C. QUATRE VOIES RESTENT OUVERTES

Pour donner davantage de cohérence et de visibilité à une action culturelle européenne, plusieurs voies restent ouvertes :

• une augmentation des ressources ;

• des améliorations institutionnelles ;

• la coopération renforcée ;

• l'alliance avec des tiers.

1. Vers le 1 % culturel ?

L'Union consacre actuellement environ 0,5 % de son budget à la culture. Mais les deux programmes majeurs Culture 2000 et Média Plus n'en reçoivent que le quart, la différence allant aux fonds structurels dont la dimension européenne est au moins contestable.

Certains ont donc proposé que les dépenses de culture soient progressivement portées à 1 % du budget communautaire. Mais il n'ont que bien peu de chance d'être entendus. En effet, l'exemple français est loin d'être convaincant. L'aide importante au cinéma dont le rôle dans la formation de l'imaginaire est déterminant entretiendrait des oeuvres à vocation élitiste et confidentielle dont le rayonnement européen, a fortiori mondial, est à peu près inexistant.

2. Des améliorations institutionnelles

Une autre difficulté majeure tient à l'insuffisante prise en compte de la culture parmi les autres politiques européennes, telle que l'exige l'article 151 § 4.

Il convient tout simplement de mieux faire appliquer les dispositions du traité. Cela suppose de nouvelles méthodes de travail au sein de la Commission et du Conseil.

Ainsi, la direction générale chargée de la Culture devrait voir son rôle renforcé en matière culturelle, notamment à l'égard des directions générales chargées de la concurrence et de la société de l'information. Mieux, une cellule spéciale composée de représentants de différentes directions générales, dont celle de la Culture, interviendrait chaque fois qu'un sujet abordé appellerait la prise en compte de la culture au titre d'autres politiques (concurrence, nouvelles technologies, relations extérieures, etc.).

Une autre solution consisterait à confier certains dossiers à caractère transversal et ayant des implications en matière culturelle à des services relevant directement du président de la Commission . Celui-ci pourrait alors veiller à une prise en compte effective des aspects culturels par telle ou telle direction générale. Cette solution a été appliquée notamment à propos de l'initiative " e Europe ", en dépit des réticences de la direction générale chargée de la société de l'information, et avec un certain succès, puisque le président de la Commission a réussi à inclure dans cette initiative le programme sur les contenus culturels européens " e contenu ".

Enfin, les ministres chargés de la Culture devraient jouer un rôle plus important au sein du Conseil " Culture ", alors qu'actuellement de nombreuses propositions ayant une plus ou moins grande dimension culturelle, sont examinés dans d'autres enceintes, comme le Conseil " Marché intérieur " ou le Conseil " Télécommunications ". Les Etats devraient veiller également à se faire représenter au Conseil " Culture " par les ministres en charge de la culture, lorsque ceux-ci existent, et non par les ministres des Affaires étrangères ou de l'Economie et des Finances.

3. L'avenir de la coopération renforcée ?

Face au risque de paralysie qui découlent du maintien de la règle de l'unanimité, les nouvelles avancées de la construction européenne en matière d'action culturelle pourraient prendre la forme de coopérations renforcées.

La notion de " coopération renforcée ", de " différenciation ", de " géométrie variable " ou de " flexibilité " signifie la possibilité, pour une " avant-garde " d'Etats membres, de réaliser, ensemble, un approfondissement de la construction européenne, dans un domaine de leur choix.

Il s'agit d'un thème récurrent de la construction européenne, même si les réalisations pratiques demeurent limitées à un petit nombre de domaines. Mais il risque de redevenir particulièrement actuel dans la perspective de l'élargissement qui va accroître l'hétérogénéité de l'Union européenne.

Les coopérations renforcées ont existé de facto avant même leur reconnaissance par le traité d'Amsterdam. Mais elles étaient soit organisées en dehors des traités (les accords de Schengen), soit organisées par les traités eux-mêmes (UEM). Pour la première fois, le traité d'Amsterdam a prévu leur possibilité selon une procédure fixée par le traité, mais sans que leur objet soit précisé.

Il s'agit toutefois d'une avancée limitée, puisque les conditions de mise en oeuvre d'une coopération renforcée sont définies de manière très stricte :

- elle ne peut être décidée qu'en " dernier ressort " ;

- une majorité d'Etats membres doit y être favorable (soit huit actuellement) ;

- un Etat membre peut s'opposer à l'engagement de certains autres Etats membres dans une coopération renforcée " pour des raisons de politique nationale importantes qu'il expose ". Il s'agit là d'une sorte de droit de veto ;

Il reste que le développement d'une Europe à géométrie variable semble inévitable et .... souhaitable dans la perspective de son élargissement :

- ce dernier accroîtra son hétérogénéité et rendra sans doute nécessaire une intégration différenciée ;

- de plus, il concerne des pays beaucoup moins développés. Si le principe reste l'adoption de l'ensemble de l'acquis communautaire, on ne peut exclure des exceptions et l'application dérogatoire des règles européennes, au moins dans un premier temps.

Le Royaume-Uni s'est longtemps opposé à une intégration différenciée. Cela alors même qu'il l'a pratiquée en matière monétaire et sociale. Pourrait-il la refuser dans le domaine culturel ?

Au nom même du pragmatisme qui le caractérise, on pourrait envisager par exemple un accord de coopération particulier entre les pays du sud de l'Europe, héritiers de la même culture latine. Si ses résultats étaient probants, ils pourraient avoir valeur d'exemple et force d'entraînement.

Au demeurant, le Traité de Nice a confirmé le principe de la coopération renforcée et supprimé la règle du veto. Mais pour tout domaine concernant le premier pilier, dont fait partie la culture, la Commission a reçu mission de vérifier que ses objectifs étaient bien conformes au traité.

4. L'alliance avec des tiers

L'avenir de la culture en Europe ne relève pas seulement de la politique conduite par les Etats ou inspirée par la Commission. Elle dépend aussi de deux facteurs : le dynamisme et l'inventivité des créateurs, l'ampleur des moyens de diffusion dont leurs oeuvres peuvent bénéficier. Dans ces deux domaines, l'Amérique forte de ses grands groupes qui dominent le cinéma, la télévision, l'information dispose par rapport à l'Europe d'une grande longueur d'avance et la tient sous son emprise.

Celle-ci n'aurait que deux façons d'y échapper. Entreprendre une inévitable révolution culturelle demandera du temps. Une autre voie s'offre à elle : allier la richesse de ses contenus à la capacité de diffusion des sociétés d'Outre Atlantique .

C'est celle où s'est engagé le groupe français Vivendi avec sa filiale Canal +, première chaîne à péage européenne mais soumise aujourd'hui à une concurrence sévère, en fusionnant avec le canadien Seagram, propriétaire des studios de cinéma Universal et de la compagnie de disques Universal Music (ex Polygram).

La Commission a donné son accord à la création du groupe multimédia franco-américain qui avec environ 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires devient le second groupe mondial derrière AOL-Time Warner (250 milliards). Il réunit sous son égide la télévision, le téléphone mobile, Internet, le cinéma, l'édition et la musique (9 ( * )) .

Le premier objectif de cette fusion est défensif surtout en ce qui concerne Canal + qui devrait atteindre la taille critique et pourra disposer du réseau d'Universal pour diffuser les oeuvres européennes aux Etats-Unis. Le second est offensif. En raison de la complémentarité entre les deux sociétés en matière de co-productions, de catalogue de films, etc..., le groupe sera bien placé pour relever le défi numéro un de la communication de demain, celui des contenus.

Cette alliance ouvre-t-elle la voie à un rapprochement entre les Etats-Unis et d'autres groupes européens ? Que feront les groupes Murdoch en Grande-Bretagne et Bertelsmann en Allemagne ? Rejoindront-ils le leader franco-américain ou chercheront-ils d'autres partenaires ? La situation n'est pas sans rappeler celle de l'industrie aéronautique européenne depuis la naissance du groupe franco-hispano-allemand EADS.

Une chose est certaine. Dans la compétition où s'affrontent les grands groupes de communication à vocation mondiale, l'Europe dispose d'un atout qu'elle doit exploiter, c'est la qualité et l'abondance des contenus culturels que l'histoire lui a légués et que ses jeunes créateurs renouvellent. Au niveau de sa population, cette valorisation dépend largement de la politique d'harmonisation des normes que l'Union parviendra à faire accepter et qui lui permettra de faire jeu égal avec ses rivaux. Quant à leur rayonnement mondial, il dépendra de l'attitude que ses grands groupes de communication adopteront face aux Etats-Unis.

* (9) Rappelons que celle-ci, de loin le premier loisir jeunes, représente en Europe un marché de 118 milliards d'euros soit 2,5 fois supérieur à celui du cinéma et de l'audiovisuel réunis. Le répertoire nord-américain ne concerne que 27 % des diffusions. De plus, il se développe sans aide publique. Trois sociétés nées de fusions récentes le dominent.

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