Audition de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet chargé de la mission interministérielle
pour l'élimination des farines animales (MIEFA)

(17 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur le Préfet Jean-Paul Proust, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle à l'ensemble de nos collègues que vous êtes ici comme préfet chargé de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales.

Vous savez que vous êtes entendu --ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre--dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, une commission d'enquête du Sénat, et qu'à ce titre, je me dois de vous rappeler les directives et de vous demander de prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Proust.

M. le Président - Je vais vous demander dans un premier temps de nous parler de la mission qui vous est confiée et de la manière dont vous avez essayé de traiter les problèmes, après quoi nous passerons aux questions que mes collègues seront à même de vous poser. Vous avez la parole.

M. Jean-Paul Proust - Merci, monsieur le Président. Monsieur le Président, messieurs les Sénateurs, je vais essayer rapidement de dire où nous en sommes dans l'exécution de la mission qui m'a été confiée le 14 novembre 2000 et qui a été mise en place quelques jours plus tard, il y a donc un peu moins de deux mois.

Le problème qui était posé avait trait à la fois à l'urgence immédiate et, évidemment, à moyen terme, à l'élimination de ces graisses et farines animales.

On conçoit bien que ce soit un problème d'urgence immédiate puisque, du fait de la décision de suspension de l'utilisation des farines animales pour la consommation animale, tout le débouché des équarrisseurs se trouvait interrompu, ce qui voulait dire qu'en amont, il y avait un risque d'arrêt du ramassage des déchets.

Je rappelle simplement, pour avoir quelques ordres de grandeur, que les déchets crus qui sortent des abattoirs et des boucheries représentent à peu près 3 300 000 tonnes d'un produit dont, aujourd'hui, environ 800 000 tonnes sont saisies et vont au service public de l'équarrissage et dont 2 500 000 tonnes allaient vers ces productions qui étaient commercialisées par les équarrisseurs.

Ces 2 500 000 tonnes de déchets crus ont évidemment une durée de quelques jours au maximum puisque ce sont des produits éminemment périssables. En quelques jours, on risquait donc d'avoir une asphyxie de toute la filière.

L'objectif immédiat était, dans les meilleurs délais, d'assurer la continuité du fonctionnement de la filière en permettant aux équarrisseurs de continuer à ramasser des déchets dans les abattoirs et donc à produire de la farine et des graisses, c'est-à-dire de stocker provisoirement ces farines et ces graisses et de trouver des lieux de stockage.

C'était la première urgence.

Où en sommes nous pour ce premier aspect de la mission ? Je dirai tout d'abord qu'un accord a été trouvé avec les professionnels. Il se traduit par un décret du 1 er décembre 2000 qui prévoit les conditions d'indemnisation pour la production de ces graisses et farines. Il s'agissait essentiellement, dans l'urgence, plutôt d'une indemnisation qu'autre chose (c'était une solution provisoire et je vous dirai tout à l'heure qu'un nouveau décret est en cours de préparation) puisque, du fait d'une décision gouvernementale, une activité industrielle et commerciale se retrouvait sans possibilité de débouchés.

Le critère qui a été retenu, au demeurant plus avantageux pour l'Etat que celui qui avait été envisagé et qui consistait à copier le service public de l'équarrissage, était la photographie du marché de toutes ces productions avant le 14 novembre, c'est-à-dire dans le mois qui a précédé cette interdiction. C'est cette photographie la plus précise possible qui a permis d'établir un barème d'indemnisations.

Il fallait évidemment, dans le même temps, trouver des lieux de stockage. Cela n'a pas été la partie la plus facile. En effet, même si ce produit ne présente en soi aucun danger particulier, il est entouré de toute une diabolisation qui fait que personne ne souhaite --et on peut le comprendre-- voir s'installer dans sa commune de tels lieux de stockage.

Nous avons donc eu quelques difficultés. Les préfets ont recensé tous les lieux de stockage possible et nous avons fixé un cahier des prescriptions spéciales qui devaient s'imposer à tout stockeur qui accepterait de stocker des farines animales ou des graisses.

Ce cahier des charges est plus sévère encore que celui qui avait été établi pour le service public de l'équarrissage. Il prévoit --j'en ai un exemplaire ici que je pourrai laisser à la commission-- toute une série de dispositions techniques. Il faut que les lieux de stockage soient couverts, qu'il y ait des dalles pour empêcher toute infiltration dans le sol, qu'il y ait une bouche d'incendie pour permettre l'intervention des sapeurs-pompiers en cas d'échauffement du produit. Il faut aussi respecter toute une série de règles de manutention. Je ne les lis pas toutes, sachant que je peux laisser le document à la commission.

Les préfets ont recensé environ 150 à 200 lieux de stockage pour en retenir finalement un nombre limité. En effet, on s'est efforcé au maximum de retenir les lieux de stockage les plus éloignés possible des habitations. De toute façon, la règle était de ne pas retenir des lieux à moins de 150 mètres d'habitation mais, dans la réalité, on recommandait aux préfets de rechercher encore plus loin si possible, non pas, là encore, du fait d'un danger immédiat mais parce qu'il est vrai qu'il peut y avoir des nuisances : si le stockage n'est pas bien entretenu, les odeurs que cela dégage sont désagréables pour le voisinage et le trafic de poids lourds est tout à fait nuisant pour un voisinage immédiat.

En définitive, nous avons retenu dix-huit sites de stockage qui ont fait l'objet d'une publication le 20 décembre et qui représentaient 270 000 tonnes. J'en parle déjà au passé puisque deux de ces sites ont été abandonnés depuis et que deux nouveaux sites, qui ont de beaucoup plus grandes capacités, sont en cours de discussion. L'un est prévu dans les zones industrielles du Havre, à plusieurs kilomètres de la première habitation et dans des lieux où il y a des stockages très importants et où l'impact sera donc marginal sur l'environnement ; l'autre est prévu dans la Marne.

Au total, la capacité actuelle de ces sites devrait être de l'ordre de 400 000 tonnes. Cela devrait nous permettre de répondre aux besoins jusqu'à la fin de 2001.

Bien entendu, ce stockage est un pis-aller, l'objectif n'étant bien évidemment pas de stocker. Nous souhaitons stocker le moins longtemps possible. L'objectif est de trouver un nouveau débouché à ces produits.

J'ai oublié de dire que nous avions retenu quatre sites pour les graisses. Pour les graisses, les choses vont vite et je pense que l'Etat pourra se désengager du problème des graisses dans les deux mois qui viennent. Je vous rappelle que les déchets crus, par an, font environ 700 000 tonnes de farine et 300 000 tonnes de graisses.

Les graisses sont un produit très proche, dans ses caractéristiques, du fuel lourd. Le fuel lourd était à 1 700 F la tonne et il est retombé à 1 400 F la tonne, mais c'est un produit qui se paie. Moyennant des aménagements relativement simples, les industriels peuvent substituer la graisses au fuel lourd. Ce produit, au départ, coûtait environ 700 F la tonne mais il peut aujourd'hui partir à 0 F et nous commençons même à recevoir des offres positives de 200 F la tonne.

A partir de là, le texte qui est en cours de préparation va supprimer toute aide à l'incinération des graisses et nous allons laisser les industriels commercialiser normalement ces graisses sans que l'Etat ait besoin de les stocker. Je pense que, dans les deux ou trois mois qui viennent, nous allons pouvoir résilier nos contrats sur le stockage des graisses sur les quatre lieux où nous les avons passés.

Pour les graisses, par conséquent, les choses sont allées vite. Ce sera un peu plus long pour les farines. En effet, comment les choses se présentent-elles ?

Tout d'abord, il y a une nouvelle donne : pourrait-on éliminer directement les déchets crus ? Est-on obligé de continuer à fabriquer de la farine ? Ce sont des questions que l'on peut se poser.

Une étude a été faite par un bureau d'études à la demande de l'ADEME. Il s'agit d'un inventaire de tout ce qui est fait en France et à l'étranger pour utiliser directement les déchets crus d'origine animale. On dispose actuellement d'un certain nombre de recherches qui sont intéressantes mais il n'y a pas encore aujourd'hui de procédé industriel en vraie grandeur qui utilise les déchets crus. Nous allons encourager toutes ces recherches parce qu'il est bien évident qu'à terme, on peut se demander s'il n'y aurait pas moyen de les utiliser plus directement, mais, aujourd'hui, on ne peut pas l'envisager ou, du moins, cela ne réduirait pas suffisamment nos stocks.

Nous sommes donc encore obligés, pendant un certain temps, hélas, de passer par la farine.

Quant à l'utilisation de la farine, elle doit bien évidemment se faire sans prendre le moindre risque, ni pour la santé, ni pour l'environnement. Cela limite beaucoup de possibilités d'emploi. Par exemple, théoriquement --ce n'est d'ailleurs pas interdit mais on ne veut pas le faire-- on pourrait utiliser ces produits azotés pour faire un engrais d'excellente qualité. Cependant, nous ne souhaitons pas le faire, du moins dans le contexte actuel, tant que toute garantie scientifique n'aura pas été donnée.

On a parlé d'autres procédés. Là aussi, aujourd'hui, nous n'en connaissons pas, en dehors de la filière énergétique, qui puissent consommer ces produits à un niveau industriel. On a parlé notamment de la possibilité de faire des matériaux avec du phénol. Tout cela mérite d'être examiné et expertisé mais, aujourd'hui, il n'y a pas de procédés industriels qui nous soient présentés même si, là encore, nous souhaitons les encourager. Nous ferons des appels à projets et nous aiderons les projets que les experts nous auront signalés comme intéressants ou susceptibles de déboucher, dans quelques années, sur d'autres usages plus valorisants.

De toute façon, tout ce qui diversifiera la demande de farines ira dans le bon sens puisque notre problème, comme pour la graisse, est de recréer un nouveau marché pour permettre à l'Etat de se désengager. Même cette farine a une valeur positive puisqu'elle a un certain nombre de caractéristiques, notamment pour faire de l'énergie, qui sont très positives.

Pour l'instant, la seule voie importante qui peut nous permettre d'espérer de consommer de gros tonnages rapidement est la filière énergétique, c'est-à-dire la production de vapeur, de chaleur et d'électricité.

Où en sommes-nous dans la recherche des débouchés et dans l'émergence d'un nouveau marché ? Il y a bien sûr les cimentiers qui avaient, bien sûr, déjà commencé puisqu'il ont brûlé l'an dernier 205 000 tonnes de farines, dont 180 000 tonnes venaient de l'équarrissage, et ils ont commencé à prendre celles du 14 novembre, si je puis m'exprimer ainsi, mais en petites quantités.

Ils devraient passer progressivement, au cours de l'année 2001, de 200 000 tonnes à un rythme annuel de 450 000 tonnes. C'est important. Je rappelle en effet que, pour l'instant, sachant qu'il y a des appels d'offres, les cimentiers demandent une prime de 400 F la tonne pour brûler ces farines. Cette année, j'aurai besoin des cimentiers mais j'espère que nous n'en serons pas toujours dépendants et que le marché de l'utilisation des farines, qui va se développer, permettra, comme pour les graisses, de passer de 400 à 300 puis à 0 F.

Quels sont les autres utilisateurs potentiels ?

Il y a les Charbonnages, avec leur filiale électrique, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), qui sont intéressés. La SNET va faire un essai en vrai grandeur sur 10 000 tonnes, dans les semaines qui viennent, à Hornaing, dans le Nord, et nous verrons si ces essais sont concluants, surtout quant à l'analyse de tous les rejets dans l'atmosphère et la question des cendres. En fait, tout laisse à penser que les farines seront moins polluantes que le charbon ou le pétrole.. En effet, contrairement a ce qu'on a dit, si elles sont brûlées à un degré élevé dans des chaudières adaptées, il n'y a pas du tout de dioxine.

Nous allons donc voir cela en vraie grandeur, ce qui n'est pas possible avec les cimentiers puisque tout reste avec le mélange brûlé. En l'occurrence, en vraie grandeur, on va pouvoir faire toutes les mesures sur les rejets dans l'atmosphère et sur les cendres. Tout laisse à penser qu'elles devraient être positives, mais attendons de voir les essais. En tout cas, si elles étaient positives, les Charbonnages pourraient utiliser, dans trois centrales thermiques, de la farine mélangée au charbon : il y aurait au maximum 10 % de farine et 90 % de charbon, mais cela ferait quand même 100 000 à 150 000 tonnes de farines.

Toujours dans la voie des combustibles, nous avons une autre piste intéressante par le biais d'une filiale conjointe de Total et des Charbonnages qui s'appelle Agglocentre et qui est située à Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire. Agglocentre a un procédé, qui est en passe de devenir industriel (il va faire un essai la semaine prochaine sur 4 000 tonnes), de fabrication d'un combustible à base de 80 % de farines et 20 % de poudres de charbon, procédé qui a été validé par les experts de l'ADEME, de l'ANVAR, etc.

Il est intéressant parce qu'il permet d'avoir un produit stabilisé pour le stockage. Il se présente comme du charbon en granulat, il est complètement inerte et sans aucune odeur et il a une capacité calorifique intéressante : un jeu entre les molécules de charbon et de farines dégage une excellente capacité calorifique.

Les essais en vraie grandeur vont être faits et CDF, filiale des Charbonnages pour la commercialisation du charbon, se chargerait de commercialiser ce nouveau combustible qui pourrait assez rapidement consommer 100 000 tonnes de farine si, là aussi, les essais sont concluants.

Nous sommes également en contact avec une série de grands consommateurs d'énergie. Je les cite simplement mais comme rien n'est conclu, je ne pourrai pas vous donner de chiffres. Demain, j'ai une réunion chez Pechiney qui envisage, dans deux unités de cogénération existantes, de brûler des farines ; il s'agit d'unités situées en Haute-Garonne et dans les Bouches-du-Rhône.

Nous avons également des contacts avec les papetiers et avec Saint-Gobain. Usinor étudie aussi le procédé pour les hauts fourneaux. Cela pourrait être également un gros consommateur.

Enfin, il reste la voie des filières déchets. Les spécialistes de cette filière s'intéressent à ce produit et vont faire des propositions. L'idée de France Déchets, par exemple, filiale de la Suez-Lyonnaise, consisterait à construire une unité qui brûlerait de la farine en permettant de dégager une puissance calorifique suffisante pour brûler, derrière, les boues des stations d'épuration. La valorisation permettrait de se débarrasser des boues des stations d'épuration.

Vivendi-Environnement étudie également le projet.

De même, les unités de cogénération pourraient donner des résultats intéressants, mais à plus long terme, évidemment.

Mon espoir est, cette année, tout cela se faisant mois après mois et non pas en année pleine, d'arriver à une consommation de farines, en plus des 200 000 tonnes de l'équarrissage, d'environ 400 000 tonnes. Si nous arrivions à consommer 400 000 tonnes cette année, cela voudrait dire que le stockage pourrait être limité, à la fin de l'année, à environ 300 000 tonnes et que nos capacités actuelles de stockage autorisées seraient suffisantes si on ne dépasse pas ce chiffre.

Pour boucler --je veux dire par là avoir une demande supérieure à la production--, je crois qu'il faudra attendre 2002. Pour cela, j'espère que l'on pourra tabler sur les unités de cogénération. Il s'agit d'avoir un partenariat entre des industriels et l'EDF. L'EDF est d'ailleurs d'accord --son président me l'a dit-- pour prendre des participations dans le capital de ces sociétés qui feraient fonctionner des unités de cogénération, mais elle le ferait avec des partenaires industriels.

Deux projets sont déjà bien avancés et je peux les citer puisque les industriels ont accepté que l'on donne leur nom.

Le premier est celui du groupe Doux, un groupe intégré de l'agro-alimentaire. Il s'agit d'un projet de cogénération avec l'EDF dans le Morbihan avec, dans un premier temps, une unité qui consommerait 50 000 tonnes de farine, qui pourrait passer à 100 000 tonnes par an et qui produirait de la vapeur et de la chaleur pour les besoins industriels, le surplus étant repris sous forme d'électricité par EDF.

Le fait que, le 5 décembre, le Conseil des ministres de l'Union européenne ait reconnu que ce produit était une biomasse permettant de produire des énergies renouvelables va nous aider très certainement à boucler ces projets.

L'autre projet est celui du groupe Rhodia, dans le département des Deux-Sèvres. Cette fois, il s'agit d'un chimiste qui utilise lui-même beaucoup de chaleur et d'énergie et d'un projet de cogénération du même type.

Nous avons également quatre ou cinq autres projets qui se sont manifestés.

A vrai dire, il n'en suffirait pas plus de quatre ou cinq pour boucler définitivement notre équilibre entre l'offre et la demande de farines. Je donne quelques indications chiffrées : l'investissement pour une unité de 50 000 tonnes est d'environ 100 millions de francs. Certaines de ces unités de cogénération existent déjà et ce n'est donc pas une novation technologique : elles fonctionnent dans d'excellentes conditions dans deux ou trois unités industrielles du Royaume-Uni. Cela peut donc être très rapidement opérationnel mais il faudra quand même environ dix-huit mois entre maintenant et l'ouverture de ces unités.

Voilà où nous en sommes.

Pour terminer, je vous donne quelques indications financières. Le coût initial pour l'Etat, tel qu'on l'a prévu, entre le stockage, les indemnités pour la production de la graisse et des farines et l'élimination, a été évalué, pour l'année 2001, à environ deux milliards de francs. Il s'agit là d'un chiffre que je considère comme maximum.

Le décret en cours de préparation va déjà prévoir une réduction du barème d'indemnisation des équarrisseurs. Certes, cette réduction sera modeste parce qu'il ne s'agit pas de tuer les entreprises, mais nous allons serrer au maximum les prix dans un prochain décret que nous sommes en train de préparer. Par ailleurs, il n'y aura plus d'aides pour l'élimination des graisses.

Voilà déjà quelques éléments qui devraient permettre de réaliser certaines économies. J'espère, bien entendu, que la montée en puissance suffisamment rapide du dispositif permettra de poursuivre cet infléchissement vers le bas du coût pour les finances publiques.

Je terminerai en disant que l'abattage des bovins de plus de 30 mois est venu s'ajouter aux quantités que j'ai évoquées, même de manière marginale, puisque, actuellement, cela entraîne une utilisation à quasiment 100 %, voire à la limite de la rupture, des vingt-six usines d'équarrissage qui existent en France et que cela va augmenter de l'ordre de 60 000 tonnes environ les quantités de farine.

Cela dit, les fabricants de pet food vont en retenir un peu, si bien qu'au total, on devrait en rester autour de ces 700 000 tonnes pour lesquelles nous avons à chercher un débouché.

Au point de vue du calendrier, j'estime qu'en 2001, nous pourrons avoir 400 000 à 450 000 tonnes de consommation et qu'en 2002, nous devrions arriver aux 700 000 tonnes. J'espère pouvoir déstocker en 2003.

M. le Président - Merci, monsieur Proust. Je vais faire poser la première question au rapporteur de notre commission.

M. le Rapporteur - Monsieur le Préfet, peut-on imaginer qu'en vitesse de croisière, l'élimination de ces farines ne coûte rien à l'Etat, compte tenu des éventails que vous avez listés ?

M. Jean-Paul Proust - Aujourd'hui, je pense qu'on peut difficilement l'imaginer. On peut imaginer qu'assez rapidement, la farine n'ait plus besoin d'aides pour être éliminée. On peut même imaginer qu'elle ait, comme je le disais tout à l'heure pour les graisses, une petite valeur positive, mais cela ne compensera pas le coût de transformation du déchet en farine. Je pense donc qu'il restera un coût pour l'Etat pendant plusieurs années.

Il faut quand même ouvrir le champ. Nous essayons donc d'ouvrir les concurrences à tous les niveaux. Nous allons offrir la possibilité aux abattoirs de bénéficier d'une aide aux déchets crus s'ils assurent directement, avec un procédé agréé --il ne s'agit pas de faire n'importe quoi-- l'élimination de leurs propres déchets. Je crois qu'au départ, cette disposition sera purement optique, mais cela peut, d'une part, rendre raisonnables les équarrisseurs et, d'autre part, à terme, permettre un conditionnement beaucoup plus simple et rapide du déchet, notamment pour faire de l'énergie, s'il est brûlé sur place.

Le champ est ouvert. Je ne vous réponds pas oui aujourd'hui mais il faut créer les conditions permettant d'y arriver un jour.

M. le Rapporteur - Avez-vous quelques pistes sur le plan technologique pour éviter cette transformation des déchets en farines ?

M. Jean-Paul Proust - Oui. Ces pistes consisteraient à utiliser le déchet cru soit pour faire directement du gaz, soit pour le brûler dans les chaudières, avec un conditionnement simplifié par rapport au conditionnement actuel pour la farine.

Aujourd'hui, cela n'a jamais été fait à un niveau industriel mais des études sérieuses sont menées sur ce point. Il faut donner aux abattoirs la possibilité économique de le faire, s'ils le souhaitent et si c'est plus rentable que de faire de la farine.

M. le Rapporteur - Deuxième question : sur quels critères sera constituée la commission nationale d'information sur les farines et les graisses, commission ayant pour but de contrôler la transparence des opérations et d'expliquer au grand public la non nocivité de ces farines et de ces lieux de stockage ?

M. Jean-Paul Proust - Le Premier ministre doit signer la décision de constitution de manière imminente. Elle sera composée tout d'abord d'un certain nombre d'élus. Je pense que le président du Sénat désignera un sénateur, de même que le président de l'Assemblée nationale et qu'il y aura également des représentants de chaque niveau des institutions locales : régions, départements et communes. Elle comprendra aussi des représentants des administrations concernées, des représentants des associations, aussi bien de défense des consommateurs que de défense de l'environnement, et des experts.

Quatre experts pourraient être permanents : deux seraient désignés par le directeur général de l'AFSSA et deux seraient désignés par la ministre de l'environnement en tant que spécialistes de la qualité de l'air et de la qualité de l'eau.

Cependant, son président (on continue d'envisager que ce soit plutôt une personnalité indépendante, peut-être un conseiller d'Etat) pourrait faire appel à tout expert de son choix.

M. Jean Bernard - Monsieur le Préfet, votre mission est complexe et il y a une certaine urgence. Vous avez parlé de la Marne et j'ai rencontré le préfet de ce département qui m'a fait part de son intention de faire un stockage très important à Somsois.

Cette commission de contrôle ou cette entité que vous venez d'évoquer va mettre un certain temps à se mettre en place et, en attendant, sur le terrain, il y a déjà une mobilisation quasi générale contre l'éventualité de ce stockage. Les gens parlent de nuisances et de dangers de contagion qui sont totalement erronés, bien sûr, mais, sur le terrain, disposera-t-on d'éléments pour entrer en contact avec ces populations concernées afin d'essayer de les rassurer ou, du moins, de leur exposer objectivement ce que représente le stockage ?

Il y a aussi la cimenterie Calcia à Couvrot, qui est l'une des plus grandes cimenteries d'Europe et qui consomme des farines depuis quelques mois. Les responsables de cette entreprise sont prêts à aller un peu plus loin et à essayer d'organiser un flux entre cette zone de stockage et leur usine, sachant qu'une relative proximité faciliterait les choses.

En anticipant sur cette commission, qui sera évidemment composée de façon équilibrée, ne pourrait-on pas essayer, avec le préfet et les élus concernés, de faire déjà un peu d'information pour dégonfler des situations qui risquent de devenir conflictuelles alors qu'elles n'ont pas lieu d'être ?

M. Jean-Paul Proust - Monsieur le Sénateur, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites. On demande systématiquement aux préfets de constituer une commission locale d'information qui doit être composée à peu près de la même manière, en copie conforme, au plan local, c'est-à-dire avec des élus du département et le maire de la commune, les différentes administrations (DRIRE, DRAF, services vétérinaires, etc.) présentes autour de la table mais également les diverses associations qui peuvent exister localement et des experts. Il sera intéressant de trouver, même localement, en dehors des experts nationaux, à l'université et à la faculté de médecine, tel ou tel expert qui sera mieux placé que le préfet ou le maire pour répondre à certaines questions et rassurer les gens sur les aspects sanitaires du sujet.

Je crois qu'il sera important de trouver tel professeur de faculté ou tel professeur vétérinaire pour venir plancher devant ces commissions locales.

Je précise que le site dont vous avez parlé est important mais qu'il n'est pas aussi important que les plus gros sites, comme celui des Deux-Sèvres. C'est un site un peu intermédiaire. Nous nous efforçons aussi de trouver un certain équilibre régional, car nous avions jusqu'ici quelques trous dans la carte, notamment dans le centre-est, ce qui est gênant parce que cela nous force, avec un coût important, à promener les farines à travers la France, un point que nous voulons éviter. Nous allons donc essayer d'avoir des équilibres régionaux.

Comme vous le dites, les "consommateurs" que sont les cimentiers ou autres sont répartis sur tout le territoire et il faut quand même que nous ayons des lieux de stockage assez bien répartis pour éviter les transports.

M. Jean Bernard - La Marne y correspond à peu près, d'autant plus lorsque les élus sont également vétérinaires...

M. Paul Blanc - J'ai une question très simple à vous poser : existe-t-il encore des sites de stockage en plein air ?

M. Jean-Paul Proust - Normalement, non.

M. Paul Blanc - Mais réellement ?

M. Jean-Paul Proust - Il n'y en a aucun qui est autorisé. Vous savez qu'il n'y a pas d'interdiction formelle de mettre les farines dans les décharges de classe 2 mais nous l'avons exclu, comme pour les engrais. Nous avons exclu toute mise en décharge et tout site en plein air. Normalement, il ne devrait y en avoir aucun. Sinon, on le ferait en dérogation avec le cahier des charges qui précise qu'il faut des sites couverts.

M. Paul Blanc - Je note qu'il n'y en a pas.

M. Jean-Paul Proust - S'il y en a, ils feront l'objet d'un contrôle, d'un procès-verbal et d'une fermeture. La règle est absolue.

M. Paul Blanc - D'accord. Vous avez parlé tout à l'heure des possibilités qu'auraient éventuellement les abattoirs d'organiser en quelque sorte leur propre service d'équarrissage.

M. Jean-Paul Proust - Cela n'aurait pas d'intérêt si c'était pour dupliquer l'équarrissage, mais il s'agit plutôt d'avoir un processus permettant d'éliminer le déchet de manière plus économique que le passage par la farine.

M. Paul Blanc - Le système actuel de service public d'équarrissage, qui repose en réalité sur pratiquement deux opérateurs, ne vous paraît-il pas un peu gênant ? Ces possibilité données aux abattoirs n'iraient-elles pas dans le sens de la suppression de ce service public de l'équarrissage ou, du moins, de l'ouverture de ce service public qui en est un sans l'être vraiment ?

M. Jean-Paul Proust - Personnellement, je pense que le service public de l'équarrissage a d'autres missions, puisqu'il doit ramasser les cadavres et effectuer toutes ces missions qui font partie du service public qui a été défini dans le cadre de la loi de 1996. Cela continue.

En ce qui concerne l'aspect industriel sur les farines, je souhaite que, l'Etat étant obligé d'intervenir, il ne se trouve devant aucun monopole. Il faut donc ouvrir des concurrences, la compétition et le marché en amont et en aval pour l'incinération mais aussi pour l'élimination des déchets. C'est ainsi que l'on aura le plus d'innovations et que l'on aboutira aux solutions les plus économiques, sans des bouleversements demain matin mais sur quelques années.

M. le Président - Un dernier point : Vous l'avez peut-être dit mais, pour 2001-2002, quelle est l'évaluation du coût du stockage dans l'état actuel des choses ?

M. Jean-Paul Proust - Vous parlez bien du stockage et non pas de la totalité de la chaîne ?

M. le Président - Je parle du stockage et de la destruction, puisqu'il va bien falloir détruire derrière.

M. Jean-Paul Proust - Si on le décompose, le prix du stockage varie entre 50 et 100 F la tonne par trimestre, ce qui fait un prix moyen de l'ordre de 80 F par trimestre ou de 300 F par an. On voit qu'à raison de 300 F la tonne par an, si nous arrivons, comme je l'espère, à ne pas dépasser 300 000 tonnes, cela fait de l'ordre de 100 millions sur les deux milliards que coûte toute la chaîne.

On peut faire la règle de trois. Si on doit aller jusqu'à 500 000 tonnes, il faudra 150 millions.

M. Georges Gruillot - Vous avez parlé de l'utilisation des déchets crus. Nous avons vu qu'à la Cooperl, à Lamballe, on vient de lancer une usine, que nous avons visitée, où on détruit tous les résidus des abattoirs de porcs, c'est-à-dire toutes les saisies et les morceaux à éliminer, que l'on utilise pour faire chauffer un immense four dans lequel on fait de la transformation en granulés pour engrais. Cela existe déjà à Lamballe et nous l'avons vu fonctionner.

M. le Président - Cela fonctionne.

Monsieur le Préfet, nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation et de nous avoir donné tous ces renseignements. Nous ne manquerons pas de vous interroger à nouveau en cas d'évolution ou si nous avons besoin de renseignements.

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