Rapport de l'OPECST n° 207 (2001-2002) de MM. Henri REVOL et Jean-Paul BATAILLE , fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scient. tech., déposé le 6 février 2002

Disponible au format Acrobat (1,8 Moctet)

N° 3571
--

N° 207
--

ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

________________________________

_____________________________________

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 5 février 2001

Annexe au procès-verbal de la séance
du 6 février 2002

________________________

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

RAPPORT

SUR

LES INCIDENCES ENVIRONNEMENTALES ET SANITAIRES
DES ESSAIS NUCLEAIRES EFFECTUES PAR LA FRANCE
ENTRE 1960 ET 1996
ET ELEMENTS DE COMPARAISON AVEC LES ESSAIS
DES AUTRES PUISSANCES NUCLEAIRES

Par M. Christian BATAILLE, Député
Et M. Henri REVOL, Sénateur

__________________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Yves LE DÉAUT,
Président de l'Office

__________________

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Premier
Vice-Président de l'Office.

Défense

SAISINE

INTRODUCTION

L'Office a été chargé par la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale de la présente étude sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France. Avec des éléments de comparaison sur les conséquences des expérimentations des autres puissances nucléaires, le sujet est à la fois considérable par le champ des questions qu'il aborde mais pas du tout inédit puisqu'au milieu des années cinquante bien des problèmes avaient été ouvertement posés et analysés : le moratoire de 1958 à 1961 sur les expérimentations atmosphériques en atteste.

Le Parlement français s'est tout naturellement intéressé aux problèmes que les conséquences des essais peuvent soulever.

Il y a cinq ans, l'un de nous deux 1 , rapporteur de l'étude sur « l'évolution de la recherche sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité », a été amené à aborder, à travers le tome II (déchets militaires) les essais nucléaires français et les conditions dans lesquelles ils avaient eu lieu ainsi que leurs conséquences, l'accent étant naturellement mis sur les essais souterrains dans ce contexte.

Les remarques qui avaient été faites alors sur le plan géologique notamment et sur le plan sanitaire appelaient des vérifications et éventuellement des confirmations qui sont intervenues depuis et qui permettent de compléter utilement les constats et les analyses précédentes : il s'agit naturellement du rapport de l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) et de la Commission internationale géomécanique. En même temps elles mettent fin, et le présent rapport en prend acte, à des questionnements qui, poursuivis à l'infini au-delà de ces réponses particulièrement argumentées, seraient redondants.

Au-delà du cas des incidences des essais français, la saisine de la Commission de la Défense nationale de l'Assemblée nationale, nous a amenés à traiter celles des autres puissances nucléaires, sujet moins abondamment abordé.

En fait, au cours des dix dernières années, beaucoup de choses, pour ne pas dire tout, a changé dans ce domaine. L'éclatement de l'URSS a permis de connaître progressivement de nombreux éléments d'information et des réalités diverses. Les Américains de leur côté ont déclassé de très nombreux pans de leurs documents militaires et technologiques, pas toujours sans risque peut-être quant à la prolifération, et plusieurs études sanitaires ou épidémiologiques ont élargi les possibilités d'appréhender les problèmes. Les Français eux-mêmes, à travers les travaux menés en particulier à l'appui des expertises précitées, ont ouvert l'accès à certaines données qui, on le verra, permettent de saisir véritablement toutes les facettes des situations.

Ainsi, à l'aide d'éléments nouveaux très substantiels, il a été possible de réaliser une appréciation actualisée des incidences dans une mise en perspective très large et d'autant plus enrichissante.

Une brève présentation de la problématique des essais et de leurs incidences constituera la première partie de ce rapport. Elle permettra ensuite d'en traiter le thème principal : les essais français, puis ceux des différentes puissances nucléaires. Non seulement la spécificité de la situation de chaque pays  militaire, politique, géographique, diplomatique, économique pour ne pas dire culturelle au sens large du terme, exige une présentation séparée pour chacun d'entre eux, mais encore l'approche par site d'essais s'impose également, tant elle reflète des évolutions propres qui ne seraient pas explicables sans le contexte « géo-politico-technologique » spécifique aux conditions de création et de fonctionnement de chaque site d'essais, la Chine étant l'exception puisque tous ses essais ont eu lieu au Lob Nor.

PROBLÉMATIQUE DES ESSAIS NUCLÉAIRES ET DE LEURS INCIDENCES

L'utilisation de l'arme atomique au Japon en août 1945 n'a été précédée que d'un essai (à Alamogordo le 16 juillet 1945) et surtout n'a été suivie jusqu'en janvier 1951 que par 5 essais (2 à Bikini en 1946 et 3 à Enewetak en 1948) c'est dire que même pour les Etats-Unis à l'issue de la seconde guerre mondiale la nécessité d'installation d'un site d'essais nucléaires ne s'est dégagée que progressivement. Les îles Marshall avaient certes été choisies et les deux atolls précités évacués à cette fin mais cela semblait conçu d'une manière limitée, compte tenu, entre autres, du caractère exclusivement atmosphérique, alors, de ces essais. On ne concevait pas, à ce moment, de réaliser des essais souterrains et d'ailleurs, pour tous les pays, le choix des sites s'est fait, à ce moment ou plus tard, dans cette perspective.

La première bombe atomique soviétique, le 29 août 1949, a complètement modifié la situation en enlevant aux Etats-Unis leur monopole et en contribuant à les amener à systématiser leurs essais et à les pratiquer sur une échelle beaucoup plus grande. Peu après, les Britanniques ont fait leur entrée en scène et ont été confrontés dès le début à la question du site d'essais, après le refus des Américains de les accueillir et les essais soviétiques se sont multipliés à partir de la première bombe thermonucléaire (12 août 1953) sur le site de Semipalatinsk puis ailleurs.

I - LE CHOIX DES SITES

La situation de chacune des puissances nucléaires est évidemment fort différente et les conditions dans lesquelles chaque site a été choisi puis développé le sont aussi. Les impératifs militaires sont peut être comparables pour les Etats-Unis et l'URSS ; les contraintes politiques et diplomatiques ne le sont guère. Par ailleurs, les deux superpuissances disposaient toutes deux de territoires immenses et variés qui leur laissaient une très large palette de choix ce qui, paradoxalement on le verra, ne les a pas nécessairement poussées à faire le bon choix qu'il s'agisse du Nevada ou Semipalatinsk.

Les Britanniques, exerçant alors leur souveraineté sur de nombreux territoires variés et propices pour certains à des essais nucléaires, se sont beaucoup déplacés et ont pratiqué ce qu'on pourrait appeler « une grande mobilité nucléaire » pour un nombre d'essais particulièrement restreint. Le pragmatisme britannique y est peut-être pour quelque chose.

Le cas de la France sera largement développé mais il est plus simple : amenée à quitter le site saharien et s'appuyant sur l'expérience des trois autres, elle a tout naturellement choisi un site insulaire isolé qui est apparu particulièrement adapté.

La Chine, quant à elle, venant encore plus tard, a pu elle aussi bénéficier des expériences acquises, notamment celles qu'elle a subies comme voisine du site soviétique de Semipalatinsk, seul cas de retombées régionales transfrontalières et, malgré le caractère très limité encore des informations disponibles à son sujet, semble avoir évité des difficultés que d'autres ont pu rencontrer.

#172; On perçoit ainsi combien le facteur temps a été essentiel pour l'appréciation des termes des problèmes.

Malgré l'extraordinaire secret qui caractérise très normalement des essais militaires en général et ceux de ce type en particulier, chaque pays semble avoir tiré profit tout d'abord bien sûr de ses propres expériences, même si cela a pu être long (Nevada, Semipalatinsk) ou insuffisant, mais aussi, semble-t-il, de ce qu'il a pu éventuellement apprendre des autres, dès lors que les techniques de renseignements militaires le permettaient (observation, en particulier satellitaire, et mesures aériennes et sismiques).

Malgré l'importance et le caractère pérenne du site au Nevada, il est devenu rapidement clair que les tirs dépassant un seuil de puissance assez bas devraient avoir lieu ailleurs : aux Marshall qui ont servi parallèlement de site d'essais où ils avaient déjà commencé mais aussi dans le « Pacifique central » à Christmas et Johnston et encore ailleurs.

En URSS, où la prise en compte d'une « opinion publique » n'était pas une donnée du problème 2 , la nécessité d'éviter des tirs de très forte puissance à Semipalatinsk a contribué à la création relativement accélérée du site de la Nouvelle-Zemble.

Certaines contraintes étaient évidentes. Outre l'exigence d'un endroit où le plus strict secret pouvait être respecté, l'impératif météorologique s'imposait lui aussi et les connaissances au moment du choix n'ont pas toujours été suffisantes ou bien exploitées pour permettre une limitation des retombées (Nevada et Semipalatinsk).

D'autres facteurs, que l'on évoquera plus précisément en traitant chaque site, ne devaient pas être perdus de vue pour expliquer certains choix.

Ainsi, les dimensions matérielle et financière ont constitué des contraintes sérieuses surtout si l'on se rappelle que pendant la période des essais atmosphériques, les effectifs en cause pouvaient être considérables et que la contrainte géographique, l'éloignement, ne devaient pas accentuer encore les charges, ce qui explique sans doute que le Nevada et Semipalatinsk soient restés en service très longtemps.

#172; L'évolution s'est aussi traduite d'une manière spectaculaire, dans la plupart des cas, par une recherche de la limitation des retombées à travers des techniques de tirs nettement moins polluantes depuis le tir au sol ou encore sous-marin, au tir sous ballon ou par avion à une altitude évitant tout contact entre la boule de feu et le niveau du sol.

#172; Il ne fait pas de doute enfin que la circulation de l'information sur l'importance des retombées radioactives à la fin des années cinquante, malgré le climat de la guerre froide, a fortement pesé pour la limitation ou l'arrêt des tirs atmosphériques lesquels avaient atteint, surtout depuis la suspension du moratoire américo-soviéto-britannique en 1961-1962, des niveaux plus que considérables ainsi que le montre le tableau ci-après regroupant tous les tirs atmosphériques de plus de 4 mégatonnes (puissance de tir) :

Puissances estimées de fission et de fusion pour des essais égaux
ou supérieurs à 4 Mégatonnes

Le total de ces 25 tirs atmosphériques de 4 mégatonnes et plus représente avec 289 mégatonnes beaucoup plus de la moitié de la puissance de tous les tirs atmosphériques (440 Mégatonnes pour 543 tirs recensés par l'UNSCEAR).

II - PRÉSENTATION D'ENSEMBLE DES ESSAIS ET DES RETOMBÉES

L'évaluation et l'analyse de l'ensemble des retombées radioactives des essais nucléaires ayant été largement traitées depuis longtemps et réactualisées récemment par l'UNSCEAR en premier lieu, les problèmes des retombées locales et régionales étant traitées à partir des différents sites, on se contentera ici de rappeler quelques éléments généraux nécessaires à la compréhension des questions et ce à partir, précisément des données fournies par ce comité spécialisé des Nations-Unies 3 .

1. L'ensemble des essais

Le nombre total d'essais nucléaires est donné par pays, catégorie d'essais et puissance par le tableau ci-après :

Tableau résumé des essais nucléaires

Pays

Nombre d'essais

Puissance (en Mégatonnes)

Atmosphériques

Souterrains

Total

Atmosphériques

Souterrains

Total

Chine

France

Inde

Pakistan

Royaume-Uni

Etats-Unis

URSS

22

50 a

--

--

33 b

219 c

219

22

160

6

6

24

908

750

44

210

6

6

57

1127

969

20,7

10,2

--

--

8,1

154

247

1

3

--

--

2

46

38

22

13

--

--

10

200

285

Tous pays

543

1876

2419

440

90

530

a : inclus 5 essais de sécurité

b : inclus 12 essais de sécurité

c : inclus 22 essais de sécurité et 2 tirs de combat

Les essais atmosphériques qui retiennent prioritairement l'attention au regard des incidences environnementales et sanitaires, sont détaillés dans le tableau ci-après pour chaque site d'essais avec les estimations de répartition de la puissance dégagée (locale et régionale, dans la troposphère et dans la stratosphère).

Essais nucléaires atmosphériques pour chaque site

Ces décomptes et estimations ont sensiblement été affinés, voire révisés depuis les précédentes publications de l'UNSCEAR (1982, 1988 et 1993), ce qui explique d'autant mieux que la déclassification de nombreuses informations est intervenue depuis ces parutions antérieures.

Néanmoins, certaines imprécisions ou non-coïncidences, désormais beaucoup plus limitées, peuvent apparaître. Les origines en sont vraisemblablement très diverses (tirs en salve, expériences de sécurité décomptées différemment, absence de détonation, lors d'un essai, éventuellement « oubli » ou indication de puissance sous-évaluée) et ne paraissent pas pouvoir influer sensiblement sur l'analyse de la réalité.

Les deux graphiques ci-dessous illustrent l'évolution du nombre de tirs (atmosphériques et souterrains) ainsi que le total de leur puissance dégagée. Ces représentations illustrent à la fois la concentration exceptionnelle de la puissance des tirs atmosphériques de septembre 1961 à décembre 1962, le grand nombre d'essais souterrains mais aussi la très faible puissance dégagée par la totalité de ces derniers :

Essais nucléaires mondiaux

2. L'exposition aux radiations et les retombées

Avant de situer les retombées des essais nucléaires, il convient de les remettre en perspective dans l'ensemble des émissions radioactives perçues au niveau du sol en l'an 2000.

- Ainsi, la principale source de rayonnements ionisants pour l'homme est la radioactivité naturelle qui est estimée à 2,4 mSv (dose efficace par personne annuellement, moyenne mondiale) ; les doses peuvent s'étager de 1 à 10 mSv et même davantage dans certains cas exceptionnels, ainsi dans l'Etat du Kerala en Inde.

- Les examens médicaux (diagnostic) constituant la deuxième source de radioactivité avec une moyenne mondiale de 0,4 mSv par personne et par an (étagement de 0,04 à 1 mSv).

- Les retombées des essais nucléaires atmosphériques constituant la troisième source avec 0,005 mSv par personne et par an, sachant que la décroissance est régulière depuis le pic atteint en 1963 avec 0,15 mSv. Elle est naturellement plus élevée dans l'hémisphère nord que dans celui du sud.

- Les retombées de la catastrophe de Tchernobyl (le 26 avril 1986) sont la quatrième source avec une moyenne mondiale de 0,002 mSv mais de 0,04 mSv de moyenne pour l'hémisphère nord.

- Enfin, la cinquième source d'émission est constituée par l'ensemble des activités liées à la production d'énergie nucléaire avec 0,0002 mSv (ou 0,2 ìSv) par personne et par an. Cette source a connu une augmentation avec la croissance du parc électro-nucléaire mais de l'autre une décroissance avec les progrès technologiques réalisés dans ce domaine.

Il y a lieu de noter que des situations très particulières et ponctuelles d'exposition à la radioactivité ne sont pas prises en compte ici et ne pourraient de toute façon être « moyennées » valablement. Il s'agit par exemple (par an)

#172; pour la radioactivité naturelle :

- de l'exposition due aux voyages en avion (3 mSv de dose individuelle annuelle pour les équipages),

- de l'exposition au radon dans des lieux de travail en sous-sol (4,8 mSv) ou dans des activités minières en général (2,7 mSv), le niveau pour les mines de charbon n'étant que de 0,7 mSv.

#172; pour la radioactivité artificielle :

- des traitements médicaux (et non des moyens diagnostics) faisant appel aux rayonnements ionisants,

- des expositions accidentelles durables telles que dans les unités de production d'armes nucléaires de l'ex-URSS : Tcheliabinsk (avec une dose collective efficace de 8 700 homme.Sv), Krasnoyarsk (1 200) et Tomsk (2000),

- d'expositions durables liées à des activités nucléaires mal maîtrisées : Tcheliabinsk et Hanford aux Etat-Unis par exemple.

Sans entrer dans le détail de l'analyse des retombées par radionucléide en fonction de la puissance et de l'altitude de l'explosion qui font l'objet de présentations très techniques dans le rapport précité de l'UNSCEAR, on peut indiquer ici quelques repères :

- la densité de dépôt de césium 137 dans chacun des deux hémisphères illustrée par le graphique ci-dessous :

Latitudes

Densité des dépôts de césium 137 dans les deux hémisphères calculés avec le total des produits de fission avec un modèle atmosphérique

- les dépôts de strontium 90 sont représentés par les graphiques suivants : par hémisphère, les points figurent les résultats des relevés, les lignes ceux des calculs de modélisation atmosphérique :

Les doses annuelles efficaces des retombées mondiales dues aux essais nucléaires atmosphériques sont données en annexe. Il apparaît notamment au vu de ces données que la voie d'exposition externe était prédominante au moment des essais, les modes d'irradiation se partagent désormais à peu près également entre l'irradiation externe (53 %) et l'interne (47 %).

LES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS

La décision de doter la France de l'arme atomique ayant été prise en février 1956, la question du choix d'un site destiné aux essais nucléaires s'est posée dès 1957. Le « groupe mixte des expérimentations nucléaires » est alors chargé de proposer ce choix au CEA, aux autorités militaires, et en dernier ressort au Gouvernement. La Polynésie et les îles Kerguelen sont un moment évoquées mais le choix se fixe en 1957 sur le Sahara, et plus particulièrement dans le secteur centre-ouest et centre de la partie alors sous souveraineté française de cet espace désertique.

Le régime habituel des vents qui permet une évacuation du nuage radioactif vers l'Est, pour peu que les principes de sécurité météorologique soient scrupuleusement respectés , a été, outre le caractère désertique du lieu, un facteur visiblement essentiel dans le choix.

Les trois autres états qui avaient précédé la France dans l'installation de centres d'expérimentations nucléaires avaient d'ailleurs fait le choix de zones désertiques continentales : le Nevada pour les Etats-Unis, le polygone de Semipalatinsk pour l'URSS et le désert d'Australie du Sud pour la Grande-Bretagne.

Seuls les Etats-Unis avaient d'abord commencé leurs essais aux îles Marshall puis les avaient menés concurremment sur le site du Nevada.

Le changement de site d'essais nucléaires était naturellement implicitement prévu avec la proclamation de l'indépendance de l'Algérie en juillet 1962, les recherches se portèrent sur la Polynésie française, plus particulièrement sur les atolls inhabités de Mururoa et de Fangataufa.

I - LES ÉVENTUELLES INCIDENCES 4 AU SAHARA

Le premier site d'essais se trouvait à 700 km au Sud de Colomb-Béchar, à côté de Reggane dans le Tanezrouf. La base avancée pour le tir était à Hamoudia. Cet ensemble, qui comprenait tous les moyens logistiques nécessaires (aérodromes, forages pour l'alimentation en eau, base-vie située à 15 km de Reggane), était dénommé CSEM (Centre Saharien d'Expérimentations Militaires) ; c'est là qu'ont eu lieu les quatre premiers tirs atmosphériques du 13 février 1960 au 25 avril 1961.

Le seul secteur comportant une population sédentaire notable se trouvait au Nord de Reggane et dans la vallée du Touat. Les essais en galerie eurent lieu, quant à eux, plus au Sud et à l'Est à proximité d'In Ecker, à 150 km au Nord de Tamanrasset, au CEMO (Centre d'Expérimentations Militaires des Oasis).

Au total, la population saharienne vivant dans un rayon de 100 km autour d'In Ecker ne dépassait pas deux mille personnes.

Les effectifs des personnels civils et militaires affectés aux essais comptaient environ 10 000 personnes au CSEM à Reggane et deux mille logées en base-vie au CEMO à In Ecker.

1. Les principes généraux de sécurité

#172; La sécurité des essais nucléaires était assurée par la surveillance du champ de tir et de l'ensemble du territoire.

#172; Susceptible de recevoir des retombées supérieures aux normes, ce territoire a souvent été déterminé assez largement par rapport aux retombées effectives qui ont pu y être observées : ainsi pour le tir Gerboise rouge (moins de 5 kt), la zone contrôlée s'étendait sur 230 km ; la « courbe » des isodoses à 5 mSv du tir montre que la longueur maximale a été, en fait, de moins de la moitié de cette distance (cf. figure en annexe).

#172; La surveillance météorologique était naturellement l'élément essentiel de la sécurité relative aux incidences du tir atmosphérique sur l'environnement et la santé. Pour ce qui concerne le Sahara, le Groupement Opérationnel des Expérimentations Nucléaires disposait, outre les données fournies par les réseaux mondiaux, des observations disponibles par un système de radars couvrant tout le Sahara pour les mesures jusqu'à de très hautes altitudes et des observations des postes locaux pour la mesure des vents dans les basses et moyennes couches de l'atmosphère. Le rôle prépondérant du facteur météorologique était assuré dans la chaîne de prise de décisions. Dans l'ouvrage « Les essais nucléaires français » l'enchaînement des décisions est décrit 5 :

« L'exploitation des mesures de météorologie est très étroitement liée aux décisions à prendre au niveau du GOEN 6 dans le cadre d'une chronologie des opérations de préparation du tir, de conduite des opérations avant et après l'explosion.

Avant le tir, à partir des prévisions à 48 heures, les prévisions s'affinent pour fournir avec un préavis de dix heures des indications précises et sûres en vue du déclenchement du tir. Les tracés des retombées appliquées aux cartes du Sahara indiquent alors très nettement les risques ou l'absence de risques.

Une fois acquis le « feu vert » politique et l'assurance que tout est prêt, principalement du côté du CEA, et aussi du côté des intervenants militaires, la décision de tirer ne dépend plus que de la météorologie. Il faut alors saisir la bonne occasion donnée par les prévisions dans les basses couches, souvent très instables.

Dans le cas des tirs souterrains à In-Ecker, l'essentiel des prévisions météorologiques pouvant intervenir dans la décision de tirer concerne les basses couches et même les très basses couches de l'atmosphère ».

Cette stricte soumission aux exigences de la situation météorologique a permis d'éviter tout incident et a fortiori tout accident pendant des tirs aériens qui se faisaient selon une technique diffusant une pollution radioactive certaine, celle du tir sur tour.

2. La sécurité radiologique

L'ensemble des règles et des pratiques de surveillance radiologiques des personnels, des populations et de l'environnement était déterminé par la Commission Consultative de Contrôle (CCC) créée en 1958.

A) Les normes

- Pendant la durée des essais, la France s'est conformée en permanence aux recommandations des organisations internationales compétentes, en particulier celles émises par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), recommandations reprises dans la réglementation européenne (J0 des 20 février 1959, 9 juillet 1962 et 2 juin 1965) puis nationale (JO du 20 juin 1966) 7

- Les personnes pouvant être soumises aux effets de la radioactivité générée par les essais étaient classées en deux catégories : la première : le personnel directement lié aux essais, le personnel des armées, le personnel du CEA et des entreprises, les travailleurs employés sur les sites ; la deuxième : les populations voisines du champ de tir.

Doses maximales admissibles :

Pour les personnels de la 1 ère catégorie, les normes d'irradiation globale, c'est-à-dire concernant l'ensemble de l'organisme, avaient été fixées par la CCS (Commission Consultative de Sécurité) le 5 novembre 1958, suivant les recommandations de la CIPR, soit :

- La dose maximale admissible est calculée en fonction de l'âge et d'une dose moyenne annuelle de 50 mSv. La dose délivrée à l'organisme entier à l'âge N ans ne devant pas dépasser : 50 mSv (N -18).

- La dose maximale cumulée pendant une période de 13 semaines consécutives peut atteindre 30 mSv.

- Lors d'une irradiation externe exceptionnelle concertée, la dose ne doit pas dépasser la limite de 120 mSv à l'organisme entier, 300 mSv à la thyroïde et à l'os, et 150 mSv aux autres organes.

Pour les populations, la dose maximale admissible annuelle était fixée par la CCS à 15 mSv en 1960 puis 5 mSv à partir de 1961.

- Les concentrations maximales admissibles dans l'air, les eaux de boisson (CMA) et les Quantités Maximales Admissibles dans l'organisme (QMA) ont été également fixées par la CCS en suivant les recommandations de la CIPR (rapport de la Commission de 1959).

B ) Le contrôle de la radioactivité

Le contrôle des retombées se faisait à deux niveaux :

- proche : des mesures systématiques et répétées de la contamination du sol et de l'air étaient effectuées à proximité des expériences aériennes et dans l'axe des retombées, là où une contamination importante pouvait se produire. Les mesures étaient réalisées par des unités spécialisées à terre ou par avion. Elles permettaient de délimiter la "zone de retombée" : quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres, le jour J de l'expérimentation. Du fait des périodes très courtes de nombreux radioéléments, les dimensions de la zone où la radioactivité était directement détectable décroissaient très vite (décroissance de la radioactivité d'un facteur 100 entre une heure et 48 heures après le tir).

- lointain : à l'extérieur de la zone dans laquelle la radioactivité était directement mesurable, les traces d'activité dans les sols, l'air, les précipitations, les végétaux, l'eau de boisson ou les éléments étaient détectables uniquement par des mesures fines, effectuées en laboratoire à partir de prélèvements. Un réseau de surveillance implanté principalement au Sahara, mais aussi dans les Etats de la Communauté et dans quelques ambassades, permettait d'effectuer des prélèvements dans les différents milieux (air, sol,...) et ainsi d'évaluer les retombées plus lointaines et à l'échelle mondiale.

Ce réseau (figure 1) a été conservé pendant toute la durée des essais aériens et souterrains.

Le suivi des populations locales et du personnel participant aux essais

#172; Lors des expériences aériennes, la sécurité radiologique des populations locales a été assurée par :

- le blocage des pistes chamelières et le contrôle de l'absence de populations nomades des zones pouvant être affectées par les retombées ;

- des prévisions météorologiques permettant de garantir que les retombées proches des quatre expériences aériennes ne touchent que de vastes étendues désertiques (cf. supra) ;

- un contrôle étendu de la radioactivité dans l'environnement permettant d'interdire l'accès à la zone des retombées proches.

- des mesures ponctuelles de recherche de contamination interne (spectrométrie ã) effectuées sur des populations sédentaires résidant à proximité des sites et sur des nomades transitant dans la région.

#172; Lors des expériences souterraines en galerie, la sécurité radiologique des populations locales a été assurée  par :

- l'importance des données et des prévisions météorologiques qui permettaient de s'assurer qu' en cas de confinement imparfait le nuage radioactif n'affecterait que des zones désertiques.

- les nombreuses mesures de radioactivité dans l'environnement à plus de 100 km du point zéro

#172; Toute personne participant aux essais et susceptible d'être exposée aux rayonnements ionisants, qu'elle soit militaire, du CEA ou des entreprises faisait l'objet d'une surveillance médicoradiobiologique (visite médicale, bilan sanguin, dosimétrie de l'exposition externe et éventuellement mesure de la contamination interne par spectrométrie ã).

Figure 1 : implantation du réseau de postes de contrôle de radioactivité

La dosimétrie de l'exposition externe individuelle a été pratiquée dès le début des essais et ce, d'une manière systématique : 24 000 personnes ont ainsi été suivies dont près de 8 000 pour les quatre tirs aériens. A cet égard, il y a lieu de signaler qu'il semble bien que parmi les autres puissances nucléaires on ne trouve pas de pratiques systématiques de surveillance dosimétrique et que dans certains cas, on en soit même très loin.

3. Les essais atmosphériques : caractéristiques et incidences

3.1. L'ensemble des faits

Ces caractéristiques et les incidences des quatre tirs aériens dénommés « Gerboise » en nom de code sont synthétisées dans le tableau ci-après :

Le premier tir « Gerboise bleue » (13 février 1960) remplit les objectifs fixés tant pour le CEA que pour les Armées, notamment au regard de la puissance atteinte qui était prévue de 60 à 70 kt et qui se réalisa au maximum de cette hypothèse. Sans entrer dans l'analyse technique, il convient de rappeler que la puissance effective du tir ne peut être prévue avec exactitude avant le tir.

Pour le troisième tir, « Gerboise rouge » (27 décembre 1960), il semblerait précisément que la puissance effective, inférieure à ce qui était fixé comme objectif, ait posé un problème de validité qui fit l'objet de recherches récurrentes.

Le deuxième tir « Gerboise blanche » (1 er avril 1960) avait été effectué, quant à lui, peu de temps après le premier avec « l'engin de secours » prévu au cas où ce dernier n'aurait pas ou mal fonctionné. D'une puissance volontairement beaucoup plus limitée, il fut réalisé sur une plate-forme au niveau du sol ; cette technique risquait de se révéler nettement plus polluante : formation d'un cratère et retombées d'une quantité importante de particules lourdes contaminées sur une étendue non négligeable. A cette fin, l'emplacement du tir (point zéro) fut déterminé beaucoup plus au Sud (une quinzaine de kilomètres) que l'emplacement de « Gerboise bleue » et de ceux prévus pour les tirs suivants.

Toutefois, les mesures ont montré que cette contamination s'est révélée nettement plus limitée que ce que l'on avait craint.

Le quatrième et dernier essai atmosphérique du Sahara (« Gerboise verte ») fut marqué par une circonstance politique particulière : le putsch des généraux du 22 avril 1961 venait de se déclencher et il apparaît que le tir lui-même en a été quelque peu anticipé : il a eu lieu le 25 avril. Les conditions météorologiques, sans être dangereuses, n'étaient pas favorables à une bonne exploitation des données.

Globalement, et pour l'ensemble des tirs au sein de la région complètement désertique où portaient les vents, la zone dans laquelle les retombées induisaient un débit de dose supérieur à 0,1 mGy/heure, 24 heures après le tir, avait une longueur comprise entre 10 et 150 km, et une largeur de 10 à 20 km en fonction de l'énergie mise en _uvre au cours du tir.

Quelques mois après l'essai, par le jeu de la décroissance radioactive, la zone dans laquelle le débit de dose restait supérieur à 0,1 mGy/heure était réduite à un cercle ayant un rayon de 100 à 300 mètres.

L'annexe 1 (en couleur) montre par les « plumes » de chaque tir les doses qu'aurait reçu une population hypothétique présente dans le périmètre des retombées (à l'exception du polygone de tir lui-même).

3.2. Les incidences sanitaires sur le personnel et les populations locales

Sur près de 8 000 résultats de mesures de dosimétrie externe, 97 % sont inférieurs à 5 mSv et les 6 valeurs les plus élevées sont comprises entre 50 et 100 mSv. La dose reçue, par les pilotes des « Vautours » 8 chargés d'effectuer les prélèvements dans le nuage, n'a pas dépassé les 100 mSv. Il y a lieu de signaler à cet égard que les limites d'exposition pour ces personnels étaient fixées à un niveau qui était au quart de celui de leurs homologues américains, cela, il est vrai, quelques années plus tôt, au Nevada et aux îles Marshall.

Des mesures anthropogammamétriques de contrôle de la contamination interne ont été effectuées après les tirs de « Gerboise » sur environ 195 personnes (125 civils et 70 nomades). Elles ont donné des résultats négatifs (absence de contamination). Globalement l'exposition des populations locales imputable aux essais aériens français a été faible et toujours inférieure aux recommandations de la CIPR concernant les populations civiles.

3.3. Les résultats des mesures dans l'environnement

Au-delà de quelques centaines de kilomètres, le passage d'aérosols radioactifs ou les traces d'activité déposées sont alors détectés par des méthodes de mesures fines en laboratoire. Ces mesures portent sur la radioactivité de l'air, des précipitations, de l'eau, du sol, des végétaux, des produits alimentaires.

- La radioactivité de l'air est présentée sous forme graphique (tableau). Les valeurs trouvées sont généralement inférieures à la norme de concentration admissible courante. Elles la dépassent toutefois ponctuellement dans quelques endroits. Les valeurs les plus élevées, comprises entre 370 et 3700 Bq/m 3 , ont été atteintes à Arak, Amguid et Ouallen; leur durée n'a pas excédé quelques heures. Des valeurs comprises entre 37 et 370 Bq/m 3 ont été observées à Amguid, Arak, Ouallen, Fort Lamy, pour une durée inférieure dans tous les cas à quatre jours. Le dépassement de la concentration admissible en permanence, ne s'est donc manifesté que pour des durées très courtes.

Les doses ont été calculées pour les points où ont été relevées les plus fortes concentrations ; elles sont données dans le tableau ci-dessous :

POSTES DE CONTROLE

DOSES (mSv)

AMGUID

0,100

ARAK

0,200

FORT LAMY

0,120

OUAGADOUGOU

0,100

OUALLEN

0,600

ZINDER

0,060

Pour les autres stations, les doses sont infiniment plus faibles. En résumé, on doit donc remarquer que dans tous les cas, les résultats sont très en dessous de la norme de 5 mSv par an. De plus, les postes de Bordj Arak et de Ouallen où les niveaux de radioactivité étaient les plus élevés, ne comportaient pas de population sédentaire en dehors d'une petite garnison militaire pour laquelle toutes les mesures de protection avaient été prises.

- La radioactivité des précipitations est présentée par le graphique (page 33). Parmi les pointes enregistrées en 1960 et 1961, seules sont significatives celles correspondant au premier essai (Gerboise bleue). Il est intéressant de comparer ces pointes aux valeurs observées en 1958 et en 1959 à la suite des essais nucléaires étrangers. Pour la plupart des stations, les niveaux maximum atteints en 1960 sont de l'ordre du dixième des niveaux enregistrés en 1959.

- Pour la radioactivité de l'eau, les valeurs les plus élevées ont été décelées immédiatement après l'explosion Gerboise bleue à Bordj Arak, où l'on a mesuré de l'ordre de 10 7 Bq/m 3 , et 4.10 6 à 8.10 6 Bq/m 3 à El Golea et à In Salah. Ces valeurs sont redescendues rapidement au-dessous de la norme eau de boisson pour les populations. Il faut noter que pour des eaux à forte teneur en sels, ce qui est précisément le cas en ces points, la radioactivité naturelle due principalement au potassium 40 ( 40 K), vient s'ajouter, lors des mesures, à l'activité due aux retombées.

- Lorsqu'il ne s'agit pas de plantes alimentaires, la mesure de la radioactivité des végétaux n'a qu'une valeur indicative en l'absence de normes. Il s'agissait surtout de s'assurer, grâce à des contrôles échelonnés sur plusieurs mois, qu'il ne se manifeste pas de phénomènes d'accumulation. Ce but a été atteint car on a pu vérifier que l'activité des plantes est restée de l'ordre de grandeur de la radioactivité naturelle dans la majorité des cas.

- Les contrôles effectués sur les produits alimentaires n'ont décelé aucune contamination présentant un risque sanitaire. Aucune restriction de consommation n'a donc été prescrite. La teneur en substances radioactives des aliments prélevés aux points où un accroissement de la radioactivité de l'air avait été observé, se révèle être du même ordre que celle que l'on observe normalement en Europe, donc parfaitement acceptable sur le plan sanitaire.

Une étude particulièrement poussée a été effectuée sur le lait car il constitue l'élément le plus représentatif de la chaîne alimentaire. L'étude a porté sur les teneurs en césium 137 ( 137 Cs) et en strontium 90 ( 90 Sr). Les prélèvements effectués en France au cours de l'année 1959 et de l'année 1960, ont permis de déceler une légère diminution des teneurs en 137 Cs et en 90 Sr. Les prélèvements effectués en Europe et en Afrique, à la suite des expériences nucléaires françaises, ont donné les valeurs en général plus faibles qu'en France.

4. Les essais nucléaires souterrains

Le moratoire sur les essais nucléaires atmosphériques appliqué de facto depuis la fin de l'année 1958 par l'Union soviétique, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne fut rompu en septembre 1961 par l'URSS, suivie en avril 1962 par les Etats-Unis. Entre temps, la France, qui était la seule à pratiquer en 1960 et 1961 des essais atmosphériques, décida d'y mettre un terme en passant aux essais souterrains. Elle s'engagea donc dans cette voie, notamment afin de répondre aux critiques relatives aux retombées, au moment où l'URSS allait pratiquer un nombre de tirs très élevé (136) pour une puissance considérable dont le plus important essai jamais réalisé : celui de 50 Mt le 30 octobre 1961 en Nouvelle Zemble ; les Etats-Unis de leur côté ont pratiqué d'avril 1962 à novembre 1962 40 tirs dont les deux plus élevés à 7,45 et 8,3 Mt.

Les implantations du CEMO (Centre d'Expérimentations Militaires des Oasis) étaient situées dans le Hoggar et les expérimentations avaient lieu plus particulièrement dans le massif granitique du Tan Afella près d'In-Ecker, à 150 km au Nord de Tamanrasset.

Ces tirs souterrains ont été conçus de façon comparable aux techniques mises en _uvre à l'époque par les Américains du Nevada.

Le massif lui-même a un pourtour de 40 km environ et se situe entre 1500 et 2000 m d'altitude, le plateau environnant étant à 1000 m d'altitude. Les tirs avaient lieu au fond de galeries creusées horizontalement dans la montagne et dont la longueur totale était d'un kilomètre approximativement. La galerie de tir proprement dite se terminait en colimaçon de telle manière que l'effet mécanique du tir sur la roche provoque la fermeture de la galerie. Un bouchon de béton fermait l'entrée de la galerie à la sortie. Sur les côtés de la galerie étaient aménagées des recoupes où de nombreux appareils de mesures et d'enregistrement étaient placés.

L'essentiel, sinon la totalité des produits et éléments radioactifs restait ainsi confiné dans la cavité créée par le tir. Entre le 3 novembre 1961 et le 16 février 1966, il fut ainsi procédé à treize tirs dont les caractéristiques sont indiquées ci-après :

Date

Nom de code

Puissance

7 novembre 1961

1 er mai 1962

18 mars 1963

30 mars 1963

20 octobre 1963

14 février 1964

15 juin 1964

28 novembre 1964

27 février 1965

30 mai 1965

1 er octobre 1965

1 er décembre 1965

16 février 1966

Agathe

Béryl

Emeraude

Améthyste

Rubis

Opale

Topaze

Turquoise

Saphir

Jade

Corindon

Tourmaline

Grenat

Moins de 20 kt

Moins de 30 kt

Moins de 20 kt

Moins de 5 kt

Moins de 100 kt

Moins de 5 kt

Moins de 5 kt

Moins de 20 kt

Moins de 150 kt

Moins de 5 kt

Moins de 5 kt

Moins de 20 kt

Moins de 20 kt

5. Bilan radiologique des essais souterrains

Quatre essais souterrains sur treize n'ont pas été totalement contenus ou confinés : Béryl, Améthyste, Rubis et Jade. Les deux premiers cités ont entraîné une sortie de laves radioactives. Dans les deux autres cas, les sorties limitées à des radioéléments gazeux ou volatils n'ont pas provoqué d'expositions significatives au plan de la santé du personnel et des populations.

5.1. L'accident Béryl (1 er mai 1962)

Pour assurer le confinement de la radioactivité, le colimaçon était calculé pour que l'onde de choc le ferme avant l'arrivée des laves. Lors de la réalisation de cet essai, le 1 er mai 1962, l'obturation de la galerie a été trop tardive. Une fraction égale à 5 à 10 % de la radioactivité est sortie par la galerie, sous forme de laves et de scories projetées qui se sont solidifiées sur le carreau de la galerie, d'aérosols et de produits gazeux formant un nuage qui a culminé jusqu'aux environs de 2600 m d'altitude à l'origine d'une radioactivité détectable jusqu'à quelques centaines de kilomètres.

Le nuage radioactif formé était dirigé plein Est. Dans cette direction, la contamination atmosphérique était significative jusqu'à environ 150 km, distance sur laquelle il n'y avait pas de population saharienne sédentaire. Localement, en revanche une contamination substantielle (induisant une exposition supérieure à 50 mSv) a touché une centaine de personnes.

Les conséquences sanitaires

La trajectoire du nuage est passée au-dessus du poste de commandement où étaient regroupées les personnalités (notamment deux ministres, MM. Pierre Messmer et Gaston Palewski) et le personnel opérationnel. Malgré le port du masque respiratoire et une évacuation rapide (entre H+2 minutes où le débit de dose était inférieur à 1 mGy/h et H + 8 minutes où le débit de dose était de 3 Gy/h), une quinzaine de personnes ont reçu un équivalent de dose de quelques centaines de millisieverts. L'irradiation a été essentiellement d'origine externe, les masques ayant été correctement utilisés.

Près de 2000 personnes participaient à la réalisation de cet essai. La répartition des résultats de la dosimétrie externe est résumée dans le graphique ci-dessous.

Répartition des résultats de la dosimétrie externe pour l'essai Béryl en fonction des intervalles de doses en mSv.

Neuf personnes situées dans un poste isolé ont traversé la zone contaminée après avoir, au moins temporairement, ôté leur masque. Dès leur retour en base vie (H+6), elles ont fait l'objet d'une surveillance clinique, hématologique (évolution des populations cellulaires sanguines) et radiologique (spectrogammamétrie, mesures d'activité dans les excrétats).

Les équivalents de dose engagée reçus par ces personnes ont été évalués à environ 600 mSv.

Ces neuf personnes ont été ensuite transportées à l'hôpital militaire Percy à Clamart pour surveillance et examens radiobiologiques complémentaires. Le suivi de ces neuf personnes n'a pas révélé de pathologie spécifique.

Le contrôle de la contamination interne, par examens spectrométriques, a montré que celle-ci était faible. Dans le cas particulier des 9 personnes les plus exposées, la dose engagée par cette voie est évaluée à moins de 10 mSv, valeur négligeable par rapport à celle de l'exposition externe.

Les équivalents de dose qui auraient été reçus par des populations présentes au moment de la retombée et qui auraient ensuite séjourné au même endroit ont été évalués. Les populations nomades du Kel Torha, les plus exposées (240 personnes évoluant à la frange nord de la retombée) auraient ainsi pu recevoir des équivalents de dose cumulée allant jusqu'à 2,5 mSv (de l'ordre de grandeur d'une année de radioactivité naturelle).

Les conséquences environnementales

Pour la radioactivité atmosphérique, les mesures de la radioactivité des aérosols étaient réalisés dans les postes de mesure permanents implantés à Oasis 2, et à la « Base-vie ». Les résultats des mesures effectuées dans le courant du mois de mai 1962, après l'expérimentation, sont donnés dans le graphique ci-dessous :

Bq/m 3

Radioactivité atmosphérique au cours du mois de mai 1962 (valeurs moyennes).

Toutes les mesures effectuées donnent des valeurs assez élevées correspondant à l'arrivée du nuage, puis ensuite donnent des valeurs nettement inférieures aux concentrations maximales admissibles en permanence pour le public (CMA air 168 h public à J+5 pour un mélange de produits de fission : 75 Bq/m 3 ). On peut considérer que la radioactivité atmosphérique est redevenue normale lorsque la valeur de 0,2 Bq/m 3 est atteinte, valeur correspondant approximativement à la radioactivité résiduelle due aux expérimentations étrangères de 1961.

Pour l'eau, les valeurs atteintes ne dépassent pas les concentrations admissibles pour le public (CMA eau de boisson 168 h public à J + 1 pour un mélange de produits de fission : 1500 kBq/m 3 ).

5.2. L'essai Améthyste

Lors de cette expérience réalisée le 30 mars 1963, il y a eu sortie d'une faible quantité de scories de roches fondues qui s'est déposée sur le carreau de la galerie. Un panache contenant des aérosols et des produits gazeux, en quantité beaucoup plus faible que dans le cas de Béryl, s'est dirigé vers l'Est Sud-Est.

Les conséquences ont été très faibles sur le plan dosimétrique :

- à Oasis 2 (10 km de la zone d'expérimentation), l'irradiation externe a atteint temporairement 0,2 mGy/h. Les dosimètres de tous les personnels basés à Oasis 2 qui ne sont pas intervenus sur le chantier de l'essai, ont tous été négatifs en mars et avril 1963. Pour ces personnels, l'équivalent de dose externe intégrée sur chacun de ces deux mois a donc été inférieur à 0,4 mSv. Parmi les personnels qui sont intervenus sur le chantier, 13 d'entre eux ont reçu un équivalent de dose engagée de 10 mSv environ.

- Les seules populations sédentaires concernées ont été celles d'Ideles. Dans cette oasis, située à 100 km du polygone d'expérimentations, où vivaient 280 personnes, l'irradiation externe à 1m du sol a atteint, pendant un temps court, 0,1 mGy/h le jour de l'essai : cela correspond à des équivalents de dose inférieurs à 1 mSv.

5.3. Les essais Rubis et Jade

Lors de l'expérience Rubis, le 20 octobre 1963, une sortie de gaz rares et d'iodes s'est produite dans l'heure suivant la réalisation de l'essai, avec formation d'un panache. Celui-ci s'est d'abord dirigé vers le nord, puis il est revenu vers le sud, en direction de Oasis 2 où les retombées, favorisées par des pluies importantes, ont conduit à un débit de dose égal à 0,1 mGy/h. 500 personnes ont été évacuées et contrôlées. La dose reçue par ces personnels a été d'environ 0,2 mSv.

La contamination a été détectée jusqu'à Tamanrasset, à 150 km au sud, mais avec des équivalents de dose engagée négligeables (environ 0,01 mSv).

Dans le cas de l'expérimentation Jade, le 30 mai 1965, il est observé une sortie de gaz rares et d'iode par la galerie. Le débit de dose était de 20 mGy/h à H+4 au niveau du carreau de la galerie. L'impact radiologique sur le personnel était faible (inférieur à 1 mSv).

Synthèse des essais souterrains non totalement confinés

6. Les expériences complémentaires

Parallèlement aux expérimentations nucléaires, des expériences complémentaires au sol sur la physique des aérosols de plutonium, mettant en jeu de faibles quantités de cet élément, sans dégagement d'énergie nucléaire (sans production de produits de fission ni d'activation), ont lieu sur les deux séries de sites du CSEM et du CEMO. Compte tenu de leur caractère très localisé, ces expériences ne pouvaient avoir et n'ont eu aucun impact sur les populations.

Au CSEM, 35 expériences de propagation de choc sur des pastilles de plutonium ont été réalisées de 1961 à 1963. Au CEMO, 5 expériences sur la physique des aérosols de plutonium ont été réalisées entre 1964 et 1966.

Au cours d'une expérience sur pastille, le 19 avril 1962 au CSEM, une détonation prématurée de l'explosif chimique a eu lieu en fin de préparation de l'expérimentation. Les opérations étaient effectuées par une équipe militaire.

Dix personnes qui se trouvaient dans un rayon de 50 m ont été affectées par l'explosion; on nota un blessé grave présentant des plaies multiples par éclats, des brûlures superficielles et un traumatisme oculaire par blast 9 entraînant des séquelles fonctionnelles, sept blessés légers présentant des criblages, notamment de la face, des brûlures superficielles ou des ecchymoses.

7. Bilan global

Les doses maximales sont à examiner au regard des limites réglementaires (en particulier la limite fixée à 50 mSv par an pour l'exposition de l'organisme entier des personnels de la 1 ere catégorie). Chaque personne ayant pu participer à plusieurs expérimentations, il est important de s'intéresser non seulement au maximum individuel enregistré pour chaque essai, mais aussi à la répartition du personnel par gamme de doses reçues pendant l'ensemble des expérimentations.

L'étude montre que les essais aériens et Béryl sont les événements ayant provoqué les doses les plus importantes : toutes les doses supérieures à 50 mSv sont enregistrées pour les 4 expérimentations aériennes et l'essai souterrain Béryl.

Doses individuelles maximales par tir

#172; Répartition des effectifs par intervalles de doses

La répartition des personnels par intervalles de dose, pour l'ensemble des expérimentations réalisées au Sahara peut être résumé dans le graphique ci-dessous :

Ce graphique est établi sur la base des doses cumulées par les personnels durant la totalité de leur séjour. Les doses ont été imputées à Béryl quant la part due à cet essai est prépondérante.

Sur 24 000 personnes, près de 18 000 ont reçu une dose nulle et environ 6 500 une dose comprise entre 0 et 5 mSv. 581 personnes (2,5 %) ont reçu une dose cumulée supérieure à 5 mSv. La quasi-totalité des doses supérieures à 50 mSv sont imputables à l'essai Béryl.

#172; Les populations locales

Concernant les populations, qui se sont toujours trouvées à l'écart des retombées proches, les doses sont restées dans la gamme des conséquences de retombées lointaines soit donc de l'ordre du centième à quelques dixièmes de mSv.

#172; Conformément aux accords d'Evian, les sites du CSEM et du CEMO ont été remis aux autorités algériennes dans le courant de l'année 1967, après qu'il ait été procédé au démontage de l'ensemble des installations techniques, au nettoyage et à l'obturation des galeries.

L'évaluation de la situation radiologique actuelle de ces lieux et des expositions potentielles qu'ils pourraient induire a été engagée par l'AIEA.

II - LES ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE : LA RECHERCHE D'UNE INCIDENCE MINIMALE

Quatre ans avant la cessation des essais nucléaires au Sahara la poursuite de ces essais dans un autre site avait été décidée et ce sont plus particulièrement les atolls de Mururoa et de Fangataufa à l'extrémité Est de l'archipel des Tuamotou en Polynésie française qui avaient été désignés à cette fin.

1. La situation géographique et climatique

Le choix du site de Mururoa (et Fangataufa) s'est imposé très aisément pour des raisons évidentes d'isolement, d'absence de population proche (moins de 2300 habitants dans un rayon de 500 km et moins de 5000 dans un rayon de 1000 km) et de régime climatique favorable qui minimisait au maximum les risques de retombées sur des régions habitées permettant également une dispersion efficace vers des zones entièrement vides. En effet, pendant l'hiver austral, la zone d'essais se trouve dans une région de vents soufflant en altitude de l'Ouest vers l'Est donc en direction d'une zone désertique de plus de 6000 km.

Il convient de rappeler en outre que ce site du CEP (Centre d'Expérimentation du Pacifique), situé à plus de 1100 km de Tahiti, était à plus de 4750 km d'Auckland en Nouvelle Zélande, 6600 km des côtes californiennes et de Lima, 6900 km de l'Australie.

Les distances des sites d'essais étrangers par rapport à des régions substantiellement peuplées n'avaient rien à voir avec celles du CEP. Aux Etats-Unis, le site du Nevada est à 120 km de Las Vegas et 15 millions d'habitants vivent dans un rayon de 150 km du site. En URSS, Semipalatinsk est à 560 km d'Omsk et Barnaul dans l'Altaï est encore un peu plus proche : on compte 1,2 million d'habitants dans un rayon de 500 km autour du site. En Australie, Maralinga et Emu sont situées à 850 km d'Adélaïde en moyenne (1,2 million d'habitants). Enfin, en Chine la distance Lob Nor-Ouroumtchi est de 500 km, et les localités au Kansu sont à la même distance.

Cet éloignement et cet isolement ont été un facteur essentiel à la limitation des incidences des essais français dans le Pacifique mais ce bénéfice avait un coût évident à la fois en termes financier, d'organisation et de contrainte. Son évaluation, problématique d'ailleurs, n'est pas l'objet du présent rapport, mais l'importance de ce coût ne doit pas être oublié ou minimisé. La sécurité a nécessairement un prix par rapport à des solutions de facilité bien moins lourdes et bien moins onéreuses ; les cas de Mururoa et de Semipalatinsk l'illustrent chacun à leur manière.

La part limitée des essais français dans l'ensemble des essais atmosphériques mais aussi les conditions dans lesquelles ils ont été conduits, avec le respect de grandes exigences au niveau météorologique, montrent d'emblée pourquoi des retombées locales ont été extrêmement limitées lorsqu'il y en a eu et pourquoi leur contribution aux retombées globales reste faible puisque, ainsi que le précisait dès 1982 le rapport de l'UNSCEAR, le niveau de radioactivité artificiel imputable aux retombées des essais n'a fait que décroître depuis 1965.

Source : UNSCEAR 1982

Evolution dans le temps des doses collectives provenant des explosions nucléaires dans l'atmosphère.

(a) Dose collective annuelle moyenne reçue de 1958 à 1979 (en pourcentage de la dose provenant des sources naturelles)

(b) Dose collective engagée pour l'avenir par les tirs effectués entre 1945 et 1980 (en terme de journées d'exposition équivalentes aux sources naturelles

Pour l'ensemble du Pacifique, de 1946 à 1962, les Etats-Unis ont procédé à 106 essais atmosphériques et la Grande-Bretagne à 22 de 1952 à 1958 ; la totalité des essais réalisés dans cette zone représente 170 mégatonnes environ, la part française étant estimée à 10,1 mégatonnes pour 41 essais atmosphériques.

2. Les conditions de réalisation des essais atmosphériques ; les différents types de tirs

Seuls seront rappelés ici les quelques éléments factuels ou techniques nécessaires à l'appréciation des incidences sur l'environnement et la santé. L'organisation du CEP, la distribution des fonctions entre les différents acteurs au sein des Armées et du CEA ne sont évoquées que dans la mesure où elles peuvent également avoir une importance dans cette perspective.

2.1. Des tirs atmosphériques

La France avait déjà l'expérience des essais souterrains en galerie. Les premières expériences atmosphériques réalisées à Mururoa et à Fangataufa l'ont été soit à partir d'une barge flottant au milieu de l'atoll, soit, dès que la technique a été maîtrisée, sous ballons captifs, et exceptionnellement d'avions.

La nécessité se faisait jour de passer aux essais d'engins thermonucléaires, donc de passer à des puissances mégatonniques, ce qui impliquait que l'on sorte du domaine des essais souterrains.

2.2. Des tirs regroupés en « campagnes »

Pour éviter que les retombées atteignent des îles habitées, il était impératif que les essais se fassent sous un régime de temps favorable, la surveillance météorologique étant de toute façon constante, rigoureuse et exhaustive.

Aussi, la période où les tirs ont lieu s'étend-elle de mai à septembre. Ce regroupement des tirs en quelques jours pendant les cinq mois de campagne s'observe également et répond, outre les exigences météorologiques, à des besoins d'organisation. Il faut en effet considérer que chaque tir représente, surtout lors des premières campagnes, une organisation importante et lourde avec évacuation du site par une véritable flotte. Une description illustrative et résumée de cette organisation est donnée dans l'ouvrage « Les essais nucléaires français » 10 :

« Chaque tir, surtout ceux d'une certaine énergie, en raison de l'altitude du nuage, et donc de l'altitude à laquelle il faut faire des prélèvements de poussières et de gaz, représente une véritable opération aéronavale : appareillage des bâtiments bases dans la nuit précédant le tir ; surveillance des zones maritimes et aériennes proches du champ de tir ; élaboration des prévisions météorologiques et décision de procéder à l'expérimentation ; montage de l'engin expérimental et évacuation du personnel ayant procédé à ce montage ; activation de l'ensemble des moyens de mesures du champ de tir ; exécution du tir ; déclenchement de l'opération prélèvements, soit par pénétration du nuage par des avions spécialement équipés, soit par lancement de fusées de prélèvement de poussières de gaz, retombant en mer et qu'il faut ensuite localiser et récupérer par chalutage en hélicoptère avant transfert par avion vers les laboratoires de Hao ; récupération des enregistrements sur le champ de tir ; retour de la « Flotte » à Mururoa en vue de l'expérimentation suivante.

Ces opérations minutieusement préparées par l'état-major du GOEN (Groupement Opérationnel des Expérimentations Nucléaires) se déroulent, dès les premiers tirs, « comme à l'exercice ». Elles exigent, pour les campagnes importantes que sont les campagnes 1966 et 1968 (avec prélèvements par fusée), la mise en _uvre d'une force aéronavale imposante, la Force Alpha, qui comprend un porte-avions, des escorteurs d'escadre, des avisos escorteurs, des avions anti-sous-marins et un soutien logistique important. »

2.3. En premier lieu, les tirs sur barge

En un an, du 2 juillet 1966 (premier tir du CEP) au 2 juillet 1967 ont eu lieu quatre tirs sur barge. La barge est positionnée avec précision devant le blockhaus du poste d'enregistrement avancé (PEA). Cette barge qui comprend une grande partie de l'instrumentation (enregistrement et contrôle) était naturellement détruite à chaque essai. Ce type de tir entraînait une contamination locale substantielle qui gênait ensuite la reprise des activités sur l'atoll. Ce sont de beaucoup ces tirs sur barge qui ont entraîné la plus importante contamination . Le directeur des services de protection radiologique du CEA reconnaissait d'ailleurs : « si nous n'avions pas effectué de tirs sous barge, nous aurions aujourd'hui des lagons impeccables » 11 .

2.4. En second lieu, les tirs sous ballon

Une première expérience sous ballon captif eut lieu le 11 septembre 1966 mais ce n'est qu'au milieu de 1968 que l'on put mettre un terme aux tirs sur barge dont le caractère contaminant au plan local était notoire à plusieurs titres. En effet, lorsque le tir est effectué sur barge donc au niveau de la mer, la boule de feu créée par l'explosion peut atteindre plusieurs centaines de mètres de rayon pour les engins les plus puissants et se heurte aux matériaux et à l'eau du lagon qui sont alors vaporisés et mélangés aux gaz chauds.

Ce délai s'explique par le fait que cette technique était difficile à maîtriser : « il faut que la charge utile du ballon soit suffisante pour que la nacelle puisse emporter l'engin à expérimenter et l'instrumentation des mesures proches. Il faut aussi que, malgré des vents souvent très forts, la stabilité de la nacelle soit parfaite de manière à ce que les différents appareillages de mesures installés au sol restent bien pointés sur elle au moment du tir. On est donc amené à mettre en _uvre les techniques des aérostiers un peu oubliées et à faire de nombreux essais en métropole » 12 .

On doit penser en outre que l'altitude au ballon pouvait varier de 200 à 800 mètres.

La technique étant maîtrisée, les résultats ont largement atteint les objectifs : l'explosion s'est faite à une hauteur suffisante, supérieure au rayon de la boule de feu, sans interaction donc avec le sol ou l'eau, limitant ainsi très fortement les retombées radioactives. Ce progrès décisif a été remarqué, ainsi dans l'ouvrage SCOPE/59 « Nuclear Test Explosions » de Sir Frederick Warner, René J.C. Kirchmann (page 60) : « L'énergie de fission cumulée des essais français peut être estimée à 6500 kt, un peu moins que 3 % du total mondial. Cela représente, si l'on suppose que tous les produits de fission sont reportés d'une manière égale au niveau planétaire, une irradiation équivalente à onze jours de radioactivité naturelle. Les faibles valeurs troposphériques (en relation avec les valeurs stratosphériques) sont le résultat positif de la technique de tir appelée « sous ballon » .

Lorsque la contamination locale est pratiquement nulle, on peut engager les opérations de rééquipement de la zone de tir immédiatement après l'essai précédent et surtout le besoin d'une évacuation à bord d'une flotte, avec poste de commandement sur un bâtiment de la Marine, disparaît.

Après les essais confirmés de 1967 et de juillet -début août 1968, la première bombe thermonucléaire (tir « Canopus » eut lieu dans ces conditions, à Fangataufa, le 26 août 1968 (2,6 Mt) à une altitude d'un peu plus de 500 mètres ce qui, selon le Professeur Yves Rocard « pour une bombe thermonucléaire qui dépasse la mégatonne, était à peu près correct pour tirer des bombes aussi propres que possible » 13 .

2.5. Par ailleurs, des essais spécifiques : tirs par avion et essais de sécurité

#172; Les tirs par avion

Trois essais nucléaires ont été réalisés en 1966, 1973 et 1974 par tir à partir d'avions dans des zones éloignées de Mururoa, respectivement à 85, 26 et 17 kilomètres. Ce type d'essai, bien davantage pratiqué par les Américains et les Soviétiques, et dans une moindre mesure par les Britanniques et les Chinois, a l'avantage de reproduire exactement les conditions réelles d'utilisation des armes nucléaires mais ne permet peut-être pas une observation et une mesure aussi détaillées de l'explosion de l'engin lui-même.

#172; Les essais de sécurité

A côté des essais de tir de l'engin nucléaire, la France a pratiqué, comme les autres puissances ayant développé un armement nucléaire opérationnel, des essais destinés à s'assurer que l'engin proprement dit ne s'amorce pas de lui-même pendant le transport ou le stockage et que, dans tous les cas d'accidents possibles, il ne puisse y avoir de dégagement d'énergie nucléaire, même si cet accident entraîne l'amorçage de l'explosif classique de la charge nucléaire. On peut admettre tout au plus une certaine dispersion de matières fissiles.

L'objectif technologique ultime est la sûreté intrinsèque de l'engin lui-même, au-delà des dispositifs de séparation physique de l'explosif classique et de la partie nucléaire. La charge est dite alors « autosûre ».

L'atteinte de cet objectif implique donc la réalisation d'expérimentations répétées qui sont polluantes. Entre 1966 et 1974, cinq essais de sécurité ont été effectués à Mururoa. Ces essais ont été réalisés au sol en zone « Colette ». La dispersion de plutonium a été importante et la zone a dû dans un premier temps être recouverte de bitume pour immobiliser le plutonium déposé. Dans un deuxième temps, au milieu des années 80, une importante opération de décontamination a été réalisée dans ce secteur.

Sept autres essais de ce type l'ont été en souterrain après 1974 jusqu'en 1989. Les chiffres sur ce point varient quelque peu selon les sources, notamment semble-t-il , selon qu'il y ait eu ou non très léger dégagement d'énergie nucléaire. L'AIEA donne, quant à elle, le chiffre de 10 essais de sécurité souterrains dont trois avec dégagement. Le même genre d'incertitude, avec des marges plus élevées, s'observe aux Etats-Unis sans parler de l'URSS.

3. La sécurité des essais atmosphériques

Après le choix du site d'expérimentation qui s'est révélé être un des sinon le mieux adapté par rapport à tous les autres sites d'essais atmosphériques, et l'utilisation d'une technique de tir peu contaminante, l'organisation qui vise à assurer la sécurité maximale donc une incidence minimale sur l'environnement et la santé, a été fixée comme objectif aux différents acteurs, Armées et CEA. Au-delà de ce qui a déjà été évoqué, les lignes de force de cette organisation sont :

- la priorité donnée à la « sécurité  météorologique » par rapport aux exigences techniques et militaires, et

- la vigilance sanitaire par la surveillance des hommes et du milieu naturel.

Ici encore, on se contentera de rappeler les éléments essentiels de dispositifs qui ont déjà été largement présentés à différentes occasions.

3.1. La « sécurité météorologique »

L'objectif de la plus grande sécurité possible vis-à-vis des risques météorologiques a impliqué la mise en place d'un réseau étendu de stations météorologiques. En effet, la zone du Pacifique sud présentant l'avantage d'être presque vide d'îles peuplées, la densité de points d'observation était évidemment en rapport. Il a ainsi été nécessaire d'ajouter au réseau existant des stations complémentaires fixes (insulaires) mais aussi mobiles sur les bâtiments de la Marine nationale dont certains étaient chargés spécialement de cette tâche (avec l'observation des retombées) : les « piquets météo » en place pendant tout la saison d'essais.

Les moyens aériens d'analyse ont été aussi largement utilisés, de même que les satellites météorologiques.

La procédure et les critères de sécurité pour le tir répondaient à une stratégie précise ainsi caractérisée dans l'ouvrage déjà cité 14 :

« - aucune retombée directe prévisible sur une zone habitée y compris en cas de pluie, pouvant entraîner une radioexposition supérieure à celle due à la radioactivité naturelle ;

- toute retombée imprévisible sur un atoll ou une île habitée ne doit pas dépasser la limite annuelle recommandée par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) pour les populations ;

- tout dépassement de cette valeur ne peut se rencontrer que dans les zones déclarées dangereuses (qui couvrent aussi le risque d'éblouissement) ;

- aucune couche nuageuse ne doit risquer, en traversant une route aérienne commerciale, de contaminer un avion au-dessus des niveaux recommandés par la CIPR ;

- sur le site de tir, on doit respecter les mêmes normes de protection contre les rayonnements que dans le cas d'une centrale nucléaire et de son voisinage.

La maîtrise des techniques de prévision météorologique et radiobiologique était telle qu'elle autorisait la présence de tous les expérimentateurs sur la base vie du site de tirs, ce qui libérait le dispositif opérationnel de la lourdeur d'une évacuation préalable et permettait de saisir, dans les meilleures conditions de fiabilité, une situation météorologique favorable ».

Cette connaissance météorologique doit avoir son prolongement dans l'application au tir lui-même et à ses effets immédiats et à moyen terme. Les mêmes auteurs 15 précisent ainsi ce qu'ils appellent « une bonne connaissance de la source, de bons modèles de calcul du transfert des particules  et des retombées locales. Un modèle très fiable dans toute la gamme des énergies a été établi : dimensions géométriques, composition du nuage, distribution granulométrique des particules, répartition de la radioactivité.

Un bon modèle de calcul des retombées locales, essentiellement problème de balistique et de cinématique, a été mis au point. Ceci permet d'établir des cartes de retombées à partir de données météorologiques présentant des courbes isochrones donnant l'heure de l'arrivée de la retombée et des courbes isointensités donnant le niveau de la retombée.

Les services français, à partir des études théoriques et expérimentales menées en Polynésie, ont acquis une grande maîtrise pour la prévision des retombées immédiates et différées. Pour cela, ils disposaient d'un excellent modèle de calcul de transfert des particules légères à toute distance. Il était en effet nécessaire pour parer au risque d'accroissement des retombées locales par précipitation au sol par la pluie, pour assurer la sécurité des vols long courrier, pour éviter l'atteinte des territoires voisins, en particulier des pays andins».

Cette « sécurité météo » avait un coût financier bien sûr, mais avant tout sous forme d'attente et éventuellement de décalage des opérations et de toutes les activités des différents intervenants. Ainsi, 18 tirs ont été repoussés pour cause de météorologie défavorable dont :

- 8 tirs entraînant des retards de un à deux jours,

- 10 tirs entraînant des retards de 3 à 17 jours.

La somme de l'ensemble de ces retards réprésente un cumul d'environ cent jours d'attente.

L'objectif de sécurité a ainsi déterminé une organisation et un état d'esprit qui ont sans doute contribué à éviter non seulement des événements comme celui du tir Bravo à Bikini ou ceux liés à certains tirs à Semipalatinsk ou encore ceux des retombées de certains tirs du Nevada (« Simon » en 1953 et « Plumbbob » de mai à octobre 1957).

3.2. La vigilance environnementale et sanitaire

La même orientation et une méthode analogue ont prévalu pour la vigilance environnementale et sanitaire. Il faut dire aussi que la pression hostile aux essais français de pays de la zone géographique, au sens étendu du terme (Nouvelle Zélande, Australie, Pérou) était telle que les instructions des autorités civiles et militaires ont, dès le départ, exigé un souci de sécurité que l'on pourrait qualifier d'exhaustif.

Dès 1962, le CEA, à travers son Département de protection, avait installé à Faaa (Tahiti) une station de prélèvements de produits alimentaires pour surveiller les niveaux de radioactivité artificielle qui pouvaient avoir leur origine dans les essais nucléaires étrangers. L'évolution des dépôts de strontium 90 dans l'hémisphère Sud illustre d'ailleurs ce phénomène : le maximum a été atteint en 1964 avec 1,55 10 16 Bq, le niveau est redescendu à 0,4 en 1968, puis remonté à 0,55 en 1971 et s'est stabilisé à moins de 0,15 à partir de 1974.

- Après la décision de créer le centre d'expérimentations du Pacifique, deux services mixtes (Armées-CEA) avaient été institués :

- le service mixte de sécurité radiologique pour assurer la radioprotection du personnel et la surveillance de l'environnement physique (eau, air, sol) par un réseau de mesures de l'irradiation ambiante et par les mesures effectuées sur les prélèvements périodiques.

- le service mixte de contrôle biologique pour la surveillance radiobiologique de l'environnement (faune et flore).

En outre, un laboratoire « civil », créé au sein du CEA, intervenait pour effectuer les analyses et mesures sur les échantillons prélevés par le précédent : le laboratoire de surveillance radiologique, devenu ensuite (en 1979) le laboratoire d'étude de surveillance de l'environnement, il a enfin été intégré à l'IPSN en en devenant l'échelon polynésien. Ce laboratoire fonctionne toujours ; il a pour mission de surveiller le niveau de radioactivité dans l'environnement en Polynésie.

Cette organisation, quelque peu complexe, a néanmoins permis de suivre précisément l'évaluation des situations pendant la totalité des essais atmosphériques puis souterrains. L'UNSCEAR a ainsi pu disposer de séries de données standardisées et suivies sur de très longues périodes de même que tous les organismes étrangers, notamment scientifiques avec lesquels des contacts ont eu lieu et ce, sur plus de trente ans.

- La vigilance sanitaire au niveau des personnels a été assurée dans les conditions qui imposaient la législation générale et les réglementations spécifiques propres par exemple aux établissements du CEA, pour ce qui concerne notamment la protection contre les radiations ionisantes. Dans les deux atolls le niveau de surveillance a été le même que celui prévu pour les autres installations nucléaires françaises.

En outre, la législation propre à la Polynésie a naturellement été appliquée. Ce suivi médical concernait tous les travailleurs civils, c'est-à-dire non seulement les agents du CEA mais aussi les salariés des entreprises extérieures dès lors qu'ils travaillaient sur l'un des sites d'expérimentation.

Les résultats du suivi médical assuré par le CEA ont fait l'objet d'une enquête sanitaire qui a porté sur près de 6700 personnes ; cet effectif représente 3% de la population polynésienne de l'époque. Il n'en est ressorti aucun risque radiologique spécifique.

Par ailleurs, les pratiques de suivi dosimétrique individuel ont été appliquées pour l'ensemble des personnels civils et militaires (cf. infra).

1 Christian Bataille

2 Le rapport de l'accident de Kyshtym survenu dans l'Oural en 1957 et qui fut diffusé en 1974 en URSS et en 1989 à l'extérieur commentait en quelques lignes les risques : « L'expérience acquise par les pays possédant un domaine nucléaire développé dans la production et l'utilisation de l'énergie atomique montre que certaines catégories professionnelles et populations peuvent être soumises au danger d'une exposition trop forte » cité par D. Robeau, Catastrophes et accidents nucléaires dans l'ex Union Soviétique, IPSN, EDP, 2001.

3 Rapport 2000 (annexe C) de l'UNSCEAR- Comité scientifique des Nations-Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants.

4 Cet terme « d'incidences » est celui qui figure dans le texte de la saisine elle-même.

5 « Les essais nucléaires français », sous la direction d'Yves Le Baut (Bruylant éd. 1996)

6 Groupe opérationnel des expérimentations nucléaires

7 Les unités utilisées à l'époque ont été converties ici, pour l'essentiel, en unités du Système International actuel :

- pour l'exposition externe : 1 Roentgen = 1 rad _ 1 rem _ 10 mSv (milliSievert) _ 10 mGy

- pour le débit de dose : 1 Roentgen/h = 1 rad/h _ 10 mGy/h (milliGray)

- pour l'environnement : 1 pCi (picocurie) = 37 mBq (milliBecquerel)

8 Biréacteur bombardier en service dans l'armée de l'air à cette époque et utilisé notamment dans cette fonction jusqu'à la fin des essais atmosphériques en Polynésie.

9 Effet de souffle entraîné par l'onde de choc

10 Les essais nucléaires français  (op. cit. page 20)

11 « Tahiti pacifique » - Août 1995

12 « Les essais nucléaires français » (op. cit. page 20)

13 Mémoires sans concessions - Yves Rocard - p. 265

14 « Les essais nucléaires français » (op. cit. page 20)

15 « Les essais nucléaires français » (op. cit. page 20)

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page