J. AUDITION DE M. JEAN-PIERRE RICHARD, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL ADJOINT DE LA FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE, DE M. LE PROFESSEUR JEAN CLAVIER, FONDATEUR DE L'INSTITUT DE CANCÉROLOGIE ET D'HÉMATOLOGIE DU CHU DE BREST, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DE CANCÉROLOGIE DES CHU, DE M. DIDIER DELMOTTE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CHU DE LILLE, VICE-PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DE CANCÉROLOGIE DES CHU ET DE M. LE PROFESSEUR PIERRE DEGAND, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION MÉDICALE D'ÉTABLISSEMENT DU CHU DE LILLE, DE LA FÉDÉRATION HOSPITALIÈRE DE FRANCE

Nous allons maintenant entendre MM. Richard, Clavier, Delmotte et Degand.

La genèse de la création de notre mission d'information a été le rapport de la Cour des comptes sur le financement de la sécurité sociale publié en septembre 2000. Il est fréquemment fait grief aux politiques de ne pas tenir compte des rapports de la Cour des comptes. Par notre initiative, nous avons voulu démontrer le contraire.

Quelle appréciation générale portez-vous sur la politique de lutte contre le cancer actuellement menée dans notre pays ? Cette politique vous paraît-elle, notamment, favoriser une action suffisamment coordonnée de ses différents acteurs ? Quelles actions prioritaires devraient être engagées par les pouvoirs publics en ce domaine ?

M. Jean-Pierre RICHARD - Permettez-moi de remercier votre mission d'information d'avoir bien voulu accepter l'audition d'une délégation de la Fédération hospitalière de France, qui est la fédération représentant des hôpitaux et des maisons de retraite publiques de France. Nous avions estimé utile d'éclairer votre mission de notre réflexion et de nos propositions. C'est pourquoi nous avons formulé cette demande d'audition que vous avez bien voulu accepter.

Pour répondre plus précisément à vos questions, je passerai tout d'abord la parole à M. Delmotte.

M. Didier DELMOTTE - Depuis la publication du dernier rapport de la Cour des comptes traitant des CHU et nous posant questions entre autres sur le cancer et son approche dans nos établissements, le ministère a lancé un « plan cancer », dont il faut tenir compte, car dans le domaine de la coordination, ce plan est ambitieux et a conduit à la mise en place par le ministère d'un certain nombre de commissions qui ont commencé à se réunir. Sur ce sujet, le comité de suivi du plan, composé de 70 personnes, s'est réuni en mai 2000. Il se compose de plusieurs groupes de travail qui mènent leurs actions de réflexion sous l'égide de la DGS et de la direction des hôpitaux.

Compte tenu de l'ampleur du travail amorcé, nous proposons de constituer un comité permanent, dont l'effectif sera plus restreint que celui du comité de suivi, afin de suivre la mise en place de cette politique. Au-delà de cette mesure, il faudrait que le comité soit décliné au niveau régional, car comme les réponses que nous allons vous fournir le suggèrent, le problème de coordination se pose tout autant au niveau régional que national. En effet, il existe actuellement un découpage entre les agences régionales de l'hospitalisation, qui pilotent l'ensemble du système hospitalier public et privé et le dispositif DRASS, toujours en vigueur dans le domaine de la prévention. Il faut que ces deux politiques ne soient pas parallèles, mais au contraire se rejoignent. Enfin nous tenons à insister sur la création des centres de référence régionaux en cancérologie, qui résultent de l'application de la circulaire de 1998. Il existe donc trois niveaux : le national s'appuyant sur un comité permanent qu'il faudrait voir apparaître.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il n'existe donc pas encore.

M. Didier DELMOTTE - Tout à fait. Seule une commission de suivi a été mise en place.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Cette commission permanente serait-elle l'équivalent d'une Agence ou d'un Institut national du cancer, jouant le rôle de centre de coordination.

M. Didier DELMOTTE - Je crois effectivement qu'un centre de coordination est nécessaire. La nature même de la structure devra par la suite être définie. Il faut à cet égard se méfier de la création d'une structure supplémentaire trop lourde.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous avons précédemment entendu les représentants de réseaux de qualité en cancérologie, en particulier ONCORA et ONCOLOR. Ces derniers nous ont parfaitement expliqué l'avantage de ce travail en réseau. Ils nous ont fait également part de leurs observations sur la nécessité de définir une politique de cancer. La question du budget doit également être abordée, puisque nous ne disposons pas d'un budget national de la santé. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M. Didier DELMOTTE - En tant que directeur général de CHU, je formulerai l'analyse suivante. En ce qui concerne les budgets, la politique actuellement développée met l'accent sur les contrats d'objectifs et de moyens des hôpitaux. Je crois qu'une telle politique doit être pérennisée et renforcée. Ces contrats s'appuient sur les schémas régionaux d'organisation sanitaire, mis au point dans chaque région. Ces schémas doivent bien sûr comporter un volet sur le cancer. Les contrats déclinent la politique de ce schéma au niveau de chaque établissement. Il faut donc se tenir à ce mode de financement. Il me semble qu'il y a un danger à multiplier les financements parallèles, nationaux et ponctuels. Il serait préférable d'intégrer l'ensemble des financements. Il faut donc veiller à ce que les SROS prennent bien en compte la politique cancer, à travers une enveloppe spécifique. Si les contrats d'objectifs et de moyens ne comportent aucun volet cancer, la politique contractuelle ne sera alors plus respectée. Une telle situation serait regrettable, puisque cette politique présente une réelle efficacité, dans la mesure où elle doit faire l'objet d'un bilan annuel s'appuyant sur un système d'évaluation et de coordination, qui apparaît essentiel pour mesurer les progrès réalisés. L'écueil qui doit être évité consiste à multiplier les politiques parallèles aux contrats d'objectif de moyens. Les orientations particulières doivent demeurer possibles, mais il serait souhaitable qu'elles soient conduites par cet unique canal.

Pr. Jean CLAVIER - A propos de la coordination entre les différents acteurs, le cercle des cancérologues auquel vous avez participé fin mars montre une volonté forte des différents acteurs du monde de la cancérologie de travailler en commun. Je pense que ce cercle a été à la base de la réflexion sur le « plan cancer », puisqu'il a réuni la plupart des acteurs concernés. Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes faisait un bilan quelque peu catastrophique de l'organisation de la cancérologie dans les CHU. Nous avons beaucoup travaillé dans ce domaine. Nous sommes aujourd'hui capables de vous présenter un document montrant que tous les CHU français se sont organisés en fédérations. Dans de nombreux établissements, des actions concertées ont d'ores et déjà été mises en place et constituent en ce sens un progrès considérable par rapport aux pratiques passées. Lorsque nous parlerons de l'enseignement et de la formation, nous aborderons les difficultés de la coordination entre les CHU.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Etes-vous déjà impliqués dans des réseaux de qualité, comme ONCOLOR ou ONCORA ?

Pr. Jean CLAVIER - Tout à fait.

Pr. Pierre DEGAND - A propos du budget, nous ne voudrions pas voir évoluer la notion de contrat pluriannuel, qui permet le développement d'une véritable politique en cancérologie dans les établissements, à travers une programmation des efforts. Il est vrai que les CHU, à travers les contrats d'objectifs et de moyens, sont habitués aujourd'hui à la rédaction d'un projet, à son suivi et à un budget accordé par l'ARH en fonction des efforts consentis ainsi que du calendrier de réalisation. Je pense qu'un tel dispositif doit être conservé et appliqué à la cancérologie, car il prend en compte non seulement les soins mais aussi la formation des futurs cancérologues et le développement de nouvelles techniques.

La mise en place d'une agence au niveau national et régional contribuerait à l'organisation d'un système de veille technologique et bibliographique, car il s'agit de ne pas manquer certaines évolutions thérapeutiques et diagnostiques. De plus, nous nous apercevons que l'évolution dans ces domaines s'accélère.

Sur le plan de l'organisation, notre message principal vise à encourager la création d'une agence nationale et régionale permanente, disposant d'un effectif plus réduit que celui du comité actuel. Au plan régional, cette structure travaillera naturellement en synergie avec l'ARH.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Le comité permanent national et sa déclinaison régionale, représentée par l'agence permanente n'existent pas encore ? Quand seront-ils mis en place ?

M. Didier DELMOTTE - C'est une proposition de notre part.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - A travers les réseaux de qualité, nous constatons une volonté identique sur l'ensemble du territoire d'aller vers une plus grande coordination et une meilleure coopération entre la médecine de ville et l'hôpital. A cet égard, cette orientation dépassera très certainement le seul cadre du cancer. Il n'en demeure pas moins qu'une politique de la santé doit être mise en place. Il existe certes un budget pour certaines opérations de dépistage, mais aucun budget spécifique pour la politique de lutte contre le cancer n'a pour le moment était accordé.

Pr. Pierre DEGAND - Je crois que les CHU montre une certaine volonté structurante dans ce domaine. Il ne faut pas oublier qu'il y a encore seulement quelques années les CHU ne connaissaient pas nécessairement dans le détail leurs volumes d'activités en cancérologie qui étaient conduites parmi un ensemble plus vaste d'activités cliniques. Dans tous les CHU, des analyses d'activités par thèmes sont désormais organisées et nous permettent notamment d'évaluer à la fois la part prise par la cancérologie dans l'établissement et les besoins nécessaires dans le domaine. Je pense que progressivement une organisation se met en place. Ainsi, les fédérations interdisciplinaires permettent la mise en commun de plateaux techniques en interne entre les différents établissements. Plus encore, lorsqu'un comité de cancérologie est constitué, cette activité en réseau peut être conduite en relation avec les établissements public et privé. Il est même possible d'imaginer la mise en place d'unités de cancérologie extérieures, c'est-à-dire qu'aucun praticien dans le domaine de la cancérologie ne pourrait agir sans qu'il soit véritablement intégré dans réseau comportant CHU-CH et activité de ville.

M. Claude HURIET, président de la mission - Quelle est la date de création de la Fédération nationale de cancérologie des CHU ? Quelles sont ses relations avec la Fédération des centres de lutte contre le cancer ? Existe-t-il encore une concurrence entre ces deux organisations ?

Pr. Jean CLAVIER - Le début de la réflexion sur la création de cette organisation de la cancérologie dans les CHU date de la fin de l'année 1996. À cette époque, j'étais Président d'une commission médicale d'établissement. La conférence des Présidents de CME de CHU a permis d'identifier la priorité selon laquelle il nous fallait absolument nous occuper de la cancérologie dans nos établissements. Au cours de l'année 1997 et à plusieurs reprises, j'ai eu la charge de réunir un certain nombre de collègues venant de tous les établissements de France, afin de commencer à élaborer une réflexion dans le domaine de la cancérologie. La fin de l'année 1997 a vu la création d'une Fédération nationale de cancérologie dans les CHU. Cette fédération s'est tout d'abord fixé deux objectifs. Le premier visait à faire le bilan des activités cancérologiques dans nos établissements, puisque personne n'était en mesure de savoir ce qu'elles représentaient. Grâce à une analyse réalisée par Eric Lepage de Paris, nous avons réalisé que ces activités représentaient 15 à 17 % de l'activité de chaque CHU. Leur importance était donc considérable.

M. Claude HURIET, président de la mission - En incluant les hémopathies malignes ?

Pr. Jean CLAVIER - Effectivement, en les incluant.

Le second objectif devait permettre de créer à l'intérieur de chaque établissement des fédérations regroupant tous les spécialistes d'organes, de manière à ce qu'ils communiquent avec d'autres établissements au nom du CHU. Cette simple modification de rapport a totalement changé l'ensemble des relations. Avec Thierry Philippe, nous avons souhaité, à travers la création du cercle de réflexion des cancérologues, dépasser toutes les querelles anciennes. Dans le même esprit, le bureau de chacune des deux fédérations se réunit tous les deux mois environ, afin d'échanger des idées et de conduire des actions communes. Ainsi, lorsque nous adressons un courrier au ministère, le document est généralement signé par les deux fédérations. La volonté est donc forte de dépasser ces querelles anciennes, reposant davantage sur des craintes et des malentendus que sur des désaccords réels, liés principalement à l'ancienne organisation de la cancérologie dans les CHU dans lesquels les spécialistes d'organes étaient responsables de ce domaine indépendamment des autres disciplines. L'organisation actuelle a permis, dans la plupart des établissements, de dépasser ce système individuel.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Tout au long de cette journée s'est manifestée une inquiétude liée aux problèmes présents et futurs de démographie médicale, notamment en matière de cancérologie. Comment sera-t-il possible de résoudre ce problème ?

Pr. Jean CLAVIER - Nous allons manquer de professionnels dans tous les domaines. Je crois que cette situation est particulièrement difficile à résoudre en cancérologie, dans la mesure où pour avoir une compétence en cancérologie, il faut avoir un DES ou un DESC, c'est-à-dire être interne pendant respectivement quatre et deux ans dans des services de cancérologie. Or la carte des 27 CHU français montre que plus de la moitié ne dispose pas de service capable de former des cancérologues. Cette situation résulte du fait que pendant longtemps les cancers étaient traités dans les CRLCC et non dans les CHU. Je pense donc que nos établissements manquent d'un esprit cancérologique, permettant à un étudiant voulant faire de la cancérologie de trouver à l'intérieur de son propre établissement les structures nécessaires et suffisantes pour pouvoir se former à cette spécialité. Aujourd'hui, les futurs cancérologues sont obligés de se former dans les CRLCC ou dans d'autres établissements. Ce contexte particulier nous a conduits à Brest à regrouper sur le même site la plupart des spécialistes d'organes de manière à intégrer nos internes de spécialité pendant un certain temps. Une telle organisation représente une solution indispensable pour acquérir cet esprit cancérologique et pour encourager la volonté de nos futurs spécialistes de poursuivre leurs efforts dans une discipline difficile.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Cette volonté fera-t-elle des émules dans d'autres régions ?

Pr. Jean CLAVIER - Je l'espère car je suis convaincu qu'il n'y a pas d'autres solutions pour développer cette volonté et cette capacité à former des professionnels compétents. En effet, il me paraît difficile de traiter correctement un cancer bronchite sans avoir entendu parler d'autres types de cancer ou d'autres approches thérapeutiques. Une formation pluridisciplinaire apparaît aujourd'hui comme incontournable.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Mais dans 10 ou 15 ans, nous allons connaître un désert médical. Il nous faudra alors avoir recours aux professionnels étrangers, qui n'auront peut-être pas reçu la formation que nous souhaitons donner aux nôtres. Comment accélérer le développement de ce type de formation ?

Pr. Jean CLAVIER - Ce problème est extrêmement difficile. J'ai personnellement inclus dans le cursus de mes internes en pneumologie la nécessité de passer six mois dans cette unité de cancérologie transversale. Environ un sur quatre d'entre eux se découvre alors une vocation de cancérologue et souhaite poursuivre sa carrière dans ce domaine. La multiplication de ce type d'incitation devrait permettre de former un nombre suffisant de spécialistes compétents en cancérologie.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Combien de CHU en France offrent ces possibilités ?

M. Didier DELMOTTE - Le grand progrès que nous avons pu constater au cours de ces dernières années porte sur la prise de conscience selon laquelle le cancer est une affaire d'équipe. La cancérologie n'est plus du ressort d'un seul praticien, décidant du parcours de soins d'un malade.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Cette prise de conscience est-elle bien réelle ?

M. Didier DELMOTTE - Tout à fait. Le message de la transversalité pénètre actuellement à l'intérieur des CHU. Plus encore, ce message concerne désormais la plupart des hôpitaux dans la plupart des disciplines et il nous faut encore inciter les praticiens à se rapprocher par pôles thématiques, condition de qualité de démarche.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il faudra alors réfléchir à la nature de ces incitations.

M. Didier DELMOTTE - En effet, à un certain moment, il sera peut-être nécessaire que la sécurité sociale oriente la prise en charge des malades vers les praticiens respectant certaines conditions d'exercice, en particulier la pluridisciplinarité. Autre point, dans votre questionnaire, vous évoquez la consultation d'ancrage.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Tout à fait.

M. Didier DELMOTTE - Ces premières consultations sont extrêmement importantes pour décider du protocole de soins à venir d'un malade. C'est à ce moment-là que la pluridisciplinarité doit jouer pleinement son rôle associant le monde médical et le monde paramédical. Il me paraît possible qu'à l'avenir la décision d'un protocole prise par un professionnel isolé soit sanctionnée par une non-prise en charge par la sécurité sociale. Il faudra désormais prouver que le protocole d'un patient a été décidé à plusieurs.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Le problème essentiel porte sur la formation de nouveaux médecins. Vos propos laissent à penser qu'aucune mesure dans ce domaine ne sera prise avant dix ans. Quelles initiatives faut-il mettre en oeuvre pour améliorer la situation dans ce domaine en France ?

Pr. Pierre DEGAND - Je crois qu'il faut insister sur ce que vient de dire M. Delmotte. Plus personne ne doit désormais prescrire un traitement anticancéreux sans l'avis d'autres professionnels. La prise de décision doit être le résultat d'un travail en commun. Les spécialistes d'organes ne pourront plus faire de la cancérologie à l'avenir s'ils n'ont pas suivi une formation suffisante les amenant dans leur cursus à s'initier en transdisciplinarité.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quand de telles dispositions vont-elles pouvoir exister ?

Pr. Pierre DEGAND - Nous sommes tous convaincus de l'urgence de cette démarche d'intégration pluridisciplinaire. Il ne faut plus que la cancérologie soit une pratique marginale dans une spécialité. Je rejoins tout à fait les propos de M. Clavier lorsqu'il défend la nécessité pour les praticiens en charge des activités de cancérologie de se retrouver dans des « unités de cancérologie ». Il ne me paraît pas possible de demander aux hôpitaux d'avoir une démarche de ce type sans que, parallèlement, aucune disposition en ce sens ne soit prise vis-à-vis de la médecine de ville.

Il a précédemment été évoqué la présence de réseaux internes au sein des CHU et une structuration progressive en matière de cancer. Ces derniers peuvent jouer un rôle fondamental pour introduire des pratiques nouvelles, et les unités de cancérologie, qui seraient le lieu d'action d'accueil des spécialistes. Les mesures destinées à attirer les praticiens vers la cancérologie dépendront de la définition de leurs activités. Pour le moment, l'oncologue ne se situe correctement ni dans des hôpitaux, ni à l'extérieur. Il faut le positionner par rapport aux spécialistes d'organes de l'établissement ou du réseau.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - A travers les réseaux de qualité, nous voyons pourtant qu'il y a une demande.

Pr. Pierre DEGAND - Le rôle de l'oncologue serait d'introduire de nouveaux protocoles, de faire bénéficier le patient des toutes dernières pratiques tout en se préoccupant de la qualité de la médecine et des soins proposés. Il peut aussi être un trait d'union entre établissements en région et le CHU.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Dans ce contexte, quelle est votre vision de réseaux comme ONCOLOR ou ONCORA ? Travaillent-ils dans le bon sens ? Leurs activités s'inscrivent-elles dans la même logique que la vôtre ?

Pr. Jean CLAVIER - Le réseau ONCORA est le premier réseau de ce type en France. La seule petite incertitude que je peux avoir sur le fonctionnement exact de ce type de réseau est qu'il prend généralement naissance dans un centre de lutte contre le cancer pour aller vers des services de radiothérapie d'hôpitaux voisins.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je n'ai pas l'impression qu'il en soit ainsi pour le réseau ONCORA.

Pr. Jean CLAVIER - Certes, mais je précise toutefois qu'au sein d'ONCORA sont présents des médecins spécialisés. A côté de Brest, l'hôpital de Morlaix regroupe un certain nombre de spécialistes d'organes qui pratiquent de la cancérologie. Or je ne suis pas certain que tous ces praticiens aient la compétence requise pour cette discipline. Il me paraîtrait souhaitable de signer une convention entre l'hôpital de Morlaix et celui de Brest et de désigner un cancérologue généraliste chargé des trois tâches suivantes :

- vérifier la prise en charge des malades au sein de l'hôpital de Morlaix, permettant notamment de s'assurer de la bonne préparation des chimiothérapies et de l'application des protocoles prescrits ;

- jouer le rôle de trait d'union et de coordonnateur entre l'hôpital de Morlaix et le CHU -le médecin devra donc être capable de défendre des dossiers difficiles et de participer aux réunions pluridisciplinaires ;

- mettre en place des protocoles de recherche de prise en charge des malades.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quels sont les obstacles vous empêchant de réaliser votre rêve ?

Pr. Jean CLAVIER - Les acteurs concernés ont jusqu'à maintenant fait preuve d'une certaine inertie. La situation est en train d'évoluer puisque le dispositif devrait être mis en place avant la fin du mois de juin. Il a donc fallu convaincre les collègues de Morlaix du bien-fondé de cette « intrusion ».

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Comment inciter des jeunes médecins à venir et à rejoindre le thème cancer ?

Pr. Pierre DEGAND - Une solution pour la fonction de ces praticiens serait de cibler des postes de chef de clinique qui seraient créés et réservés à la cancérologie et qui pourraient contribuer à une formation de spécialistes en nombre.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - A quel niveau se font les nominations des chefs de clinique ?

Pr. Pierre DEGAND - Les nominations se font au niveau des CHU. Lorsqu'un interne est en fin d'internat et qu'il débute sa carrière, il recherche un poste de chef de clinique vacant. Si le responsable du centre est un cancérologue souhaitant promouvoir ce type d'enseignement, il me semble que nous aurions davantage de jeunes médecins intéressés. Je crois que l'effort d'ores et déjà consenti par l'Etat contribue également à sensiblement modifier la pratique en matière de cancérologie.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Les appareils ne sont pas tout.

Pr. Pierre DEGAND - Effectivement, il faut des professionnels pour les utiliser. Il est certain qu'il faut davantage de radiothérapeutes, d'anatomopathologistes et d'hommes d'image -sachant utiliser les techniques les plus récentes. Toutes les initiatives que nous venons d'évoquer sont des pratiques très innovantes, qui il y a encore trois ou cinq ans étaient encore totalement absentes du discours des professionnels.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Le monde évolue. « Go ahead » comme disent les Américains !

Pr. Pierre DEGAND - Il me paraît donc possible d'attirer, de former des jeunes et de les inciter à rejoindre un cadre structuré véritablement destiné à la lutte contre le cancer.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Et ce, d'autant plus si l'accent actuel, mis sur les notions de solidarité et de mission de service public que revêt cette lutte, se poursuit. Nous n'offrons aux jeunes en effet plus suffisamment d'opportunités d'avoir envie de donner. Cette ambition peut tout à fait s'appuyer sur ce type de dimension stimulante qui donne envie de donner.

Pr. Pierre DEGAND - Dans le domaine de la biologie, la pratique du prédictif permet de dépister les familles à haut risque et de développer un préventif parfaitement ciblé. Cette nouvelle pratique devrait attirer des étudiants vers un nouveau type d'activité médicale, qui consiste à accompagner des sujets promis à disparaître, mais que l'on va suivre et pouvoir traiter à la première alerte.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Vous voyez donc bien qu'il faut y croire !

Pr. Jean CLAVIER - Si des incitations et des possibilités sont offertes aux jeunes, le recrutement de ces derniers est moins problématique.

Pr. Pierre DEGAND - Il faut également souligner le développement de l'approche psychologique du malade, qui, à Lille, était loin d'être considérée comme une priorité. De même le traitement de la douleur et les soins palliatifs se sont très rapidement développés, grâce notamment à des praticiens qui, initialement, ont agi de manière bénévole, ont acquis une connaissance pratique et qui peuvent la partager.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il fallait ouvrir les mentalités dans ce sens. Avez-vous d'autres remarques ?

M. Didier DELMOTTE - Le message principal que nous souhaitions formuler aujourd'hui est que la cancérologie doit devenir un travail d'équipes et pluridisciplinaire, transformant à la fois les pratiques individuelles et les institutions.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je suis convaincu aujourd'hui que nous entrons dans la mise en place d'une politique de la santé qui jusqu'à présent faisait défaut dans notre pays. Cette critique est ancienne puisque les gouvernements de ces trente dernières années se sont désengagés de cette question, en se réfugiant notamment derrière la Ligue nationale contre le cancer et l'ARC. Actuellement, nous sentons monter une volonté de mieux lutter contre le cancer. S'il faut mobiliser des jeunes médecins, il convient également de sensibiliser l'ensemble de la population française, qui doit désormais être consciente que le cancer tue davantage que les accidents de la route. Dans cette croisade contre la bête, nous pouvons tous y faire quelque chose. Il nous faut véritablement écraser le crabe.

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