17. Audition de Madame Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au Logement (13 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui Madame Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au Logement

Bonjour Madame la Ministre. Je rappelle que vous êtes auditionnée par une Commission d'enquête du Sénat mais que la tradition n'oblige pas le Président à faire témoigner les ministres sous serment. En revanche, vos collaborateurs n'en seront pas dispensés s'ils prennent la parole.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au Logement - Monsieur le Président, messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, cette audition a pour objectif de faire le point sur la situation des sinistrés de la Somme et sur l'action de l'Etat afin de leur venir en aide dans le domaine du logement et de l'urbanisme. La première préoccupation est celle du bilan que l'on peut faire afin de tirer des leçons pour l'avenir et avoir un éclairage sur les dispositions qui sont prises. En effet, il faut que nos concitoyens et les collectivités soient accompagnés par l'Etat dans le cadre de la solidarité nationale, jusqu'à ce que leur soient restitués leurs droits, leurs maisons, leur rythme normal de vie.

L'analyse sur les raisons des inondations ne relève pas de mes fonctions. En revanche, je peux me demander si l'urbanisation et les constructions réalisées sur les territoires inondés l'ont été conformément aux règles en vigueur et avec toutes les précautions nécessaires. Dans ce domaine, il semble qu'il n'y ait pas eu de dysfonctionnements constatés par nos services en matière d'urbanisme ou au niveau du plan d'occupation des sols (POS). Nous n'avons constaté aucun pouvoir intempestif des maires depuis la décentralisation. Dans tous les cas, nous n'avons pas encore effectué de recensement pour savoir à quel moment ont été délivrés les permis de construire. Globalement, les collectivités locales et les services de l'Etat (dont le contrôle s'exerce a posteriori) n'ont constaté aucune négligence particulière de quiconque.

Néanmoins, la question posée est celle de la mise en oeuvre du PPRI concernant l'inondabilité. Le préfet de département avait indiqué aux maires, notamment après les inondations de 1993, des périmètres où étaient définis des risques. En effet, depuis la nouvelle loi Barnier, un changement de stratégie est intervenu : les périmètres de risque n'ont pas de valeur contraignante du point de vue de l'urbanisme. Ils ne peuvent devenir contraignants qu'en cas d'existence d'un PPRI, ce qui n'était pas le cas dans la Somme puisque le préfet n'a engagé la procédure qu'en 2000, en commençant par l'ouverture d'une enquête publique. Nous ne pouvons donc pas dire qu'il y ait eu des dysfonctionnements et des négligences majeurs.

Pour ce qui est de la prise en charge de l'hébergement et du logement durant les inondations, il semble que les problèmes rencontrés ont résulté de la mauvaise évaluation de l'ampleur du phénomène et de sa durée. Il ne me revient pas d'évaluer les mécanismes d'alerte dont disposent les collectivités locales et l'Etat. Sur le terrain en tout cas, nous n'avions pas imaginé que les inondations seraient aussi amples et durables. Des mesures d'urgence ont été prises, prenant la forme d'hébergement chez les familles, dans les gîtes ruraux, dans les locaux sociaux, même si ces derniers sont principalement situés dans les zones urbaines et que cette solution était donc mal adaptée au mode de vie des villageois concernés. En effet, les gens avaient envie de rester près de chez eux.

J'ai été nommée ministre le 27 mars, au moment où les inondations ont débuté.

En tant que ministre, j'imaginais que les problèmes allaient surtout porter sur la reconstruction et la rénovation. J'ai d'ailleurs pu constater qu'il existait des dispositifs, créés après les inondations de l'Aude, qui nous ont été utiles. Ainsi, nous avons pu utiliser les mesures particulières dans le cadre de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), ainsi que l'Allocation de logement temporaire (ALT), qui permet une amélioration du remboursement pour l'hébergement temporaire. L'Etat était donc préparé au suivi des périodes post-inondation.

Ensuite, j'ai demandé aux différents représentants de l'Etat de m'indiquer s'ils avaient constaté des problèmes d'hébergement ; toutefois, ils étaient accaparés par le suivi des crues elles-mêmes. J'ai donc insisté pour la mise en place d'une démarche en direction des habitants, afin d'évaluer leurs besoins d'hébergement dans la durée et de relogement éventuel ultérieur. L'un de mes collaborateurs s'est donc rendu dans la Somme, le lundi 23 avril.

En effet, grâce à mon expérience d'élue locale, je sais que l'Etat a parfois des difficultés à se rendre compte des disparités individuelles de traitement, dans des cas aussi complexes. C'est pourquoi nous avons constitué une Mission de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (MOUS), regroupant des spécialistes du logement ayant une orientation sociale et pouvant aller à la rencontre des personnes sinistrées, afin de leur apporter du réconfort et de les accompagner pour trouver des solutions adaptées.

De plus, la visite effectuée sur place m'a confortée dans l'idée qu'il fallait trouver des solutions temporaires durables. C'est pourquoi nous avons pensé à utiliser des mobil homes. Toutefois, nous n'avions aucune structure ni ligne budgétaire prévue pour ce type d'actions. Nous avons donc contacté plusieurs opérateurs, dont les PACT ou la Sonacotra. En fait, il n'était pas difficile de trouver des vendeurs de mobil homes. En revanche, il était plus délicat de rencontrer des sociétés prêtes à proposer des solutions clefs en main allant de la vente à l'installation sur le terrain. Nous avons donc choisi la Sonacotra, sachant que nous avions une connaissance très réduite des besoins réels des populations.

A l'avenir, nous pouvons nous poser la question du déclenchement rapide et quasi-systématique des MOUS en cas d'inondations, même si nous estimons qu'elles ne seront pas de longue durée. Dans tous les cas, il est toujours possible de renouveler les MOUS si les inondations se prolongent. En effet, dans ces circonstances, les élus locaux et les services déconcentrés de l'Etat ne disposent pas des moyens pour appeler toutes les familles une à une afin de recenser les besoins. Or ce travail en amont est indispensable pour la mise en place par la suite des hébergements transitoires ou des aides spéciales, sachant que notre dispositif de financement du logement et de l'accompagnement d'urgence est assez complexe. De plus, il n'existe pas de ligne budgétaire spécifiquement attribuée à des opérations de cette nature. Or la mobilisation des lignes classiques de l'Etat nécessite une gymnastique technique très complexe, ce qui ne peut que retarder les actions à mener. A l'avenir, il faudrait donc utiliser les règles normales de crédit ou prévoir des enveloppes, au moins pour le démarrage, qui puissent être mises en oeuvre rapidement.

Nous avons donc installé les mobil homes mais nous n'avons pas encore répondu à l'ensemble de la demande, qui évolue en permanence ; certains retournent dans leur maison mais d'autres hésitent à le faire étant donné l'état des habitations. En fait, nous avons besoin aujourd'hui de 160 à 180 mobil homes, alors que nous n'en disposons que de 62. En effet, nous avons dû trouver des petits mobil homes car les personnes concernées ne sont pas toujours des grandes familles. Nous avons aussi dû trouver des terrains, qui ont dû être viabilisés rapidement, par des entreprises déjà largement accaparées par d'autres travaux. A partir du 18 juin, 20 mobil homes supplémentaires seront disponibles, puis 25 autres à partir du 25 juin, 25 encore le 9 juillet et 40 au cours du reste du mois de juillet. Nous pensons que ces 172 mobil homes nous permettront de répondre à la demande.

La position de l'Etat a été de dire que l'hébergement d'urgence devait être totalement gratuit durant les trois premiers mois, charges d'eau et d'électricité incluses. A partir du quatrième mois, seule l'électricité sera à la charge des occupants. En effet, l'installation de compteurs individuels d'eau coûterait plus cher que la consommation elle-même. Lors de ma visite dans la Somme en compagnie de M. Jean-Claude Gayssot, j'ai cru comprendre que les élus étaient très soucieux, ainsi que l'Etat, de l'égalité de traitement des personnes hébergées dans les mobil homes, dans d'autres familles, dans les gîtes ruraux ou les logements sociaux... Mises à part celles qui sont dans les mobil homes, elles bénéficient donc toutes de l'ALT, qui a été revalorisée depuis les inondations de l'Aude. Il me semble que le système d'hébergement temporaire et de la prise en charge durant trois mois est une mesure appréciée, même si l'impatience de certaines familles est réelle.

Pour l'avenir, nous devons nous interroger sur la stratégie à mettre en place pour pouvoir mobiliser rapidement un parc de logements temporaires. Il existe plusieurs possibilités. Nous pouvons prévoir un parc dédié, qui deviendrait assez vite vétuste et difficile à entretenir ; nous pouvons aussi conventionner avec différents organismes. Dans ce cadre, je souhaite confier une mission à une personnalité pour travailler aux différents scénarios envisageables, en lien avec les acteurs concernés. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il suffira de refaire la même chose la prochaine fois. Nous pouvons faire mieux et plus vite.

Nous ne pouvons que souligner que les actions menées dans la Somme ont été de grande ampleur. Le financement de la MOUS a été de 7 millions de francs. La viabilisation des terrains d'accueil a coûté de 15 à 20 millions de francs, uniquement pour l'Etat ; l'entretien des fosses septiques est à la charge des collectivités locales, ainsi que l'électricité par exemple. Les modulaires et les mobil homes ont coûté 50 millions de francs. L'allocation de logement temporaire est estimée entre 10 et 20 millions de francs, versés pour moitié par l'Etat et pour moitié par la Caise d'allocation familiale. Nous avons aussi dégagé des crédits publics, gérés par l'ANAH, pour 30 millions de francs ; une Opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) particulière est en conventionnement avec le Conseil général de la Somme.

La question importante est de savoir comment les gens vont pouvoir rentrer dans leurs maisons. Le 11 juin dernier, le recensement faisait apparaître que 182 maisons avaient été inondées, dont 177 avaient été évacuées. Actuellement, les experts des assurances visitent les maisons qui ne sont plus inondées. Nous avons donc cherché à donner aux habitants une information assez complète sur les dispositions et les principes de précaution qu'ils devaient appliquer. Un dépliant est distribué, mis au point en relation avec le Centre technique du bâtiment, établissement public indépendant.

Nous avons envisagé d'offrir aux habitants un accès à une expertise contradictoire, sachant qu'ils ont été très touchés par les évènements, ce qui les conduits à douter de la prise en compte de leurs problèmes par les pouvoirs publics. Toutefois, cela nous pose un problème déontologique : en effet, on imagine mal que la puissance publique puisse engager sa responsabilité dans une expertise. Nous nous sommes donc attachés à multiplier les contacts avec l' Association départementale d'information sur le logement (ADIL) pour la mise en place de contre-expertises.

En revanche, nous n'avons envisagé aucune prise en charge financière, ce qui constitue pourtant le principal obstacle pour ceux qui n'ont pas les moyens de payer une contre-expertise. Nous avons donc essentiellement un rôle de conseil et non d'accompagnement des expertises concernant la solidité à venir des habitations. Aujourd'hui, il semble que peu de maisons soient menacées d'effondrement. Néanmoins, les experts ont rappelé que ces risques pouvaient apparaître à moyen terme, en raison de l'alternance entre les périodes d'humidité et de sécheresse, des mouvements de terrain, de l'évolution de la nappe phréatique. Nous ne pouvons pas être catégoriques dans ce domaine. Nous devons donc poursuivre le travail de partenariat sur le terrain -collectivités locales, MOUS, populations-, afin que la moindre manifestation d'un danger puisse donner lieu à une véritable mobilisation. Aujourd'hui, je n'ai pas de solution concernant la gestion de ces éventuels problèmes futurs.

Pour les lieux sans risque, l'OPAH et l'intervention de l'ANAH vont pouvoir agir rapidement, tant pour les propriétaires occupants que pour les propriétaires bailleurs. Toutefois, certaines personnes ne souhaitent pas retourner dans leur ancienne habitation, du fait du choc psychologique qu'elles ont subi. Nous devons donc construire de nouveaux logements. Pour cela, dans le cadre du PPRI, nous allons édicter des contraintes d'urbanisme adaptées aux risques d'inondation. Je rappelle que toute zone inondable n'est pas forcément inconstructible. L'inconstructibilité se mesure en fonction des risques pour la sécurité des personnes ; pour les biens, un parallèle est effectué entre leur valeur et le coût des inondations. Ensuite, il existe aussi des règles plus souples, notamment de hauteur des habitations ou de consolidation des fondations, permettant d'éviter les perturbations majeures de la vie des gens, et pour le moins les menaces sur la vie des habitants.

Tout ce travail va être engagé avec les collectivités locales et le préfet. Pour la construction des logements, nous aurons des besoins urgents. J'ai donc demandé la signature d'un contrat de relance du logement social au niveau national, ainsi qu'une contractualisation particulière avec le Conseil général de la Somme. Pour l'instant, nous étudions des dossiers qui étaient déjà dans les cartons : l'instruction de 22 logements sociaux est terminée à Ailly-sur-Somme ; 25 logements sont concernés à Pont-Rémy et 31 logements à Corbie. D'autres dossiers sont en cours d'instruction pour 21 logements à Abbeville, sachant que 33 nouveaux dossiers devraient être déposés avant le début de 2002. Toujours à Abbeville, un terrain a été repéré où la construction de 60 logements pourrait être lancée assez rapidement. Parallèlement, nous allons mobiliser nos services afin qu'ils cherchent les possibilités de rénovation dans le parc vacant.

La situation urbanistique des différentes communes est variable, notamment pour des raisons géographiques. Ainsi, à Fontaine-sur-Somme, se juxtaposent un plateau agricole et une zone traditionnellement urbanisée fortement touchée par les inondations. Il faut donc que l'Etat trouve une stratégie de développement compatible avec les inondations et, sans doute, d'urbanisation des zones périphériques. Dans ce domaine, la philosophie de l'Etat est d'accompagner la volonté et les choix d'une population et de ses élus, en prenant en compte les risques et les règles majeures de protection du patrimoine. Une fois que les questions les plus urgentes auront été réglées, nos services travailleront donc avec le maire de Fontaine sur Somme pour rendre au village sa capacité normale de développement et rétablir l'équilibre de sa population. En effet, nous souhaitons éviter que les populations soient obligées de changer de village. Il est vrai que les habitants sont parfois conduits à déménager d'un village à l'autre, surtout lorsqu'ils sont proches. Pour autant, nous ne pouvons pas déséquilibrer le poids relatif des différentes communes. Dans ces conditions, je souhaite que chaque village retrouve une constructibilité qui lui assure sa pérennité et son développement. A Fontaine-sur-Somme, les contraintes géographiques sont un peu particulières ; j'ai donc assuré au maire que mon bureau lui était ouvert, comme aux autres élus d'ailleurs.

Le directeur départemental de l'équipement estime qu'il n'est pas forcément nécessaire de faire appel à des réglementations d'urbanisme exceptionnelles. Toutefois, je sais que les élus locaux doutent quelque peu de cette position. Je lui ai donc demandé de reprendre la concertation avec les élus. Cela dit, il est très compliqué de prendre des mesures exceptionnelles en matière d'urbanisme. En effet, les lois ne nous permettent pas grand-chose dans ce domaine. Les programmes d'intérêt généraux existent mais il est très difficile de s'exonérer des clauses d'urbanisme, protection prévue pour les citoyens et les propriétaires. Je serais très intéressée si le Sénat avait quelques idées pour adapter la loi en vigueur, sans pour autant tomber dans le laxisme.

Pour terminer, je tiens à vous dire que mon ministère restera, en matière d'hébergement et d'urbanisme, un partenaire permanent des élus locaux et des citoyens jusqu'à ce que nous ayons réglé tous les problèmes.

M. Pierre Martin, Rapporteur - Il est vrai que les inondations ont touché principalement des petites communes, sans plan d'urbanisme ou de POS, mais comprenant des constructions dans des zones inondables. Comment le maire peut-il refuser de nouvelles constructions dans ces zones, alors que certaines ont déjà été édifiées ? Je pense que la décentralisation a sans doute laissé trop de pouvoirs aux maires, qui n'ont pas les moyens de les assumer. En effet, ils ne disposent pas de structures sur lesquelles s'appuyer -la DDE notamment. Des efforts ont-ils été réalisés pour que les risques soient pris en compte dans les zones inondables ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Si la Somme disposait d'un PPRI, 80 % des problèmes posés seraient réglés. En effet, la prescription de la contrainte d'urbanisme serait incluse dans le PPRI. De plus, la DDE peut aussi jouer un rôle de conseil.

Pour moi, l'objectif est plutôt d'encourager la vigilance sans pour autant tomber dans l'obsession. En effet, il ne faut pas qu'un endroit devienne totalement désertique sous prétexte qu'il est inondable. Je suis élue historique d'une commune située en bord de Seine, au Sud de l'aéroport d'Orly, le long de la RN7. Si je prends en compte les contraintes d'inondabilité, le plan d'exposition au bruit et les règles qui concernent la route nationale, la part de la commune restant constructible va se réduire à un confetti. Il faut donc trouver un équilibre entre les contraintes imposées. Dans l'immédiat, je vous suggère que le travail se fasse avec la DDE, qui possède une cartographie des risques permettant d'effectuer une hiérarchisation. Il va de soi qu'il faut agir avec la plus grande prudence dans les zones les plus exposées au risque.

Je suis prête à écouter les autres hypothèses qui pourraient conduire à se doter d'un outil d'accompagnement technique momentané -au niveau de la DDE et des collectivités locales- notamment, pour établir des documents d'urbanisme, pour anticiper les contraintes. Dans tous les cas, et sans vous donner de date puisque ce n'est pas de ma compétence, je souhaite que l'Etat fixe un calendrier précis pour l'établissement du PPRI, et que des premières indications soient envoyées pour consultation aux maires. J'ai constaté par le passé que les premiers documents servaient souvent à définir le cadre de précaution. Ensuite, il est possible d'affiner lors des discussions, en fonction des territoires et des contraintes.

Je pense que nous devrons aider la DDE et le préfet de la Somme en termes de moyens humains. Pour le PPRI, il faut disposer de la juste estimation de la nature de l'inondation. C'est pourquoi nous attendons avec impatience le rapport de la mission interministérielle. Les inondations classiques sont provoquées par le ruissellement, ce qui a conduit à la fixation de la majeure partie des contraintes. En revanche, l'émergence d'une inondation de nappe phréatique modifie l'établissement des contraintes, qui doivent prendre en compte la déstabilisation des sols.

Globalement, le sujet de l'urbanisation ne sera pas le plus simple et le plus rapide à résoudre. Je pense que la première chose à faire est de favoriser un travail efficace entre les élus locaux et les représentants de l'Etat, en dotant les acteurs de moyens intellectuels et de savoirs faire pour accompagner la réflexion. Si les élus et le Conseil général ont des idées, je suis ouverte à la discussion.

M. le Rapporteur - Dans la vallée de la Somme, la tradition est à l'installation sauvage de caravanes depuis des années. Depuis plus de dix ans, les sous-préfets indiquent qu'ils vont faire déménager ces caravanes par la police. Cela ne se fera jamais. Dans ces conditions, comment les maires peuvent-ils interdire à certains de construire, alors que d'autres sont dans une situation irrégulière depuis des années ?

M. le Président - Que pouvons-nous faire ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Cette situation ne concerne pas simplement la Somme. Normalement, une caravane stationnée plus de trois mois peut être verbalisée par le maire.

M. le Rapporteur - Elle doit alors être déménagée.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Cela peut se faire avec l'aide des forces de l'ordre.

M. Hilaire Flandre - Elle peut revenir à la même place par la suite.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - En effet, il suffit parfois de déplacer la caravane de 50 mètres, avant de la ramener à sa place d'origine. Cela décourage les maires qui se disent que ce n'est même pas la peine qu'ils verbalisent. Cela pose d'ailleurs un vrai problème de droit, que le législateur pourrait prendre en compte. La véritable difficulté est qu'il n'est pas précisé pendant combien de temps la caravane doit être partie, ni où elle doit aller. Il est donc très difficile de faire appliquer la loi sans se décourager, sachant que le préfet indique de son côté qu'il n'a pas été saisi de verbalisations.

Je suggère donc que nous améliorions les dispositifs légaux en la matière, ce qui n'est pas simple, notamment parce que nous touchons à la liberté de nos concitoyens sur leurs parcelles. Je suis favorable à une modification législative pour encadrer la présence des caravanes.

Parallèlement, les inondations nous ont permis de constater que nombre de nos concitoyens n'étaient pas assurés, ce qui est très alarmant.

M. le Président - On nous a dit que 20 % des personnes inondées n'étaient pas assurées. Connaissez-vous la moyenne nationale ? Personne n'a pu nous la fournir jusqu'à présent.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je ne la connais pas. La seule façon serait de connaître le chiffre qui avait été mis en évidence lors des inondations de l'Aude. En revanche, comme il me semble que l'assurance est une obligation, je ne pense pas que nous disposions de données à l'échelle du pays.

M. le Rapporteur - C'est en effet une obligation.

M. le Président - Qui doit contrôler ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - En France, nous disposons de nombreuses lois qui imposent des contraintes mais nous ne contrôlons que le dysfonctionnement lorsqu'il est constaté.

M. Hilaire Flandre - Pour ma part, je pense que l'obligation ne concerne que les locataires.

M. le Rapporteur - Dans certains villages, les caravanes sont raccordées à l'électricité et à l'eau.

M. le Président - Pour contourner la loi, des déplacements sont organisés tous les trois mois entre voisins, chacun prenant la place de l'autre pour trois nouveaux mois.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je suis convaincue que ce sujet doit être traité, sachant qu'il se pose aussi en zone urbaine sous d'autres formes. En tant qu'élue locale, j'ai sollicité plusieurs fois les parlementaires sur ces questions, notamment parce que ma commune est concernée puisqu'elle accueille des forains. Toutefois, j'ai rencontré un succès très limité auprès des parlementaires de tous bords. Je suggère donc que nous reprenions collectivement ce travail. La direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction est prête à collaborer avec vous.

Par ailleurs, lorsque le maire ou le préfet constate que des constructions sont prévues dans des zones de forte inondabilité, il pourrait refuser de délivrer le permis de construire. En particulier, l'article R 111-2 du Code l'urbanisme peut être appliqué lorsque la sécurité des biens est en cause.

M. Louis Gruillot - Il est très important pour nous de savoir ce qu'il va falloir faire pour travailler de façon plus intelligente dans ce pays. Dans le cadre de notre Commission d'enquête, nous cherchons donc à savoir quelles sont les causes et les responsabilités. Pourquoi le PPRI n'a-t-il pas été mis en oeuvre beaucoup plus tôt par les responsables locaux, d'autant plus que les inondations sont fréquentes dans cette zone ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je me pose la même question que vous. J'ai d'ailleurs été étonnée que notre pays ait été si peu sensible au rapport annuel sur l'état de l'environnement en France. Le dernier que j'ai lu, qui date de deux ans, indiquait que le nombre de PPRI établis en France était dérisoire au regard des contraintes prévues par la loi. Je sais que Mme Voynet avait donné des instructions pour accélérer la mise en place des PPRI. Toutefois, le bilan annuel, pour être meilleur, n'est pas encore satisfaisant.

En fait, j'observe une faible mobilisation des élus locaux et de nos concitoyens pour faire appliquer les lois de cette nature. Dans le domaine de l'environnement, nous disposons de nombreuses réglementations et de directives européennes. Ainsi, en 2002, seuls les déchets ultimes devront être déposés dans les décharges. Ces lois sont connues de tous mais l'on ne sent pas une grande effervescence collective pour les faire appliquer.

Je pense que pour les inondations, nous serons conduits à prendre des décisions compliquées. En effet, nous avons souvent tendance à prévoir une certaine souplesse en matière d'urbanisation. Parallèlement, les défenseurs de l'environnement exigent des protections nombreuses. Ces sujets sont encore relativement conflictuels dans la société française et font souvent appel au non-dit. Les préfets sont donc prudents, parfois à l'excès, avant d'engager des PPRI, alors que c'est une obligation. Pour ma part, je ne trouve pas normal que tous les PPRI n'aient pas encore été mis en oeuvre. Le préfet aura beau jeu de dire qu'il n'a été saisi par aucun citoyen. Dans la Somme, le préfet avait rédigé une lettre précise en mars 1994 sur l'inondabilité, sans toutefois édicter la contrainte.

M. le Président - Ne croyez-vous pas qu'il faudrait prévoir des procédures pour que le départ des préfets et des sous-préfets n'arrête pas la réalisation des actions qui ont été lancées ? Dans la Somme, tous les représentants de l'Etat étaient très zélés en arrivant mais ils sont repartis sans avoir mis les plans en oeuvre.

M. Hilaire Flandre - La responsabilité reste toujours aux élus.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - L'Etat doit se poser la question de l'efficience de la continuité de l'Etat. Toutefois, je ne sais pas comment se transmettent les consignes et les dossiers.

M. le Président - Il n'y a pas de transmission puisque les préfets se croisent sans se rencontrer !

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Pour leur part, les ministres se transmettent les dossiers et récupèrent également des informations de la part de l'administration. Peut-être faut-il travailler sur la transmission au sein du corps préfectoral. Toutefois, je souhaite insister sur le point suivant : plus les élus locaux et l'Etat sont associés tôt à l'élaboration d'une contrainte qu'ils doivent appliquer et plus nous sommes certains que la continuité de l'effort sera assurée, notamment si une commission est mise en place pour le suivi du PPRI.

Pour ma part, je m'interroge sur l'empilement des contraintes. Dans tous les cas, nous devons faire en sorte que les délais fixés soient respectés. Ainsi, pour les gens du voyage, il faut impérativement que les schémas départementaux soient achevés en janvier 2002. Pour autant, je ne suis pas certaine que tous les préfets seront prêts dans les temps. Le législateur et l'Etat doivent être soucieux d'un meilleur pilotage des contraintes.

M. Jean-François Picheral - A Aix-en-Provence, nous avons rédigé un PPRI sur proposition du préfet et du DDE, qui nous avaient demandé de prendre une délibération. Entre le moment où le préfet a exprimé sa volonté et la délibération que nous avons prise, aucun permis de construire n'a été accordé le long du fleuve, période durant laquelle la population poussait le maire à prendre une décision. A notre niveau, nous avons mis cinq ans pour démocratiser la procédure et pour rencontrer tous les propriétaires.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Il est vrai que si le préfet bloque l'urbanisation, totalement ou partiellement, cela accélère la prise de décision.

M. Jean-François Picheral - Lorsqu'un terrain est déclaré inondable, aucun promoteur n'est plus intéressé.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Parallèlement, les élus ne souhaitent pas que le préfet prenne des mesures coercitives en même temps qu'il engage la procédure de discussion. En effet, dans ce cas, les élus font valoir leurs projets d'urbanisation ou d'implantation d'activités économiques.

M. Hilaire Flandre - Je pense qu'il faudrait débaptiser Fontaine-sur-Somme pour la renommer Fontaine-sous-Somme. En effet, la commune est située sous le niveau du fleuve. Il est donc normal que des inondations se produisent de temps en temps. Dans de telles communes, si l'on souhaitait respecter le PPRI, toute construction devrait être interdite ; cela serait une erreur monumentale. En effet, les habitants de la commune connaissent les risques et vivent avec depuis longtemps. Dans d'autres communes, les populations ont toujours des parpaings sous la main, des bottes, des barques. Il faut donc plutôt responsabiliser les occupants et les propriétaires en leur demandant de ne pas réclamer l'indemnité à laquelle ils pensent avoir droit lorsqu'une inondation se produit tous les 50 ou 100 ans.

De plus, lorsque l'on fait le calcul du coût des mobil homes, de la viabilisation, des allocations de logement, on se demande s'il n'aurait pas été moins coûteux de payer trois mois de vacances aux populations sinistrées. C'est évidemment une boutade mais le coût doit nous faire réfléchir.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Je pense que la réponse n'aurait pas satisfait les habitants. En effet, ils doivent continuer à travailler et leurs enfants doivent aller à l'école. De plus, psychologiquement, ils pensent toujours que l'inondation ne va pas durer, ce qui se vérifie heureusement dans la plupart des cas.

Il faut aussi prendre des précautions pour que tout ce qui est nécessaire soit facilement mobilisable lors des crues. Ainsi, dans le cadre des PPRI, il est possible d'indiquer qu'il faut mettre en place des cheminements pour sortir en cas de petite inondation et rejoindre les zones non inondées. Il faut donc prévoir des systèmes de planches et de passerelles, procédures qui sont d'ailleurs très vite acceptées par les collectivités. En fait, il existe une culture de l'inondation, qui a commencé à se réintroduire dans les secteurs où les PPRI existent, mais pas suffisamment dans les autres.

Par ailleurs, je rappelle que les PPRI ne sont valables que pour les nouvelles constructions. De plus, les zones inondables ne sont pas forcément inconstructibles. Dans le cas contraire, cela ne pourrait que déclencher une psychose. Ainsi, comment serait-il possible de prévoir un dégagement de 100 mètres de part et d'autre de la Seine à Paris ? Dans ma région, toutes les caves ont été recouvertes de carrelage et les prises de courant ont été supprimées. Vivre dans une zone inondable nécessite donc un certain savoir faire. Pour autant, les dégâts ne sont pas remboursables si la conformité aux contraintes du PPRI n'est pas respectée. Je pense que nous devons développer une pratique de précaution aux niveaux local et individuel.

M. Fernand Demilly - Vous avez dit que les populations se déplaçaient facilement d'un village à l'autre. Je peux vous affirmer que les Picards sont peu mobiles, surtout lorsqu'ils sont installés dans des communes de vallée.

A l'avenir, l'objectif est d'éviter que des maisons ne restent dans une situation de risque d'inondation. Il faut donc établir rapidement le PPRI, mais aussi adapter les documents d'urbanisme ; cela suppose également des reconstructions en dehors des zones inondables, avec des participations financières des assureurs et des collectivités. Au niveau de l'Etat, existe-t-il un fonds spécial de reconstruction en dehors des zones inondables ? Si ce fonds n'existe pas, avez-vous l'intention de le créer ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Concernant la mobilité des populations, je pense que ce que vous dites est vrai pour toute la France. Je suis née dans le Territoire de Belfort et je peux vous assurer que nous ne passons jamais la frontière du Doubs, qui est pourtant très proche ! Toutefois, des cas précis m'ont été donnés de familles qui avaient déjà déposé des demandes pour des logements sociaux en construction dans d'autres villages, notamment pour se rapprocher d'autres membres de la famille. Dans tous les cas, l'objectif est de conserver l'équilibre, sans s'opposer évidemment à tous les déplacements.

Par ailleurs, nos crédits normaux de reconstruction doivent permettre de régler le problème. Il faut pour cela sortir l'enveloppe nécessaire à la Somme. J'ai proposé au Conseil général de mobiliser la ligne fongible « Prêts locatifs aidés-reconstruction-amélioration ». Nous pouvons aussi utiliser les crédits de l'ANAH. Enfin, l'accession à la propriété peut être favorisée, grâce au prêt à taux 0, ainsi que l'accession sociale à la propriété, qui peut être accompagnée dans certains cas.

Je n'ai donc pas imaginé de ligne budgétaire particulière. En revanche, je suis très favorable à ce que l'on relance le logement social dans la Somme, dans le cadre de l'enveloppe habituelle, sous la forme d'une contractualisation avec le Conseil général, comme je l'avais annoncé à son Président. Dans tous les cas, je rappelle que je souhaite favoriser la relance du logement social à l'échelle du pays tout entier.

M. Fernand Demilly - Il faut aussi prévoir la démolition des maisons construites dans les zones inondables, afin d'éviter qu'elles ne soient squattées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Nous cherchons principalement un opérateur foncier. En effet, avant de reconstruire, les personnes concernées doivent récupérer des fonds de leur ancienne habitation. Nous pensions que l'établissement foncier de la basse Seine, qui possède une expérience dans ce domaine, pourrait éventuellement travailler dans ce secteur. Il existe aussi un établissement foncier dans le Nord Pas-de-Calais dont l'expérience est toutefois plus urbaine. Par ailleurs, une fois que l'établissement aura fait une évaluation précise, il faudra que l'Etat participe au financement.

M. le Rapporteur - On m'a dit qu'aucune solution n'était possible s'agissant de mobil homes avant trois semaines. Cela pose des problèmes. En effet, l'un des cas que je connais concerne une famille située dans un village qui subit une crue de nappe et dont l'un des enfants est gravement malade. Ce dernier a besoin d'un lit médicalisé ; le mobil home ne semble donc pas particulièrement bien adapté à la situation.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - De quoi souffre cet enfant ?

M. le Rapporteur - Cet enfant est atteint d'une leucémie et il doit rester sous assistance respiratoire. Or ses parents sont obnubilés par l'obtention d'un mobil home. Parallèlement, sur la côte picarde, de nombreux mobil homes sont inoccupés sur les terrains de camping. Même s'il est vrai qu'ils ne sont pas neufs, ils vont rester inoccupés tout l'été. Par ailleurs, pour les secours d'urgence, des chèques sont donnés à certains par la cellule de soutien mise en place et pas à d'autres. Des gens sont donc relogés sans obtenir d'aide. Or, dans le cadre de l'ALT, tout le monde doit être aidé en cas de relogement. Cela ne semble pas être le cas, ce qui est difficilement acceptable.

Enfin, certaines communes ont eu des équipements inondés, par exemple les terrains de football mais aussi les vestiaires et les tribunes. Quid de la reconstruction de ces équipements, qui ne doit évidemment pas se faire au même endroit ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Il semble difficile de dire à la famille que vous avez évoquée que la bonne solution n'est pas celle du mobil home, si elle s'est mise dans la tête que c'était ce qu'il fallait. En fait, il existe des habitations modulaires, qui sont adaptées aux handicapées mais qui risquent d'arriver sur place tardivement. Je verrais s'il n'est pas possible de trouver une solution adaptée au cas que vous avez cité. Je précise que les règles d'urbanisme sont aussi plus contraignantes pour les habitations modulaires que pour les mobil homes.

Par ailleurs, il est vrai que des places existent dans les campings. Toutefois, je vous rappelle que selon la loi, les réquisitions ne peuvent concerner que les personnes morales et non les personnes privées.

M. le Rapporteur - Ces personnes sont tout à fait d'accord pour les mettre à disposition.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Dans ce cas, je vous demande de me fournir les coordonnées des personnes en question. Enfin, je vous suggère de me transmettre le courrier de la personne qui s'est plainte de la façon dont les aides sont attribuées. J'ai rappelé aux services de l'Etat que nous avions affaire à des victimes et que nous devions faire preuve de compréhension et d'écoute. Pour autant, il faut respecter les règles qui sont fixées.

M. le Rapporteur - Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites, à ceci près que durant les auditions, nous entendons beaucoup parler des secours et du FSL mais pas tellement de l'ALT.

Mme Marie-Noëlle Lienemann - Elle ne pourra être attribuée que sur décision d'une Commission d'attribution, qui doit veiller à ce que l'égalité des citoyens soit garantie. De plus, il ne faut pas que les familles s'installent dans les mobil homes pour le long terme. En effet, les conditions sont bonnes pour l'instant parce qu'il fait beau mais elles deviendront nettement plus difficiles à partir de l'automne prochain. Néanmoins, la MOUS va étudier tous les cas pour voir si les personnes bénéficient ou non de l'ALT.

M. le Président - Madame la ministre, je vous remercie pour votre intervention.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page