c) Une « revisitation » progressive de la PAC à budget constant.
(1) Un débat mal engagé

Le débat sur la réforme de la PAC semble s'être engagé sur de mauvaises bases. En effet, pour certains, la crise de la vache folle serait une conséquence directe du productivisme agricole encouragé par la PAC et la sagesse commanderait de revenir à une agriculture traditionnelle.

M. Philippe Vasseur, ancien ministre de l'agriculture, a stigmatisé de manière lumineuse, lors de son audition devant la commission d'enquête, l'utopie de cette idée : « Il ne faut pas céder à la tentation de se replier sur une agriculture de type « jardin d'Eden ». Remontons cent ans en arrière, si jamais on faisait du lait et du fromage au lait cru comme il y a cinquante ans, il n'y aurait plus un camembert dont la vente serait autorisée dans notre pays, il faut avoir cette perception et ne pas retomber dans une vision passéiste contre le progrès. » Il a ajouté : « Si aujourd'hui nous pouvons continuer de manger du fromage au lait cru dans notre pays, c'est parce que nous avons fait des progrès considérables en matière de génétique, d'hygiène et de fabrication. Je prends cet exemple mais nous pourrions en prendre d'autres : nous avons des défis scientifiques à relever, y compris dans l'agriculture, et il ne faudrait pas que la réorientation de la PAC revienne à condamner un outil économique. »

L'audition devant la commission d'enquête de M. Marian Apfelbaum, ancien professeur de nutrition à la faculté de médecine Xavier Bichat à Paris, fut également très éclairante : « Si jamais on décidait de revenir à des modes culturels anciens, on déclencherait une famine. Si, dans ce pays, qui est grand et qui comporte beaucoup de terres arables, il fallait nourrir la population par les méthodes anciennes, la chose s'avérerait impossible, sauf à supprimer de notre alimentation toute la partie animale puisque, pour fabriquer un produit animal, il faudrait une quantité importante de produits végétaux. En d'autres termes, on pourrait revenir à des techniques anciennes avec l'assurance de connaître des famines anciennes et, comme autrefois, une extrême pauvreté. »

La commission d'enquête tient à rappeler que la politique agricole commune a été une remarquable réussite européenne. L'Europe est devenue autosuffisante puis exportatrice en matière alimentaire, tandis que les agricultures européennes s'adaptaient aux évolutions économiques et se modernisaient. Il ne faut donc pas « jeter le bébé avec l'eau du bain » , comme l'a affirmé M. Jean-Luc Duval, président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), lors de son audition : « Ne nous a-t-on pas demandé, peut-être pas explicitement, mais tout de même, d'assumer des situations de crise, notamment après la guerre, quand la France n'était pas autosuffisante du point de vue alimentaire ? Il semble que l'on a un peu oublié ce que nous avons réussi à faire » .

Il a également cité l'exemple du Japon : « Il faut savoir que le Japon n'est autosuffisant que pour 40 % et importe 60 % de ses besoins alimentaires, ce qui veut dire que le Japon sait encore ce que signifie le mot « pénurie ». Voilà pourquoi il cherche à développer son agriculture. Nous, en France, nous avons oublié que, à un moment donné de notre histoire, le problème était de donner à manger à tout le monde. Il est bon de le rappeler régulièrement. »

Par ailleurs, si l'on veut réformer la PAC, il ne faut pas le faire contre les agriculteurs, en les plaçant au banc des accusés, mais avec eux.

En outre, la réforme ne peut être que progressive car, comme l'a déclaré M. Jean Glavany au journal Les Echos le 8 mars 2001 : « L'agriculture est un secteur économique au même titre que les autres, où les agriculteurs comme les entreprises ont besoin de visibilité à moyen et à long terme pour investir et se développer. Si les règles changent tous les deux ou trois ans, cela devient impossible. La PAC est un lourd paquebot qui ne peut pas faire demi-tour comme un Zodiac. »

Or, la réorientation de la PAC ne date pas d'hier, mais c'est un processus entamé il y a dix ans déjà.

Comme il a été mentionné précédemment, la PAC a considérablement évolué depuis sa création. Or, si le procès en productivisme qui lui est fait était fondé jusqu'au milieu des années 1980, il est aujourd'hui dépassé, compte tenu des réformes successives engagées depuis 1988.

Enfin, l'ouverture du débat sur la réforme de la PAC comporte le danger de voir l'agriculture livrée purement et simplement à elle-même.

Le ministre de l'agriculture, M. Jean Glavany, a évoqué devant la commission d'enquête le groupe de Londres ou de Capri (qui regroupe actuellement la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'Italie), c'est-à-dire « ces quelques gouvernements libéraux qui mettent en cause la notion même de PAC et qui accusent aujourd'hui la Commission d'intervenir dans la gestion de la crise bovine en disant : « de quel droit vous mêlez-vous de cette crise ? Laissez faire le marché ! »

Or, il serait pour le moins paradoxal que l'Europe sacrifie son agriculture au moment où les Etats-Unis n'ont jamais autant mis l'accent sur le « pouvoir vert ».

La politique agricole américaine est de plus en plus offensive, bien qu'elle avance souvent masquée, prenant ainsi la forme d'un « mercantilisme déguisé ».

Selon la commission européenne, le soutien direct apporté par les Etats-Unis à l'agriculture a été multiplié par sept depuis 1996, malgré la volonté affichée dans le « Fair act » de 1996 d'aller « vers le marché ».

Les aides directes de l'Etat fédéral auraient dépassé 32 milliards de dollars, soit 16.000 dollars par agriculteur, ce qui représente plus du triple du montant moyen versé aux producteurs européens.

Ces aides ne représentent que le tiers du budget total du ministère américain de l'agriculture, selon la Commission européenne, qui souligne qu'une importante partie de ses crédits est utilisée « de manière indirecte ou cachée » au profit du secteur agricole.

Enfin, les autorités américaines pourraient fortement augmenter leurs aides à l'agriculture à l'occasion du prochain « Farm bill » en 2002.

Les autorités allemandes se sont également prononcées récemment, par la voie de la nouvelle ministre « verte » de l'agriculture, pour un « tournant agricole », mais pour des raisons différentes. L'Allemagne souhaite, en effet, mieux prendre en compte les préoccupations environnementales, le « développement rural » et l'agriculture biologique. Or, ce pays s'était fortement opposé, lors du Conseil européen de Berlin, à ces nouvelles orientations. En outre, l'Allemagne n'utilise pas pleinement actuellement les possibilités offertes dans le cadre du volet « développement rural ».

A l'occasion du débat sur l'avenir de l'Union européenne, le chancelier allemand M. Gerhard Schröder, a également évoqué l'idée d'une « renationalisation » de la PAC.

La seule véritable politique commune de l'Union européenne serait donc abandonnée.

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