III. VERS UN NOUVEAU DROIT COMMUN DE LA FAMILLE ?

La proposition de loi tire les conséquences de l'évolution des mentalités et des pratiques sociales. La famille naturelle ne subit plus de différence de traitement et se rapproche, au sens du Doyen Carbonnier, de la famille « close », fermée à l'intervention judiciaire.

Pour atteindre cet objectif, le texte reprend, pour l'essentiel, les propositions des rapports récemment remis au gouvernement sur la famille pour laquelle Irène Théry appelait à un « nouveau droit commun ».

En ne concernant que de façon très marginale les dispositions relatives à la filiation, la proposition de loi laisse cependant subsister des dispositions très défavorables aux enfants nés hors mariage ; s'agissant de l'exercice quotidien de la coparentalité, les mesures d'application ne devront pas faire l'économie d'une réflexion sur l'accès au droit.

A. FAVORISER LA STABILITÉ DE LA FILIATION

1. Encourager les reconnaissances conjointes anténatales

a) Promouvoir les reconnaissances conjointes anténatales

La reconnaissance conjointe anténatale d'un enfant emportera désormais des conséquences voisines de celles du mariage en termes d'établissement de la filiation et d'exercice de l'autorité parentale. Manifestation d'un projet parental commun pour l'enfant à naître, cette procédure doit être promue auprès des futurs parents et des agents de l'état civil. Conjointe et précoce, cette démarche est moins susceptible d'entraîner des difficultés et c'est manifestement un cas de figure particulièrement visé par la proposition de loi.

Il est souhaitable que les reconnaissances, solennisées par la lecture des articles relatifs à l'autorité parentale, soient reçues par un officier d'état civil ou du moins un agent communal qualifié pour informer le ou les auteurs de la reconnaissance, des conséquences qu'elle entraîne.

Parallèlement, il appartient aux services de l'état civil de s'assurer que les reconnaissances anténatales conjointes enregistrées ont effectivement abouti à l'établissement des deux filiations de l'enfant. De la même façon, cet acte ne devrait pas rester lettre morte quant à l' établissement de la filiation paternelle d'un enfant né sous X et un père devrait pouvoir s'en prévaloir devant le juge pour un établissement judiciaire de sa paternité.

b) Prévenir les reconnaissances inexactes

La proposition de loi relative à l'autorité parentale ouvre la voie au régime d'exercice de l'autorité parentale le plus libéral en Europe en ne posant qu'une exigence minimale : la reconnaissance avant l'âge d'un an. Les pays voisins de la France conditionnent généralement l'exercice conjoint de l'autorité parentale, soit à la cohabitation des parents, soit à leur volonté commune de partager l'autorité parentale 8 ( * ) . La Grande Bretagne, qui avait annoncé en 1998 une réforme similaire qui subordonnait l'attribution de la « responsabilité parentale » à la présence du nom du père sur l'acte de naissance de l'enfant, conserve, à ce jour, un dispositif de déclaration conjointe.

Établissement de la filiation et autorité parentale étant désormais liés, il convient de réserver la possibilité de prémunir l'enfant et la mère contre une reconnaissance inexacte ou malveillante.

Le code civil, dans son article 57-1, fait obligation à l'officier d'état civil d'informer l'autre parent d'une reconnaissance survenue ultérieurement, par lettre recommandée, mais cette disposition, introduite en 1996, est apparemment peu respectée.

Sans aller jusqu'à un droit de veto de l'un des deux parents, concrètement de la mère, sur le partage de l'autorité parentale, il est désormais impératif d'appliquer de façon rigoureuse l'article 57-1.

Le plus grand nombre de reconnaissances ayant lieu assez rapidement (avant un mois) on peut penser que les deux parents en sont informés, dans l'hypothèse contraire, seule la consultation de l'acte de naissance de l'enfant, lors de son premier anniversaire, permettrait de connaître les détenteurs de l'autorité parentale.

La deuxième reconnaissance peut être contestée par la mère devant le tribunal de grande instance dans les conditions habituelles.

2. Assurer la stabilité de la filiation paternelle hors mariage

a) Limiter les délais de contestation d'une reconnaissance par son auteur

La paternité hors mariage avec la réforme de l'autorité parentale conserve le caractère d'une paternité élective.

Quelle que soit la vérité biologique, le père d'un enfant né hors mariage est celui qui procède à la reconnaissance. C'est ainsi que la reconnaissance par un homme de l'enfant de sa compagne, dont il sait qu'il n'est pas le père biologique, est relativement fréquente.

Il y a tout lieu de se féliciter de ce que l'enfant voit alors sa filiation paternelle établie, avec une personne qui le prend en charge dans la vie quotidienne.

Pour autant, la filiation de l'enfant ne doit pas avoir partie liée avec la durée de vie du couple et de fait, lors des séparations, il n'est pas rare de voir une filiation contestée au nom de la vérité biologique.

Pour lutter contre ce phénomène, nettement préjudiciable à la stabilité de la filiation et des repères de l'enfant, et sans aller jusqu'au primat de la seule vérité biologique en contradiction avec la tradition française de la possession d'état, le législateur doit intervenir sur deux points : responsabiliser l'auteur de la reconnaissance en l'informant sur les conséquences juridiques de celle-ci et limiter le délai dans lequel la reconnaissance paternelle peut être contestée par son auteur en considérant que la paternité élective ne doit pas être plus facilement révocable que la paternité dans le mariage.

b) Limiter les contestations de reconnaissance.

La proposition de loi relative à l'autorité parentale, tout en gommant les dernières traces d'inégalité entre enfants légitimes et enfants naturels jusqu'à en supprimer les appellations respectives et en cherchant à assurer la permanence des deux parents auprès de l'enfant, ne modifie en rien les conditions de contestation de filiation des enfants nés hors mariage.

Or, la limitation de telles contestations, proposée par le rapport Théry, s'inscrit dans la logique de la réforme de l'autorité parentale.

Il y a donc lieu de procéder à un nouvel examen des conditions dans lesquelles la filiation hors mariage peut être actuellement contestée.

L'article 339 du code civil ouvre la contestation d'une reconnaissance à toute personne y ayant un intérêt, y compris l'auteur de la reconnaissance lui-même. Selon les indications données par Mme Ségolène Royal, lors de son audition par la Délégation, le nombre de ces contestations s'élevait, en 1999, à 1621.

Ces contestations sont généralement opérées dans des circonstances difficiles et elles ont des conséquences très visibles pour l'enfant, en particulier sur le nom qu'il porte.

La vérité biologique, désormais aisée à établir, doit être tempérée ici par la possession d'état. Mode extrajudiciaire d'établissement de la filiation, la possession d'état fait présumer la filiation naturelle ; une possession d'état conforme emporte l'établissement de la filiation.

Le tableau ci-après fait apparaître nettement les différences de traitement quant à la contestation de paternité, en particulier sur les cas d'ouverture et les délais durant lesquels cette contestation est possible. Si la présomption de paternité est au coeur du mariage, le doute sur la paternité semble être au coeur de la filiation naturelle.

Une telle différence n'est plus légitime à l'heure où la filiation revêt une dimension plus affective que patrimoniale. Une véritable égalité de traitement entre tous les enfants commande que la filiation des enfants hors mariage ne soit plus aussi largement contestable, à la fois par les tiers (Irène Théry donne l'exemple de contestations pour raisons d'héritage) et par les auteurs des reconnaissances eux-mêmes.

Enfant légitime

Enfant naturel

Possession
d'état conforme

Possession d'état non conforme

Possession d'état conforme

Possession d'état non conforme

Auteur de la contestation

Père

Mère

Tout intéressé

Tout intéressé

Enfant, autre parent, véritables parents

Tout intéressé

Délai

6 mois à compter de la naissance ou de la connaissance de celle-ci

Dans les 6 mois du remariage avec le véritable père

30 ans

10 ans

30 ans

30 ans

S'agissant des auteurs de contestation, il est proposé de fermer aux tiers la possibilité de contester la filiation d'un enfant jouissant d'une possession d'état conforme.

S'agissant des délais, l'exigence de cinq ans de possession d'état conforme pour assurer la stabilité de la filiation d'un enfant né hors mariage paraît suffisant si l'on considère la durée de vie inférieure de nombre d'unions dans le mariage.

* 8 Voir sur ce point l'étude législation comparée réalisée par le service des affaires européennes du Sénat, n° LC 46, Paris, novembre 1998.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page