C. UN TRANSFERT DE CHARGES VERS LES COLLECTIVITÉS LOCALES

1. Une aspiration légitime à une décentralisation accrue

Compte tenu de l'importance qu'elles prêtent aux infrastructures de télécommunications pour le développement économique, et de la relative inaction de l'Etat pour combler le fossé numérique territorial en cours de creusement, les collectivités locales ont eu tendance à intervenir de plus en plus dans un secteur qui leur était, à l'origine, plutôt étranger.

Cette intervention, qui recouvre une aspiration plus profonde à une décentralisation accrue, est, compte tenu des circonstances décrites ci-dessus, tout à fait légitime. Elle s'est d'abord heurtée à un refus du Gouvernement. Puis, dans un second temps, elle a servi de prétexte à un transfert de charges.

a) L'initial refus gouvernemental de la liberté locale

Le Sénat, représentant des collectivités locales, avait, le premier, compris et exprimé leur aspiration, dès la discussion de la loi d'aménagement du territoire de 1999.

Il s'agissait de conférer, sous certaines conditions, aux collectivités locales, la possibilité de mettre en place des infrastructures « passives » de télécommunications pour les mettre ensuite à la disposition des opérateurs. Une disposition avait été adoptée par le Sénat à l'initiative de votre rapporteur, consistant à introduire une nouvelle faculté dans le code général des collectivités locales, pour permettre à ces dernières de jouer pleinement en matière de technologies de l'information, leur rôle d'aménagement du territoire .

Le sort de cette disposition est d'ailleurs assez révélateur d'une certaine improvisation, sur le sujet, du Gouvernement et de sa majorité. l'Assemblée nationale, opposée en 1999, -pour des motifs d'ailleurs assez peu argumentés de protection de l'opérateur public- au dispositif proposé par le Sénat, a adopté un texte unanimement reconnu comme restrictif et complexe : il était volontairement conçu pour être inapplicable. Il a d'ailleurs, depuis, été révisé.

De quoi s'agit-il ?

Depuis plusieurs années, de nombreuses collectivités territoriales se sont trouvées confrontées à une absence d'offres leur permettant -ou permettant aux entreprises déjà présentes ou désireuses de s'implanter- soit de réduire le prix des communications, soit de répondre, dans des conditions raisonnables, aux besoins d'accès à des services de télécommunications à haut débit .

Aussi ont-elles pris des initiatives en matière d'équipement de leur territoire en infrastructures de télécommunications « passives », c'est-à-dire ne comportant pas les équipements électroniques d'activation de ces réseaux, - infrastructures dites de « fibres noires » - installées par elles mais destinées à être exploitées par des opérateurs de télécommunications. Le principe de telles initiatives, reconnu légitime dès 1999 par la Commission européenne, le Conseil de la Concurrence et l'Autorité de régulation des télécommunications, avait d'ailleurs été avalisé par une conférence de presse du Premier ministre dès le 19 janvier 1999.

Afin de sécuriser juridiquement ces initiatives , qui n'étaient pas explicitement prévues par le code des collectivités locales, et qui se heurtaient à une jurisprudence administrative hostile, le Sénat avait donc, lors des débats sur le projet de loi d'aménagement du territoire en 1999, proposé un dispositif législatif consacrant et encadrant cette intervention . Il était, en particulier, bien précisé que les collectivités ne pourraient pas remplir elles-mêmes les fonctions d'opérateur.

Les propositions, pourtant équilibrées, du Sénat se sont malheureusement heurtées, malgré le dépôt, par le Gouvernement, d'un amendement voisin, à l'hostilité de certains députés. L'Assemblée nationale a finalement adopté un texte si restrictif que la nouvelle liberté offerte aux collectivités locales a été considérée comme un faux semblant.

Les débats qui ont précédé et suivi l'adoption de ce texte à l'Assemblée nationale ont bien montré qu'il reflétait d'ailleurs une réticence de principe, qui ne trouve pas nécessairement son origine dans le souci de l'aménagement du territoire, de la concurrence et de l'ouverture du marché. Paradoxalement la procédure définie par la loi pour mettre en oeuvre la liberté théoriquement affirmée est apparue comme une restriction du champ des interventions des collectivités locales.

L'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales tel qu'adopté en 1996 prévoyait en effet : « la mise en oeuvre d'une procédure » (non définie) « de publicité permettant de constater la carence et d'évaluer les besoins des opérateurs » . Il limitait, en outre, à une période de huit ans la durée d'amortissement des investissements prise en compte pour évaluer le prix de la location (contre un temps d'amortissement en général deux fois plus long dans le secteur privé).

Le Sénat n'avait pas manqué de critiquer l'imprécision et le caractère restrictif de ce texte.

b) Le changement de pied : le choix du transfert de charges

D'ailleurs, peu de temps après son adoption, tout en présentant cette proposition comme une avancée majeure vers la société de l'information -alors qu'il s'agissait d'un simple retour à la case départ : celle des propositions du Sénat-, le Comité interministériel sur la société de l'information du 10 juillet 2000 avait proposé de réécrire l'article L. 1511-6 en supprimant, notamment, l'obligation d'amortissement sur une durée maximale de huit ans. Cette proposition figurait d'ailleurs parmi les propositions les plus innovantes du projet de schéma de services collectifs précité, au rang des principaux objectifs de l'Etat pour les dix ans à venir.

Dans le même temps, cette mesure a subrepticement été rapatriée par le Gouvernement dans un texte « fourre-tout », par amendement, lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, texte où on retrouvait pêle-mêle le covoiturage, la convention UNEDIC, le fonds de réserve des retraites, le code de la mutualité, les régimes des droits d'auteur, ainsi que diverses dispositions portant sur l'enseignement supérieur, la jeunesse et les sports. Autant dire qu'un tel « véhicule législatif » se prêtait mal à une vision d'ensemble, non plus qu'à une réflexion globale sur les télécommunications.

C'est pourtant ce projet de loi que le Gouvernement a choisi pour y insérer, par amendement, la disposition concernée, lors de la discussion de ce texte à l'Assemblée nationale le 9 mai 2001. Non sans oublier de retirer cette proposition au rang des grands objectifs de l'Etat à moyen terme dans le projet de schéma de services collectifs, pourtant transmis au Parlement pour avis le 23 mai 2001, c'est-à-dire presque quinze jours après l'adoption dudit amendement. Certains ont pu se demander si la DATAR arrivait à suivre le tempo désordonné de l'action gouvernementale 126 ( * ) ...

Toujours est-il que, près de trois ans après le vote initial du Sénat, le texte de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales est désormais assoupli.

Il a même été significativement élargi par rapport à la première version proposée par votre rapporteur. Ainsi les collectivités peuvent-elles, depuis juillet 2001, construire des infrastructures passives de télécommunications pour les mettre à la disposition des opérateurs qui en feront la demande. Les collectivités ne sont plus obligées de faire constater la carence de l'offre privée : elles réalisent une simple consultation publique pour connaître les besoins des opérateurs et utilisateurs. Elles ne sont plus obligées d'amortir leurs investissements en 8 ans.

En outre, le texte ne fait plus référence au seul « haut débit » de manière exclusive, ce qui ouvre une porte pour leur intervention sur d'autres infrastructures, notamment pour la téléphonie mobile. Enfin, le dispositif prévoit la possibilité, dans certaines zones, de tenir compte de subventions publiques , destinées à faire baisser le coût de la mise à disposition des infrastructures créées : ce point reste suspendu, pour son application, d'un décret, actuellement en préparation.

Une consultation est actuellement en cours sur un projet de circulaire d'application, mais ce dernier ne semble guère satisfaire les collectivités, non plus que les opérateurs. Quant au décret, bizarrement prévu pour être publié après la circulaire, il serait en cours de discussion aux niveaux gouvernemental et communautaire.

Cet assouplissement est révélateur. En effet, un temps réticent, en tant qu'actionnaire de France Télécom, à l'intervention des collectivités locales dans ce qui constituait la chasse gardée de l'opérateur, le Gouvernement y a soudain vu une aubaine budgétaire : celle du transfert aux collectivités locales de la charge financière croissante de l'aménagement numérique du territoire qui devrait, en toute logique, lui incomber.

2. Un phénomène en voie de soudaine accélération

a) Le CIADT du 9 juillet 2001

Le CIADT du 9 juillet dernier a donné un coup d'accélérateur à ce transfert vers les collectivités locales.

Tout se passe comme si l'Etat saisissait l'aspiration légitime des collectivités locales à davantage de décentralisation pour leur transférer la responsabilité -y compris financière- de l'équipement du territoire en réseaux à haut débit.

Lors du CIADT, le Gouvernement a en effet, « fixé comme objectif l'accès de tous au haut débit à des conditions abordables d'ici 2005 ». Pourtant, il a chargé les collectivités locales de réaliser cet objectif, avec, c'est bien le moins, un soutien de l'Etat aux projets territoriaux, via la Caisse des dépôts et consignations (CDC), chargée de mettre « ses capacités d'expertise et d'appui au service des collectivités locales pour accompagner et créer un effet de levier dans le déploiement de projets d'infrastructures, de contenus et d'usages que celles-ci engagent ».

Ce soutien se traduit par un accompagnement en investissement sur les fonds propres de la CDC, à hauteur de 1,5 milliard de francs (228,6 millions d'euros) sur 5 ans . Cet engagement vise à favoriser la cohérence des projets programmés, en particulier entre échelons et acteurs territoriaux différents, « en lien avec les conditions de développement du marché, l'activité des opérateurs et l'évolution des technologies ».

Le Gouvernement a décidé également d'autoriser la mobilisation des fonds d'épargne gérées par la CDC provenant de la collecte du livret d'épargne populaire afin d'accompagner la réalisation de cet objectif d'accès de tous aux hauts débits, en particulier dans les zones les moins développées économiquement ou les moins peuplées. Ainsi, des prêts à taux préférentiels sur 30 ans pourront être accordés aux collectivités locales, en cofinancement avec les établissements de crédit, à l'intérieur d'une enveloppe de 10 milliards de francs (1,52 million d'euros).

Plus précisément, la Caisse des dépôts intervient :

- comme investisseur public sur ses fonds propres (228 milliards d'euros sur 5 ans). S'agissant des crédits d'investissement, la CDC est un partenaire en mesure d'apporter du capital à la structure de portage du projet d'infrastructures, de façon à constituer un « pool d'investisseurs », où la CDC ne se positionne toutefois qu'à hauteur de 10 à 30 %.

- comme prêteur, en cofinancement , sur la base de prêts à 30 ans au taux de 4,95 %, prêts accordés dans le cadre des nouveaux emplois des fonds d'épargne adossés au Livret d'Epargne populaire (1.524 millions d'euros de 2002 à 2006 soit 305 millions d'euros par an) ;

- et comme partenaire aux côtés des collectivités en matière d'ingénierie , en étant cofinanceur des études lancées par la collectivité (sur une base de 30 %) et dont la collectivité assure la maîtrise d'oeuvre.

Outre la mobilisation de ces moyens financiers, le CIADT a décidé d'ouvrir la possibilité, confirmée le 6 février 2002, d'un recours aux infrastructures du Réseau de transport et d'électricité (RTE), pour le déploiement de réseaux de télécommunications en fibres optiques.

Au total, les collectivités locales, si elles sont désormais dotées de l'appui de l'Etat, restent bien le fer de lance de la politique française d'aménagement numérique du territoire. L'Etat, quant à lui, est arrivé aux résultats que l'on sait (cf. chapitre I) en matière de dégroupage, pénalisant de ce fait le déploiement territorial des accès à haut débit.

Cette situation n'est pas forcément illégitime, mais elle résulte plus d'un glissement -consenti, car les collectivités locales assurent parfaitement ce rôle, mais inavoué- que d'un véritable choix national, débattu et exprimé.

En outre, les collectivités locales n'ont évidemment pas bénéficié des transferts de ressources correspondantes, comme cela aurait du être le cas si l'accroissement de leurs compétences avait été débattu dans le cadre d'un choix national autour d'une nouvelle étape de la décentralisation.

b) Une mise en oeuvre brouillonne

Faute d'être l'acteur de l'équipement numérique du territoire, l'Etat aurait pu, à deux niveaux au moins, apporter un support d'expertise technique qui fait toujours cruellement défaut :

- ses services déconcentrés , malgré la décision de création d'un poste de chargé de mission « nouvelles technologies » auprès des SGAR 127 ( * ) , restent des interlocuteurs inégaux pour les collectivités locales ;

- il n'existe toujours pas de recensement exhaustif de l'état des réseaux déployés sur le territoire national, bien que l'ensemble des acteurs locaux -et unanimement les associations d'élus- l'ait réclamé notamment lors des consultations relatives à l'élaboration du projet de schéma de services collectifs, et que cette commande ait expressément été passée à la DATAR par le CIADT du 9 juillet. Votre rapporteur persiste à penser qu'un tel recensement aurait dû être un préalable au CIADT, et non une de ses « décisions ».

De ce fait, les collectivités interviennent dans un environnement particulièrement incertain, « troublé », de plus, par la multiplication des technologies et l'incertitude sur le développement de certains usages.

Ajoutons à cela que le souci de certains opérateurs, dans une passe difficile, de se voir aider financièrement par les pouvoirs publics dans le déploiement de leurs réseaux, sur certaines aires géographiques, est tout à fait réel et croissant. C'est pourquoi la mise en oeuvre de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, en l'absence du décret d'application prévu à cet article sur le régime des aides publiques octroyées dans certaines zones, déséquilibre la mise en oeuvre du dispositif. La question de la portée de l'aide publique peut en effet changer significativement suivant l'appréciation des divers acteurs, en l'absence d'harmonisation par décret.

Dans son récent avis 128 ( * ) sur le sujet, l'ART s'inquiète ainsi : « Nombreux sont les acteurs du secteur des télécommunications ou les collectivités qui se méprennent sur l'objet de cet article, en confondant facilitation de la tâche des opérateurs et aides publiques aux opérateurs ».

L'Autorité souligne le risque financier qui en découle pour les collectivités locales.

Selon elle, « l'article L. 1511-6 dispose en effet que les infrastructures sont mises à disposition contre une rémunération « assurant la couverture des coûts » supportés par la collectivité. Il n'est pas question que les collectivités financent le réseau des opérateurs mais plus naturellement qu'elles facilitent , dans la mesure de leurs moyens et de leurs compétences, l'établissement de tels réseaux par des aménagements de génie civil (tranchées, fourreaux, aménagements de points hauts ou de locaux...) ensuite commercialisés aux opérateurs.

« Dès lors, il apparaît que l'objet de l'article est de permettre aux collectivités d'agir successivement en tant que :

« - initiateur , en faisant prendre conscience aux acteurs économiques des besoins et des potentialités en matière de télécommunications ;

« - faciliteur , en donnant les moyens aux opérateurs d'établir leur réseau sur des infrastructures correctement aménagées ;

« - accompagnateur , en procurant aux opérateurs de bonnes conditions d'exercice de leur activité, par les modalités de mises à disposition des infrastructures.

Sur ce point, l'ART conclut : « Ainsi, le rôle des collectivités, s'il peut être assimilé à celui de pré-financeur -ce sont les collectivités qui supportent l'effort initial- n'est pas, en l'état actuel des textes, celui d'un financeur des opérateurs , à plus forte raison en l'absence du décret d'application permettant d'envisager des rabais sur les tarifs de commercialisation » .

Le risque d'une utilisation extensive des dispositions de l'article L. 1511-6, aux seules fins de mettre en oeuvre des mécanismes de financement d'opérateurs, alors que ce n'est pas l'objet de cet article, et qu'il existe, par ailleurs, des dispositions spécifiques traitant des aides publiques, n'est donc pas à exclure.

Dans les conditions actuelles de flou juridique autour de la notion « d'aides publiques », la décision, pour une collectivité, de mettre en place des infrastructures dans le cadre de l'article L. 1511-6 constitue, à l'évidence, une certaine prise de risque . Pour éviter que la collectivité ne porte finalement à elle seule des investissements substantiels, sans cependant avoir de retombées en termes de développement d'offres de services de télécommunications, cette dernière doit s'assurer que les infrastructures mises en place trouveront preneur, si possible auprès de plusieurs opérateurs afin que les coûts soient mutualisés et donc attractifs. Il importe de vérifier que les opérateurs utilisant les infrastructures mises en place dégagent un minimum de rentabilité sur place, afin de pouvoir honorer leurs engagements financiers (paiement des infrastructures), ce qui suppose l'existence d'un réel marché.

Votre rapporteur, initiateur de l'introduction en droit français de cet article L. 1511-6, partage lui aussi désormais les craintes exprimées par l'ART quant à l'exposition financière qui pourrait résulter d'une application trop extensive de cet article. Là encore, la responsabilité de l'Etat, qui a assoupli au maximum les conditions d'intervention des collectivités locales, mais n'a pas veillé, dans le même temps, au cadrage juridique et financier de cette disposition (via le décret prévu par le législateur) est évidente.

D'ailleurs, dans son avis sur le projet de circulaire d'application, l'AMF 129 ( * ) souhaite que ce dernier ne soit pas publié en l'état, et qu'une priorité soit donnée à la publication du décret d'application sur le régime des aides publiques dans certaines zones, « indispensable pour bâtir l'équation économique des projets en cours » et pour « assurer au préalable la stabilité juridique et financière du cadre d'intervention des collectivités territoriales ».

De son côté, l'ADF 130 ( * ) conteste également la méthodologie du Gouvernement et estime que le projet de circulaire, soi disant « d'application », contient en fait des dispositions à caractère normatif qu'il aurait été préférable de fixer par décret, voire, dans certains cas, contredit les dispositions de la loi. Cette association demande elle aussi le retrait du projet de circulaire dans sa forme actuelle.

L'AFORM 131 ( * ) fait une analyse voisine et estime que certaines dispositions, au contenu « étonnant » s'éloignent de l'objectif du législateur et font courir des « risques juridiques, technologiques et financiers » aux collectivités locales. Bien plus, l'AFORM estime que, faute du décret sur les aides publiques, la procédure de l'article L. 1511-6 ne sera pas applicable aux territoires les moins favorisés alors qu'elle « ne perturbe en rien les projets des grandes agglomérations : encore une fois, l'objectif d'une couverture large du territoire n'est pas atteint par le projet de circulaire ».

Outre le flou juridique dans lequel elles placent les collectivités locales, les dispositions du projet de circulaire son considérées par nombre d'acteurs concernés comme ne respectant pas le principe de neutralité technologique en favorisant une technologie -celle de la fibre optique- au détriment des autres.

Enfin, de l'action bouillonne de l'Etat en la matière découle un inévitable flou institutionnel sur le niveau territorial de mise en oeuvre de cette disposition. Aucun chef de file ni aucune procédure de coordination n'a réellement été définie. En l'état actuel de la procédure, il semblerait que ce soit la CDC qui serait, de facto, le cas échéant, chargée d'arbitrer et de coordonner les projets des acteurs locaux, au besoin en proposant des rapprochements entre projets. Cette solution, sans doute efficace, est-elle pour autant légitime au regard du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et du principe législatif de clarté des blocs de compétence, défini pour assurer l'efficacité de l'action publique ?

3. Des financements importants

Il n'existe pas de recensement officiel et exhaustif des engagements financiers des collectivités locales dans le secteur des télécommunications.

Deux indicateurs, même incomplets, donnent toutefois une assez bonne idée de leurs montants :

- l'analyse des dossiers transmis à la Caisse des dépôts dans le cadre du dispositif mis en place au dernier Comité interministériel d'aménagement du territoire ;

- les volets « technologies de l'information et de la communication » des contrats de plan Etat-régions.

Il en ressort que les collectivités locales devraient débourser 11 milliards de francs (1,7 milliard d'euros) environ suite aux décisions du CIADT, et qu'une analyse partielle 132 ( * ) de la dernière génération des contrats de plan fait ressortir à 3,4 milliards de francs (518 millions d'euros) les engagements sur le volet « TIC ». Au total, l'IDATE estime que l'intervention des collectivités locales pourra représenter, tant en termes de débits que de chiffres d'affaires potentiels, jusqu'à 30 ou 40 % du marché total du haut débit.

a) Analyse des dossiers transmis à la Caisse des dépôts

Comme cela a déjà été évoqué, la CDC a prévu de mobiliser 1,5 milliards de francs (228 millions d'euros) sur cinq ans pour le financement de projets portés par les collectivités locales. Or, la Caisse doit assurer un financement à hauteur de 10 % à 30 % des projets retenus, son apport étant envisagé comme un facteur de levier pour les investisseurs publics.

Cela signifie concrètement que 1,5 milliard de francs devrait générer un investissement total de l'ordre de 10 à 15 milliards de francs (1,5 à 2,28 milliards d'euros), principalement à la charge des collectivités locales porteuses des projets, au travers de diverses structures de capitalisation (sociétés d'économie mixte par exemple).

Actuellement, la CDC a reçu environ 200 projets 133 ( * ) des collectivités locales, en cours d'instruction :

- 100 projets d'infrastructure de réseaux de télécommunications ;

- 100 projets de services aux citoyens et aux entreprises. Ces projets concernent notamment les déclarations administratives, les sites d'informations, les téléprocédures. En outre, la CDC mobilise 400 millions de francs (61 millions d'euros) pour l'aide à la création de cyberbases et Espaces publics numériques sur le territoire.

Les 100 projets d'infrastructures sont proposés par :

- 12 Régions ;

- 28 Départements ;

- 60 agglomérations et communautés de communes.

Ils représentent un coût total estimé à 11 milliards de francs (1,7 milliard d'euros) dont la part CDC serait de 1 milliard de francs (152 millions d'euros) environ si l'ensemble de ces projets devaient être retenus. Le coût total de construction d'une boucle numérique sur un territoire s'échelonne entre 60 et 300 millions de francs (9 et 46 millions d'euros) selon les projets.

Les collectivités locales seront donc les principales apporteuses de financement, l'Etat, via son établissement public la CDC n'apportant en propre qu'entre un et deux milliards d'euros. Il faut comparer ces sommes aux quelques centaines de millions d'euros consacrés aux télécommunications dans le projet de loi de finances pour 2002 dans le budget du secrétariat d'Etat à l'industrie 134 ( * ) ...

Comme en de précédentes occasions, pour l'équipement informatique des établissements d'enseignement, par exemple, l'Etat annonce des milliards... et débourse des millions, le reste de l'ardoise étant pris en charge par les collectivités locales.

b) Les volets « technologies de l'information » des contrats de plan Etat-régions

A la demande de votre commission, l'IDATE a analysé les engagements « nouvelles technologies » des contrats de plan Etat-régions 2000-2006 (CPER). Sur les 23 régions étudiées, 18 sont engagées, au total, pour un montant de 3,4 milliards de francs (518 millions d'euros), soit 1,3 % du montant global financier des CPER.

Les ratios de dépenses du chapitre TIC par habitant font apparaître des écarts significatifs entre les régions : de 12,71 F/hab. en Alsace à 606,81 F/hab. en Martinique. La valeur médiane se situe à 66,98 F/hab . Mais d'une manière générale, il est très difficile d'analyser comparativement les engagements des régions, car les CPER montrent une très grande disparité d'approche des nouvelles technologies, ces dernières apparaissant soit dans un chapitre « TIC », soit dans les actions transversales. En outre, certaines actions ne sont pas explicitement précisées en termes financiers et l'hétérogénéité des politiques explique une certaine difficulté à traiter de ces questions. La carte suivante est donc à interpréter avec précaution.

Si l'on ventile par domaine d'activité le volet « TIC » des contrats de plan, le « développement global des TIC » est le premier poste avec 19 % du montant total des actions inscrites, ce qui illustre une certaine difficulté à analyser précisément la ventilation budgétaire des domaines d'intervention.

Avec 19 % des sommes engagées, la mise en place de réseaux à haut débit traduit une augmentation des initiatives des collectivités locales dont la sensibilité est exacerbée sur ce dossier des infrastructures depuis plusieurs mois. La Bretagne et les Pays de Loire, par exemple, ont mis en place un réseau « Mégalis » et ont mobilisé respectivement 300 millions de francs et 250 millions de francs hors contrats de plan (ces sommes ne sont donc pas prises en compte dans la carte ci-dessus).

18 régions et 35 départements ont actuellement lancé des études de faisabilité technico-économique et juridique sur la mise en place de réseaux à haut débit. D'ores et déjà des appels d'offre de consultation publique ont été lancés vers les opérateurs, ainsi que la loi l'exige.

La nature de l'intervention dans les réseaux à haut débit diffère selon que les projets sont portés par les régions ou les départements : d'après l'IDATE, on observe actuellement que la mise en oeuvre des réseaux régionaux à haut débit se traduit majoritairement par de l'achat de services -Mégalis en Bretagne et Pays de Loire , Amplivia en Rhône-Alpes , BELIN-2 en Franche Comté , SYRHANO-2 en Haute-Normandie . Le projet de boucle régionale haut débit de la région Limousin privilégiant le déploiement d'infrastructures passives, apparaît comme atypique des projets régionaux.

Les départements ont une intervention davantage orientée sur la mise en place d'infrastructures passives . Le Tarn et le Rhône ont d'ores et déjà déployé des infrastructures de fibres noires, et plusieurs autres départements ont conduit des études validant de tels scénarios ( Cher, Allier, Calvados, Moselle , etc).

D'après le rapport précité du Conseil économique et social, le montant des investissements liés à l'établissement d'une infrastructure dorsale départementale dans le département de l'Allier est de 400 millions de francs (60 millions d'euros), celui du réseau de fibre noire du Tarn de 100 millions de francs (15 millions d'euros), tandis que la boucle régionale à haut débit de la région Limousin s'élèverait à 200 millions de francs (30 millions d'euros) d'investissement. D'autres sources chiffrent à 170 millions de francs (26 millions d'euros) l'investissement du département de la Corrèze pour les infrastructures à haut débit, à étaler sur les trois années à venir (avec une participation de 91 millions de francs du Conseil Général). En Moselle , le budget s'élèverait à environ 400 millions de francs (60 millions d'euros).

Prenant l'exemple du Tarn, ce rapport du Conseil économique et social estime que le coût occasionné 135 ( * ) (15 millions d'euros soit 100 millions de francs) est supportable pour un budget de 210 millions d'euros (1,4 milliards de francs) mais néanmoins conséquent puisque équivalent au montant consacré annuellement par le Conseil général aux routes.

L'éducation est le troisième poste de dépense des volets « TIC » des CPER, avec 16 % des crédits qui lui sont consacrés. La région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, consacre 36 % de son budget TIC à l'éducation (266 millions de francs).

L'intervention des collectivités locales prend plusieurs formes :

- l'équipement multimédia (micro-ordinateurs ou salles multimédia) des établissements scolaires ;

- le raccordement à Internet des établissements scolaires, y compris des expérimentations du raccordement satellitaire ou par courant porteur ;

- la mise en place de réseau éducatif (EDUNET dans le Nord-Pas de Calais, REDA en Alsace, RAP en Aquitaine, GFU éducatif SYNAPSE dans le Tarn, etc). Dans ce cadre, les réseaux éducatifs participent de la mise en oeuvre des réseaux régionaux ou départementaux à haut débit,

- l'expérimentation du cartable électronique.

* 126 Voir le rapport précité de M. Claude Belot sur les schémas de services.

* 127 Secrétariats généraux à l'action régionale.

* 128 5 mars 2002.

* 129 Association des maires de France, mars 2002.

* 130 Assemblée des départements de France. Avis de mars 2002.

* 131 Association française des opérateurs de réseaux multiservices (câblo-opérateurs).

* 132 18 régions.

* 133 Source : IDATE.

* 134 Précisément 147 millions d'euros en 2002.

* 135 Duquel il faudrait logiquement déduire le retour financier lié à la location d'une partie des fibres à des opérateurs.

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