ANNEXE N° VII -

AUDITION DE M. CHRISTIAN PIERRET,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'INDUSTRIE
LE 7 FEVRIER 2002

M. Gérard Larcher, président , a souligné combien les membres de la commission avaient été intéressés par de récentes déclarations de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur l'éventuelle évolution de la part de l'État au capital de France Télécom. Il a jugé essentielle la question de la couverture du territoire en téléphonie mobile et a rappelé les récentes décisions du comité interministériel d'aménagement du territoire (CIADT) du 9 juillet dernier à Limoges, modifiées par des annonces en novembre, pour parfaire cette couverture mobile. Il a, enfin, vivement remercié le ministre et ses services d'avoir pris le soin de répondre très sérieusement aux 65 questions adressées par la commission et le groupe d'étude « Poste et télécommunications » sur le statut de France Télécom et l'évolution de la réglementation du secteur.

M. Christian Pierret, secrétaire d'État à l'industrie , a, tout d'abord, fait part du plaisir avec lequel il a répondu favorablement à l'invitation de la commission pour venir débattre du secteur des télécommunications.

Dans son exposé liminaire, il a souhaité aborder deux sujets : l'entreprise France Télécom et l'évolution de la réglementation des télécommunications.

Sur le premier point, M. Christian Pierret a estimé que France Télécom avait bien résisté à l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications. Il a fait valoir que l'opérateur avait, certes, perdu des parts de marché importantes sur le trafic téléphonique (40 % sur les communications internationales, 35 % sur l'inter-urbain et, sans doute, d'ici la fin de 2002, 25 à 30 % à prévoir sur les communications locales), mais souligné que l'entreprise s'était mieux adaptée à la concurrence que les autres opérateurs historiques européens, par exemple Deutsche Telekom ou British Telecom.

Le ministre a fait observer que France Télécom avait réussi son pari du développement international, notamment dans la téléphonie mobile, avec l'acquisition d'Orange -certes à un prix élevé-, qui en faisait le numéro 2 incontesté des opérateurs mobiles en Europe, avec près de 40 millions de clients. Le ministre a relevé que cette croissance externe avait conduit à une augmentation de l'endettement de l'entreprise -65 milliards d'euros- mais que cette dernière avait les moyens de se désendetter, par des cessions d'actifs non stratégiques, et surtout grâce au résultat opérationnel considérable généré par ses activités : 37 milliards de francs d'EBITDA (Earning before interest, taxes, depreciation and amortization) au premier semestre 2001, et probablement plus du double pour le total de l'année.

S'agissant d'une évolution du capital de France Télécom qui conduirait l'État à en posséder moins de la moitié, M. Christian Pierret a précisé qu'une telle évolution était impossible sans une modification de la loi, mais, surtout, sans un projet industriel pour l'entreprise.

Le ministre a précisé qu'une telle privatisation nécessiterait également, au regard du statut des personnels, une loi modifiant les dispositions législatives relatives, d'une part, au service public des télécommunications et, d'autre part, au statut de la fonction publique pour les agents de France Télécom.

M. Christian Pierret a affirmé que le Gouvernement n'avait actuellement aucun projet de modification du statut de l'entreprise, ni de celui de ses personnels. Il a indiqué que le président de France Télécom ne demandait d'ailleurs pas un tel changement.

Au sujet de l'évolution de la réglementation des télécommunications, le ministre a précisé que des modifications devraient intervenir, dans la lignée de l'adoption des nouvelles directives communautaires, à laquelle la France avait pris, lors de sa présidence de l'Union Européenne, une part active. Il a indiqué que, d'ici la fin mars 2002, quatre nouvelles directives seraient adoptées (directives « cadre », « interconnexion », « service universel » et « autorisation »), ainsi qu'une décision sur les fréquences ayant déjà fait l'objet d'accord entre le Conseil et le Parlement européen, la directive sur la protection des données personnelles devant, quant à elle, être arrêtée d'ici 5 à 6 mois.

M. Christian Pierret a relevé que le calendrier de transposition serait tendu, puisque ces textes devaient être introduits en droit français 15 mois après leur adoption à Bruxelles. Il a jugé indispensable qu'un projet de loi de transposition puisse être présenté dès l'automne 2002 et a précisé que les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie y travaillaient d'ores et déjà : même si les arbitrages ne pourront être rendus que par le prochain Gouvernement, une consultation publique serait, sans attendre, lancée sur ce sujet. Le ministre a précisé que des sujets essentiels comme la convergence des réseaux de télécommunications et audiovisuels, le système d'attribution des fréquences ou la suppression des autorisations individuelles au profit d'autorisations générales devraient être abordés dans ce cadre.

S'agissant du rôle de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), M. Christian Pierret a estimé qu'il ne fallait pas écarter d'emblée une évolution de leurs compétences respectives. Il a relevé que le Conseil de la concurrence était fréquemment saisi de questions relatives aux télécommunications et que leur libéralisation progressive tendrait de plus en plus à soumettre ce secteur au droit général de la concurrence plutôt qu'au droit sectoriel des télécommunications. Il a jugé qu'il s'agissait d'une évolution tendancielle, en partie impulsée par le droit européen.

M. Gérard Larcher, président , a rappelé que tout passage sous la barre des 50 % de la part de l'État au capital de France Télécom, envisagé dans de récentes déclarations, nécessiterait, notamment, au préalable, une réflexion approfondie sur la constitutionnalité d'une telle évolution s'agissant d'une entreprise chargée d'un service public national. Il a estimé qu'un tel changement ne pouvait être envisagé sans stratégie non seulement industrielle, mais aussi sociale, pour l'opérateur.

M. Pierre Hérisson, président du groupe d'étude « Poste et télécommunications » , a souligné que M. Laurent Fabius, premier signataire de la motion de censure contre le Gouvernement Juppé en juin 1996 lors de la « sociétisation » de France Télécom, avait largement évolué, depuis, sur cette question. Il a demandé au ministre comment, dans l'hypothèse d'une privatisation, pourrait être garanti le maintien du statut de fonctionnaire du personnel. Il s'est interrogé sur la nécessité d'une réforme de la « gouvernance » de France Télécom : création d'un véritable comité d'entreprise et alignement du fonctionnement du conseil d'administration sur celui des sociétés commerciales de droit privé.

M. Pierre Hérisson a demandé au ministre son opinion sur une éventuelle extension du service universel à la téléphonie mobile, selon un système « acteur ou payeur », dans le cadre d'un découpage régional du territoire national. Il s'est inquiété de l'existence de très nombreuses « zones d'ombre » non couvertes par la téléphonie mobile et de la persistance, au sein même des zones dites couvertes, de très nombreuses coupures de communications liées à l'insuffisance des réseaux.

M. Pierre Hérisson a souhaité savoir quand le décret sur l'annuaire universel -annoncé comme imminent depuis bientôt six ans- serait publié et quand cet annuaire verrait le jour. Il a relevé que, dans un récent entretien au journal La Tribune, le ministre s'était félicité de l'ouverture à la concurrence à compter de 1997. Estimant que la loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications -décriée à l'époque de sa discussion- était ainsi pleinement légitimée, il a également souhaité savoir quelles retouches le ministre jugeait bon de lui apporter.

Il a demandé quel bilan le Gouvernement faisait de l'exercice de la régulation du secteur des télécommunications et de l'équilibre entre l'ART, le Gouvernement et le Conseil de la concurrence.

M. Michel Teston , considérant le rapprochement technologique entre l'audiovisuel et les télécommunications, s'est interrogé sur l'opportunité d'un rapprochement entre le CSA et l'ART. Il a fait valoir le fait que le statut actuel de France Télécom ne l'avait aucunement empêché d'obtenir de très bons résultats et d'être bien positionné parmi les grands opérateurs européens.

M. Jean Boyer a fait état de la mauvaise couverture en téléphonie mobile du département de la Haute-Loire, seul un tiers de sa superficie étant couvert. Il a relevé la contradiction entre les chiffres du récent rapport gouvernemental sur ce sujet (1.480 communes non couvertes) et les mesures réelles réalisées dans le cadre d'une convention entre les départements et l'ART, faisant état de zones d'ombre plus étendues. Il s'est interrogé sur les risques pour la santé humaine occasionnés par les antennes relais de téléphonie mobile.

M. Joseph Kerguéris a souhaité qu'à côté des critères géographiques ou démographiques pour mesurer les besoins en couverture mobile, un critère économique soit pris en compte, le téléphone mobile étant un véritable outil de travail pour de nombreuses professions.

M. François Gerbaud a relevé que le lancement de la télévision numérique terrestre était imminent. Il s'est interrogé sur les convergences technologiques que pouvait permettre le réseau d'EDF dans la couverture mobile du territoire et sur les évolutions des compétences respectives du CSA et de l'ART.

M. Christian Pierret a rappelé les conditions posées par un avis du Conseil d'État de 1993 pour que des fonctionnaires puissent être affectés à France Télécom, dès lors que l'État n'aurait plus 100 % du capital. Il en a déduit que, dans l'hypothèse où l'État ne serait plus majoritaire au capital, deux hypothèses étaient envisageables pour maintenir le statut des fonctionnaires :

- l'instauration d'un droit d'option pour un statut de droit privé, assorti d'un dispositif indemnitaire attractif et d'un « cantonnement » des fonctionnaires n'exerçant pas cette option dans des « cadres d'extinction » de la fonction publique ;

- le maintien du statut actuel, au moyen de la création d'un groupement d'intérêt public employant lesdits fonctionnaires pour les mettre à la disposition de l'entreprise.

M. Christian Pierret a toutefois fait valoir que le Gouvernement n'entendait pas conduire une telle réforme et que M. Laurent Fabius s'était récemment exprimé sur ce sujet à titre personnel.

S'agissant du service universel, le ministre a rappelé que la France avait activement plaidé pour son extension lors de la récente révision des directives européennes, mais que, faute d'une majorité d'États membres pour la soutenir, seule, une révision, d'ici deux ans, de son périmètre, avait été obtenue. Le ministre a précisé que l'annuaire universel serait mis en place en 2003, le décret devrait être publié d'ici l'été.

M. Christian Pierret a affirmé que l'objectif du Gouvernement pour accroître la couverture en téléphonie mobile était qu'au moins un réseau sur trois soit accessible dans les bourgs-centres. Il a indiqué que, dans le cadre des décisions du CIADT, 1.200 pylônes seraient installés par l'État et les collectivités territoriales et la moitié des zones blanches actuelles serait ainsi couverte par deux opérateurs, tandis que la deuxième moitié des zones blanches serait couverte par un seul des deux opérateurs. Il a précisé que 22 régions avaient répondu à la circulaire transmise à la suite du CIADT, mais que leur demande concernait au total davantage de communes que les estimations initiales du Gouvernement. Cela ne signifie pas qu'il faudra installer plus de relais dans la mesure où certaines communes signalées par les préfets ont des petites zones blanches de quelques km2, ce qui peut être résolu par une reconfiguration des relais existants.

Répondant à M. François Gerbaud, le ministre a indiqué qu'il était tout à fait possible d'utiliser les pylônes du réseau de transport d'électricité comme points hauts pour l'implantation d'antennes relais de téléphonie mobile, et que l'ART et la CRE supervisaient le développement de ce partenariat entre EDF et les opérateurs.

M. Gérard Larcher, président, a souhaité savoir si l'hypothèse d'une itinérance locale obligatoire entre opérateurs pour accroître la couverture avait été définitivement abandonnée, faisant valoir qu'elle était plus favorable aux consommateurs que la solution finalement mise en oeuvre à la suite du CIADT.

M. Christian Pierret a estimé que l'itinérance ne pouvait être imposée aux opérateurs et qu'elle nécessitait un délai plus long pour achever la couverture. Il a reconnu que, même au sein des zones considérées comme couvertes par la téléphonie mobile, des trous de couverture de petite taille subsistaient, dus à des insuffisances des réseaux. Il a invité les élus à saisir les opérateurs de demandes d'amélioration technique de leur réseau dans ce cas.

S'agissant de l'impact des antennes relais de téléphonie mobile sur la santé, le ministre a rappelé l'enquête de mesures sur le terrain de l'Agence nationale des fréquences et le rapport commandé par le ministre de la santé à une équipe de scientifiques sous l'égide du docteur Denis Zmirou et a résumé les travaux conduits à leur suite par le Gouvernement de la manière suivante :

- aucun danger avéré pour la santé humaine n'a été révélé, le Gouvernement recommandant toutefois l'application du principe de précaution ;

- le danger éventuel se situerait davantage autour du combiné téléphonique portable que des antennes émettrices elles-mêmes ;

- le Gouvernement estime qu'il convient de poursuivre les recherches dans ce domaine ;

- la recommandation de la Commission européenne de juillet 1999, approuvée par les comités techniques et scientifiques de l'Organisation mondiale de la santé, et portant sur les seuils maximum d'exposition recommandés du public aux rayonnements électromagnétiques a été introduite en droit français.

M. Christian Pierret a estimé que l'accès au haut débit se développait rapidement sur le territoire puisque l'ADSL (Asynchronus Digital Subscriber Line) pouvait techniquement être déployé sur 85 % des lignes téléphoniques et qu'il concernerait, à la fin 2003, 80 % de ces lignes, contre 60 à 65 % dans l'offre actuelle de France Télécom. Le ministre a toutefois considéré que le prix de l'abonnement ADSL (environ 45 euros par mois) était trop élevé, et a souhaité que l'ouverture à la concurrence de ce segment de marché le fasse rapidement baisser. Il a convenu qu'en raison de l'impossibilité technique de déployer l'ADSL trop loin des centraux téléphoniques, certaines zones rurales ne pourraient avoir accès à ces technologies. Il a précisé qu'une offre de raccordement par satellite serait disponible dans ce cas, à un prix d'abonnement mensuel voisin de celui de l'ADSL.

Le ministre a considéré qu'un rapprochement entre le CSA et l'ART n'était pas opportun, les fonctions de ces deux organismes étant très différentes. Soulignant que l'ART n'avait pas de fonction culturelle, contrairement au CSA, il a en outre estimé qu'il serait difficile d'imaginer une tutelle du secteur des télécommunications exercée par le ministre de la culture et, qu'en outre, une double tutelle pouvait s'avérer pénalisante. Il a affirmé que la convergence, réelle au plan technologique, entre l'audiovisuel et les télécommunications, se traduirait sans doute, avec le développement de la concurrence, par une soumission croissante aux règles du droit de la concurrence.

M. Marcel Deneux a souligné l'impact pour la place financière de Paris des oscillations du cours de bourse de France Télécom compte tenu du poids relatif de sa capitalisation. Il s'est interrogé sur la stratégie financière de l'Etat actionnaire.

M. Gérard Bailly s'est inquiété de la faiblesse de la couverture en téléphonie mobile de la région Franche-Comté, et plus précisément du département du Jura (17 pylônes, soit 25 millions de francs d'investissements étant encore nécessaires), faiblesse qui pénalisait, notamment, les professionnels de santé. Il s'est interrogé sur le degré de publicité qui pouvait être fait des cartes de couverture territoriales par réseau, compte tenu de l'enjeu commercial pour les opérateurs. Sur un plan plus général, il a regretté que les départements les moins dynamiques économiquement aient à supporter des coûts (assainissement, routes, téléphonie mobile, haut débit, guichets postaux...), souvent inexistants dans les zones plus riches. Il a jugé nécessaire plus de solidarité.

M. Christian Gaudin a considéré que la possibilité de transmission de données numériques à haut débit était une nécessité pour le développement des territoires ruraux, en particulier pour ceux touchés par des reconversions industrielles, à l'instar du Choletais. Faisant référence aux initiatives des régions Bretagne et Pays de la Loire  pour leur raccordement en fibres optiques, il a souhaité une contractualisation, au titre du volet local des contrats de plan Etat-régions, des financements pour les infrastructures à haut débit.

M. Gérard Larcher, président , s'est interrogé sur les modalités de la régulation dans les télécommunications au fur et à mesure du développement de la concurrence et sur le rôle à venir du Conseil de la concurrence. Il a regretté que le coût élevé du déploiement de certaines technologies ne conduise à ce que, dans les zones riches, un panel de technologies à haut débit soit disponible, tandis que, dans les départements moins denses, aucune ne serait accessible. Il s'est interrogé sur l'action de l'État face à cette fracture numérique.

M. Christian Pierret a confirmé qu'à son sens le Conseil de la concurrence aurait de plus en plus à intervenir dans le secteur des télécommunications. Il a souligné que le cours de bourse de France Télécom n'était pas actuellement plus attractif que celui de ses homologues européens, Deutsche Telekom et British Telecom, ces derniers ayant également un fort niveau d'endettement. Il a noté que la valorisation de France Télécom avait été divisée par quatre depuis l'incroyable sommet atteint il y a deux ans, l'entreprise étant à l'époque valorisée à 1.300 milliards de francs. Il a estimé que la faiblesse du cours de bourse de l'opérateur était la meilleure protection contre une privatisation immédiate.

Le ministre a déclaré que le coût de l'équipement en pylônes pour la téléphonie mobile revenant aux départements n'était pas prohibitif, puisqu'il se montait à 43 millions d'euros au total, soit en moyenne 1,5 million d'euros sur deux ans par département, sachant que les régions peuvent également apporter des financements. Il a considéré que les cartes de couverture par réseau mobile devaient être rendues publiques, et a convenu qu'il serait souhaitable d'inclure les récentes initiatives en matière d'infrastructures à haut débit dans les contrats Etat-régions, mais fait observer que la révision des documents de programmation prenait deux ans. S'agissant de l'accès des PME aux nouvelles technologies, le ministre a rappelé que les opérateurs de boucle locale radio investissaient beaucoup pour déployer leur réseau et que le Gouvernement consacrait des fonds à la diffusion d'Internet dans les PME (programme UCIP, Utilisation collective de l'Internet professionnel).

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