2. L'absence de « post-doc » en France

D'autre part, le dispositif actuel ignore le problème de l'après doctorat, c'est-à-dire des « post-docs ». Le choix spécifique de la France est en principe le recrutement direct après le doctorat dans la fonction publique comme chargé de recherches (à moins de 31 ans) ou maître de conférences alors que le modèle dominant à l'étranger est le passage pendant quelques années des jeunes docteurs dans les laboratoires de recherche comme chercheurs à plein temps avant de trouver un emploi dans le secteur privé ou les universités.

La Cour des comptes, dans son rapport public 2000, a bien montré l'intérêt de cette formule : « La présence dans les laboratoires de recherche de post-doctorants qui n'ont pas nécessairement vocation à être ultérieurement recrutés dans la fonction publique en tant que chercheurs est un des facteurs clefs de la compétitivité de la recherche d'un pays. Si les doctorants constituent également une force d'appoint, ils représentent en même temps une charge d'encadrement pour leur laboratoire d'accueil, ce qui n'est pas le cas des post-doctorants. Comme l'observait en 1998, le directeur du département des sciences de la vie du CNRS : « ce sont essentiellement les post-docs qui font fonctionner les laboratoires américains : ainsi les laboratoires ont-ils la possibilité de devenir très rapidement performants sur un nouveau thème en mobilisant des post-docs compétents ». Par ailleurs, le séjour post-doctoral permet aux chercheurs de tisser des liens personnels et de constituer ainsi un réseau informel. Il facilite enfin la reconversion thématique des jeunes chercheurs ».

La Cour fournit également, dans le même rapport, la raison de ce choix, qu'a confirmée M. Claude Allègre lors de son audition devant la commission des finances et le comité d'évaluation réunis, le 11 octobre dernier, à savoir le risque de création de nouveaux « hors-statuts » : « Le ministère chargé de la recherche a décidé de ne soutenir que marginalement les stages post-doctoraux des Français en France, pour privilégier l'octroi de bourses de thèse et favoriser l'accueil de post-doctorants étrangers. Cette attitude s'explique pour partie par la crainte de créer un stock de chercheurs hors-statut présents dans les laboratoires publics. En contrepartie, s'offre à la petite minorité qui peut être embauchée comme chercheurs ou enseignants-chercheurs la stabilité de la carrière de fonctionnaire-chercheur ».

Votre rapporteur doit d'abord déplorer le caractère paradoxal de ce choix. Aujourd'hui, les jeunes Français peuvent bénéficier de stages post-doctoraux à l'étranger (en bénéficiant le cas échéant de bourses européennes Pierre et Marie Curie), les laboratoires français peuvent accueillir des post-docs étrangers et c'est, selon la Cour des comptes, pour certains d'entre eux, comme l'Institut Curie, une priorité. Mais il ne saurait y avoir de post-docs français dans les laboratoires français ! Il est d'ailleurs étonnant de constater que certaines sections du comité national du CNRS exigent de facto - et à juste titre - des candidats un stage post-doctoral.

Un message d'internaute : pourquoi pas de post-doctorants français en France ?

« Les offres d'emplois pour des stages post-doctoraux en France sont très fréquemment interdites par voie d'annonce aux Français et résidents en France. Ceci constitue une discrimination grave qui en plus est unique dans le monde (aux USA, Canada, Royaume-Uni..., les meilleures bourses de post-doc sont réservées aux nationaux ou résidents). Il faudrait au moins admettre les personnes ayant été expatriées pendant un certain temps. Inutile de dire, que vu de l'étranger, ceci est aussi bizarre pour ne pas dire plus. Enfin, cette mesure rend la réinsertion des scientifiques français très difficile de retour de l'étranger, car ils ne peuvent même pas commencer par un post-doc. Ce problème de réinsertion a été maintes fois évoqué par la presse (fuite des cerveaux) [...] ».

Au-delà de ce paradoxe, votre rapporteur s'interroge sur les raisons profondes de ce choix. La crainte de voir réapparaître des « hors-statuts » n'est pas sans fondement, mais elle résulte du fait que le secteur privé n'a pas en France pris l'habitude de recruter des post-doctorants. Il est vrai que l'illisibilité de notre système de recherche publique est grande pour des dirigeants d'entreprise souvent issus des grandes écoles Mais est-ce une raison pour bloquer toute évolution en procédant sans doute par étapes ?

Même si elle ne concerne pas les « post-doc », la réussite des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), qui permettent de préparer un doctorat en bénéficiant d'une allocation de l'Etat tout en étant salarié d'une entreprise, montre que des progrès sont possibles.

Mais ce choix n'est-il pas d'abord le corollaire de celui du « chercheur à vie » qu'a fait notre pays en se dotant d'organismes de recherches dotés de personnels propres ? Tout système de recherche a besoin de chercheurs plein-temps (y compris pendant une partie de la vie professionnelle des universitaires), mais non nécessairement de chercheurs à vie. Accepter le principe des post-docs, ne serait-ce pas, d'une certaine façon, remettre en cause le dogme du chercheur à vie ?

Il conviendrait en tout cas d'ouvrir le débat, comme le suggère la Cour des comptes : « Dès lors, la Cour s'interroge sur la pertinence d'un choix qui, en refusant de mettre en place un système de financement des bourses post-doctorales pour des post-doctorants français, risque de pénaliser la compétitivité des laboratoires français et de créer une situation de précarité pour les jeunes chercheurs sans éviter pour autant la présence de nombreux chercheurs non statutaires dans les laboratoires publics. La création de contrats à durée déterminée pour des jeunes chercheurs post-doctorants pourrait être une solution judicieuse, offrant à des jeunes chercheurs un « sas » entre leur vie universitaire et leur carrière dans la recherche ou l'industrie, assorti d'un label d'excellence lié à la notoriété et la qualité des établissements publics. La direction du budget fait observer qu'il « serait paradoxal de créer au sein des EPST de nouveaux emplois sur des CDD, alors que des mesures viennent d'être prises pour résorber l'emploi précaire au sein de la fonction publique ». Mais cette position qui peut s'expliquer par le risque de pressions syndicales pour la titularisation de ces jeunes post-doctorants au terme de leur contrat ne prend pas suffisamment en compte l'intérêt de cette option pour la recherche et pour les jeunes chercheurs eux-mêmes dont la faisabilité mériterait à tout le moins d'être discutée ».

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