B. DES MESURES FRANÇAISES INCONTESTABLEMENT TARDIVES, COMPTE TENU DE L'EXPÉRIENCE ANGLAISE

Juger de décisions prises hier au regard des certitudes scientifiques d'aujourd'hui est un exercice particulièrement difficile : les connaissances sur le mode de contamination des bovins, sur la nature exacte des tissus infectieux, et surtout sur la transmission à l'homme de l'agent de l'ESB ont fortement évolué depuis 1986, date de la révélation du premier cas anglais.

Aussi la commission d'enquête n'a-t-elle pas souhaité se poser en censeur du passé. Elle rappellera que des plaintes ont été déposées devant la justice dès 1996, qui semblent avoir fait l'objet -grâce à la médiatisation de la crise ?- d'un regain d'intérêt par les autorités judiciaires chargées de leur instruction.

Pour autant, elle a tenté d'établir quelques constatations, à partir notamment des décalages de chronologie entre les décisions prises au Royaume-Uni et les décisions prises en France. Comme le précise M. Philippe Vasseur, ancien ministre de l'Agriculture : « Globalement, je crois que les mesures qui ont été prises en France ne sont pas parfaites, et peut-être peut-on porter à tel moment un jugement critique. Mais en comparaison de ce qui a été fait dans d'autres pays, nous n'avons pas à rougir » .

La France a été effectivement l'un des premiers pays à prendre des mesures de précaution. Mais certains Etats membres de l'Union européenne s'estimaient -probablement à tort- exempts d'ESB, tandis que le premier cas découvert en France remonte, il convient de le rappeler, à 1991.

1. Des retards sur les décisions propres à éradiquer la maladie animale et à assurer la protection des consommateurs

a) L'interdiction d'importation des farines de viande et d'os (FVO) anglaises : une décision prise seulement par les services ?

A partir du moment où l'utilisation des farines de viande et d'os anglaises étaient suspendues au Royaume-Uni (elles ne seront interdites que six mois après), il aurait été souhaitable de suspendre également immédiatement leur importation. Or, l'avis aux importateurs 44 ( * ) ne date que du 13 août 1989. La décision semble d'ailleurs davantage avoir été prise en raison du problème de compétitivité posé -les farines anglaises sont vendues à un prix inférieur de 30 % à celui pratiqué en France- que par le fait que la Grande-Bretagne avait elle-même interdit le produit en question sur son territoire, alors qu'elle dénombrait plus de 400 cas d'ESB dès 1988.

C'est pourtant l'importation massive de FVO anglaises, entre juillet 1988 et août 1989, qui constitue la raison principale de la première vague d'ESB en France, et qui explique la seconde, à travers le recyclage de la maladie.

La commission d'enquête tient à souligner deux points importants :

- la maladie ESB est très peu connue en France à l'époque , la première note du ministère date de juin 1988 et n'a pas été transmise au ministre ;

- le rôle des FVO n'est pas encore mis en lumière de manière « évidente » , même si les premières enquêtes épidémiologiques britanniques qui ont clairement souligné leur rôle, datent de décembre 1987.

La commission d'enquête a appris que la Fédération nationale de groupements de défense sanitaire (FNGDS), par la voie de son président, M. Blandin, avait envoyé un courrier à M. Henri Nallet, ministre de l'Agriculture, dès le 3 août 1989. Ce courrier -semble-t-il- n'a pas été pris en considération par le cabinet et les services du ministère de l'Agriculture, qui ne l'ont pas « signalé » au ministre.

Ce dernier, auditionné par la commission d'enquête, a ainsi déclaré : « La première période [de 1988 à avril-mai 1990] , M. le Président -je vous le dis sans aucune gêne- je n'ai aucun souvenir que la question de l'ESB (...) ait été évoquée de manière directe auprès de moi ou, si l'on m'en a parlé -car il est possible que l'on m'en ait parlé-, c'est dans des termes qui n'appelaient pas de ma part de décision » .

La France interdit ainsi les farines de viande et d'os anglaises... sans que le ministre de l'Agriculture en ait pris l'initiative.

* 44 L'expression « avis aux importateurs » ne doit pas induire en erreur : il s'agit bien d'une mesure d'interdiction.

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