B. LE CONTRÔLE SUR PIÈCES ET SUR PLACE : UNE MOISSON INÉGALE

Accompagné de M. Charles Descours, rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale (équilibres généraux), votre rapporteur s'est rendu le 8 mars 2001 au ministère de l'Emploi et de la Solidarité puis au ministère de l'Economie et des Finances.

Comme le rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, votre rapporteur considère que le Parlement doit faire un usage régulier des prérogatives qui sont les siennes. Dès lors que le recours aux contrôles sur « pièces et sur place » devient habituel, il n'est pas souhaitable que ces contrôles prennent la forme de « coups de main » opérés dans les lignes de l'Administration.

Aussi, votre rapporteur avait tenu, par principe et par courtoisie, à avertir tant les ministres que les directeurs d'administration de son déplacement sur place et à donner à ces derniers le temps nécessaire pour préparer une copie des notes et documents ayant trait au fonds de réserve des retraites.

De même a-t-il considéré que son rôle n'était pas de s'emparer de notes pour les publier mais de s'appuyer sur elles pour développer les analyses qui composent le présent rapport.

Il estime, comme le rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée nationale que les « services de l'Etat » sont demandeurs de transparence et, avant cela même, respectueux des lois de la République qui leur impose une information complète du Parlement.

Il lui semble spécieux, à ce titre, de prétendre que l'Administration cessera de produire des notes si elles sait que le Parlement est susceptible d'en obtenir communication. Des affaires récentes, comme celle de l'exercice de la tutelle sur le Crédit Lyonnais, montre que l'Administration doit pouvoir faire preuve, pour s'exonérer de sa propre responsabilité, de sa diligence et de l'information complète fournie au ministre.

1. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité refuse de jouer le jeu

Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, appelé à remettre les notes de deux directions, la Direction de la Sécurité sociale (DSS) et la Direction de la recherche des études économiques et de la statistique (DREES), n'a livré en tout et pour tout que six notes.

Un courrier adressé le même jour à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité fait état des difficultés rencontrées.

« En application de l'article 2 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, nous nous sommes rendus, ce jour, à la Direction de la sécurité sociale pour un contrôle sur pièces et sur place sur le fonds de réserve des retraites créé par la loi de financement pour 1999. Nous avions tenu à vous aviser de ce contrôle par lettre du 2 mars dernier.

« Les prérogatives que nous avons mises en oeuvre sont clairement exprimées par la loi dont nous nous permettons de vous rappeler les termes : « Les membres du Parlement qui ont la charge de présenter, au nom de la commission compétente, le rapport sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale suivent et contrôlent, sur pièces et sur place, l'application de ces lois auprès des administrations de l'Etat et des établissements publics compétents. Réserve faite des informations couvertes par le secret médical ou le secret de la défense nationale, tous les renseignements d'ordre financier et administratif de nature à faciliter leur mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tout document de quelque nature que ce soit. »

« Pourtant, M. Pierre-Louis Bras, Directeur de la sécurité sociale, a fait état, lors de ce contrôle, des instructions qu'il avait reçues de votre part quant à la nature des documents de service qu'il était habilité à nous communiquer, limitant ainsi cette communication à six notes, s'échelonnant entre le 19 novembre 1999 et le 23 novembre 2000.

« Ces instructions comportaient trois restrictions qui sont, pour les deux premières, inacceptables et, pour la troisième, inopérante.

« Vous avez, en effet, considéré qu'aucun document « préparatoire » à une décision du Gouvernement ne pouvait entrer dans le champ des investigations du Parlement.

« Cette restriction ne repose tout d'abord sur aucune disposition relative aux prérogatives des rapporteurs des lois de financement. De fait, les dispositions précitées ne réservent que le cas des informations couvertes par le secret médical et le secret de la défense nationale.

« Nous aurions été prêts à prendre en considération ce point de vue si le fonds de réserve des retraites avait relevé d'un projet envisagé confidentiellement par le Gouvernement. Or, comme il a été rappelé, ce fonds de réserve a été créé par la loi de financement pour 1999 et développé par les lois de financement pour 2000 et 2001.

« Faut-il rappeler en outre que le rapport annexé à l'article premier de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, tel qu'approuvé et amendé par le Parlement, dispose : « au total, le fonds de réserve devrait disposer d'environ 1.000 milliards de francs en 2020 (...). Cette somme correspond à la moitié des déficits prévisionnels des régimes de retraite entre 2020 et 2040. »

« Il ne s'agit donc pas de révéler les mesures que le Gouvernement compte prendre mais de savoir si les mesures qu'il a prises, s'agissant notamment des ponctions réalisées sur le FSV, dont les excédents alimentent le fonds de réserve, les difficultés rencontrées par exemple quant à la vente des licences UMTS ou encore les projections dont dispose l'administration sont en cohérence avec l'objectif proposé au Parlement.

« C'est à ce titre que le Parlement a approuvé le fonds de réserve et il est légitime qu'il puisse connaître les fondements de cet objectif et savoir si le plan de marche prévu est à même d'être respecté.

« En réalité, prétendre faire échapper au contrôle parlementaire, tout dossier ou organisme susceptible de faire l'objet d'une décision future du Gouvernement, reviendrait à cantonner cette procédure à des dossiers définitivement clos (les abattoirs de la Villette, par exemple), transformant ainsi en « archéologues » les rapporteurs de la commission des Affaires sociales qui sont pourtant chargés d'éclairer sur des choix l'assemblée qui les désigne.

« Cette première restriction est donc inacceptable.

« Vous avez considéré, en second lieu, que tout document de service comportant des « appréciations personnelles » échappait également aux investigations des rapporteurs. Cette restriction nous apparaît surprenante.

« S'il s'agit de l'appréciation que porte l'Administration sur tel problème, telle urgence, s'il s'agit pour elle d'inventorier les solutions possibles au vu des données objectives qu'elle est chargée de rassembler, ces notes entrent pleinement dans le périmètre visé par l'article 2 de la loi de financement pour 1997.

« S'il s'agit en revanche de considérations strictement politiques, ou d'appréciations « personnelles » propres au rédacteur, cela pose le problème d'une confusion entre le rôle du Cabinet et celui de l'Administration. Cette situation, fâcheuse d'un point de vue institutionnel, ne saurait être en tout état de cause, utilisée pour s'opposer à l'exercice par le Parlement de ses prérogatives.

« Enfin, vous avez considéré que le champ des investigations des rapporteurs se limitait à l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Nous partageons parfaitement ce point de vue : le fonds de réserve des retraites figurant dans les lois de financement de la sécurité sociale pour 1999, 2000 et 2001, notre mission se situe pleinement dans le cadre du « suivi et du contrôle sur pièces et sur place de l'application des lois de financement ».

« Toujours sur instructions, M. Pierre-Louis Bras, Directeur de la sécurité sociale, a en outre refusé de nous communiquer la liste chronologique des documents émis par sa Direction. De sorte que, non seulement, le Gouvernement avance une interprétation inacceptable des prérogatives du Parlement mais entend également être le seul juge de l'application qu'il fait de ces restrictions.

« Nous observons en outre que les réponses écrites au questionnaire que nous vous avons adressé le 1 er janvier 2001, établi sur la base des mêmes prérogatives, a reçu une réponse de votre part montrant que le Gouvernement accepte de communiquer au Parlement les informations auxquelles ce dernier a droit, à condition toutefois d'en sélectionner la teneur.

« Cette attitude tranche singulièrement avec le discours tenu par le Gouvernement à l'occasion de la réforme de la loi organique relative aux lois de finances, dans lequel tient une place de choix le souci d'une parfaite transparence et d'un renforcement des prérogatives de contrôle du Parlement.

« Aussi, nous vous demandons de reconsidérer les instructions que vous avez adressées à M. le Directeur de la sécurité sociale qui ne sont pas fondées en droit et qui traduisent aujourd'hui un double langage de la part du Gouvernement ».

Cette lettre n'a pas reçu de réponse à ce jour.

En revanche, interrogée le 29 mars 2001, Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Handicapés, déclarait 51 ( * ) : « Vous prétendez que le ministère de l'Emploi et de la Solidarité n'a pas fait diligence pour vous ouvrir ses dossiers contrairement au ministère des Finances. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité ne dispose peut être pas de tous les moyens techniques dont bénéficie le ministère des Finances (...). Sachez toutefois que Mme Guigou avait donné des instructions très claires pour que tous les documents vous soient communiqués ».

Le premier argument, tenant à l'insuffisance des moyens techniques de la Direction de la Sécurité sociale, est peu contestable mais totalement inopérant dans le cas d'espèce sauf si cette référence à l'insuffisance des « moyens techniques » vise la photocopieuse du service : votre rapporteur ne demandait en effet que les copies de notes existantes.

L'affirmation de l'existence d'« instructions très claires » données par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité constitue en revanche une très grave accusation contre le directeur de la Sécurité Sociales, qui aurait trahi les instructions expresses de son ministre, et tenté de faire obstruction à l'exercice par le Parlement de ses prérogatives, accusations dont on comprend mal qu'elles soient restée sans sanction...

Votre rapporteur n'est en réalité pas dupe de ce double langage. Il déplore d'avoir dû se livrer à un travail fastidieux de reconstitution des notes manquantes du ministère de l'Emploi et de la Solidarité au travers des notes communiquées par le ministère de l'Economie et des Finances qui, pour sa part, a choisi la transparence.

* 51 Sénat, réponse à M. Alain Vasselle, jeudi 29 mars 2001, questions d'actualité au Gouvernement, journal officiel p. 898

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