Chapitre 3 - Un essai de mise en perspective historique

Une mise en perspective historique fait apparaître la faiblesse des progrès accomplis en matière d'information sur les administrations publiques en France.

Le Rapport d'orientation budgétaire déposé par le gouvernement en mai 2000 rappelle avec pertinence la nécessité de la transparence. Ainsi fait-il observer que « la transparence des finances publiques vise deux objectifs : accroître la crédibilité de la politique budgétaire et donc sa soutenabilité à moyen terme, éclairer la gestion et les choix de dépense publique par une meilleure mesure des coûts et des performances ». Un bref rappel historique montre que ces objectifs, qui étaient présents au moment de la loi organique de 1959, ont été depuis perdus de vue et que le poids relatif accordé à chacun de ces deux objectifs a beaucoup varié dans le temps.

Si l'on s'en tient au cas de la France, on constatera sans être surpris que, dans les années cinquante, les nécessités de la reconstruction et l'instabilité politique n'avaient permis de satisfaire convenablement ni au premier ni au second de ces objectifs. Les premiers gouvernements de la Cinquième République ont été amenés à placer d'abord l'accent sur la restauration de la crédibilité et de la soutenabilité de la politique budgétaire. C'est dans cette perspective qu'il faut situer l'ordonnance du 2 janvier 1959 dont les effets favorables sur le rétablissement de nos finances publiques ont été rapides.

Dès lors que l'objectif de crédibilité a été atteint, un vaste mouvement de réforme de nos procédures budgétaires a été engagé en vue de mieux atteindre le second objectif : « éclairer la gestion et les choix de dépense publique par une meilleure mesure des coûts et des performances ». Il est intéressant de rappeler les fondements de cette démarche et les obstacles qui ont été rencontrés, en raison notamment de l'insuffisance de l'information budgétaire. Il est important de rappeler que la réforme de l'Etat a rapidement buté sur l'insuffisance de notre système d'information sur les administrations publiques.

3.1. L'expérience de la RCB a buté sur l'insuffisance du système d'information public

Au début 1968, le gouvernement français engageait une réforme profonde des méthodes budgétaires. Par un arrêté du 13 mai 1968 (JO du 15 mai) le Ministre de l'Economie et des Finances créait une équipe de travail (la « mission RCB ») ayant pour objectif « d'expérimenter une méthode tendant à la rationalisation des choix budgétaires et au contrôle des résultats de l'action administrative par des études d'analyse de système et de coût-efficacité ». Dans l'exposé de sa mission, le responsable de cette équipe, M. Philippe Huet, estimait que « La RCB, - par un revirement complet des perspectives et des méthodes de l'action publique, par l'utilisation des techniques de calcul formelles et mécaniques offertes grâce au développement des ordinateurs, par la modification des mentalités et des relations administratives qu'elle implique, ouvre au Gouvernement qui la pratique et à l'Administration qui l'applique la perspective de résoudre efficacement à la fois ces problèmes d'économie, d'organisation et d'information ensemble posés. »

« L'essence de la méthode consiste et à définir des « objectifs » - aussi complètement et précisément que possible - et à comparer systématiquement tous les moyens utilisables pour les atteindre. Les avantages et les coûts de chaque action administrative font l'objet d'une évaluation - fondée, si besoin est, sur des estimations forfaitaires - afin de développer au maximum les possibilités de calcul. Non seulement les coûts et avantages directs sont pris en compte, mais tout ce qui constitue une charge ou un gain indirect pour la collectivité. »

D'emblée apparaissait l'enjeu d'une information structurée sur les administrations publiques : « La construction de nomenclatures exhaustives, base du travail de regroupement des dépenses, permet de recenser et de reclasser l'ensemble des problèmes traités par le Ministère ou l'Unité administrative en cause. L'importance prioritaire de certains, parfois oubliée, peut apparaître alors. De même, la collecte systématique dans les nouveaux cadres descriptifs d'une information complète sur les coûts et les résultats des programmes existants, afin de permettre une étude économique des projets, décèle les inadaptations des données statistiques recueillies et les failles dans leur collecte. Enfin la réflexion sur les activités et les objectifs conduit à s'interroger sur l'adaptation à ses missions de l'organisation du Ministère en cause. »

La RCB a donné lieu à de nombreuses initiatives, y compris à l'établissement d'une nouvelle série de documents budgétaires (les « blancs » budgétaires) particulièrement intéressants de notre point de vue car ils tentaient de rapprocher les coûts des programmes d'action administrative et les objectifs chiffrés assignés à ces programmes. Pourtant, malgré le caractère légitime et cohérent de la démarche engagée, la tentative de rationalisation des choix budgétaires a été pratiquement abandonnée au début des années 80. Il convient de s'interroger sur les raisons de cet échec.

Après une dizaine d'années d'efforts méthodologiques et de procédures, les années quatre-vingt et la première partie des années quatre-vingt-dix marquent en fait une régression sur les deux plans de l'équilibre des comptes publics et de l'efficacité de l'action publique. L'objectif de crédibilité des finances publiques a été progressivement perdu de vue au point que tous les budgets de l'Etat ont été présentés et exécutés au cours de cette période avec un déficit, même dans les meilleures années de conjoncture économique comme 1989 et 1990, et que les comptes des administrations publiques ont été en 1993 parmi les plus mauvais de notre histoire économique. Il en est résulté au début des années quatre-vingt-dix une situation budgétaire insoutenable qui a imposé des mesures de rééquilibrage urgentes et de grande ampleur.

Pour ce qui concerne l'objectif d'amélioration des choix publics, les dispositifs de rationalisation du processus budgétaire mis en place dans les années soixante-dix s'est avéré plus lourd que prévu et il s'est heurté à l'insuffisance de l'information statistique, et économique nécessaire à l'éclairage des choix. A la fin des années soixante-dix une nouvelle étape méthodologique s'imposait. C'est en fait l'objectif lui-même qui a été abandonné au début des années quatre-vingt. Rationalisation des choix budgétaires, budgets de programmes et indicateurs de résultats ont été supprimés de notre pensée budgétaire. La nécessité d'une information détaillée sur les coûts et les performances publics structurées pour nourrir la procédure budgétaire ayant disparu, l'information budgétaire n'a plus enregistré aucun progrès et elle a même dans plus d'un cas régressé.

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