IV. DES AGENCES STATISTIQUES RÉPUTÉES POUR L'INDÉPENDANCE SCIENTIFIQUE DE LEURS TRAVAUX

Examiner l'indépendance d'un service statistique consiste à répondre à trois questions : ce service détermine-t-il librement son programme de travail à l'intérieur d'un budget donné ? Ce service réalise-t-il ses enquêtes en toute indépendance scientifique ? Ce service est-il soumis à des pressions lors de la publication de ses travaux ?

S'agissant des États-Unis, il résulte de ce qui précède que la réponse à la première question est mitigée : les services statistiques formulent de manière très indépendante des propositions de programme de travail, mais ces propositions sont a priori soumises au contrôle financier et administratif de l' Office of Management and Budget , puis au pouvoir budgétaire du Congrès.

En revanche, une fois leur programme de travail établi, les services statistiques conduisent et publient leurs enquêtes en toute indépendance scientifique .

A. DES GARANTIES STATUTAIRES POUR LA CONDUITE DE LEURS ENQUÊTES

L'indépendance scientifique des agences statistiques est tout d'abord le fruit de l'histoire et de la culture américaines.

En effet, les Américains ont très tôt considéré les statistiques non pas comme un instrument du pouvoir de l'Etat, mais comme un bien public nécessaire au débat démocratique et à la bonne marche des affaires.

Dans ces conditions, les administrations statistiques ont pu revendiquer très tôt leur indépendance scientifique. A titre d'exemple, on peut signaler que les pressions du Président Eisenhower sur le bureau du recensement pour retarder après les élections présidentielles de 1956 la publication d'indicateurs avancés suggérant que l'économie était entrée en récession, s'est alors traduite par un tollé, avec pour conséquence l'abandon de la réalisation de ce type d'indicateur par les agences statistiques publiques.

Cette indépendance repose donc aujourd'hui sur une longue tradition . Ainsi, le bureau des statistiques de l'emploi (BLS) se définit dans son programme stratégique pluriannuel comme une agence « indépendante », qui produit des statistiques au service du public, du Congrès, des autres agences fédérales, des États fédérés, des collectivités locales, des entreprises et des salariés.

On peut d'ailleurs souligner que le public et le Congrès passent en l'espèce avant les autres agences fédérales, c'est à dire avant le gouvernement.

L'indépendance des agences statistiques semble d'ailleurs avoir été confortée par les périodes de « cohabitation » entre le Président et le Congrès qu'ont connues les États-Unis entre 1981 et 1992, puis entre 1995 et l'an 2000.

Il convient de souligner que cette indépendance scientifique vaut aussi bien pour les chiffres eux-mêmes que pour les commentaires techniques associés à ces chiffres, ce qui n'est pas toujours le cas des services statistiques ministériels en France : quoique souvent relativement descriptifs les commentaires des enquêtes statistiques publiés par le ministère de l'emploi et de la solidarité ou par le ministère de l'éducation nationale sont ainsi parfois relus au sein du cabinet de ces ministères 56 ( * ) .

Aux États-Unis, l'indépendance scientifique des services statistiques est d'ailleurs renforcée par des garanties statutaires .

Par exemple, la nomination du directeur du bureau des statistiques sur l'emploi (BLS) est soumise à la procédure de confirmation par le Sénat, et s'effectue pour un mandat d'une durée fixée à l'avance dont la fin ne peut pas coïncider avec une élection présidentielle.

Une fois nommé, il ne peut être destitué que dans le cadre d'une procédure disciplinaire devant le haut conseil de la fonction publique.

En pratique, les agences statistiques ne sont ainsi normalement pas concernées par le système des dépouilles ( spoil system ).

En France, les responsables des services statistiques ne bénéficient pas de garanties semblables.

Après avoir contesté les chiffres publiés par la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale (le service statistique de ce ministère), M. Claude Allègre l'a ainsi transformée en une « direction de la programmation et du développement » aux ambitions amoindries en matière d'études et de statistiques publiques, tout en en remplaçant le directeur.

En outre, le recrutement et l'avancement des fonctionnaires des agences statistiques s'effectuent aux États-Unis sur des critères exclusivement professionnels.

Par ailleurs, l'indépendance des agences statistiques fédérales est confortée par leur transparence : le fait de discuter à l'avance la méthodologie de tous ses programmes avec des représentants des usagers et avec des conseils scientifiques composés d'experts indépendants, puis d'en publier les détails, comme s'y efforce par exemple le BLS, réduit évidemment le risque de pressions politiques.

Enfin, les statisticiens américains estiment que la séparation rigide entre les activités statistiques les plus sensibles et les études économiques est également protectrice de leur indépendance, en limitant les risques d'interférence.

On peut toutefois noter que ces caractéristiques des agences statistiques n'empêchent pas des polémiques récurrentes, en raison sans doute de l'importance que les Américains accordent aux statistiques, d'une part, et peut-être de leur méfiance permanente vis-à-vis de l'État fédéral, d'autre part.

Chaque élection présidentielle est ainsi l'occasion de controverses sur l'élaboration des statistiques. Néanmoins, les enquêtes réalisées par le Congrès ont systématiquement conclu à l'absence de biais politique des statistiques fédérales.

* 56 Cf. Par exemple sur ce point « Pour qui roulent l'INSEE et les autres instituts de statistiques ? », in Liaisons sociales magazine, mai 2001.

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