2. La Jordanie, refuge des Palestiniens

Avant la première guerre de 1948, la Transjordanie, selon le décompte britannique, ne comptait qu'environ 500 000 habitants. Après l'annexion de la Cisjordanie par le Royaume, celui-ci accueillit un nombre équivalent de réfugiés, pris en charge par l'UNRWA 1 ( * ) , créée en décembre 1949, spécifiquement à leur intention pour assurer leur éducation et les services sanitaires et sociaux. Lors des combats de 1967, qui entraînèrent l'occupation de la Cisjordanie par Israël, un nouveau flux d'exode conduisit des Palestiniens vers le Royaume. Ces derniers, quelque 150 000 à 250 000, ayant quitté un territoire situé à l'intérieur des frontières jordaniennes, considérées comme « personnes déplacées », ne sont pas dénombrées comme réfugiés et ne relèvent pas de l'UNRWA.

En effet, selon la définition retenue par l'UNRWA, les « réfugiés palestiniens sont des personnes dont le lien de résidence normal était la Palestine entre juin 1946 et mai 1948 et qui ont perdu leur domicile et leurs moyens de subsistance à la suite du conflit israélo-arabe de 1948 » . A ce titre, l'UNWRA recensait en 2001 quelque 1,6 million de réfugiés palestiniens en Jordanie, soit 33,6 % de la population du pays.

Votre délégation a eu l'opportunité de rencontrer des réfugiés palestiniens du camp de Madaba. Ceux-ci ont fuit la Palestine mandataire de 1948 et sont issus pour la plupart de Beir Sheba, aujourd'hui territoire israélien. Plus qu'un « camp » dont l'acception habituelle laisse entendre l'existence de tentes ou de villages de toile, il s'agit, là comme ailleurs, d'une cité en « dur », agglomération de bâtiments d'habitation, difficile à distinguer du reste des cités jordanienne dont ils sont proches. Au cours des entretiens de votre délégation avec les réfugiés, plusieurs d'entre eux, notamment les plus âgés, ont solennellement montré les titres de propriété de leurs biens laissés de l'autre côté du Jourdain, témoignage de leur attachement à leur terre d'origine et de leur espoir de retour.

Cependant, la présence palestinienne en Jordanie dépasse l'effectif des seuls réfugiés recensés par l'UNWRA : le décompte de cet organisme ne se fonde que sur les enregistrements effectués sur la base de la seule définition évoquée ci-dessus. Il faut ajouter les familles palestiniennes qui ont délibérément traversé le Jourdain entre 1948 et 1967. Après la guerre des six jours, des Palestiniens de Cisjordanie, et donc titulaires de la citoyenneté jordanienne ont également rejoint la capitale du Royaume. Au total, il est habituellement reconnu que la proportion de Palestiniens en Jordanie dépasse les 50 %. Mais la diversité de cette population est également très grande, même si sa très grande majorité 2 ( * ) est titulaire d'un passeport jordanien. Si la population réfugiée des camps vit une situation matérielle souvent difficile, de nombreux Palestiniens exercent une activité économique : artisans ou commerçants, voire entrepreneurs prospères. « Beaucoup, réfugiés ou immigrés, ont raisonnablement prospéré à Amman ou dans le Golfe et constituent une classe moyenne (...) ; la création d'un Etat palestinien ne sera pas une raison suffisante pour les décider à en partir. Certains sont devenus des millionnaires sans lesquels il n'y aurait pas d'économie jordanienne moderne et à qui la citoyenneté du Royaume a permis d'investir dans le monde entier. Les mêmes, souvent, ont des accointances dans les hautes sphères politiques hachémites et pèsent, ou ont pesé, sur les décisions royales(...) 3 ( * ) .

Cette spécificité jordanienne à l'égard des réfugiés palestiniens, fondée sur sa politique d'intégration par l'octroi de la citoyenneté est un élément majeur de la relation jordano-palestinienne qui laisse ouvertes de nombreuses questions. Quelle est, ou sera, à terme, l'identité jordanienne ? Comment préserver l'influence des Transjordaniens de souche à travers le rôle de leurs tribus ou de leurs clans ? Quelle diplomatie conduire, et en fonction de quels intérêts propres, dans cette région où l'inévitable solidarité palestinienne par-delà le Jourdain peut interférer avec le souci des responsables du Royaume de consolider la paix et les relations commerciales avec le voisin israélien ?

La relation jordano-palestinienne est profondément influencée par ces questions récurrentes du débat politique jordanien. Cette relation a également été très gravement atteinte par les événements de 1970 vécue comme un traumatisme durable (Septembre Noir). Après la guerre de juin 1967, la présence active dans le Royaume des combattants palestiniens, leur orientation politique révolutionnaire et défavorable au roi Hussein entraînent une réaction de la part de ce dernier après une tentative d'assassinat qui le vise le 1 er septembre 1970, suivie par des actions terroristes conduites par le FPLP (détournements d'avions). Le 17 septembre, l'armée jordanienne, forte de 55 000 hommes, engagea des combats contre 40 000 fedayins commandés par Yasser Arafat. La résistance palestinienne sortit brisée de cette confrontation et fut chassée du Royaume.

* 1 United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the near east.

* 2 À l'exception des réfugiés de Gaza, zone sous souveraineté égyptienne à l'époque.

* 3 Géraldine Chatelard, Revue « Autrement » : Palestiniens de Jordanie, page 92.

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