parlement européen est requis.

Enfin, le traité de Nice maintient la règle selon laquelle lorsqu'un Etat membre souhaite rejoindre une coopération renforcée déjà lancée, la Commission est seule compétente pour apprécier de la suite à donner à sa demande. Certains Etats membres ne peuvent donc utiliser les coopérations renforcées pour constituer au sein de l'Union un groupe fermé.

b) Le deuxième pilier (politique extérieure et de sécurité commune)

L'introduction des coopérations renforcées dans le deuxième pilier rompt avec l'optique du traité d'Amsterdam, dont les négociateurs avaient considéré que le mécanisme de " l'abstention constructive " - permettant à des Etats membres de se dissocier d'une action de l'Union sans pour autant l'empêcher - rendait inutile, dans le cas du deuxième pilier, le recours aux coopérations renforcées.

• Les coopérations renforcées dans le deuxième pilier sont soumises à des conditions de fond supplémentaires. Leur but doit être de " sauvegarder les valeurs et servir les intérêts de l'Union dans son ensemble en affirmant son identité en tant que force cohérente sur la scène internationale ". Elles doivent respecter les principes, objectifs et orientations de la PESC ainsi que les décisions prises dans son cadre. Elles doivent également respecter les compétences de la Communauté européenne et la cohérence entre l'ensemble des politiques de l'Union et son action extérieure.

Les coopérations renforcées ne peuvent porter que sur la mise en oeuvre d'une action commune ou d'une position commune. Les stratégies communes, qui relèvent du Conseil européen, ne peuvent être décidées que par accord entre tous les Etats membres.

Les coopérations renforcées ne peuvent pas porter sur des questions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. Cette restriction a été apportée à la demande des Etats membres soucieux de préserver les liens entre la PESD et l'OTAN.

• La procédure à suivre est totalement distincte de celle prévue pour le pilier communautaire. L'autorisation est accordée par le seul Conseil , statuant à la majorité qualifiée, après consultation de la Commission et information du Parlement européen.

Chaque Etat membre dispose d'un droit de veto , s'il peut faire valoir " des raisons de politiques nationales importantes ". Le Conseil peut alors décider, à la majorité qualifiée, de saisir le Conseil européen en vue d'un accord unanime.

Le Haut représentant pour la PESC est chargé de veiller à ce que tous les membres du Conseil et le Parlement européen soient pleinement informés de la mise en oeuvre des coopérations renforcées.

Tout Etat membre peut demander à rejoindre une coopération renforcée. Le Conseil statue dans un délai de quatre mois sur cette demande ainsi que sur les " dispositions particulières " qu'il peut juger nécessaires. La demande est réputée acceptée à moins que le Conseil ne décide, à la majorité qualifiée, de la " tenir en suspens ". Sous une forme différente, cette clause a pour objet, comme dans le cas du premier pilier, d'éviter la formation de groupes fermés au sein de l'Union.

c) Le troisième pilier (coopération en matière de justice et d'affaires intérieures - JAI)

Les coopérations renforcées dans le troisième pilier sont également soumises à des conditions de fond supplémentaires. Elles doivent avoir pour but " de permettre à l'Union de devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité et de justice ". Elles doivent s'inscrire dans les objectifs assignés au troisième pilier et respecter les compétences de la Communauté européenne.

La procédure à suivre emprunte des éléments tantôt au premier et tantôt au deuxième pilier. Elle est finalement la moins contraignante, car ni l'accord de la Commission ni celui du Parlement européen ne sont requis, et les Etats membres n'ont pas de pouvoir de veto.

Les Etats membres souhaitant lancer une coopération renforcée doivent adresser une demande à la Commission. Si celle-ci décide de ne pas y donner suite, ils peuvent adresser leur demande directement au Conseil, qui statue à la majorité qualifiée. Comme dans le cas du premier pilier, un Etat membre peut demander que la question soit " évoquée " devant le Conseil européen. Sauf conclusion contraire de ce dernier, le Conseil peut ensuite autoriser à la majorité qualifiée le lancement de la coopération renforcée.

La clause permettant à d'autres Etats membres de se joindre à la coopération renforcée est , en substance, identique à celle prévue dans le cas du deuxième pilier.

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