N° 81

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 7 au 10 juillet 2001 en Jordanie ,

Par MM. Xavier de VILLEPIN, Serge VINÇON et Gérard ROUJAS,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Proche-Orient.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs

Une délégation de votre Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées composée de MM. Xavier de Villepin, président, Serge Vinçon et Gérard Roujas , s'est rendue, les 8 et 9 juillet dernier, en Jordanie pour une brève mission d'information. Ce déplacement avait pour objectif d'apprécier les conditions dans lesquelles le Royaume traversait à la fois les turbulences régionales liées à l'aggravation constante de la situation dans les territoires palestiniens et notamment ceux de la rive ouest du Jourdain, ainsi que les difficultés économiques et sociales liées aux réformes induites par le programme d'ajustement préconisé par le FMI.

Depuis le 7 février 1999, à la mort du roi Hussein, le Royaume est dirigé par un jeune monarque de 40 ans, fils du roi défunt, dont l'action internationale entend s'inscrire dans la ligne d'équilibre et de modération conduite par son père durant ses quarante années de règne.

Sur le plan intérieur, Abdallah II souhaite également progressivement moderniser les structures politiques du Royaume. Il s'attache surtout à porter ses efforts sur l'amélioration économique et l'allègement des difficultés sociales qui pèsent sur une population, composée pour plus de la moitié, de palestiniens réfugiés ou non des guerres passées.

Avant que notre délégation ne rende compte de cette mission le 15 novembre dernier à la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les événements du 11 septembre aux Etats-Unis, par-delà leurs conséquences stratégiques mondiales, ont conduit à porter une attention accrue à leur éventuelle incidence sur les événements du Proche-Orient. Quel impact ces attentats pourraient-ils avoir sur la situation si gravement dégradée depuis le début de la deuxième intifada ? Seraient-ils le catalyseur d'une reprise du dialogue ou le prétexte à une violence encore accrue ? En réalité, après comme avant le 11 septembre, l'impasse politique comme la violence quotidienne sont toujours d'actualité, alimentant une guerre larvée sur cette rive ouest du Jourdain dont sont originaires tant de Jordaniens d'origine palestinienne. Par ailleurs, la pression internationale, et notamment américaine, sur l'Irak, voisin et principal partenaire du Royaume, s'est singulièrement accrue, nourrissant une préoccupation majeure au sein des responsables et de la population jordaniens.

La Jordanie, par sa stabilité intérieure, par sa diplomatie d'ouverture et d'équilibre, est plus que jamais invitée à tenir son rôle d'Etat « tampon » entre les rivalités régionales et les crises qui affectent son voisinage occidental -la Cisjordanie- et oriental, avec l'Irak. Sa stabilité intérieure n'en est cependant que plus nécessaire, mettant plus que jamais en lumière les priorités économiques des autorités et leur souci de préserver, grâce au développement et à la croissance, les équilibres politiques internes : la dissolution de l'Assemblée nationale, intervenue en juin 2001, le report des élections prévues initialement en novembre 2001, le renouvellement du Sénat, mais aussi une mainmise accrue des autorités sur la société civile traduisent cette préoccupation.

Les entretiens de votre délégation avec les principaux responsables jordaniens, notamment avec S.M. le Roi Abdallah II ont été l'occasion d'évoquer l'ensemble des défis, régionaux et intérieurs, auxquels le Royaume est confronté. La visite du camp palestinien de Madaba et les conversations avec des représentants des réfugiés ont également permis d'apprécier le rôle majeur tenu depuis plus de cinquante ans par la Jordanie, avec l'aide de l'ONU, dans cet aspect douloureux des conséquences du conflit israélo-arabe.

L'intérêt de ces entretiens et du programme a permis d'éclairer votre délégation sur les réalités et les attentes jordaniennes. Elle tient à remercier M. Bernard Emié, ambassadeur de France en Jordanie, et ses principaux collaborateurs, dont le précieux concours a permis l'excellent déroulement de la mission.

I. LA JORDANIE : UNE CRÉATION ARTIFICIELLE DEVENUE UN ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L'ÉQUILIBRE RÉGIONAL

A. UNE CRÉATION ARTIFICIELLE NÉE DES CONTRADICTIONS COLONIALES

La création du Royaume de Jordanie est souvent décrite comme relevant de l'accident historique. De fait, la genèse de cet Etat, à l'initiative de la Grande-Bretagne, doit beaucoup à la diplomatie, ambiguë, voire contradictoire, conduite par ce pays dans la région du Levant, dès le milieu de la première guerre mondiale, à l'heure où la perspective d'un éclatement de l'empire ottoman se faisait de plus en plus plausible.

Dans les années qui précèdent le déclenchement de la Première guerre mondiale, une fièvre nationaliste apparaît au sein du monde arabe sous domination ottomane. Soucieuse de canaliser cette tendance au profit de ses intérêts stratégiques, la Grande-Bretagne prend le parti de soutenir l'action du chérif Hussein, de la tribu des Beni-Hachem, gouverneur de La Mecque depuis 1908 et, à ce titre, gardien des Lieux Saints. Il est, au surplus, le descendant du Prophète par Fatima, la fille de ce dernier.

La Grande-Bretagne se dit alors favorable à l'idée, proposée par Hussein, d'un grand Royaume arabe confédérant des Etats indépendants.

Devant l'opposition de la Fance à un plan qui risquerait de compromettre ses propres intérêts au Levant, Londres et Paris signent les accords Sykes-Picot qui prévoient l'attribution à chacun des deux pays de zones d'influence dans la région. En avril 1920, la conférence de San Remo entérine cet accord en confiant à la France les mandats sur le Liban et la Syrie et à la Grande-Bretagne ceux sur la Palestine, l'Irak et la « Syrie du Sud » (future Transjordanie). Enfin, le 2 novembre 1917, par la déclaration Balfour, la Grande-Bretagne s'engage pour la constitution en Palestine d'un Foyer national juif.

Londres décide rapidement de faire de la partie orientale du Jourdain, non incluse dans cette déclaration, une entité distincte. Abdullah, un des fils du Cherif Hussein, est choisi par les Britanniques comme « Emir de Karak ». Il deviendra en fait le premier souverain de Transjordanie, sous tutelle britannique. Londres s'efforcera de donner au Royaume, doté d'une indépendance administrative croissante, les moyens de sa sécurité intérieure et extérieure avec la Légion arabe. Celle-ci participera, aux côtés de l'armée britannique, à certaines opérations militaires régionales lors de la deuxième guerre mondiale.

Au total, de 1922 à 1946, la Transjordanie, grâce à une diplomatie habile, s'émancipe progressivement de la tutelle britannique qui prendra officiellement fin le 22 mars 1946. Le 25 mai, le pays devient officiellement le Royaume hachémite de Transjordanie. Un an auparavant, la Transjordanie avait été l'un des membres fondateurs de la Ligue arabe (mars 1945).

Un quart de siècle aura donc suffi pour construire un véritable Etat à partir des décisions successives et parfois contradictoires de la diplomatie britannique de l'époque. Très vite, la Transjordanie a démontré son utilité géopolitique : au Nord, entre rivalité française et britannique au Levant, au Sud, contre les menaces arabes de l'Arabie wahabite d'Ibn Séoud au Sud, pour parer enfin au risque d'extension, à l'Est du Jourdain, du Foyer national juif initié par la déclaration Balfour. Ce rôle « d'Etat tampon », « d'Etat frontière », la Jordanie l'exerce encore aujourd'hui, 54 ans après la création de l'Etat d'Israël et la première guerre de Palestine, dans un contexte régional dont l'instabilité n'a jamais cessé.

1. La Jordanie dans les conflits israélo-arabes

Le refus des pays arabes du plan de partage décidé par l'ONU le 29 novembre 1947, qui prévoyait la constitution de deux Etats, l'un arabe, l'autre juif, avec Jérusalem comme zone internationale, aboutit à la proclamation, le 14 mai 1948, de l'indépendance d'Israël. Simultanément, l'Egypte, l'Irak, la Syrie, le Liban et la Jordanie s'engagent dans la première guerre contre l'Etat hébreu.

Si les autres pays arabes sont défaits, la Jordanie, lorsqu'elle souscrit à l'armistice du 3 avril 1949, en ressort forte de substantiels gains territoriaux : elle annexe la Cisjordanie et la vieille ville de Jérusalem. Autant de conquêtes que la Jordanie perdra, moins de vingt ans plus tard, en 1967, à la suite de la « guerre des six jours » et de la victoire d'Israël sur la coalition arabe à laquelle elle appartient.

A l'issue de ces deux guerres, le Royaume s'est trouvé confronté à une des difficultés qui fondent la délicate équation jordanienne d'aujourd'hui : l'afflux massif de réfugiés (1948) et de « personnes déplacées » (1967) palestiniens. Il s'y ajoute, à diverses reprises, la question du lien qui pourrait être établi entre une entité ou un Etat palestinien d'une part et le Royaume d'autre part.

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