Audition de M. Alain GLON, Président de la société Glon-Sanders

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Alain Glon vous êtes Président de la société Glon Sanders et je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Glon.

M. le Président - Nous vous demanderons de nous parler de ce problème des farines animales tel que vous l'avez vécu. Vous avez pu voir comment les choses se sont passées par rapport à votre entreprise, à la fabrication d'aliments pour le bétail et les conséquences sur le développement de l'ESB.

M. Alain Glon - J'ai 59 ans et, dans l'un de nos métiers d'origine qui est la nourriture animale, je crois avoir tout fait depuis l'époque du cheval et de la charrette.

Au fil de ma présentation et de vos questions, je pourrai apporter quelques précisions.

J'ai une première interrogation car j'ai lu dans Ouest France de samedi dernier : « Farines : les sénateurs face à des silences ». Il s'agit probablement d'une nouvelle erreur journalistique.

Même si c'est vrai (cela l'est certainement en partie), c'est en raison de l'histoire que l'on connaît qui, comme je vous le disais, est fort longue. Aussi, sachant qu'aujourd'hui j'allais venir face à des parlementaires, je m'interrogeais pour savoir s'il fallait leur dire une partie de ce que nous savions de cette longue histoire et s'il était intéressant que les représentants de la Nation connaissent le climat psychologique qui règne autour de cette affaire.

Je vous laisse le libre choix.

M. le Président - Nous avons la nécessité de tout savoir et de tout comprendre. Aussi, nous vous laissons l'entière liberté de pouvoir tout nous dire dans ce sens.

M. Alain Glon - Il est important que vous compreniez le climat psychologique qui règne autour de cette affaire. J'ai fait une note interne reprenant les propos que j'échangeais dernièrement avec mon fils Benoît.

« Alain : Bonsoir, Ben, il y a des jours avec et des jours sans. Aujourd'hui, c'était une bonne journée, les flics sont sympas.

Ben : De retour après deux années en Asie, je trouve la situation en France assez folle. Dis-moi papa, ce qui s'est passé dans l'entreprise cette semaine, est-ce grave ?

Alain : Non, ce n'est pas grave, mais par contre c'est perturbant et pour le moins pas banal de recevoir la visite impromptue de 15 policiers d'un coup et je comprends ton interrogation.

Mais avant avoir d'avoir une réaction de rejet ou de dégoût, il faut d'abord que tu intègres l'histoire récente de la France, celle du sang contaminé, de la mise en cause de l'Etat et de la perte de confiance du citoyen. Les analogies avec l'affaire de la vache folle sont telles que chacun cherche en cette affaire, depuis 10 ans, un coupable, voire un coupable alternatif.

En deuxième lieu, il convient, dans ce feuilleton à rebondissements, de pondérer toute la partie irrationnelle ou, au contraire, celle qui l'est trop comme le médiatique par exemple. Le sujet fait monter l'audimat, la télévision a montré des images terribles sur des malades anglais, et même si en France il n'y a eu que deux, ou peut-être trois, cas humains, ceux-ci frappent plus l'opinion que le cancer ou les accidents de la route.

Il y a aussi tous les aigris de la société dans ces milieux scientifiques, juridiques, politiques et autres, tous ceux qui cherchent l'occasion d'une revanche. Il y a aussi, comme en Grande-Bretagne, des scientifiques qui annoncent un cataclysme humain pour se faire financer des moyens de recherche.

Tout ceci est compliqué et il faut, pour mieux comprendre, que tu intègres toutes ces composantes du dossier.

Dans un deuxième temps, il faut que tu considères qu'en France l'Etat est gérant, c'est-à-dire qu'il se mêle de la conduite des affaires et n'est pas seulement garant, c'est-à-dire préoccupé essentiellement de ses droits et devoirs régaliens comme c'est souvent le cas dans les pays qui connaissent le même niveau de développement.

De ce fait, l'Etat doit gérer la crise et les angoisses entretenues dans la population. Quand autant de bateleurs d'estrade réclament un coupable, l'Etat est contraint d'agir pour rassurer l'opinion : « Je veille sur vous braves gens ».

Bien sûr, c'est pour nous la cinquième commission d'enquête, sans compter les deux commissions parlementaires, bien sûr celle-ci ne découvrira rien de contrevenant ; cela aurait été fait depuis longtemps, notamment par ceux qui viennent pour la troisième fois.

Nous avons toujours anticipé les décisions et parfois contraint l'Etat à agir. L'Etat pourra dire cette fois : « J'y ai mis mes 15 meilleurs limiers qui sont arrivés à l'improviste avec tous les mandats voulus ». Il est vrai que cette fois nous avons à faire à des « super pro ». Fais-moi confiance mon fils, pas un coupable ne pourrait résister au régime que l'on nous applique depuis plus de 10 ans maintenant.

Ben : J'entends bien, mais tu me dis que cette fois il y avait 15 inspecteurs. Dans aucune série noire je n'ai vu la même chose. Cela pourrait-il te conduire en prison ?

Alain : Tu sais que notre entreprise présente des caractéristiques intéressantes pour faire de nous « le responsable choisi pour être le coupable qui convient » selon l'expression utilisée par ceux qui ont investi dans ce but.

Tu sais que ma tête a déjà, en 1996, été confiée à des services très spéciaux et c'est la raison pour laquelle j'avais différé l'acceptation de la Légion d'Honneur. Je sais donc que tout est possible.

Quant à la « justice de mon pays », j'ai eu l'occasion de vérifier personnellement que là aussi tout est possible. Mais vois-tu, à ton âge il n'est pas bon de douter de tout alors je n'en parlerai pas davantage. La presse en parle régulièrement, les gens de ton âge doivent croire en la vie et relever des challenges ; ils n'ont pas à épouser une gérontocratie qui ne craint plus que pour sa santé.

Ben : Est-ce que cela a toujours été comme cela ?

Alain : La réponse n'est pas catégorique. Il faut d'abord que tu saches qu'il existe la même proportion de voyous dans toutes les couches de la société et qu'il convient que les autorités adaptent leurs méthodes à ces contrevenants. Cependant, quand les pratiques ne sont pas en harmonie avec les protagonistes, et surtout quand il s'agit en quelque sorte d'obtenir un « effet de manche », c'est dégradant pour l'enquêté et l'enquêteur.

D'ailleurs, les enquêteurs eux-mêmes s'étonnent quand nous leur relatons toutes les enquêtes dont nous avons fait l'objet et dont pas une seule ne s'est terminée par un document quelconque. Même pas une copie de note, alors que j'ai vu le courrier écrit par le ministre en charge des Douanes, à destination de son collègue de l'Agriculture, pour lui indiquer qu'il n'avait rien trouvé de frauduleux chez nous ou ailleurs.

Je ne te parle pas des perturbations que ces centaines de journées d'enquêtes, ces tonnes d'archives et ces milliers de photocopies engendrent pour nos collaborateurs dans l'entreprise. Nous les entrepreneurs, nous sommes corvéables à merci. Tu sais que dans le concert international on appelle cela l'arrogance française, mais la France pense que c'est faux.

Ben : Dis-moi, cela a toujours existé et la population l'ignore ?

Alain : Bien sûr, nous ne sommes pas un cas unique et d'autres entreprises connaissent la même situation. C'est probablement un problème de taille ou de secteur d'activité.

Mais j'en reviens à ta question. Nous concernant, 15 inspecteurs, c'est un record, car jusque là nous en étions à 12 à la fois, bien sûr sans annonce, sans suite ni mot d'excuse.

Maintenant, en remontant très loin dans le temps je pourrais te citer l'exemple de Mamie que nous avons accompagnée dans son dernier voyage il y a tout juste un mois. Elle a vécu toute sa vie le traumatisme des fouilles du moulin en 1943/1944 lorsque nous étions levés la nuit et alignés au mur le temps que des hommes en vert-de-gris cherchaient les maquisards. Bien sûr, c'était différent car ceux-là ne déclinaient pas leur nom et leur titre en arrivant. Mais tu vois, à la suite de cela elle n'a plus voulu aucune responsabilité en dehors de celles d'une mère. Je la comprends.

Pour ma part, j'essaie de garder la bonne distance par rapport à ces événements. La frénésie et l'obsession nous guettent, tout comme d'autres, par exemple :

- le militaire est tenté de guerroyer sans cesse et sans fin,

- le politique pourrait être tenté par l'abus de pouvoir personnel et refuser le désaveu,

- le juge pourrait tomber dans l'intégrisme, à savoir inculper au nom de la loi pour un fait non avéré, juger au nom des principes (de précaution) et non plus selon la loi, condamner au nom de la justice alors devenue ordre, ce qui nous ramènerait au temps de l'inquisition,

- l'homme d'affaires quant à lui peut sombrer dans l'amour immodéré de l'argent.

Ben : Et comment vois-tu le futur ?

Alain : Tu sais que je suis optimiste, d'ailleurs sans cela je n'aurais pas été un entrepreneur. Cependant l'évolution de la France me paraît inquiétante. Le monde politique a perdu la confiance de la population, nombre d'élus pensent essentiellement à se défendre et à agir au gré des sondages ; ce sont donc les médias qui orientent la politique du pays. L'absence, le vide laissé par le politique est en passe d'être occupé par des juges ; cela conduit à une rigidification de la société, voire dans certains cas à une forme d'intégrisme. J'y pense dans nos activités alimentaires pour le zéro OGM ou le zéro salmonelle. Je pense à ce que l'on peut faire dire à l'obligation de précaution. La France risque de payer le prix fort pour la désagrégation de son système politique. Ce prix sera aussi payé par toute la société civile.

Une civilisation ne peut impunément laisser mettre en cause ses valeurs fondatrices comme nous l'avons vu :

- les scientifiques rompent le tabou sur le génome humain,

- la mondialisation écrase l'homme pour la finance,

- le cinéaste a cru pouvoir utiliser le Christ en pornographie,

- un écrivain a cru pouvoir vilipender le prophète de l'Islam,

- un distributeur a cru pouvoir angoisser la population sur le produit des autres.

Tu sais que pour notre part, au-delà du bon à manger, nous nous appliquons pour que nos produits soient aussi bons à penser ».

M. le Président - Il faut se recentrer sur le problème. Je comprends bien votre amertume et votre attitude mais nous sommes dans le cadre, je le répète, d'une commission d'enquête sur un problème bien précis et je crois qu'il est nécessaire maintenant de se remettre véritablement sur le sujet en traitant des problèmes posés par la fabrication d'aliments pour le bétail et celui de l'introduction des farines de viande et ses conséquences.

Je le répète, je comprends votre position personnelle, mais je me dois, dans le cadre de cette commission d'enquête, de recentrer les débats.

M. Alain Glon - Merci. Sur ce tableau mon intention est de vous montrer les différents métiers et, si besoin est, d'éviter, à vos yeux (car pour le reste je n'y crois plus) que la confusion soit entretenue.

Un premier métier, celui d'équarrisseur, consistait à ramasser les cadavres d'animaux dans la campagne ou dans les élevages pour les transformer en farines animales.

Un deuxième métier est né, conjointement, pour traiter les déchets des ateliers de découpe, à savoir des morceaux qui ont la même qualité bactériologique que ce que nous mettons dans notre assiette.

Pour des raisons qu'il vous appartiendrait de rechercher, ces personnes ont été appelées, tout comme nous, « fabricants de farines » et cette confusion a été volontairement entretenue dans la population. Il serait intéressant que vous recherchiez qui était propriétaire de ces entreprises.

M. le Président - Il faut nous le dire.

M. Alain Glon - Il s'agit de l'Etat.

M. le Président - Il serait donc propriétaire des équarrisseurs.

M. Alain Glon - Oui, à concurrence de deux tiers ou trois-quarts de l'activité en France.

Ensuite, les fabricants d'additifs mélangent des vitamines, oligo-éléments ou autres, destinés à être incorporés dans les aliments des animaux.

Il existe aussi des fabricants d'aliments d'allaitement. Il semblerait que ce soit la nouvelle cible. A partir du lait, ils retirent la matière grasse (le beurre) et ajoutent, en substitution, des matières grasses végétales, telles que l'huile de palme, ou animales. Il s'agit d'un métier qui n'a rien à voir avec le nôtre.

Par ailleurs, les fabricants de pet food (les aliments pour animaux de compagnie) ramassent les déchets des ateliers de découpe.

Les fabricants d'aliments composés utilisent les farines animales produites par d'autres.

Je crois qu'il conviendrait de vérifier qui était en charge de la qualité de ces farines animales, qu'elles soient d'importation ou produites en France.

Pour chercher la vérité, il faut avoir une notion de ce qu'est chacun de ces métiers.

Jusqu'au 1er janvier 1999, date à laquelle nous avons repris le Groupe Sanders, nous étions une entreprise familiale installée essentiellement en Bretagne Depuis, nous avons comme actionnaires des financiers et l'Etat qui est resté à 23 % .

Concernant les dispositions prises par notre entreprise, nous n'avons jamais utilisé de farines de viandes anglaises importées par nous pour les bovins. Toutefois, puisque les équarrisseurs français ont mélangé des farines anglaises à leur production, je ne peux pas être aussi affirmatif sur l'absence de farines animales anglaises dans nos produits.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Quels étaient vos circuits d'approvisionnement ?

M. Alain Glon - Nous importions des farines anglaises mais elles n'ont jamais été incorporées aux aliments pour bovins. Nous disposons de plusieurs usines qui sont plus ou moins spécialisées.

M. Gérard César - A quoi servaient les farines anglaises importées ?

M. Alain Glon - Dans notre entreprise, les farines anglaises n'ont jamais été utilisées dans les aliments pour bovins ; elles servaient à fabriquer les aliments pour les volailles et les porcs. Je parle des farines importées par nous de Grande-Bretagne.

Quand nous ne les importions pas de Grande-Bretagne, nous pensions que celles achetées aux équarrisseurs français étaient françaises.

M. le Rapporteur - Avez-vous acheté des farines en Irlande ou en Belgique ?

M. le Rapporteur - Nous avons acheté des farines en Irlande. Concernant la Belgique, Glon n'a jamais acheté de farines à ce pays mais ce n'est pas le cas de Sanders.

M. Gérard César - En Hollande ?

M. Alain Glon - Nous ne pouvons pas le savoir ; c'est comme pour certains produits tels que le sucre. Là aussi des sociétés françaises étaient impliquées.

Nous avons arrêté les importations de Grande-Bretagne le 9 janvier 1989 ; c'est la date du dernier arrivage reçu de ce pays. L'interdiction française date d'août 1989 alors que nos importations avaient cessé 6 mois plus tôt ; nous avons d'ailleurs beaucoup agi pour que ces importations soient arrêtées, sans avoir toujours eu l'audience voulue.

M. le Président - Vous disiez que des sociétés françaises étaient impliquées dans l'importation de farines provenant de Belgique ou d'ailleurs. De quelles sociétés s'agissait-il ?

M. Alain Glon - Ce sont les mêmes propriétaires que pour les équarrisseurs français.

M. le Président - Ce sont toujours les mêmes.

M. Alain Glon - A partir de Belgique il peut en venir énormément. Des sociétés d'équarrissage françaises avaient un commerce européen.

Nous avons arrêté toute incorporation de farines animales dans les aliments pour bovins en mai 1989, quand nous avons constaté que des équarrisseurs français avaient importé des farines anglaises pour les mélanger à leur production.

Nous avons tenté de faire interdire l'introduction de farines animales dans tous les aliments pour ruminants et cette interdiction est arrivée en juillet 1990, soit 15 mois après que nous ayons cessé d'utiliser ces farines.

M. le Président - Concernant cette décision (prise bien avant la décision officielle, vous avez raison), comment aviez-vous été informés, par quelle voie ou quel organisme professionnel ?

M. Alain Glon - Fin 1988 nous avons observé que la qualité des farines de viandes importées de Grande-Bretagne se dégradait, non pas au niveau des prions ou de la BSE (tout le monde en ignorait l'existence) mais plutôt des salmonelles. Compte tenu de ce risque, nous avons arrêté les importations le 9 janvier 1989 et résilié les contrats.

Toutefois, nos concurrents continuaient à utiliser ces farines vendues à des prix sensiblement inférieurs à ceux des farines produites en France à l'époque. Cette distorsion de concurrence nous a conduits à rechercher ce qui pouvait justifier la dégradation des farines anglaises. En constatant le manque de clarté de la situation en Grande-Bretagne nous avons préconisé aux autorités françaises l'arrêt des importations et ensuite l'arrêt des incorporations de farines dans les aliments pour bovins.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu des échanges téléphoniques ou épistolaires avec les autorités françaises pour faire état de vos craintes ?

M. Alain Glon - Oui.

M. le Rapporteur - Pourrait-on avoir ces documents ?

M. Alain Glon - J'ai un souvenir assez précis des échanges téléphoniques mais il existait peu de documents.

M. le Président - Nous sommes des béotiens et nous ne connaissons pas tout. Vous dites avoir eu des échanges avec les représentants de l'Etat : de qui s'agissait-il ?

M. Alain Glon - Il s'agissait de personnes de la rue de Varenne.

M. le Président - C'est donc directement avec le ministère de l'Agriculture.

M. Alain Glon - Tout cela sera su rapidement.

M. le Président - S'agissant d'une commission d'enquête, vous nous donnez des informations (mais pas volontairement car, je le comprends, en votre qualité de chef d'entreprise, c'est difficile) relevant d'une certaine habitude de fonctionnement. Nous ne sommes pas informés de tout et c'est ce que nous voulons comprendre.

Quand vous indiquez que vous étiez en relation avec les représentants de l'Etat de l'époque, nous devons savoir de qui il s'agissait précisément. Nous n'avons pas lieu de douter de vos affirmations puisque vous avez prêté serment, mais nous devons connaître la Direction avec laquelle vous étiez en contact afin de l'alerter sur ce problème.

M. Alain Glon - C'était le ministère, le cabinet de la Direction Générale de l'Alimentation.

M. le Rapporteur - La DGAL, rue de Varenne à l'époque.

M. Alain Glon - Dans une réunion nous ne faisons pas la distinction pour savoir qui est de quelle administration.

M. le Président - Bien sûr.

M. Alain Glon - C'était au printemps 1989.

M. Georges Gruillot - Vous disiez avoir constaté la dégradation de la qualité des farines anglaises. Les farines françaises vous semblaient-elles de qualité constante ?

M. Alain Glon - Non.

M. Georges Gruillot - A l'époque, il y avait de tout dans les farines françaises.

M. Alain Glon - Oui. C'était une dégradation de la qualité.

Il faut comprendre que notre métier (je ne sais pas si d'autres avant moi vous l'ont expliqué) consiste à établir des rations pour les animaux à partir d'un nombre important de matières premières pour lesquelles nous avons précisé environ 60 caractéristiques. Par ailleurs, le besoin des animaux est déterminé avec 60 contraintes. Des calculs réalisés par ordinateur ajustent l'offre et la demande.

Nos fournisseurs utilisent les mêmes techniques que nous et savent à quel prix ils peuvent nous vendre ces matières premières. Si nous utilisons, en compétition, soit du soja soit des farines animales, le fournisseur sait à quel prix il faut vendre ces farines animales.

Pour nous, l'intérêt économique (contrairement à ce qui a été dit) est extrêmement faible. Il n'existe pas de fournisseur assez ignare pour vendre très au-dessous du prix d'intérêt de sa matière première.

Par ailleurs, les quantités de farines utilisées ont toujours été très faibles ; c'est comparable à ce que pratique la ménagère qui incorpore un bouillon en cube dans le potage.

M. le Rapporteur - S'agissait-il de 3 % ou 5 % ?

M. Alain Glon - Moins, mais cela peut varier. Les Anglais en consommaient beaucoup car l'Angleterre n'a pas de très grands ports pour recevoir de gros bateaux provenant du Brésil ou d'Argentine avec de la protéine compétitive.

La protéine de soja vient du Brésil, d'Argentine ou des Etats-Unis par bateaux jusqu'à Rotterdam ; elle est ensuite transbordée et acheminée vers les ports anglais. Cela signifie que pour les Anglais le soja (produit concurrent de la farine de viande) était plus cher que pour nous sur le continent.

Par ailleurs, les Anglais ayant une aviculture peu développée (les farines de viande sont consommées essentiellement par l'aviculture) avaient des prix de farines de viande plus bas que ceux du marché ; étant exportateurs, ils devaient payer le différentiel de transport pour livrer sur le continent. C'est donc un pays qui consommait traditionnellement beaucoup de farines de viande, y compris pour les ruminants.

La Suisse est dans le même cas. Elle dispose d'un système très protectionniste taxant fortement les importations de tous produits protéiques. C'est une façon pour ce pays de protéger son herbe ou sa luzerne contrairement au système européen. De ce fait, les farines animales produites en Suisse présentent un très grand intérêt économique et leur taux d'incorporation est de loin supérieur à ce qu'il était en France.

M. le Rapporteur - En Suisse et Angleterre, quel était le taux d'incorporation de ces farines dans la ration ?

M. Alain Glon - J'ai entendu dire qu'il s'agissait de 7 % à 8 %.

M. le Rapporteur - Soit trois fois plus qu'en France. Quel est le différentiel de prix entre les farines anglaises, fabriquées selon le concept ayant généré l'ESB, et les farines « françaises » respectant les trois critères de température, temps de chauffage et pression ?

M. Alain Glon - Les farines françaises ne respectaient pas les critères de température, pression, etc.

M. le Rapporteur - Jusqu'à une certaine époque.

M. Alain Glon - Jusqu'en 1983.

M. le Rapporteur - Vous estimez donc que les farines françaises ont été dégradées à partir de 1983.

M. Alain Glon - En 1983, avec crise du pétrole tout le monde a été incité à faire des économies d'énergie, y compris cette profession. Les règles qui régissent les farines animales portent sur des taux de contamination bactériologique (campilobacter, salmonelles et autres) et cette industrie a diminué l'intensité des traitements tout en satisfaisant les obligations réglementaires. Tout le monde ignorait que le prion était présent.

Les farines françaises étaient de même nature mais nous avions peut-être moins de moutons atteints de tremblante.

M. le Rapporteur - Sur ce plan, suite à l'audition de Mme Brugère-Picoux, il semblerait (selon les connaissances scientifiques) qu'il n'existe pas de relation entre la tremblante du mouton et l'ESB.

Quel était l'intérêt pour les producteurs français (pour les transformateurs que vous êtes) de s'approvisionner avec des matières premières anglaises ; était-ce une question de prix ?

M. Alain Glon - Oui.

M. le Rapporteur - Quelle était la différence de prix ?

M. Alain Glon - Dans nos métiers nous dégageons moins de 1 % de marge et la matière première représente plus de 80 % du prix de revient. Si une matière première procure 1 % ou 2 % d'écart de prix, nous mettons beaucoup de moyens en oeuvre pour y accéder.

M. le Rapporteur - Même avec une incorporation dosée à 2 % ou 3 % ?

M. Alain Glon - Oui, car nous sommes dans l'infiniment petit.

Vous faisiez référence (après les perquisitions tout sera présenté) à la Commission d'enquête parlementaire. Je peux vous lire la lettre que j'ai adressée le 23 janvier 1997 à Mme Guilhem qui était Présidente de cette Commission d'enquête parlementaire.

« Madame la Présidente,

Vous savez le souci permanent qui est le nôtre, tant au plan de l'éthique que de la vérité. J'ai la conviction que dans sa recherche effrénée d'un responsable pour en faire un coupable, l'Etat aurait détruit notre entreprise si nous n'avions pas été d'une scrupuleuse honnêteté.

Je lis aujourd'hui dans le journal Libération une interview de M. Josselin qui en réponse à la question : « Avez-vous entendu André Glon ? » répondait : « Non, il a décliné notre invitation ».

En dehors de l'erreur de patronyme, s'agissant d'Alain et non pas d'André, la réponse me surprend. Vous vous souviendrez en effet que nous étions convenus qu'il était préférable que notre rencontre ait lieu en dehors de l'Assemblée Nationale ».

A l'époque, on parlait d'écoutes.

« Le rendez-vous avait été pris à notre stand d'exposition au SIAL. Dans les derniers instants, vous aviez dû annuler cette rencontre pour participer à un déplacement à Brest dans le cadre de la Commission de la Défense nationale.

Le nouveau rendez-vous pris, pour la semaine suivante, a également été annulé en raison d'une rencontre urgente avec M. Vasseur.

Vous m'indiquiez alors que votre rapport devait être remis pour fin octobre et qu'en raison du court délai qui vous était laissé vous m'appelleriez téléphoniquement en tant que de besoin.

S'agissant de l'aspect journalistique, en référence à l'article cité, ceci ne me crée pas de difficultés tant nous avons lu d'inexactitudes par ailleurs. Par contre, je ne voudrais pas qu'un instant le Président, M. Josselin, et ses collègues puissent penser que je me suis dérobé.

Concernant le fond de l'affaire et l'intérêt éventuel de ce que j'aurais pu dire, je vous rappelle qu'autant j'ai pu me montrer inflexible en 1989, quand il s'agissait de la santé animale, ou que je croyais limitée à la santé animale, et en 1996 quand il s'agissait de la santé humaine, autant je suis soucieux de ne pas accroître le malheur.

Ceci explique d'ailleurs pourquoi je n'ai pas pu être plus explicite en audience.

Le mélange des farines anglaises à des farines françaises par les équarrisseurs, je l'ai vu confirmé dans le journal Ouest France quelques jours plus tard. Le traitement insuffisant idem à celui des Anglais appliqué par les équarrisseurs français, le même article d'Ouest France en faisant état.

La séparation des cadavres et ASB que j'ai quasiment arrachée nous met théoriquement à l'abri, mais les quelques angoisses qui me restent m'amèneront à des positions fermes au 1er avril 1997 par rapport par rapport aux 3 bars, 133° et 20 minutes.

L'aliment volailles donné aux bovins, votre rapport en fait état. La mise en cause des farines françaises par la Suisse, le journal Libération du 13 janvier l'aborde. Les prélèvements d'hypophyse à destination de l'hormone de croissance, c'est en cours et le danger n'existe plus. Laissons faire la justice, les sessions et les cotations. La contamination par la voie génétique et ses conséquences, il ne convient pas d'en parler, mais c'est ce que j'aurai à l'esprit pour décider de ce que je ferai de la farine au 1er avril 1997.

Je n'ai repris que l'essentiel et deux choses me préoccupent : l'échéance du 1er avril 1997 (traitement à la pression), l'image que vous vous êtes faite de la DGCCRF alors que moi, qui ai subi plus de 100 jours de contrôles en cette affaire, je la tiens en très haute estime ; je l'ai d'ailleurs dit à M. Mattei.

Pardonnez-moi d'avoir été long, mais c'est de mon honneur dont il s'agit. Merci de faire silence désormais, il n'y a plus que le travail qui vaille ».

Je vous ai éclairés sur les différentes actions entreprises et j'ai mentionné à chaque fois le décalage entre le calendrier des obligations officielles et ce que nous avons pratiqué.

Retrait des abats à risques et cadavres de la fabrication des farines françaises : cela s'est passé à Lorient le 26 juin 1996. Nous étions, nous les fabricants d'aliments, accusés de consommer n'importe quoi et chacun continuait, ou souhaitait continuer, à mettre les cadavres et le reste dans les farines animales que nous devions consommer. Nous avions organisé l'arrêt de tous les achats.

Le 26 juin 1996, dans une réunion qui s'est tenue à la sous-préfecture de Lorient, environ 13 personnes venant de Paris ont essayé de nous convaincre de continuer la consommation. Nous avons refusé de le faire et nous ne l'aurions fait que si les déchets à risques avaient été retirés et c'est vraiment ce jour qu'ils l'ont été.

M. le Rapporteur - Le 26 juin 1996, 13 personnes étaient en sous-préfecture de Lorient (ce sont sans doute des personnes du ministère et il serait possible de retrouver leur nom) vous faisaient obligation de continuer à incorporer des farines... Ce n'est peut-être pas tout à fait cela.

M. Alain Glon - La langue française possède des ressources quand on écrit : « Ces farines doivent continuer à être utilisées.... ».

M. le Rapporteur - Avez-vous conservé ce courrier ?

(Présentation du courrier par M. Glon)

M. Alain Glon - Je vous disais que pour nous l'intérêt économique était extrêmement faible.

Le courrier indique : « En attendant et considérant que les mesures de précautions prises en France, sur la base des recommandations du Comité interministériel sur l'EEST dûment notifiées, n'ont pas fait l'objet, à ce jour, de commentaires de la Commission, la production et l'utilisation des farines de viande d'origine française doivent se poursuivre dans le respect ».

Nous n'avons jamais pu faire éclaircir le terme « doivent ».

M. Gérard César - C'était à la suite de la réunion de Lorient.

M. Alain Glon - Je n'ai plus la date de ce courrier mais je la rechercherai.

Entre le risque de voir les abattoirs s'arrêter (car les déchets n'auraient plus quitté les abattoirs) et le confort pour nous d'arrêter l'utilisation, il était infiniment plus confortable, si nous n'avions vu que notre intérêt, d'arrêter l'utilisation.

M. Gérard César - Pourriez-vous nous indiquer le nom des équarrisseurs français qui importaient ces farines anglaises ? C'est important pour notre commission d'enquête car sans nom cette information peut ne pas nous intéresser.

M. Alain Glon - Je lis : « Le Groupe SARIA Industries réalise des importations importantes par voie maritime dans son usine de la Française Maritime de Concarneau : 4 000 tonnes arrivent d'Ulster, l'Irlande britannique ». Il s'agit d'une déclaration du 6 septembre 1996.

Ce sont des chiffres confirmés par le Directeur commercial de cette société, M. Patrick Colombier, interrogé par nos soins. Nous n'avons aucun « complexe » à dire que nous avons importé des farines de viande britanniques ; il s'agissait de cretons qui sont des mélanges d'os et de suif (et non des produits d'équarrissage), des produits dégraissés aux solvants et retranchés avant utilisation.

Les enquêteurs précisent que toutes ces farines ont été mélangées aux productions métropolitaines du Groupe et vendues aux fabricants d'aliments sans préciser l'origine partiellement britannique des produits. C'est ainsi que des fabricants ont pu recevoir, sans le savoir, des farines d'origine anglaise ».

M. le Rapporteur - On peut considérer qu'elles étaient utilisées pour les porcs et les volailles.

M. Alain Glon - Celles-là l'étaient aussi pour les bovins puisque les farines françaises étaient réputées saines.

M. le Rapporteur - Il s'agit de 1996.

M. Alain Glon - Non, la déclaration est de 1996. Pour moi, il n'y a pas eu d'importations illégales en France.

Les Douanes et la DGCCRF ont complètement réécrit l'histoire. Cela aurait été stupide puisque le Gouvernement anglais, quand il a mis un embargo sur l'utilisation des farines, a également mis en place un dispositif de rachat des farines à un prix infiniment plus cher que celui du marché. Si on voulait la vérité, tout le monde pourrait vérifier cette information très facilement.

Je n'imagine pas qu'une société importe des farines à un prix beaucoup plus cher pour le plaisir qu'elles soient anglaises. Selon moi, il n'y a pas eu d'importations frauduleuses. Je le dis aussi pour mes collègues.

Depuis un certain temps, nous avons vu beaucoup de situations. Nous sommes à près de 300 ou 400 jours d'enquête chez nous.

Que sont devenus les déchets de ces animaux, à savoir les veaux anglais importés qui devaient être tenus en quarantaine pour ne jamais devenir adultes ? Ils sont devenus des cadavres et ont été recyclés naturellement dans des usines françaises. Il existe un certain nombre de ces exemples.

M. le Président - C'est en 1997.

M. Alain Glon - Oui. On peut aussi parler des 40 000 bêtes importées de Grande-Bretagne sur le continent au titre de la génétique durant la période à risques.

M. le Rapporteur - Il s'agit bien de génétique ?

M. Alain Glon - Oui, les Anglais ont fait beaucoup de bêtises mais aussi des études très sérieuses et selon eux 11 % des animaux étaient des porteurs sains.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous nous donner des précisions concernant ces animaux importés ?

M. Alain Glon - C'était au titre de l'amélioration génétique. De même que la France vend des embryons de Charolais dans le monde entier, des éleveurs français ont importé de la génétique anglaise avec des animaux de bonne qualité.

M. le Rapporteur - Sous quelle forme ?

M. Alain Glon - Ce sont généralement des animaux vivants et les statistiques anglaises indiquent que 40 000 bêtes ont été exportées en France, dont 11 % étaient des porteurs sains.

M. le Rapporteur - Avez-vous un document sur ce sujet ?

M. Alain Glon - Il en existait mais je n'ai pas tout gardé.

M. le Rapporteur - La génétique anglaise n'est pas très bonne.

M. Alain Glon - Elle était de bonne qualité. Cela a eu lieu jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.

M. Gérard César - De quelle race s'agissait-il ?

M. Alain Glon - La race Holstein mais il ne convient peut-être pas de parler de toutes les voies de contamination.

M. le Rapporteur - C'est la première fois que je prends connaissance de cette information concernant l'importation d'animaux génétiquement intéressants. Je n'avais pas l'habitude de considérer que sur le plan laitier la génétique était intéressante à partir de Grande-Bretagne.

M. Alain Glon - Des animaux ont été contaminés chez certains de nos éleveurs et cela porte à s'interroger. Il existe une coïncidence assez forte entre les zones géographiques où ont eu lieu les importations génétiques et le nombre de cas.

M. le Rapporteur - C'était précisément notre souci quand nous sommes allés dans les Côtes d'Armor qui est le premier département tristement célèbre à travers le nombre d'animaux contaminés. Nous nous interrogions et l'une des réponses pourrait être celle d'importations de ces animaux génétiquement intéressants à partir de Grande-Bretagne.

Connaissez-vous les entreprises ayant importé ces animaux ?

M. Alain Glon - Oui, mais il n'y avait rien d'illégal dans cette pratique. Toutefois, nous supportons mal que le fabricant d'aliments soit le seul « cloué au pilori » dans cette affaire.

M. le Rapporteur - Nous cherchons à comprendre.

M. Alain Glon - Vous ne le dites pas.

M. le Président - Cela nous permet de remonter.

M. le Rapporteur - Concernant les veaux, nous pouvions deviner ce qui se passait quand ils étaient sur le territoire national. S'agissant des animaux d'âge adulte, nous n'avions aucune information.

M. Gérard César - D'où provient le chiffre de 40 000 bovins importés de Grande-Bretagne ?

M. Alain Glon - Ils ont été exportés par la Grande-Bretagne sur la totalité du continent. Ce sont les statistiques anglaises et elles peuvent être demandées à la douane.

M. le Président - Ce sont des bovins anglais importés sur l'ensemble du continent européen.

M. Alain Glon - Oui.

M. le Rapporteur - Durant quelle période ?

M. Alain Glon - Je ne sais pas depuis quand cela se pratiquait ; jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.

M. le Rapporteur - C'est une question que nous approfondirons.

M. Alain Glon - Sur les statistiques nous pouvons constater des erreurs de 30 000 tonnes. Ce n'est pas surprenant car les douanes ont été « chahutées » au 1 er janvier 1993 et les statistiques n'ont plus été tenues.

M. le Rapporteur - Que signifie « les douanes ont été chahutées au 1er janvier 1993 » ?

M. Alain Glon - A cette époque la communauté européenne a supprimé beaucoup de contrôles douaniers. A cette époque, les documents en douane ont été tenus par des agents en douane divers et variés, généralement des professions portuaires, et la complexité de la nomenclature a généré des erreurs. Ceci a donné à M. José Bové l'occasion de beaucoup de « pirouettes ».

Pour ma part, j'ai toujours été surpris que les ordinateurs des douanes acceptent d'enregistrer l'entrée d'un produit interdit sur le territoire.

Tout cela a été rectifié après un mois mais comme le fabricant d'aliments convenait en tant que cible, cela a duré. Vous voyez encore ces derniers éléments, qui sont sortis tout récemment, sur des différences de statistiques entre l'exportation belge et l'importation française.

M. le Rapporteur - On nous a expliqué cela « scientifiquement » ou officiellement. A partir du 1er janvier 1993, entre la notion de déclaration d'échanges de biens et la notion de seuil (qui est différente selon les pays de la communauté), tout est fait pour que personne ne s'y retrouve.

M. Alain Glon - Ou que l'on fasse du fabricant d'aliments la cible choisie.

M. le Rapporteur - Je n'irai pas jusqu'à ce raccourci intellectuel. Apparemment, nous avons eu les explications et nous retrouvons à peu près, à 1 000 ou 2 000 tonnes près, les tonnages.

M. Alain Glon - Avez-vous vu les rectifications qui pourraient retirer l'émoi dans la population ?

M. le Rapporteur - Non. Les avez-vous ?

M. Alain Glon - Dire la vérité à la presse ne présente pas d'intérêt.

M. le Rapporteur - Pour nous si, c'est l'objet de cette commission.

M. Alain Glon - Vous savez que les différentiels de seuil entre le niveau de déclaration en Belgique et en France provoquent des écarts statistiques.

M. le Rapporteur - Il est vrai que c'est ubuesque, mais nous en avons pris acte. Si vous disposez d'autres informations autour de cette période de 1993 nous sommes prêts à les entendre.

M. Alain Glon - Mon intime conviction est qu'il n'y a pas eu de fraude et cela aurait dû être dit depuis longtemps.

M. le Rapporteur - Il y a eu incohérence.

M. Alain Glon - Oui. Tout cela a été rectifié par la DGCCRF en 15 jours et par les Douanes en un mois, mais les communiqués qui devaient être publiés à la suite de cette remise en ordre n'ont jamais été faits.

M. le Président - Pour qui cette remise en ordre était-elle nécessaire ?

M. Alain Glon - Pour rétablir la vérité.

M. le Président - Ce pourrait être consultable après quelques années pour indiquer qu'il n'y avait rien. Qui cela pouvait-il cacher ?

M. Alain Glon - Le fabricant d'aliments est la cible qui convient.

M. le Président - C'est le résultat. A votre avis, c'était donc destiné à cacher quelqu'un d'autre.

M. Alain Glon - On peut s'interroger pour savoir qui tamponnait les certificats sanitaires des farines animales que nous importions, les uns ou les autres, de Grande-Bretagne, qui vérifiait la qualité des installations des équarrisseurs français ou qui contrôlait les veaux, les vaches et les 130 000 tonnes d'abats importés, et consommés, chaque année durant cette période ? Je ne suis pas certain qu'il convienne d'en parler.

M. le Président - Vous venez de le dire.

M. Alain Glon - Je ne suis qu'un observateur et je me pose des questions.

M. le Rapporteur - Vous dites que malgré les incohérences à partir du marché unique au 1er janvier 1993, on retrouve malgré tout l'ensemble des tonnages.

Parlez-nous des fameux problèmes de contaminations croisées. Nous avons visité des entreprises, tant dans les Côtes d'Armor que dans d'autres départements. Je pense que doucement, ou plus rapidement, les entreprises françaises se sont adaptées à séparer les circuits de fabrication.

Toutefois, que pouvez-vous nous dire concernant la reprise des lots ? En effet, nous nous interrogeons (et nous ne sommes pas les seuls) sur de telles pratiques dans les exploitations agricoles où, la production étant terminée, l'entreprise reprenait et réincorporait les farines. Comment cela se passait-il chez vous ?

M. Alain Glon - Nous avons fait l'objet d'enquêtes, au moins autant que je vous l'ai indiqué, et pas un seul défaut n'a été trouvé. Je crois que nous avons toujours appliqué les méthodes avec une certaine rigueur.

Il serait simple de vérifier, pour chaque fabricant d'aliments, quel est le nombre d'élevages (de clients) avec la BSE. Dans le premier département que nous fournissons, le Morbihan, 9 cas de BSE ont été constatés et il ne s'agit pas de nos clients. Cela peut laisser entendre que nos méthodes étaient rigoureuses.

Concernant votre question, il est évident que des éleveurs (qui ne s'en cachent pas) ont parfois donné des aliments pour volailles à des bovins.

M. le Rapporteur - C'est de la contamination croisée in situ, à savoir dans l'élevage. Je parlais de la reprise d'aliments par l'industriel, ce qui est logique, en cohérence avec l'éleveur. Comment ces tonnages étaient-ils recyclés ensuite ?

Il me semblait, compte tenu du fait que les formulations des aliments du bétail, jeunes bovins ou truies, étaient les plus simples qu'ils pouvaient plus facilement recevoir ces retours de lots. Confirmez-vous que c'est facile ?

M. Alain Glon - Oui, en l'absence d'attention voulue, l'aliment repris en élevage peut être considéré comme une matière première comme une autre.

M. le Rapporteur - Confirmez-vous que la réincorporation des retours de lots est plus aisée sur les aliments pour truies ou jeunes bovins, par rapport aux aliments pour bétail (par exemple les vaches laitières) dont la formulation est plus rigoureuse ?

M. Alain Glon - Non. Certains ont peut-être mis en oeuvre ce type de pratique mais je n'en connais pas la raison spécifique.

Néanmoins, ce sujet m'interpelle. Même s'il y a eu une contamination croisée, il aurait fallu que les farines animales entrant dans l'alimentation des volailles ou autres soient contaminées. Comment expliquez-vous que ces farines puissent être contaminées sur toute la France ?

M. le Rapporteur - Avant 1996, il n'était pas procédé au retrait des matériaux à risques spécifiés et certaines importations pratiquaient un mélange.

M. Alain Glon - Il est évident que dans certaines régions (dans le Puy-de-Dôme ou les élevages de Montbéliardes) aucune farines anglaises ne sont parvenues.

M. le Rapporteur - C'est là où le relais semblerait pris par les lacto-remplaceurs.

M. Alain Glon - C'est la nouvelle cible.

M. le Rapporteur - Il faut considérer que nous sommes ici presque tous dans la même situation : nous cherchons à comprendre et non pas à accuser.

Nous avons entendu parler ici des graisses, des suifs, etc. incorporés dans les aliments d'allaitement. En tant que professionnel, pensez-vous que ce pourrait être une explication sur les races allaitantes ?

M. Alain Glon - Croyez-vous que beaucoup de matières grasses (destinées à la fabrication des aliments pour veaux) aient été importées de Grande-Bretagne ?

M. le Rapporteur - Avant 1996 (la date fatidique du retrait des matériaux à risques spécifiés) les farines ou les co-produits animaux n'étaient pas sécurisés.

M. Alain Glon - A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'importations de matières grasses animales en provenance de Grande-Bretagne car les données du marché ne les justifiaient pas.

Que la graisse soit en cause, pourquoi pas, mais d'où provient la contamination de cette graisse ?

M. le Rapporteur - Des animaux recyclés avant 1996.

M. Alain Glon - Vous laissez donc entendre qu'il y avait en France beaucoup de vaches folles.

M. le Rapporteur - Il y en avait.

M. Gérard César - Comment expliquez-vous que les farines françaises n'étaient pas saines ?

M. Alain Glon - Les procédés de traitement pratiqués en France, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays étaient les mêmes puisque les Anglais appelaient cela le « procédé français » extrapolé de la fabrication des farines de poisson. En raison de l'atténuation de l'intensité du traitement et des mutations d'espèces (Mme Brugere-Picoux pourrait vous en parler mieux que moi) il s'est passé certaines choses.

En Suisse, le nombre de cas d'ESB est important alors qu'ils n'ont importé que 7 tonnes de farines de viande de Grande-Bretagne et quelques dizaines de milliers de tonnes de France.

C'est un peu comme pour Tchernobyl, les prions respectent les frontières. Des situations simples doivent être observées.

M. le Rapporteur - Vous dites que les Anglais appelaient cela la « méthode française », or en 1987/1988 les Pouvoirs Publics français avaient alerté les fabricants d'aliments en leur indiquant que les conditions de fabrication des farines anglaises ne répondaient pas aux critères utilisés en France et recommandés. Il était conclu et recommandé la plus grande prudence.

D'après ce que j'ai lu, le process de fabrication des farines anglaises, abaissant les 3 paramètres, relevait plutôt d'un brevet américain. Contredisez-vous cela ?

M. Alain Glon - C'est le procédé Stord bartz system mais le même était également utilisé en France.

M. le Rapporteur - C'était un brevet américain qui a été pratiqué en France.

M. Alain Glon - Le terme de « brevet » américain est trop fort. Des fabricants de matériels en France ont reproduit les mêmes équipements.

Des commissions ont circulé dans un certain nombre d'équarrissages français et ont fait des constats pour vérifier quelles étaient les méthodes appliquées.

M. le Rapporteur - Vous êtes ferme : à partir de 1983, date du choc pétrolier, la compression des coûts fixes a conduit à une diminution de l'utilisation du pétrole pour chauffer les farines aussi fort et aussi longtemps.

M. Alain Glon - Oui. Tout cela nous interpelle et je pense que des experts ont réalisé des tests, en laboratoire, pour savoir jusqu'où il était possible de baisser l'intensité du traitement tout en satisfaisant à la norme réglementaire (campilobacter et salmonelles), en ignorant la présence du prion.

Quand on se rend dans un équarrissage à 2 ou 3 heures du matin, on devient prudent sur la possibilité de transposer à l'usine ce qui se passe dans le laboratoire. Si la Communauté a imposé le chauffage à 133° pendant 20 minutes à une pression de 3 bars, elle a également précisé qu'aucun morceau ne devait dépasser 10 mm de côté. En effet, la présence d'un caillou peut percer une grille de broyeur et si un morceau plus gros passe, alors que la pression n'est plus la même, je ne suis pas certain que le produit soit traité à coeur.

Il y a probablement eu trop de certitudes scientifiques transposées dans un univers qui n'avait rien à voir.

M. Gérard César - Quelles sont les commissions ayant visité des équarrissages ?

M. Alain Glon - C'était pratiqué en plein jour. Nous en avons parlé avec le professeur Dormont et nous sommes allés en visiter. C'est un métier comme un autre.

M. Gérard César - Concernant le process américain, avez-vous des documents à nous remettre ?

M. Alain Glon - Non.

M. Gérard César - Ce n'est pas un brevet mais plutôt un process.

M. Alain Glon - Nous n'avons pas de documents car nous ne sommes pas équarrisseurs.

M. Gérard César - Vous travaillez avec eux.

M. Alain Glon - Oui.

M. Gérard César - Concernant la concurrence entre les fournisseurs d'aliments, il semble que certains cas déclarés dans les élevages révèlent qu'ils avaient été alimentés par plusieurs fournisseurs d'aliments au cours des années passées.

Y a-t-il eu une guerre des prix entre les fournisseurs d'aliments et, si oui, quelles sont les raisons ayant permis à certains de baisser leurs prix d'aliments ?

M. Alain Glon - La compétition existe tous les jours. Nous sommes dans des activités où la marge n'est que de 1 %. Je ne peux pas appeler cela une guerre des prix ; il s'agit d'une concurrence permanente comme entre tous commerçants. Je ne crois pas que certains aient pu baisser leurs prix.

M. Gérard César - Concernant les équarrisseurs, vous indiquiez qu'à votre connaissance ils avaient un grand commerce européen. Avez-vous eu des doutes ou des inquiétudes suffisamment tôt sur l'origine des produits qu'ils commercialisaient auprès des fournisseurs d'aliments ?

M. Alain Glon - La géographie prime en la matière. Les coûts de transport sont tels qu'en règle générale l'approvisionnement vient d'un équarrissage voisin.

Quand les prix deviennent anormalement élevés par rapport aux autres pays de la communauté, les fabricants d'aliments situés à proximité des frontières se fournissent à l'étranger. Pour le reste, c'est la loi du marché.

Nous n'avons pas eu de doute spécifique, hormis sur la volonté de cacher leur existence.

M. Georges Gruillot - Concernant les importations de farines pour les Suisses, il s'agit de 7 tonnes provenant d'Angleterre. Or, d'autres personnes auditionnées ici nous ont indiqué qu'il s'agissait d'un chiffre bien plus élevé.

Sur quelle base pourrait-on s'appuyer pour avoir un chiffre correspondant à la réalité ?

M. Alain Glon - Sur les statistiques des douanes suisses.

M. Georges Gruillot - Les Suisses ont-ils toujours importé beaucoup de farines de viande, notamment de France ?

M. Alain Glon - De France, oui.

M. Georges Gruillot - Il y a 20 ou 25 ans, dans mon propre équarrissage les farines produites n'étaient achetées que par les Suisses car personne en France n'en voulait. Le chiffre de 7 tonnes me semble faible.

M. Alain Glon - C'était essentiellement pour fabriquer des médicaments.

M. Georges Gruillot - Pour l'alimentation, ne sont-ils pas passés par la Belgique, la Hollande ou l'Allemagne ?

M. Alain Glon - Je dispose de statistiques d'importations suisses ; il suffit de les demander aux autorités suisses.

Le document que je vous présente indique : « 122 - Grande-Bretagne - 75 kilogrammes ».

M. le Rapporteur - Ce sont des farines ?

M. Alain Glon - C'est la même rubrique douanière, ce qui explique la complexité. Ces importations étaient destinées à la fabrication de médicaments.

Pourquoi SANOFI a-t-il racheté SARIA Industries ?

M. le Président - SARIA Industries n'est-il pas allemand ? SANOFI est la filiale d'ELF.

A force de sous-entendus dans tous les domaines, nous en arrivons à ne plus rien comprendre. J'aimerais que vous parliez clairement dans tous les domaines et que vous alliez jusqu'au bout de vos phrases. Ce n'est pas une accusation mais une constatation ; je vous demande de la clarté.

M. Alain Glon - En 1973 les Etats-Unis ont mis un embargo sur le soja et le Président Georges Pompidou a affirmé qu'il faudrait se passer de ce produit. Cela ne se passera pas ainsi et le prix des farines animales a beaucoup augmenté puisqu'il s'agit d'une protéine en compétition avec le soja.

A l'époque, le Plan protéines a été institué. Claude Calet indiquait que « les rognures ramassées au bord des assiettes pourraient procurer une grande quantité de viande ». Cela a d'ailleurs été fait plus tard puisque dans les ateliers de découpe il ne s'agit que de cela.

A partir de cette date, l'Etat français a commencé à racheter très cher les équarrisseurs qui étaient des entreprises familiales. Elles ont été rachetées par deux Groupes, EMC, pour fabriquer de la gélatine, et SANOFI, pour les médicaments. Ces entreprises sont restées très longtemps la propriété de l'Etat jusqu'à ce qu'elles soient vendues à une société allemande. Elles ont été ensuite rapidement revendues à un équarrisseur allemand qui est donc propriétaire de SARIA Industries. C'est aujourd'hui allemand, mais c'est récent.

La Suisse accusait la France de ne pas l'avoir prévenue suffisamment tôt et des entreprises suisses ont continué à fabriquer des médicaments avec des organes qui n'étaient peut-être pas sans risques.

M. le Président - Méfiez-vous de vos propos. Quand vous parlez de médicaments, je n'imagine pas qu'ils puissent contenir des farines animales.

M. Alain Glon - Il ne s'agit pas de farines animales mais de glandes bovines. Ceci explique les faibles quantités achetées à la France pour fabriquer des produits pharmaceutiques.

M. le Président - Je vous remercie de nous procurer une photocopie du document concernant les importations suisses.

Merci d'être venu témoigner de ce qui s'est passé dans votre entreprise, comme dans d'autres, et d'avoir fourni le maximum de renseignements.

M. Gérard César - Les articles de presse nous intéressent également.

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