(2) Le risque d'une « renationalisation de la PAC »

Le plan gouvernemental d'aide aux éleveurs, annoncé le 28 février dernier, intervient après le refus des ministres de l'agriculture des Quinze d'accorder des aides communautaires directes aux éleveurs les plus touchés.

La commission d'enquête regrette cette atteinte à la solidarité communautaire.

Une aide d'urgence aux éleveurs était nécessaire, et légitime. Elle entrait dans les objectifs de la PAC.

A défaut d'aides communautaires, il était inévitable que les soutiens soient accordés au niveau national. Mais il convient de réaffirmer que ces aides exceptionnelles ne doivent, en aucun cas, préfigurer une « renationalisation », même partielle de la PAC, que la France a refusé lors du Conseil européen de Berlin.

(3) Une « revisitation » inéluctable

« Que cela nous plaise ou non, que nous le souhaitions ou non, nous allons vers une réforme très profonde de la politique agricole commune. » La commission d'enquête ne peut que partager ce constat dressé par M. Philippe Vasseur au cours de son audition.

Toutefois, cette réorientation doit se faire dans le strict respect des engagements pris au Conseil européen de Berlin, comme l'a rappelé le Président de la République, et comme l'ont confirmé les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze, lors du Conseil européen de Nice.

Certaines voix se font entendre pour préconiser une réforme de grande ampleur de la PAC dès 2002-2003 à l'occasion de ce qu'on a appelé la « revue à mi-parcours ».

Cette approche, a priori séduisante, est en réalité inadaptée et dangereuse.

Tout d'abord, le concept de « revue à mi-parcours (mid term review) est un concept à manier avec prudence.

En effet, il n'est pas réellement inscrit dans les accords de Berlin. Ceux-ci prévoient, certes, des éléments de suivi de certaines organisations de marché (céréales, oléagineux, viande bovine) et un rapport sur l'évolution des dépenses agricoles assorti éventuellement de propositions pour respecter l'enveloppe globale de stabilisation, mais ces « clauses de rendez-vous » n'ouvrent pas formellement la voie à une possible remise en cause globale anticipée de la PAC.

Remettre en cause les accords de Berlin en 2002-2003 serait également politiquement inacceptable.

Ces accords résultent d'un compromis difficile entre les Etats membres et leur remise en cause pourrait provoquer une crise européenne.

Enfin, cette idée comporte deux grands dangers.

D'une part, elle pose le problème de la synchronisation et de la compatibilité entre cette réforme de la PAC et les prochaines négociations à l'OMC.

L'Europe pourrait alors perdre sur les deux tableaux, comme ce fut déjà le cas en 1992.

D'autre part, une réforme anticipée de la PAC risquerait de retarder le processus de l'élargissement , puisqu'il faudrait rouvrir les négociations dans ce secteur difficile pour tenir compte des évolutions, et revoir les financements prévus à ce titre dans le cadre de l'agenda 2000.

Les opinions publiques des pays candidats et des pays membres ne l'accepteraient pas.

La commission d'enquête considère donc que l'idée d'une réforme anticipée globale de la PAC dès 2002-2003 est une « fausse bonne idée ». Ce n'est qu'à partir de 2004-2005 que la négociation pourra véritablement s'engager avec pour horizon les prochaines perspectives financières (2006).

Cela n'empêche toutefois pas de prendre dès aujourd'hui les mesures nécessaires en matière de soutien du marché de la viande bovine et des protéines végétales et de poursuivre les adaptations nécessaires dans le cadre des engagements pris à Berlin.

En effet, la crise de l'ESB a mis en évidence l'importance de la qualité et de la sécurité des produits alimentaires dans les préoccupations des citoyens. Il existe une attente profonde de la part des consommateurs d'être rassurés sur les produits qu'ils consomment. Il s'agit là d'un enjeu majeur et il convient d'apporter des réponses à ces attentes légitimes des populations.

La commission d'enquête tient, toutefois, à souligner que la sécurité alimentaire n'a cessé de progresser dans l'Union européenne et qu'elle est comparativement meilleure qu'aux Etats-Unis.

Afin d'améliorer encore les exigences dans ce domaine, elle estime nécessaire de mettre en oeuvre les propositions contenues dans le Livre blanc de la Commission européenne sur la sécurité sanitaire en particulier, en reconnaissant le principe de précaution en matière alimentaire.

Mais la sécurité de l'alimentation est également une responsabilité des consommateurs, avec, par exemple, le respect des dates limites de consommation et de la chaîne du froid, et elle concerne aussi les aspects nutritionnels.

En matière de qualité, la commission d'enquête estime indispensable de prendre en compte les aspirations des citoyens.

Elle souligne l'importance de la politique de qualité et d'origine, avec les appellations d'origines contrôlées (AOC) et les appellations d'origine protégées (AOP), les labels et certifications de conformité.

Cette politique mérite d'être mieux prise en compte tant au niveau international qu'au niveau européen.

La production de la qualité passe également par des efforts en matière de recherche et d'étiquetage.

Mais, comme l'a déclaré le commissaire autrichien Fischler, dans un entretien au journal Le Monde , le 29 janvier dernier : « Le consommateur doit être préparé à payer davantage pour une meilleure qualité. Là-dessus, il n'y aucun doute, mais la différence n'est pas si importante » . Il a pris l'exemple du budget moyen consacré à l'alimentation d'un foyer en France : Le pourcentage consacré dans le budget familial à la nourriture est d'environ 14 %. Si ce foyer acceptait de payer 15 % en plus, cela représente environ 2 % de plus, soit 16 % consacrés à l'alimentation dans le budget familial ! La réalité c'est que, aujourd'hui, il est tout à fait possible aux familles pauvres d'acheter des bons produits de qualité. »

M. Philippe Vasseur est allé dans le même sens lors de son audition devant la commission d'enquête : « Nous avons vu en 50 ans les dépenses pour l'alimentation divisées par trois. Nous sommes passés de 42 % à 15 % dont 4 % pour l'agriculture ». « Il faut mener une opération « vérité » vis-à-vis du consommateur qui doit savoir que la qualité a un coût. »

Enfin, la commission d'enquête estime que si l'agriculture doit rester une activité essentiellement économique, parce qu'elle « fait partie des secteurs stratégiques d'un pays qui méritent d'être soutenus, toujours encouragés et accompagnés », comme l'a remarqué M. Philippe Vasseur, nous sommes aujourd'hui dans une approche qui met de plus en plus l'accent sur la ruralité, c'est-à-dire sur la dimension « multifonctionnelle » de l'agriculture.

Déjà, le développement rural a été consacré par l'Agenda 2000 comme le « deuxième pilier » de la PAC. Toutefois, il ne représente actuellement que 10 % des dépenses agricoles de l'Union européenne et seuls deux ou trois pays de l'Union, dont la France, utilisent pleinement les possibilités offertes dans ce cadre.

Or, tout ce qui est développé en France en faveur de l'« agriculture raisonnée », pratiquée de façon concrète dans un certain nombre de régions, devrait être pris en considération au niveau européen.

En effet, compte tenu de la mise en cause des politiques de soutien des marchés au niveau international, l'action européenne en faveur du développement rural pourrait être rééquilibrée.

En définitive, la commission d'enquête s'inquiète de la manière dont le débat sur l'avenir de la PAC a été engagé et tient à souligner son attachement au secteur stratégique que constitue l'agriculture pour l'Europe. Certes, la PAC doit davantage prendre en compte les nouvelles attentes des citoyens qui demandent plus de qualité, et de sécurité ainsi que les préoccupations environnementales, mais elle doit également souligner le rôle des agriculteurs - rôle économique mais aussi leur rôle en matière de préservation de l' « espace rural » - et répondre à la grave crise qu'ils traversent et qui suscite parfois de véritables drames humains.

Enfin, une réorientation de la PAC ne peut s'effectuer que de manière progressive et dans le cadre du respect des engagements financiers pris lors du Conseil européen de Berlin.

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