2. La maison de justice et du droit de Colmar

Elle a été créée en 1992, parmi les premières du territoire, et présente trois spécificités qui la distinguent assez sensiblement des autres maisons de justice et du droit.

* L'accès au droit : une priorité

D'abord, elle est orientée principalement vers l'accès au droit . Ce choix résulte d'une part de l'absence jusqu'en 2001 de conseil départemental d'accès au droit dans le Haut-Rhin et, d'autre part, du lien existant entre l'accès au droit et le champ pénal. Comme le fait remarquer le procureur de la République du TGI de Colmar : « en aidant les habitants du quartier, par le moyen de l'accès au droit, à prendre conscience qu'ils sont des sujets de droit et en leur facilitant l'exercice des droits dont ils sont titulaires, la maison de justice contribue à les sortir de leur sentiment de constituer des habitants de seconde catégorie et de vivre dans une zone de non ou de moindre droit . L'accès au droit constitue ainsi un facteur important de paix sociale, et donc de prévention de la délinquance ».

* Une compétence géographique étendue

La deuxième spécificité de cette maison de justice est sa compétence géographique. Elle ne se contente pas de traiter les questions des quartiers difficiles de l'ouest de Colmar, mais cherche à instaurer une justice de proximité au bénéfice de l'ensemble des habitants du ressort du TGI qui couvre les arrondissements de Guebwiller, Colmar, Ribeauvillé et Sélestat. C'est la raison pour laquelle elle se nomme maison de justice et du droit de Colmar et du centre Alsace. Elle tend à devenir une structure délocalisée, qui a installé des annexes dans les principales villes du ressort, où le personnel salarié de la maison de justice se déplace pour y tenir des vacations régulières, selon une périodicité fonction de l'importance de la ville : quotidiennes à Sélestat, hebdomadaires à Guebwiller et au siège de la communauté de communes du bassin potassique. Certains intervenants membres de la maison de justice (barreau, conciliateurs...) assurent également des permanences à Colmar et dans les autres villes. L'ouverture de deux nouvelles annexes - à Sainte Marie-aux-Mines et Neuf Brisach - est en cours de réalisation. La possibilité d'intervenir sur d'autres sites ayant une population moindre, sous forme d'une tournée itinérante, est en projet.

Ce nouveau fonctionnement de la maison de justice modifie la nature de celle-ci. Elle assure désormais un maillage de proximité de tout le territoire relevant de la compétence du TGI de Colmar, y compris les zones rurales. Il a même été indiqué à votre rapporteur spécial que 17 % des justiciables relevant du TGI de Mulhouse se rendent à la maison de justice et du droit de Colmar et du centre Alsace.

* Une structure appuyée sur une association

Enfin, cette maison de justice se caractérise par le fait qu'elle s'appuie sur une association. La maison de justice et du droit de Colmar et du centre Alsace fait l'objet pour ce qui regarde son organisation, comme toutes les autres maison de justice, d'une convention signée entre le préfet, le procureur de la République, le maire et d'autres intervenants de la politique pénale. Il est apparu assez tôt après la mise en place de la maison de justice en 1992 l'intérêt et l'utilité d'adjoindre à cette organisation une association, constituée d'acteurs de terrain et de représentants du secteur associatif, ainsi que de personnels de l'institution judiciaires locale, dont le rôle est de permettre de démultiplier certaines activités de la maison de justice ainsi que de promouvoir celle-ci.

Désormais, afin de donner un véritable droit de codécision à l'association et d'assurer son autonomie par rapport à l'institution judiciaire, les statuts de l'association limitent le nombre de magistrats et de fonctionnaires judiciaires dans les organes de direction. L'institution judiciaire ne peut plus être majoritaire, même s'il est prévu une représentation minimale de celle-ci. A l'heure actuelle, le procureur de la République est le président de l'association, mais il a insisté auprès de votre rapporteur spécial sur le fait que la présidence a vocation à être occupée par un non magistrat.

Cette organisation présente un double avantage.

D'une part, elle permet à la maison de justice de disposer de moyens financiers distincts du budget de la justice grâce aux concours des collectivités locales et de quelques financiers institutionnels, et de disposer de ses propres salariés. Ainsi, jusqu'à l'année dernière, aucun personnel du ministère de la justice n'était affecté à la maison de justice. Actuellement, l'association emploie 3 salariés dont un à mi-temps, l'apport du ministère de la justice en terme de personnel se limite à un agent de justice 13 ( * ) . L'un des salariés a cependant admis que cette « pêche » aux subventions absorbait un temps et une énergie considérables qui mériteraient d'être utilisés pour les véritables missions de la maison de justice.

D'autre part, grâce à l'existence d'une association, les partenariats se sont multipliés avec de nombreux acteurs du terrain, qui en raison de leur participation aux organes de direction de l'association, se trouvent en situation de peser sur la définition des projets et des priorités de la maison de justice.

Parmi les conciliateurs nommés par le premier président de la cour d'appel de Colmar, quatre interviennent à la maison de justice.

Témoignage de deux conciliateurs intervenant au sein de la maison de justice de Colmar sur leur mission

Dans une société qui se veut sans risque, où chaque citoyen est déterminé à faire valoir ses droits sans faiblesse, il est nécessaire de trouver les voies qui doivent rester un dernier recours. L'expérience montre que l'apaisement recherché est plus souvent le fruit de l'analyse et de l'explication que celui de l'arbitrage.

Témoignages de deux conciliateurs de justice, dont il convient de souligner que les professions exercées antérieurement par l'un et l'autre n'étaient pas de nature juridique, de sorte que leurs interventions relèvent davantage de l'action de personnes issues de la société civile que de « sachants » dans le domaine du droit :

M. X :

Les conflits qui sont soumis aux conciliateurs atteignent rarement, objectivement, l'intensité du drame, mais pourtant, ils sont souvent perçus comme tels par les intéressés.

Les difficultés de voisinage sont durement ressenties dans les grands immeubles en ville : un voisin irascible, un chien bruyant empoisonnent la vie de leur entourage. Dans ce cas la solution est recherchée avec le concours des bailleurs de logements et des services sociaux. La conjonction des pressions sur les uns, des apaisements à l'égard des autres vise à « calmer le jeu ».

A la campagne, et dans les zones d'habitat individuel, les conflits sont d'une autre nature. On se supporte à peine mieux entre voisins mais la hauteur d'une haie ou la chute des feuilles d'un arbre ne pose pas de problèmes insolubles. On est cependant ébahi par le souci de certains de faire respecter ce qu'ils considèrent comme leur droit. Exemple de question : « ma voisine qui dispose d'une salle de bain mansardée éclairée par une tabatière aveugle dans le toit, à moins de 6 mètres de la limite de ma propriété, a-t-elle le droit de poser son tapis de bain sur le rebord de la tabatière ?... »

Si on se laisse aller à l'anecdote on peut aussi se rappeler ce propriétaire de chien qui avait porté plainte contre son voisin parce que ce dernier aboyait (un simulateur !...) pour exciter l'animal. Une procédure d'interdiction de l'aboyeur devant le préfet avait été esquissée.

Les conflits clients-fournisseurs sont aussi parfois insolites, telle cette entreprise de pompes funèbres qui poursuivait avec une constance inébranlable un honnête citoyen désemparé pour lui faire acquitter le coût des obsèques d'une personne qui lui était juridiquement étrangère.

Sont plus banales les difficultés à faire remplacer ou réparer un appareil défaillant alors même que la garantie trouve clairement à s'appliquer ou encore la résistance de l'artisan (peintre, menuisier, poseur de moquette...) à reconnaître et à réparer les imperfections de son travail. Il faut cependant observer symétriquement que certains clients ont des exigences tout à fait exorbitantes.

L'éventail des litiges soumis aux conciliateurs est extrêmement large et si les exemples qui viennent d'être cités (conflits relatifs au logement, aux rapports clients-fournisseurs) sont les plus fréquents, ils ne sont pas exclusifs.

On peut citer encore les conflits patrimoniaux, en particulier en cas de succession, par exemple celle d'un religieux décédé dans un monastère. Dans ce cas, le problème était créé par l'aveuglement de la puissance fiscale.

Les relations des usagers avec les banques et les assurances sont parfois difficiles et dans ces derniers cas le conciliateur compense un peu l'inégalité des forces en présence.

A titre de dernier exemple, on peut citer le cas de ce jeune homme, étudiant à Strasbourg, qui s'absente pendant deux ans à l'étranger en laissant un solde sur son compte dans une agence bancaire à Strasbourg. A son retour en France, il tire un chèque, parfaitement approvisionné sur son compte strasbourgeois et stupeur, alors qu'il se trouve désormais à l'autre bout de la France et qu'il négocie un emprunt pour acquérir un logement, son nouveau banquier lui apprend qu'il est interdit bancaire pour avoir émis un chèque sans provision.

Dans cette affaire qui aurait dû se régler par un simple appel téléphonique du client, avec les excuses de la banque, le conciliateur a dû déplorer une farouche détermination pour remuer la machine bancaire.

Qu'il s'agisse des litiges touchant aux relations de la vie quotidienne ou à ceux plus proprement patrimoniaux, illustrés par les exemples venant d'être cités, ils ont pour point commun le fait que celui qui vient voir le conciliateur à la maison de justice et du droit se trouve dans une situation d'inégalité sociale ou économique. C'est pourquoi la qualité première du conciliateur pour réussir dans ses missions est de savoir écouter, comprendre, expliquer, convaincre avec patience et cela sans être prisonnier du Code qui ne constitue qu'une ligne jaune à ne pas franchir. Et il réussit à apaiser les conflits dans 8 cas sur 10. A ces qualités, le conciliateur doit savoir joindre parfois, quand le litige oppose ceux qui viennent le voir à des institutions, une détermination affirmée pour que celles-ci consentent à accepter la discussion.

M. Y :

Chaque vendredi matin de 9 h 15 à 12 h, je reçois les gens ayant pris rendez-vous auprès du secrétariat de la maison de justice. Généralement il s'agit de 4 ou 5 personnes auxquelles s'ajoutent une ou deux personnes se présentant au dernier moment.

Il s'agit de régler, si possible, des litiges avec le voisinage, des commerçants, des organismes de crédit, des locataires etc... mais aussi d'écouter, parfois longuement les doléances des consultants.

L'après-midi de 14 h à 17 h, je rédige le courrier que le secrétariat de la maison de justice dactylographie et se charge d'adresser.. Je téléphone aussi aux plaignants pour demander certaines précisions ou pour les informer de l'avancement de leur dossier.

De temps à autre, des personnes viennent faire appel au conciliateur pour des problèmes ne relevant pas directement de sa compétence. Je les oriente alors dans leur démarche ou leur rédige un courrier pour différentes demandes. En somme je joue le rôle d'un écrivain public.

Il arrive aussi que l'après-midi, une secrétaire me sollicite pour l'assister pendant une entrevue avec un usager de la Maison de justice et du droit.

Il est clair que la Maison de justice et du droit de Colmar et du Centre Alsace fournit une aide précieuse qui facilite grandement la tâche du conciliateur.

Source : document de présentation des objectifs et de l'activité de la maison de justice et du droit de Colmar et du centre Alsace

Lors de son entretien avec ces derniers, votre rapporteur a pu constater leur compétence et leur efficacité. Mais il a été une nouvelle fois choqué par « l'avarice » du ministère de la justice à l'égard de bénévoles qui contribuent au bon fonctionnement de la justice en résolvant les problèmes en amont et en assurant la paix sociale.

En effet, le remboursement des frais occasionnés par leur activité de conciliateur correspond à une indemnité forfaitaire de 152,45  € (1.000 francs) par an. Or, leurs dépenses réelles sont bien supérieures, notamment en raison des nombreux déplacements en voiture qu'ils sont amenés à effectuer dans le département et des conversations téléphoniques qu'ils effectuent depuis leur domicile. Un régime plus favorable devrait donc être mis en place si la Chancellerie souhaite conserver ces auxiliaires de justice de qualité.

Par ailleurs, les conciliateurs ont regretté de n'être pas autorisés à cumuler leurs fonctions avec celles de délégué du médiateur. Votre rapporteur a écrit à la ministre de la justice à ce sujet, qui lui a fait la réponse suivante.

Réponse de la ministre de la justice sur l'incompatibilité des fonctions de conciliateur de la justice et de délégué du médiateur.

En premier lieu, force est de constater que si les missions confiées à ces deux institutions sont proches, elles s'exercent toutefois dans des matières et avec une finalité radicalement différentes.

Les délégués départementaux du médiateur de la République, institués par un décret du 18 février 1986, ont pour rôle d'apporter « les informations et l'assistance nécessaires à la présentation des réclamations » des personnes physiques ou morales estimant qu'un organisme n'a pas « fonctionné conformément à la mission de service public qu'il doit assurer ».

Les délégués du médiateur de la République, comme le médiateur lui-même, ne sont donc compétents que dans les conflits entre les administrés et les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, ou tout autre organisme investi d'une mission de service public.

Les conciliateurs de justice, quant à eux, qui ne connaissent que des « différends portant sur des droits dont les intéressés ont la libre disposition », ne sont pas compétents pour les litiges entre les particuliers et l'administration.

Le fait qu'une même personne exerce de manière cumulative les fonctions, si distinctes, de conciliateur de justice et de délégué du médiateur de la République risquerait de créer une certaine confusion dans l'esprit du citoyen justiciable.

En second lieu, à ce manque de lisibilité pourrait s'ajouter un risque de conflit d'intérêts.

Ainsi, comment pourrait-on justifier auprès d'une personne qui saisit le médiateur de la République, autorité indépendante, dans le but de régler un conflit avec une administration, que le délégué qui reçoit sa réclamation relève par ailleurs, en tant que conciliateur, d'une tutelle administrative ?

Or, cette tutelle administrative « structures judiciaires » sur les conciliateurs de justice est affirmée dans la circulaire du 16 mars 1993 relative à leur recrutement et à leur gestion. D'ailleurs, ce lien n'a cessé de se resserrer depuis quelques années.

En effet, à la suite d'une évolution qui s'est achevée avec le décret n° 981231 du 28 décembre 1998, le juge d'instance peut aujourd'hui déléguer son pouvoir de conciliation à un conciliateur de justice à l'occasion de toute procédure ordinaire (visée aux articles 829 et suivants du nouveau code de procédure civile) introduite devant sa juridiction.

D'un simple point de vue de la lisibilité, la dénomination de conciliateur « de justice » instaurée par le décret n° 96-1091 du 13 décembre 1996, ne peut laisser de doute dans l'esprit d'un citoyen sur le lien existant entre le conciliateur de justice et son administration de tutelle.

Dès lors, les fonctions de conciliateur de justice et celles de délégué du médiateur de la République, exercées par la même personne, sont susceptibles de faire peser un doute sur l'indépendance et l'impartialité de celle-ci.

Enfin, en dernier lieu, il convient d'ajouter que lors des travaux ayant présidé à l'élaboration de la loi de 1973 précitée, le gouvernement a refusé d'ajouter au titre de médiateur celui de « défenseur des droits et libertés » afin, justement, d'éviter une confusion ou un éventuel conflit entre le médiateur de la République et l'autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles.

Pour toutes ces raisons, et en dépit de l'absence de dispositions expresses allant en ce sens, l'incompatibilité entre les fonctions de délégué du médiateur de la République et celle de conciliateur de justice m'apparaît devoir s'imposer.

L'activité d'accès au droit de la maison de justice, qui comme spécifié plus haut prédomine, consiste à apporter des réponses aux demandes individuelles, mais aussi à organiser des actions collectives, le plus souvent initiées par la maison de justice. L'activité pénale intéresse d'une part pour les mineurs l'engagement des mesures de réparation (par une association spécialisée habilitée par la Protection Judiciaire de la Jeunesse), d'autre part pour les majeurs certains types d'alternatives aux poursuites (par les Délégués du Parquet, qui ont pour particularité d'avoir été recrutés parmi les conciliateurs de justice), avec la mise en place actuelle de la composition pénale.

Lors de sa visite, votre rapporteur spécial a été positivement impressionné par la qualité et l'engagement des personnels de la maison de justice et du droit de Colmar et du centre Alsace. Il a également salué leur dynamisme et leur esprit d'initiative. Convaincu de l'utilité de cette institution, il relaie d'autant plus volontiers ses revendications en terme de personnel afin d'améliorer son fonctionnement.

Ainsi, la maison de justice manque cruellement d'une personne assurant l'accueil à plein temps, l'agent préposé n'exerçant cette fonction qu'à temps partiel. Faute de ce secrétariat permanent, lié aux problèmes d'effectif (poste de greffier non pourvu), force a été de trouver des palliatifs, inévitablement insatisfaisants, qui consistent à faire tenir cet accueil par les différents intervenants, notamment les conciliateurs, qui sont obligés d'assurer l'accueil et les permanences téléphoniques. Or, il est clair que l'accueil est primordial auprès de justiciables désemparés non seulement pour les guider dans leurs démarches, mais également pour les encourager à les mener à terme et à accéder au droit. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur spécial estime nécessaire d'embaucher une secrétaire à plein temps à Colmar et une secrétaire à mi-temps dans l'antenne de la maison de justice à Sélestat. Par ailleurs, la présence d'un greffier supplémentaire apparaît indispensable.

* 13 Si le ministère de la justice a décidé récemment d'affecter à chaque maison de justice un greffier et un agent de justice, le poste de greffier pour celle de Colmar est toujours non pourvu

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