CONCLUSION :
LA CULTURE EST UNE FORCE

Le 2 février 2000, devant le Parlement européen, Mme Viviane Reding, commissaire en charge de la Culture déclarait : " la situation budgétaire n'est pas à la hauteur de nos ambitions " et ajoutait un peu plus loin : " Si l'Union est faite uniquement d'économique, elle est morte née. "

Ce double constat résume parfaitement la contradiction dans laquelle est enfermée la notion d'une culture européenne qui relèverait de la politique.

De fait, la création culturelle ne se décrète pas. Elle est spontanée, imprévisible, bref affaire privée. La planifier serait l'étouffer et méconnaître la diversité d'une culture qui en Europe, depuis la Renaissance, s'est diffractée à travers les langues et les tempéraments nationaux.

Aussi bien, n'est-ce ni le danger ni, a fortiori, l'ambition de la politique culturelle que l'Union tente aujourd'hui de conduire. Le défi qu'elle doit relever est bien différent. Il consiste à créer le contexte technique, juridique, économique qui répond aux conditions qui sont celles de la culture du XXIe siècle. Celle-ci ne s'adresse plus en effet à une élite comme autrefois mais à un marché devenu planétaire.

C'est en aval et non plus en amont, au niveau non de la création mais de la diffusion de ses oeuvres que se joue l'avenir de la culture européenne. Et là le problème est double. Il faut d'une part ouvrir les unes aux autres des cultures qui, très marquées par le fait national, restent cloisonnées et d'autre part, grâce à la maîtrise des nouvelles technologies de la communication, permettre à la culture de l'Europe de rayonner par delà ses frontières.

Cela dépend à la fois de l'harmonisation technique et juridique des politiques des Etats membres de l'Union et de l'ampleur des moyens financiers qui l'accompagneront.

Il s'agit donc bel et bien, on le voit, d'un projet politique . Et il y a des précédents. C'est lui qui a présidé à la création d'une monnaie unique. C'est lui qui dans le domaine militaire a été à l'origine de la réorganisation concertée de l'industrie d'armement ou de la mise en place d'une force commune d'intervention rapide.

Il doit en être de même de la culture. Car celle-ci n'est plus seulement affaire privée. Elle est aujourd'hui une force.

Si l'Europe continuait d'ignorer ce que les Etats-Unis ont si bien compris, elle mettrait en péril la place qu'elle entend tenir dans le monde de demain. EXAMEN DU RAPPORT PAR LA DELEGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 31 janvier 2001 pour l'examen du présent rapport.

M. Hubert Haenel :

Merci, cher collègue, pour ce plaidoyer. Vous concluez en disant que la culture est une force, mais est-ce une force de l'Europe ? La question reste posée.

Vous avez dressé un état des lieux préoccupant avec une déferlante de la culture d'origine américaine et vous avez esquissé ce que devrait être l'action de l'Europe en matière culturelle.

M. Xavier de Villepin :

J'ai été extrêmement intéressé par votre rapport, mais assez perplexe sur les propositions. Je pense, en effet, qu'il ne faut pas centraliser, et donc politiser, la culture, à l'image du modèle français. Ne faudrait-il pas confier ce domaine à des professionnels, plutôt qu'à des politiques ? Je pense notamment à des intellectuels ou à des personnalités comme des académiciens, des écrivains ou des historiens connus. Je ne crois pas, en effet, que l'image donnée par certains ministres de la culture française soit positive.

M. Maurice Blin :

Je partage vos craintes à l'égard d'une politique culturelle centralisée. Il ne convient pas de prendre pour modèle la " politique culturelle à la française " dont l'exemplarité est sujette à caution et contestée en Europe. Mais on constate qu'en Europe l'homme de culture ne se salit pas les mains. Il est resté par vocation, par essence, étranger au monde des affaires. A titre de comparaison, on peut citer le cas de la recherche. Notre collègue Denis Badré rappelait récemment que les universitaires américains contribuaient à la recherche privée, alors qu'en Europe les deux mondes restent cloisonnés. La distinction typiquement européenne entre la culture et le marché reproduit celle entre le spirituel et le temporel qui a si fortement marqué son histoire. Or, avec l'arrivée massive de produits culturels d'origine américaine, cette distinction tend à s'effacer.

Cette conjonction de la culture et du marché, de l'art et de l'argent, est en tout point contraire à la tradition la plus ancienne et la plus profonde de l'Europe. Pourra-t-elle relever ce défi ? Ou, pour dire la chose autrement, l'Europe pourra-t-elle produire une forme de culture radicalement nouvelle qui lui fasse sa place sans se trahir ? La difficulté vient de ce que l'oeuvre culturelle doit s'adresser désormais à un public planétaire.

M. Xavier de Villepin :

Un homme comme André Malraux était porteur d'un tel message.

M. Maurice Blin :

C'est vrai, mais aujourd'hui y a-t-il encore des artistes européens porteurs d'un message universel ? On pourrait donner l'exemple du film " La vie est belle " de Roberto Begnini, mais y en a-t-il beaucoup ?

M. Lucien Lanier :

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'idée de M. Xavier de Villepin de confier la culture à des personnes " cultivées ". Si on prend l'exemple de la recherche scientifique, l'expérience m'a appris que la politique de la recherche ne devait surtout pas être confiée à des scientifiques. Comme vous le soulignez, la culture européenne se heurte à deux difficultés. La première, c'est qu'elle reste cloisonnée entre les particularités nationales. La seconde tient à la difficulté de s'adapter au monde d'aujourd'hui. Or, nous avons été formés à une culture " classique ", littéraire. Aujourd'hui, la culture devient de plus en plus scientifique. J'ajouterai une troisième difficulté : comment parler d'une culture européenne sans y inclure l'immense culture russe ? Il faudrait trouver un moyen d'associer la culture des Etats européens ne faisant pas partie de l'Union européenne. Je considère qu'il est nécessaire que la Commission européenne mène une réflexion générale sur la culture car celle-ci, comme la solidarité ou la défense, est indissociable de la construction européenne.

M. Pierre Fauchon :

La question de la culture est protéiforme. Je voudrais rappeler que les ballets de Lully ou les opéras de Monteverdi n'attiraient pas beaucoup de public à leur époque. Je crois que la culture est indiscutablement élitiste. Certes, il existe aujourd'hui des moyens de diffusion de masse. Mais il a toujours existé une distinction entre la culture élitiste et la culture populaire, entre l'opéra et le folklore. On regarde toujours avec admiration les peintures de Vermeer, alors qu'il y avait certainement des peintres plus connus à son époque.

Je suis entièrement d'accord avec vous sur la place de la musique, qui reste d'une grande vitalité en Europe, y compris dans la création. J'ai assisté récemment à la retransmission du requiem de Verdi, joué par l'orchestre philarmonique de Berlin, dirigé par un Italien, Claudio Abado, avec des choeurs suédois et des solistes de différentes nationalités. J'ai trouvé que, de ce point de vue, la culture européenne ne se portait pas si mal. On pourrait citer également la danse.

A l'égard d'une " politique culturelle ", je suis extrêmement réticent, car je crains un dirigisme culturel si elle était gérée par des technocrates. Et je crains plus les technocrates du secteur de la culture que les autres, à l'image des FRAC (Fonds régionaux pour l'Art contemporain) largement soumis aux lobbies.

J'ai moi-même eu l'expérience de la création d'un musée sur les croisades dans mon département, financé en partie par les fonds structurels, alors qu'obtenir des financements par des programmes culturels européens m'a paru impossible. Je suis donc plutôt favorable aux fonds structurels consacrés à la culture, plutôt qu'à une " politique culturelle " européenne.

Par contre, si je reste réticent à l'égard des aides à la création, je crois beaucoup aux efforts en matière de notoriété par la remise de prix et à la formation.

Enfin, la culture européenne se manifeste par sa diversité. On peut donner l'exemple des cités de l'Italie de la Renaissance.

M. Maurice Blin :

Je pense, en effet, qu'il ne faut pas aller vers un centralisme culturel européen. Mais des actions culturelles sont indispensables face à la prépondérance américaine. Cela passe, par exemple, par la rédaction d'un manuel d'histoire européenne commun aux Européens. Peut-être pourrait-on instituer également une Académie européenne, un cénacle des artistes européens, à l'image de l'Académie française ?

L'Europe se caractérise par sa diversité culturelle. Mais si elle ne prend pas conscience que sa singularité est menacée comme les Curiaces face aux Horaces, elle deviendra incapable de l'exprimer dans l'art. Or ce fut là, depuis dix siècles, l'une de ses forces.

M. Lucien Lanier :

Je voudrais rappeler qu'il n'y aura de culture européenne que s'il existe une langue véhiculaire. Or, la langue française a été très mal défendue par les spécialistes face à l'anglais.

A l'issue de ce débat, la délégation a autorisé la publication du présent rapport.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page