III. LA CONFRONTATION ENTRE L'OFFRE DE SERVICES ET CE QUE L'USAGER SAIT OU PEUT UTILISER

Comment s'approprier un service pour l'utiliser ?

Question centrale, car l'appropriation est indispensable à la création d'une demande.

L'offre produite par l'évolution technologique des secteurs des télécommunications et de l'informatique doit, c'est une tautologie, rencontrer un besoin.

Mais, à l'heure actuelle, il n'y a pas de demande suffisante en face des investissements très lourds en recherche-développement, des déploiements d'infrastructures et des coûts de création de services .

A. UN PROBLÈME COMPLEXE

La confrontation sur un marché d'une offre et d'une demande suppose, de part et d'autre, une lisibilité qui est loin d'être acquise dans le cas qui nous préoccupe .

1. L'offre

Vos rapporteurs l'ont évoqué, l'offre technique n'est pas mûre . On commence seulement, avec peine, à déployer le GPRS qui constitue un intermédiaire entre la téléphonie de deuxième génération et celle de troisième génération. La troisième génération, tant en ce qui concerne les terminaux que les infrastructures, ne sera pas disponible en 2002.

L'offre de services n'est pas non plus culturellement au point . Il ne s'agit pas d'opérer une comparaison avec le contre-modèle du plan câble d'il y a vingt ans (des tuyaux mais pas de programmes).

Le problème est plus complexe. Car la mise en ligne de l'offre, comme l'a montré la multiplication des créations de sites sur l'Internet, peut être foisonnante et décentralisée. Mais, surtout parce qu'il s'agit de concevoir des usages en fonction d'une modification de comportements sociaux qui ne pourra être que progressive et souvent imprévisible.

2. La demande

La demande potentielle, en particulier au regard de la demande existante, n'offre pas plus de lisibilité que l'offre.

Elle est :

- segmentée :

Entre des usages professionnels ou privés, résidentiels ou nomades, l'éventail des appropriations possibles est assez large. Même si l'on peut estimer à bon escient qu'un usage acquis dans l'une ou l'autre de ces situations essaime assez rapidement. Comme, par exemple, cela a été le cas lorsque l'introduction des ordinateurs dans les entreprises a activé les achats d'ordinateurs à usages personnels.

- diversifiée géographiquement :

En principe, l'unité de marché de base n'est plus le pays, mais le continent. Or, les usages des services de télécommunications-informatique sont loin d'être uniformes. En Europe, par exemple, les Anglais utilisent beaucoup plus l'Internet pour faire des achats, les Allemands pour surveiller l'état de leur compte en banque et les Français pour discuter.

Par ailleurs, la demande :

- se situe à des niveaux de capacité technique faible et n'est pas assise . Chacun sait, sur le premier de ces points, qu'un utilisateur moyen n'emploie qu'entre 10 % et 20 % des possibilités offertes par son ordinateur. Et qu'il peut, au demeurant, être très rapidement rebuté par l'absence de simplicité des offres de services potentiels (par exemple scanner une photo, la mettre dans un fichier, puis l'insérer dans un courrier électronique n'est pas une opération simple - et, en cas de réussite, n'apporte pas la garantie que la personne à qui le message est adressé pourra ouvrir le fichier attaché).

Une amélioration des interfaces homme-machine est essentielle sur ce point 22 ( * ) .

Compte tenu de ce qui précède, on ne s'étonnera pas que la demande d'un Internet haut débit - fixe ou mobile - ne fasse pas l'objet d'une appropriation d'usages confirmée puisque l'appropriation d'usages sur l'Internet bas débit est très fragile.

- fait l'objet d'appropriations « surprises » :

En général, les consommateurs ne se conforment pas aux désirs des ingénieurs.

Ils ont tendance, face à une offre de services, à se comporter de façon autonome.

Le succès des courriers électroniques, la force de la demande en téléphonie mobile, le développement sur cet outil d'appropriations, auxquels on n'avait pas accordé suffisamment d'attention (SMS, offre de chargement de sonnerie à la commande) le démontrent.

Ces succès autorisent aussi à insister sur un fait : la simplicité et le faible coût de la mise en oeuvre des services sont essentiels à l'appropriation de leur usage.

- et pose d'incontestables problèmes de solvabilité :

On mentionnera à nouveau le problème du modèle tarifaire déjà évoqué à propos de l'Internet à haut débit fixe. Des considérations du même ordre peuvent être développées sur la téléphonie mobile de troisième génération. Et l'on ne considère ici que les charges de fonctionnement indépendamment des coûts d'équipement.

Il est ici intéressant d'évoquer les problèmes de fracture numérique tant entre pays, avec les conséquences inéluctables sur les aggravations de tensions géopolitiques qui seraient liés à une intensification de ces fractures, qu'à l'intérieur d'un pays avec les problèmes d'aménagement de territoire et d'égalisation des chances.

Ces problèmes ne sont pas insolubles, mais nécessitent des réflexions préliminaires sur les vraies demandes, la diffusion d'informations et de services ciblés en fonction de besoins très réels (gestion prévisionnelle de la santé, informations en temps technique : les cours des fruits et légumes pour les agriculteurs, du poisson pour les pêcheurs, etc.).

On doit également s'interroger sur la solvabilité en temps du consommateur. Va-t-il passer ses journées et ses nuits à mélanger de la voix, de l'image et du son sur son ordinateur, comme le présupposent des plans d'affaires trop optimistes ?

C'est peu probable.

Le succès de la téléphonie mobile en Europe procède de ce qu'elle a su insérer un usage déjà assis (la téléphonie fixe) dans le temps disponible des consommateurs. Le nombre de personnes que l'on voit téléphoner dans la rue, dans leur automobile ou dans les transports en commun en témoigne.

*

* *

L'ensemble de ces considérations ne doit pas conduire à trop de pessimisme sur la réalité des débouchés économiques et sociaux des avancées technologiques futures de la filière télécommunications-informatique.

Mais il semble utile de recadrer la problématique de la progression de cette appropriation d'usages.

Il s'agit principalement, parallèlement au déploiement des technologies nouvelles, d'analyser et d'encourager des cheminements d'appropriation par des études répondant à des questions qui se posent dans la vie quotidienne des entreprises et des consommateurs ; à partir de cet examen, trouver les réponses que peuvent apporter des services de télécommunications et analyser les difficultés d'apporter des services donnant ces réponses de façon commode, simple et pratique. Enfin, de résoudre ces difficultés en proposant effectivement des services correspondants à un coût supportable.

* 22 le succès d'un des fabricants de téléphonie mobile, connu pour insister sur cet aspect de la relation entre l'homme et l'outil le confirme.

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