N° 187

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 janvier 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) sur l' achèvement du marché intérieur de l'énergie ,

Par M. Aymeri de MONTESQUIOU,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; M. Denis Badré, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean François-Poncet, Lucien Lanier, vice-présidents ; M. Hubert Durand-Chastel, secrétaire ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin, Gilbert Chabroux, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Émin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François, Yann Gaillard, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'énergie n'est pas un produit de consommation comme les autres, mais un bien primaire, dont la carence peut déstabiliser une économie entière. Il s'agit donc d'un enjeu stratégique, qui touche à la souveraineté étatique. Ceci explique que l'ouverture du marché européen de l'énergie soit intervenue relativement tardivement dans le processus de réalisation du marché intérieur, et soit demeurée prudente. Deux directives de 1996 et 1998 ont ouvert partiellement à la concurrence les marchés nationaux de l'électricité et du gaz.

Mais l'énergie est aussi une composante importante de la compétitivité des industries, dont dépend l'égalité des conditions de concurrence. Ceci explique que le Conseil européen qui s'est tenu à Lisbonne les 23 et 24 mars 2000, qui a préconisé l'achèvement rapide du marché intérieur, ait voulu l'accélération de la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz et l'électricité.

Conformément à ces orientations, la Commission a présenté le 13 mars 2001 un ensemble de deux textes (E 1742) qui a pour objectif l'achèvement du marché intérieur de l'énergie :

- une proposition de directive modifiant les directives 96/92/CE et 98/30/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel ;

- une proposition de règlement concernant les conditions d'accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d'électricité.

La Commission exerce une forte pression sur les Etats membres pour qu'ils parviennent à un accord avant la fin de la présidence espagnole, le 30 juin prochain. Son président, M. Romano Prodi, a même menacé de recourir à l'article 86 du traité de Rome, sur la base duquel la Commission peut imposer des mesures de libéralisation de sa seule initiative.

Jusqu'à présent, la France a fait figure de mauvais élève en matière de libéralisation du marché de l'énergie. Elle a transposé la directive électricité avec retard et ne l'a fait qu'à minima, et n'a pas transposé du tout la directive gaz.

Cette attitude apparaît d'autant plus regrettable que notre pays dispose d'entreprises énergétiques publiques performantes, pour lesquelles la libéralisation n'est pas une menace mais une opportunité. Il semble aujourd'hui opportun de faire preuve de pragmatisme, afin de préserver les intérêts de celles-ci, et inutile de s'opposer à la nouvelle étape de l'ouverture du marché européen de l'énergie.

Le pari d'EDF, comme de GDF, est que les parts de marché perdues en France auront pour contrepartie des gains, peut-être même plus importants, sur les marchés des autres Etats membres. Une telle croissance externe ne saurait toutefois se fonder uniquement sur les liquidités disponibles, comme cela a été le cas jusqu'à présent. L'ouverture du capital de ces deux entreprises publiques apparaît aujourd'hui nécessaire, afin de leur permettre de se diversifier et de trouver des alliances dans les meilleures conditions financières.

I. L'OUVERTURE QUANTITATIVE DES MARCHÉS

1. Les directives de 1996 et 1998

La logique des deux directives actuellement en vigueur est de libéraliser la demande , afin de stimuler la concurrence au niveau de l'offre. Effectivement, si les consommateurs ne sont pas autorisés à changer de fournisseur, l'offre ne peut pas être créée et se structurer.

Mais la concurrence est introduite de manière progressive et restreinte, en fixant des seuils de libération de la demande . Cela se traduit concrètement par le droit accordé à certains clients, dits « éligibles », de choisir leurs fournisseur d'électricité ou de gaz, tandis que d'autres clients, dits « captifs », ne disposent pas de cette liberté et demeurent soumis à la nécessité de se fournir auprès de leurs fournisseurs habituels.

La directive électricité de 1996 prévoit trois étapes de libéralisation de la demande, sur une période de six années (1997-2003) :

- ouverture de 27 % du marché en février 1997 ;

- ouverture de 30 % du marché en février 2000 ;

- ouverture de 35 % du marché en février 2003.

La directive gaz de 1998 prévoit trois étapes de libéralisation de la demande, sur une période de neuf années (2000-2008) :

- ouverture de 20 % du marché en août 2000 ;

- ouverture de 28 % du marché en août 2003 ;

- ouverture de 33 % du marché en août 2008.

La directive électricité a été dans l'ensemble transposée dans les temps, c'est-à-dire avant février 1999. La France l'a fait avec retard, par la loi du 20 mai 2000.

La directive gaz a été transposée dans la plupart des Etats membres en août 2000. Cette transposition donne cependant lieu à des difficultés en France, où le projet de loi de transposition a été déposé à l'Assemblée nationale mais n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour, et en Allemagne, où la directive n'a pas été transposée dans tous ses éléments. La Commission européenne a décidé de traduire la France devant la Cour de justice des Communautés européennes le 8 mai 2001, et d'adresser un avis motivé à l'Allemagne.

Les seuils minimaux d'ouverture de la demande fixés par les directives de 1996 et 1998 ont été largement dépassés par la plupart des Etats membres. A l'heure actuelle, le seuil d'ouverture moyen pour le marché européen de l'électricité est de l'ordre de 66 % et devrait passer à 79 % vers 2007. Il est de 30 % en France. Pour le gaz, il atteint 79 % et devrait passer à 92 % en 2008. En France, ce taux est légalement de 0 %. Mais Gaz de France a décidé, même en l'absence de loi de transposition de la directive, d'ouvrir à la concurrence 20 % du marché.

La grande majorité des Etats membres est donc allée beaucoup plus loin et beaucoup plus vite que ce qui était prévisible au moment des négociations . Cet état de fait a encouragé la Commission à proposer d'achever rapidement l'ouverture complète du marché européen de l'énergie.

Le Royaume-Uni et l'Allemagne ont déjà totalement ouvert leur marché du gaz, l'Espagne l'envisage pour le 1er janvier 2003, l'Autriche, l'Italie et les Pays-Bas pour 2004 et, au total, neuf Etats membres se fixent cet objectif pour l'année 2008.

En ce qui concerne l'électricité, la Finlande, la Suède, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont déjà opté pour une ouverture complète, alors que six autres Etats membres le feront à court ou moyen terme : Autriche, Belgique, Danemark, Irlande, Pays-Bas et Espagne.

Les différences de rythmes dans l'ouverture des marchés ont cependant provoqué des distorsions de concurrence auquel il a été tenté de remédier par un mécanisme prévu par les directives, connu sous le nom de « clause de réciprocité ». Cette clause permet aux Etats membres de refuser les importations de gaz ou d'électricité à ses clients éligibles en provenance de pays où ce type de clients ne seraient pas éligibles. Huit Etats membres ont introduit cette clause dans leur législation nationale : Autriche, Belgique, Danemark, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Espagne.

Mais l'usage de cette clause de réciprocité est problématique. En pratique, elle peut être difficile à mettre en oeuvre par l'absence de lien direct entre le consommateur éligible et le fournisseur, lorsque l'électricité est échangée via une bourse ou des intermédiaires. Politiquement, il peut être délicat pour les gouvernements de priver les clients éligibles de leur pays du choix de leurs fournisseurs étrangers.

Les asymétries dans l'ouverture des marchés affectent le bon fonctionnement du marché intérieur. Le fait pour une entreprise de détenir une clientèle captive dans un Etat membre, et donc l'assurance de revenus, permet de faciliter son développement sur d'autres marchés nationaux, par le biais d'acquisitions. Ainsi, les pays concernés et la Commission considèrent que le développement d'EDF sur les marchés britannique, allemand, italien et espagnol ne repose pas sur des bases de concurrence loyales.

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