3. Une communication maladroite

La communication publique sur le sujet de l'ESB a souffert depuis le début de la crise de certaines déficiences, et la commission considère qu'il serait trop facile de n'accuser que les media et les consommateurs.

a) Une crise de confiance

L'histoire de la consommation alimentaire depuis la montée des grandes industries de transformation et la généralisation de la grande distribution a été marquée d'accès plus ou moins violents d'anxiété et de méfiance à l'encontre des produits modernes. Comme le relève Claude Fischer, directeur de recherche au CNRS « aucune de ces crises n'avait encore approché même de loin l'ampleur, la violence, les répercussions de la crise de la vache folle » 79 ( * ) .

Au regard des crises alimentaires précédentes, comme par exemple, l'huile de colza dans les années 70, le veau aux hormones, la listeria dans les fromages, l'opinion publique a, devant les incertitudes, et souvent les contradictions des pouvoirs publics, durablement perdu confiance dans les déclarations tant des responsables de la filière bovine que des responsables ministériels.

Cette défiance s'explique tout d'abord par les nombreuses incertitudes qui entourent l'épizootie.

La commission d'enquête a déjà eu l'occasion d'analyser les incertitudes scientifiques quant à l'ESB au mode de transmission à l'homme, au mode de contamination des hommes, à la période d'incubation de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeld-Jakob et au nombre de victimes susceptibles d'être touchées.

Ces incertitudes ont fait le lit du pessimisme, qui a alimenté une inquiétude grandissante. Comme l'a souligné M. Martin Hirsch, directeur général de l'AFSSA : « tant que les incertitudes demeurent, il est assez logique que les préoccupations à propos d'une maladie qui est plus préoccupante que d'autres restent fortes ».

L'ampleur de ces incertitudes a non seulement donné le sentiment que l'épidémie, mal connue, était mal maîtrisée, mais que les pouvoirs publics masquaient une vérité cachée et donc forcément inavouable.

Déjouant les connaissances cliniques, qu'il s'agisse du modèle de Pasteur ou de la virologie des années 1950, le prion a, dans ces conditions, pu être paré de tous les pouvoirs et de toutes les perfidies, sans qu'une analyse scientifique puisse démentir les hypothèses les plus infondées.

En apprenant que l'ESB était liée à l'utilisation de farines animales, l'opinion publique a, en outre, eu le sentiment, d'être victime de pratiques « contre-nature » conduites par « des apprentis sorciers ». L'existence de ces farines animales a été perçue comme la preuve d'une volonté délibérée des éleveurs de transformer la vache en « un animal carnivore », voire « cannibale » . Dès lors la vivacité des réactions s'explique par le sentiment d'une transgression symbolique majeure, d'un ordre réputé « naturel », dont l'épidémie est apparue aux yeux de l'opinion comme la sanction logique.

Ces réactions ont été d'autant plus violentes en France que, comme l'ont fait observer de nombreuses personnes auditionnées, l'opinion publique a été profondément marquée en France par l'affaire « du sang contaminé », où l'on a fait prévaloir des impératifs de rentabilité économique sur des considérations sanitaires, au prix de nombreuses victimes. Le souvenir du drame vécu par les hémophiles et les personnes contaminées lors de transfusions sanguines, a participé à la mobilisation de l'opinion publique, dans une crise très vite perçue comme une nouvelle affaire « du sang contaminé ».

Cette défiance s'explique ensuite par une succession d'informations contradictoires sur l'épidémie qui a considérablement affaibli la crédibilité des pouvoirs publics aux yeux des consommateurs.

Dans un premier temps, ces derniers sont informés qu'une nouvelle maladie touche les bovins anglais, mais que cette maladie n'est pas transmissible à l'homme. Les ministres britanniques de l'agriculture avaient avant 1996 multiplié les déclarations rassurantes : « Le gouvernement n'a pas menti à l'opinion au sujet de l'ESB. Il tenait pour faibles les risques pour l'homme, et s'employait à éviter une réaction alarmiste disproportionnée face à l'échelle du risque estimé. On voit aujourd'hui qu'il a eu tort de vouloir ainsi rassurer l'opinion. Quand il a annoncé, le 20 mars 1996, que l'ESB était probablement transmissible à l'homme, l'opinion s'est sentie trahie. L'ESB a trahi la confiance du public dans les déclarations du gouvernement à l'égard du risque » 80 ( * ) .

A partir du 20 mars 1996, date à laquelle Stephen Donnell, ministre britannique de la santé déclare à la Chambre des communes que l'ESB peut être transmissible à l'homme, les consommateurs apprennent que la barrière des espèces, réputée imperméable entre l'animal et l'homme, a été franchie. Ils lisent et entendent que, contrairement à ce qu'on leur a dit, le risque de contracter une maladie incurable en mangeant du boeuf est réduit, mais bien réel.

Si des propos rassurants ont été tenus, certains ont été a posteriori infirmés et ont ainsi contribué à renforcer la conduite irrationnelle des consommateurs et à décrédibiliser le pouvoir politique.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture, annonçait encore à la fin de 1999 que « l'ESB serait maîtrisée en 2000 » ...

Au contraire, l'AFSSA a entamé ses travaux au cours des années 1999-2000, en faisant part de ses doutes et de ses incertitudes sur un certain nombre de tissus qui n'étaient pas retirés de la consommation humaine et qui n'avaient pas été considérés dans un premier temps comme des MRS. Comme l'a noté son directeur général, M. Martin Hirsch, « il y a toute une série de choses qui étaient plutôt rassurantes qui le sont moins » .

Dans un deuxième temps, le débat se focalise sur l'aspect britannique d'une maladie liée à l'utilisation de farines animales. On rassure le consommateur en déclarant le 21 mars 1996 un embargo sur la viande bovine en provenance du Royaume-Uni, et en instituant un label VBF, Viande Bovine Française, garantissant une viande d'origine française. Même si comme l'a fait observer devant la commission, M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de l'époque, « le logo « Viande Bovine Française » n'était pas un logo disant : « Vous êtes certain que cette viande est à 100 % exempte d'ESB » ce logo « était destiné à rassurer le consommateur sur la provenance de la viande. ». Il a, à cet égard, atteint son objectif. D'abord affolés, les consommateurs se rassurent et la consommation de boeuf reprend.

Dans un troisième temps, on relève que des farines animales anglaises ont été importées en France, autrement dit que le boeuf d'origine française peut également avoir contracté la maladie : la révélation, le 12 juin 1996 par la revue Nature, que les Britanniques avaient exporté en 1988-1989 en France des farines de viande et d'os ruine une confiance à peine retrouvée.

Ils apprendront un peu après que des bovins nés, élevés, abattus en France ont pu être touchés par l'épizootie non seulement par des farines anglaises importées, mais également par des farines produites en France à partir de bovins français eux-mêmes contaminés.

On peut dès lors comprendre que les consommateurs, devant cette succession de contradictions, se sentent floués, se détournent de la viande bovine et retirent leur confiance à des pouvoirs publics, dont la crédibilité est dès lors considérablement affaiblie.

Quelles que soient les mesures prises depuis, le doute persiste dans l'esprit d'une opinion publique qui garde à l'esprit les campagnes de désinformation, dont elle s'est sentie victime. De ce point de vue, la crise s'est nourrie de ce que l'on a caché hier et de la crainte de ce qui ne pourrait être révélé que demain.

* 79 Exposé de M. Claude Fischer (CNRS) sur la perception du risque, audition sur l'état de connaissances scientifiques et médicales sur la transmission de l'encéphalite spongiforme bovine (ESB), mardi 21 novembre 2000, office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

* 80 Extrait du discours prononcé le 26 octobre 2000 par le ministre britannique de l'agriculture, M. Nick Brown, à l'occasion de la publication du rapport d'enquête sur la gestion de la crise de l'ESB en Grande-Bretagne (« rapport Phillips »).

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