B. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR HENRI PUJOL, PRÉSIDENT DE LA LIGUE NATIONALE CONTRE LE CANCER

Pr. Henri PUJOL - Je suis satisfait de pouvoir parler de la Ligue, de dire ce que je pense d'elle, mais surtout ce que je crois qu'elle pourrait faire et devrait faire.

Vous m'interrogez sur l'historique de la Ligue. Elle est née en 1918, à la fin de la Première Guerre Mondiale. Son président fondateur, Justin Godard, était secrétaire d'Etat à la Guerre. Il était donc dans un esprit de lutte. La ligue s'appelait à l'époque « ligue franco-anglo-américaine ». En 1957, le ministre de l'intérieur délivre une circulaire en vue de faciliter la disposition départementale de la Ligue. La circulaire fonde donc le réseau de la Ligue dans les départements. La Ligue se retrouve alors avec 101 comités. Cela représente une charge sur le plan du fonctionnement, mais un avantage sur le plan de la pénétration de la population et de l'émergence de ses besoins. Il existe 5 comités dans les territoires d'Outre-Mer : Réunion, Guadeloupe, Martinique, Nouvelle-Calédonie et Guyane.

J'ai pris la présidence de la Ligue à la suite de mon prédécesseur, M. Pallez, en avril 1998. Je suis le second cancérologue président de la Ligue. J'ai pris soin de faire voter par le conseil d'administration un programme d'action de la Ligue deux mois auparavant, en février 1998.

Ce programme met à parité les trois missions de la Ligue : la recherche, les actions auprès des malades, l'information-prévention-dépistage. Naturellement, la consommation de ressources est hétérogène par rapport à ces missions. L'action pour les malades se matérialise par l'engagement humain, l'action des bénévoles. La recherche demande davantage de moyens financiers. J'ai voulu que le Conseil d'Administration, lorsqu'il m'a élu Président, me charge d'appliquer le programme qu'il avait voté auparavant.

Nous avons mis les trois missions à parité d'engagement. Nous considérons que l'engagement pour la recherche est majeur pour un pays comme la France. Il est bénéfique pour les malades de 2005-2010. Cependant, dès 2001, il existe des malades et des familles en souffrance. De plus, il existe des citoyens qui deviendront ou non malades plus tard en fonction de notre action en faveur de l'information, la prévention et le dépistage. Nous ne souhaitons pas choisir une priorité parmi les trois missions fondamentales de la Ligue. Au 31 décembre 2000, nous avons 639.000 adhérents en règle de cotisation. Cela justifie que nous conservions ces trois missions, même si c'est parfois difficile à communiquer.

Vous m'interrogez sur la place de la Ligue en termes de moyens humains et financiers dans le cadre général de la politique de lutte contre le cancer. En année test, nous consacrons environ 155 millions de francs à la recherche, 32 millions de francs aux actions auprès des malades, et 34 millions de francs à l'information-prévention-dépistage. Il reste un quatrième chapitre qui est transversal dans nos missions. Nous l'appelons « aide aux conditions de diagnostic, de dépistage et de traitement » Nous y investissons 30 millions de francs.

Nous disons aux comités implantés sur le terrain qu'il faut veiller à ne pas engager nos ressources sur des domaines que les pouvoirs publics devraient satisfaire. Nous observons cependant que ce raisonnement peut aller loin. On nous demande si l'aide que nous apportons à la recherche ne supplée pas à la carence des budgets de l'Etat dans la recherche, à l'INSERM et au CNRS. De même, quand la Ligue aide les malades, on nous demande si la Ligue ne remédie pas à la carence des comités d'action sociale des communes, ou de l'action sociale des conseils Généraux. Enfin, quand nous élaborons de l'information et de la prévention pour les enfants, on nous demande si nous ne nous substituons pas au ministère de l'éducation nationale. Le principe du caritatif est d'être « en plus » dans ses missions et dans les volontés des donateurs. Pour l'instant, nous n'avons pas de clés de répartition des ressources qui indiqueraient à nos comités la part à allouer à chaque mission. Notre organisation est souple, et répond à des besoins. Par exemple, en Martinique et en Guadeloupe, l'important est l'action auprès des malades.

M. Claude HURIET, président de la mission - En ce qui concerne la contribution financière importante de la Ligue en matière de programmes de recherche, pouvez-vous m'indiquer s'il est possible pour la Ligue de définir des axes stratégiques en matière de recherche ? La ligue a-t-elle sa propre stratégie de recherche, ou ses priorités s'inscrivent-elles dans une stratégie nationale ?

Pr. Henri PUJOL - La Ligue a réorienté son action en matière de recherche. Nous ne considérons pas que la Ligue doive être simplement une banque ou un guichet pour les chercheurs qui viennent y trouver des ressources. Nous pensons qu'une grande association implantée sur le terrain doit avoir également une force de proposition, d'orientation de la recherche.

En premier lieu, nous souhaitons une recherche davantage au contact des malades. Nous devons tenir compte d'un certain déficit de recherche clinique de grande qualité dans notre pays. Votre texte, monsieur Huriet, a contribué à changer les choses. Nous considérons que la Ligue doit faciliter la promotion d'essais thérapeutiques non soutenus par l'industrie. Nous avons investi plus de 8 millions de francs dans le soutien à la recherche clinique pilotée par la fédération des centres, à condition qu'elle soit oecuménique dans les appels d'offre et les inclusions. Par exemple, pour tel essai, près de 60 institutions y coopèrent : 15 centres anticancéreux sur 20, 20 CHU sur 32.

En second lieu, nous pensons que la recherche devra être coordonnée en termes d'axes. Cela impose la transparence des stratégies, notamment dans le cadre des jeunes boursiers nationaux dans le domaine de la cancérologie. Avec l'ARC, nous procédons à un échange d'informations sur les boursiers que nous soutenons, afin qu'il n'y ait pas de redondance.

Certains de nos collègues pensent à une agence nationale contre le cancer. L'idée serait de définir tous ensemble des secteurs de recherche prioritaires, aux rangs desquels la recherche clinique, la carte d'identité des tumeurs, les connaissances du génome et leurs retombées pratiques. Cependant, il me semble difficile de donner à l'Agence le vrai pouvoir : le pouvoir économique. En effet, je pense qu'une stratégie va à son terme à condition qu'elle soit soutenue par une logistique financière. Nous montons des actions avec l'INSERM, le CNRS, l'ARC, les centres anticancéreux, l'hôpital public, les ministères. Le mandatement des ressources dépend de chaque institution. La provenance des ressources est diversifiée. Ainsi, si à budget consolidé la recherche scientifique orientée vers le cancer représente plusieurs milliards, l'argent est réparti entre 10 ou 15 ordonnateurs de dépense.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Ne pensez-vous pas que cela devrait être le rôle de la DGS, s'il existait des fonctionnaires qui s'occupaient spécifiquement du cancer ?

Pr. Henri PUJOL - Je ne sous-estime pas un rôle coopératif de type consultatif, afin de réfléchir au meilleur engagement des ressources et d'éviter la dispersion. Cependant, en termes de mandatement des ressources, je crois que cela sera difficile et probablement irréaliste.

Dans le domaine de la recherche, l'ordonnance d'Alain Juppé d'avril 1996 prévoit que, dans les dotations budgétaires des CHU, on admette une surdotation, c'est-à-dire un prix de revient de 13 % supérieur, par rapport à l'hôpital général, en raison de leur mission de recherche et d'enseignement. Il n'existe pas de clé de répartition de budget. Le Directeur général a ses responsabilités et les assume.

Il existe cependant une évolution. Une instance assez informelle s'appelle le Cercle. Elle permet aux cancérologues de se côtoyer et de se connaître, autour de finalités identiques. C'est une instance conviviale, à laquelle le ministre s'adresse parfois, mais il ne s'agit pas d'une structure décisionnelle.

Vous m'interrogez sur le rôle de la DGS, mais c'est la DH qui s'occupe de l'organisation des soins.

M. Claude HURIET, président de la mission - Il s'agit de l'organisation des soins en tant qu'instrument d'une politique. Lucien Neuwirth évoque davantage la définition d'une politique. Je pense qu'elle est dans les attributions de la Direction générale de la santé, avec des instruments dont la DHOS.

Pr. Henri PUJOL - Au-dessus de la Direction générale de la santé, il y a le Gouvernement. Il est élu par les citoyens. Il y a l'Assemblée Nationale, le Sénat. On ne peut pas admettre que les élus n'aient pas une impulsion importante sur la politique gouvernementale. Nous pensons donc que la DGS devrait être celle qui met en oeuvre la politique sur le terrain, de façon réaliste et efficace. La politique en elle-même est élaborée à un autre niveau de l'Etat.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - S'il existait un ministère de la santé à part entière, ce serait à son niveau.

Pr. Henri PUJOL - Cependant, le Parlement vote le budget. Tous les cotisants sont des citoyens. C'est complexe. Nous ne sommes pas contre une Agence Nationale contre le cancer, mais comme structure de réflexion

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La fédération hospitalière avait envisagé la création d'un comité permanent.

Pr. Henri PUJOL - Tous les ministres de la santé, depuis M. Jack Ralite, m'ont personnellement nommé dans des commissions ou des groupes de réflexion. Je m'aperçois que si ces commissions ont pour but de répondre aux questions qu'on leur pose, sans pouvoir de saisine, elles sont moins efficaces.

Vous nous avez demandé dans le questionnaire d'apprécier la pertinence de l'analyse selon laquelle le « désengagement » des pouvoirs publics dans la lutte contre le cancer s'expliquerait par le sentiment que l'essentiel de cette lutte est déjà assurée par des associations telles que la Ligue nationale contre le cancer.

Nous ne croyons pas à un désengagement des pouvoirs publics. Nous pensons qu'ils pourraient faire davantage. Nous croyons également que l'opinion publique est désengagée dans la lutte contre le cancer. Quand on les interroge, les Français craignent davantage la vache folle que le cancer. Il nous faut sans doute des petites angoisses pour nous débarrasser des grandes. Le cancer est une maladie qui tue 145.000 Français par an, donc 600 000 en 4 ans. Un Français sur quatre meurt d'un cancer. Enfin, le désengagement est dans l'opinion et dans les médias.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous devons dire que nous sommes en guerre contre le cancer.

Pr. Henri PUJOL - C'est pour toutes ces raisons que nous avons publié un manifeste, largement reproduit par la presse en mars 2001. Il veut interpeller : pourquoi une maladie qui touche tant de Français n'est-elle pas une des priorités majeures de santé publique ? Pourquoi son caractère d'urgence et de gravité n'est-il pas souligné de façon réitérée ? La Ligue a fait bouger les choses en tant que relais d'opinion. Les états généraux de la Ligue en 1998 resteront un moment clé d'une révolution sociologique où les malades ont pris la parole.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Vous avez fait 16 propositions

Pr. Henri PUJOL - Nous avons fait 16 propositions, car nous avons considéré que le plan de Mme Gillot du 1 er février 2000 décrivait bien le paysage et les objectifs mais ne donnait pas assez d'échéanciers dans la lutte et de moyens pour les réaliser.

Nous avons donc développé quatre propositions pour assurer l'égalité d'accès aux soins, trois propositions sur l'information des malades, six propositions pour améliorer la qualité de vie, une proposition pour le dépistage, et deux propositions pour la prévention.

Nous considérons que la Ligue remplit deux rôles. D'abord, elle est un relais d'opinion qui fait remonter l'attente des malades. Ensuite, elle est un aiguillon des pouvoirs publics, des décideurs, des soignants, pour une meilleure prise en charge globale

M. Claude HURIET, président de la mission - Y a-t-il dans le conseil d'administration des représentants des associations de malades ? L'explosion des associations de malades est un phénomène récent.

Pr. Henri PUJOL - Je vous remercie vraiment d'avoir posé une question sur les malades. Chaque gouvernement dit que le malade est au centre. La Ligue est une organisation généraliste. Elle n'entend pas récupérer ou remodeler des associations militantes. Au contraire, nous les soutenons. Nous donnons plusieurs millions par an à l'ensemble des associations, soit au plan national, soit au plan régional. Nous considérons que c'est notre rôle.

Certains ont cru que les états généraux de 1998 étaient un point d'orgue. Il s'agit en fait d'un début. Dans nos conseils d'administration, nous avons désormais des représentants des malades. Nous avons dit que tout comité départemental devrait avoir un représentant des malades. Au conseil national, nous avons donné l'exemple, car il existe un représentant des malades ès qualité.

Nous sommes allés plus loin : nos comités départementaux ont modifié leur stratégie. Avant, l'action en faveur des malades consistait essentiellement en l'assistance économique en cas de précarité. Nous maintenons cette politique, mais nous préférons l'enrichir. Nous voulons offrir la possibilité d'un soutien psychologique à l'hôpital public ou dans le secteur privé libéral. Nous formons des bénévoles à l'écoute des malades, en publiant des brochures d'information et en organisant des séminaires et des formations.

De plus, les malades travaillent sur des thématiques précises. Ainsi, un groupe de malades réfléchit sur le soin à domicile vu par le malade. Un autre groupe travaille sur la consultation d'annonce, l'annonce de diagnostic. Nous voulons que les malades disent ce qu'ils souhaiteraient. Nous sommes dans cette phase actuellement : d'abord, les malades parlent, ensuite les soignants répondent.

Enfin, nous avons appelé un groupe « réseau de malades ». Les réseaux de malades ne sont pas des adhérents de la Ligue qui ont pris une carte. Ce ne sont pas des malades qui se réunissent pour un groupe de paroles. Les réseaux de malades sont un groupe de malades qui ont dépassé leur maladie, et qui réfléchissent aux actions à mener. Ils sont une force de propositions. Le réseau de malades a été présenté à M. Kouchner le 21 mars. Il a été remarquablement positif en termes d'accueil et de réponse.

Le réseau des malades est favorable à la communication du dossier médical. La Ligue est favorable car le secret médical n'est pas opposable au patient, dans le code de déontologie. Jusqu'ici, la communication du dossier médical a été motivée par des conflits, générés principalement par un déficit d'informations. A notre sens, la communication du dossier médical sera demandée par un petit nombre de malades qui voudra en savoir davantage. Il faudra respecter le droit fondamental de ne pas savoir, et le droit d'être accompagné dans une démarche relationnelle. Le respect du malade est très important.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La Cour des comptes estime, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2000, que la politique de prévention et de dépistage du cancer souffre tout à la fois d'un manque de moyens, d'une absence de coordination et de lacunes préoccupantes en ce qui concerne le suivi des malades. Partagez-vous ce constat ? Dans l'affirmative, quelles seraient, selon vous, les actions prioritaires devant être engagées afin d'y remédier ?

Pr. Henri PUJOL - Le ministre et les pouvoirs publics ont dit qu'en 2001 toutes les Françaises entre 50 et 74 ans auront accès au dépistage du cancer du sein, dans tous les départements. L'année 2001 se termine le 31 décembre. Dans ce domaine, la Ligue sera très vigilante. Nous ne sommes plus dans une question de principe, mais dans une question de mise en oeuvre. Il a été également proposé qu'à défaut d'être généralisé, le dépistage du cancer du côlon et du rectum soit mis en oeuvre dans 7 ou 8 départements qui seraient volontaires.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Ce dépistage a été contesté.

Pr. Henri PUJOL - Je ne pense pas que la France doive refaire les expériences qu'ont faites les autres en termes scientifiques quand elles ont été bien faites. Elle doit faire par contre l'expérience de faisabilité dans notre pays. Nous souhaitons qu'il existe une meilleure égalité pour l'accès aux soins de qualité. Nous aimerions que l'affichage d'hôpitaux référents quels qu'ils soient -CHU, CH, secteur privé libéral, centre anticancéreux- soit plus clair. Pour nous, il n'est pas normal qu'un hôpital traite 7 ou 8 cancers du sein par an. Beaucoup de malades nous demandent à la Ligue où il faut aller en cas de cancer. Nous ne savons pas toujours quoi répondre. Il existe beaucoup de CHU compétents, de centres hospitaliers généreux, de secteurs où la prise en charge est bonne. Nous souhaiterions néanmoins une plus grande lisibilité. S'il n'existe pas d'organisme indépendant qui effectue ce travail, tel que l'ANAES, des journalistes le feront avec des classements.

M. Claude HURIET, président de la mission - En principe, le réseau doit être une réponse.

Pr. Henri PUJOL - Exactement. Le réseau permet d'assurer le malade d'avoir la même qualité des soins, où qu'il soit sur un territoire donné, départemental ou régional. Il est possible de se déplacer sur le réseau en fonction de la technicité des soins requis.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il existe des réseaux, mais il n'y a pas de règles juridiques qui définissent un cadre national

Pr. Henri PUJOL - La clé de qualité d'un réseau est le thésaurus des soins. Le patient est traité de la même façon quelle que soit sa situation géographique. Il ne s'agit pas d'un texte législatif, mais du travail de tous les cancérologues d'une région. Il existe maintenant des bases de données, dans lesquelles les cancérologues doivent puiser les meilleurs traitements. Les malades doivent pouvoir y avoir accès.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il existe aussi l'évaluation de la part de l'ANAES

Pr. Henri PUJOL - L'ANAES effectue en effet une évaluation. Mais elle n'est pas coercitive, pour une raison évidente : on ne guérit pas 50 % des cancers. Pour traiter un cancer du sein métastasé, il peut exister 3 ou 4 options. Elles doivent être reprises par les médecins cancérologues du réseau, puis formalisées. Eventuellement, les malades peuvent y avoir accès. Le site Internet de la Ligue recense les meilleurs traitements pour deux cancers : le cancer du sein et une tumeur neurologique de l'enfant qui s'appelle le médulloblastome, le neuroblastome. Le texte a été écrit par un comité de rédaction composé pour moitié de cancérologues et de patients.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Qui apprécie que ce sont les deux meilleurs traitements ?

Pr. Henri PUJOL - Il y a eu une révolution culturelle. Auparavant, il fallait aller voir une sommité de la profession, qui indiquait le meilleur traitement selon elle. Maintenant, la médecine est basée sur des preuves. Il existe un réseau de données mondiales. Les cancérologues d'un pays doivent extraire de ces banques de données les meilleurs traitements adaptés à chaque stade de la maladie. Il serait néanmoins dangereux de rentrer dans une médecine mécanisée, où le patient verrait son traitement sur Internet. Les bases de données sont plutôt une entrée en matière pour les formations.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Récemment, après avoir consulté un site médical sur Internet, un malade a poursuivi son médecin en justice en affirmant qu'il l'avait mal opéré.

Pr. Henri PUJOL - Le cas de figure est possible.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il ne faut pas risquer une dérive à l'américaine

Pr. Henri PUJOL - Je pense que la clé restera le relationnel médecin malade. Au cours des états généraux, nous avons observé un grand déficit d'informations. Il faut tenir compte du fait que le malade qui se plaint a toujours quelque chose sur le coeur, et que celui qui a été bien traité ne s'exprime pas forcément. Donner la parole à un groupe n'a pas la même valeur technique qu'un sondage par la méthode des quotas. Alain a dit « l'assemblée est un moyen de croire, et non pas un moyen de connaître la vérité ».

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il a aussi dit « il ne faut pas confondre ce que l'on croit et ce que l'on sait déjà »

Pr. Henri PUJOL - Je reviens à la question des priorités. Il faut une meilleure visibilité des centres de référence et des réseaux. En cas d'accréditation d'un réseau, je souhaiterais la création d'un thésaurus des bonnes pratiques.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Qui doit accréditer ?

Pr. Henri PUJOL - C'est une question délicate. L'ANAES est compétente pour accréditer les procédures d'un hôpital. Son rôle n'est pas de dire qu'un service est meilleur qu'un autre.

Maintenant, les procédures sont un texte, une charte de fonctionnement. Il s'agit d'un document signé, et d'un référentiel qui peut être observé par des auditeurs. Je pense que, pour accréditer la qualité d'un réseau, on ne peut pas éviter l'intervention majeure de professionnels qui n'appartiennent pas au même réseau. Il faut également intégrer l'expertise de non-professionnels, comme des économistes ou des administratifs.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Les ARH peuvent-elles participer à ce processus ?

Pr. Henri PUJOL - Dès 1996, j'estimais que cette question se poserait un jour. On nous expliquait qu'il existait deux démarches parallèles : l'allocation des ressources dépendant de l'ARH et l'accréditation dépendant de l'ANAES. Alors que l'accréditation est un indice de performance technique, l'allocation des ressources répond aux besoins de la population. A un moment ou à un autre, il existe donc deux visions. L'allocataire des ressources finit par regarder ce qu'il advient des ressources qu'il alloue. Dès lors, l'allocataire de ressources -l'ARH- va puiser dans le registre des tumeurs pour connaître l'épidémiologie. Il va consulter les registres de mortalité de la DRASS et les documents de l'ANAES pour connaître ce qui se fait.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Que pensez-vous des registres du cancer ?

Pr. Henri PUJOL - Actuellement il existe dix registres du cancer. Hormis quelques exceptions, ils sont assez bien répartis, ce qui permet de pondérer les chiffres de manière assez fiable sur la France entière. Après la phase d'accumulation des données, il serait temps de rentrer dans une phase d'exploitation. Il faut donc continuer à utiliser les registres comme un outil d'enregistrement, et les exploiter.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Que pensez-vous de l'idée d'un registre national ?

Pr. Henri PUJOL - Elle est très coûteuse. Je pense qu'il faut extrapoler les données des registres actuels, s'intéresser à la pertinence de la qualité et mettre en oeuvre les priorités. La pertinence de la qualité est délivrée par le comité national des registres, qui dépend de façon mixte de l'INSERM et de la DGS. Il donne trois niveaux de labellisation : des registres labellisés et financés, des registres labellisés et non financés, et des registres non financés. Il me semble qu'il est plus urgent pour le pays de mettre en oeuvre au 31 décembre le dépistage du cancer du sein dans un département que de fabriquer de nouveaux registres.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelles ont vos autres priorités ?

Pr. Henri PUJOL - J'ai évoqué la qualité des soins. La qualité de l'information est une autre priorité. Je suis assez confiant. En effet, les révolutions sociales demandent toujours un certain temps. On commence par changer les mentalités, puis on arrive à changer les comportements. Je pense que vous avez contribué à faire changer les mentalités. Maintenant, il s'agit de faire évoluer les comportements.

Je suis un cancérologue combattant depuis les années 60. Je constate que les comportements ont changé sur la douleur, de façon très significative. En effet, on voit que quelque chose est devenu opérationnel quand ce n'est plus l'affaire des seuls spécialistes. Ainsi, le traitement de la douleur n'est plus l'affaire des seuls algologues référents. Il concerne maintenant tous les soignants. Les algologues ne sont plus ceux qui traitent la douleur, mais ceux qui enseignent et forment à son traitement, ceux qui traitent les cas difficiles.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Il faudrait créer des postes

Pr. Henri PUJOL - Il reste certainement une centaine de postes à créer.

Il existe un point capital pour la politique de santé du pays : la véritable Berezina du tabagisme, Verdun en trois ans. Le nombre de victimes en France est comparable à celui de la chute d'un gros avion porteur chaque jour. Mais il est difficile de sensibiliser les populations : une catastrophe chronique devient tellement banale que ce n'est plus une catastrophe. En 2020, il y aura 120.000 morts par an liés au tabac. De plus, à la même date, davantage de Françaises mourront d'un cancer du poumon que d'un cancer du sein. Ces prévisions ne font pas peur en termes de modification des comportements.

Cependant, je serais critiqué par nos donateurs si la Ligue investit trop d'argent dans la lutte contre le tabagisme. Ils diront que c'est l'affaire de l'Etat, que la Ligue ne doit pas pallier ses carences. Nous sommes des aiguillons.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je vous remercie d'avoir participé à cette audition.

Pr. Henri PUJOL - Je souhaiterais que vous intégriez dans votre rapport le fait que tous les Français aient droit à des soins de qualité, qui doivent être connus.

Je vais être reçu tout à l'heure par la fédération hospitalière. Nous avons fait un appel d'offres en 2000, renouvelé en 2001, afin de mettre les hôpitaux en compétition pour évaluer comment le malade ressent la qualité. 23 hôpitaux ont répondu, et nous allons classer les 10 qui seront récompensés. Finalement, grâce à la Ligue, les soignants ont intégré l'idée que l'information fait partie de leur mission.

J'aimerais que vous puissiez suggérer ceci. Dans les plans régionaux de santé, les PRS, il n'y a actuellement que 7 régions qui n'ont pas intégré la cancérologie dans leur PRS. Dans 15 régions, le cancer est important mais n'émerge pas comme une des priorités. Il est vrai que d'autres pathologies sont dignes d'intérêt : les accidents de la route, la toxicomanie. La Ligue contre le cancer n'est pas pour opposer une maladie à une autre.

La lutte contre le cancer est une guerre dans laquelle nous devons nous sauver, mais aussi sauver nos enfants et petits-enfants.

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