C. LES ÉLÉMENTS DU RÈGLEMENT FINAL ET LES AVANCÉES DE TABA : UNE BASE POUR L'AVENIR ?

Il y a un peu plus d'un an, le 8 janvier 2001, soit après la formulation, le 23 décembre 2000, des « paramètres Clinton » pour un accord de paix, le Premier ministre israélien, Ehud Barak, s'exprimait ainsi devant le Council of Foreign Relations : « Le Moyen-Orient tout entier se trouve à la croisée des chemins. Tout ce qui ne sera pas accompli dans un avenir proche pourrait ne pas être accompli pour encore très longtemps. En l'absence d'un accord, toutes les parties risquent de se trouver face à l'incertitude, à l'instabilité et au défi respectif de prévenir toute détérioration de la situation ».

Quelques jours plus tard se déroulèrent à Taba (en Egypte) des négociations marathon sur les questions du règlement final, ultime tentative pour parvenir à un accord crucial, à quelques jours des élections israéliennes. Aucun accord ne fut conclu, mais les parties reconnurent elles-mêmes n'avoir jamais autant rapproché leurs positions respectives sur au moins les quatre sujets des colonies, des réfugiés, de Jérusalem et des problèmes de sécurité.

1. Les colonies

La politique systématique d'implantations de populations juives conduite par les gouvernements israéliens successifs dans les territoires de Cisjordanie et de la bande de Gaza est un élément essentiel de la frustration -à la fois sur le plan des principes politiques et dans ses incidences quotidiennes- ressentie par la population palestinienne. Elle alimente le sentiment d'injustice devant ce que les Palestiniens considèrent, avec la communauté internationale, comme une occupation illégale.

C'est à partir de juin 1967, après la prise de possession par Israël de la Cisjordanie et de Gaza, que les gouvernements successifs du pays, travailliste comme Likoud, engagèrent une politique systématique d'implantation dans les territoires occupés. A l'origine de cette stratégie, la référence à l'Israël biblique, incluant la Judée et la Samarie comme propriété naturelle du peuple juif. D'autres considérations, plus politiques, sont cependant venues compléter cette justification originelle. Les implantations sont rapidement devenues, aux yeux des responsables israéliens, partie prenante des considérations de souveraineté et de sécurité d'Israël, en légitimant notamment la présence de l'armée israélienne sur ces territoires, du fait de sa mission de protection de citoyens israéliens.

Aujourd'hui, les implantations s'élèvent sur l'ensemble des territoires occupés à un total de quelque 150 unités, réparties en quatre zones principales : 107 en Cisjordanie (180.000 colons), 14 dans la bande de Gaza (4 000 colons), 14 à Jérusalem Est (170 000) et 33 sur les hauteurs du Golan (9 000 colons).

Encore convient-il de souligner les différences de configuration entre les implantations. Pour la plupart des Israéliens, ce sont des raisons économiques qui les conduisent à s'installer dans les colonies. Ainsi en est-il des deux plus importantes colonies de Cisjordanie que sont Ariel (15 000 habitants) ou Maale Adoumim (25 000 habitants), où vivent des Israéliens travaillant à Tel Aviv ou Jerusalem. Les colons qui s'installent dans les implantations -à Gaza ou dans d'autres parties de la Cisjordanie pour des raisons plus strictement religieuses ou politiques - ne sont guère plus de 50 000.

• Un coût considérable pour la collectivité

Les implantations bénéficient d'un effort financier public considérable : l'aide budgétaire accordée aux colonies est largement supérieure à la moyenne nationale ; selon certaines études, les municipalités de colons disposent d'un budget par tête supérieur de 43 % à la moyenne. Les dépenses en infrastructures publiques -et notamment routières- suivent la même tendance, à l'avantage des colonies. Il faut ajouter le coût généré par les exigences de sécurité liées au déploiement de l'armée autour de ces implantations et à la construction des nombreuses routes de contournement destinées à relier les implantations entre elles.

Ces implantations ont été décidées et développées en contradiction avec la légalité internationale . L'article 49 de la IV ème Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des civils en temps de guerre interdit à toute puissance occupante de procéder au transfert de sa propre population civile sur les territoires qu'elle occupe . La résolution 465 du Conseil de sécurité des Nations unies (1980) a d'ailleurs entériné cette incompatibilité de la politique d'implantations avec la IV ème Convention de Genève.

• Les accords d'Oslo et la poursuite de la colonisation

Les accords d'Oslo (1993-1995) n'ont certes pas expressément interdit l'extension des colonies. Ils avaient par ailleurs reporté la négociation sur ce sujet -comme sur d'autres- à l'examen du statut final des territoires. Cela étant, les accords prévoyaient de préserver « l'intégrité et le statut » de la Cisjordanie et de Gaza pendant la période intérimaire. Or la politique d'implantation n'a jamais cessé depuis la signature des accords. Elle s'est au contraire très largement accélérée. Entre 1993 et 2000, le nombre des colons a augmenté de 57 %. Très récemment encore, depuis le début 2002, neuf sites supplémentaires ont été établis, principalement en Cisjordanie, alors que l'accord de coalition conclu par le Premier ministre au début 2001 ne prévoyait la construction d'aucune nouvelle colonie pendant la mandature. Même si le gouvernement israélien range ce processus d'extension de colonies existantes sous le concept de « croissance naturelle » des implantations, il participe néanmoins au processus de poursuite de cette politique dont le « gel » -y compris pour la « croissance naturelle » est demandé par la communauté internationale, dont les États Unis, notamment dans le cadre des recommandations Mitchell du 20 mai 2001. Pour les Palestiniens, elle vide les accords d'Oslo de leur sens en détruisant la continuité territoriale de la zone d'établissement de leur État futur.

• Les avancées de Taba

Sur la base des « paramètres Clinton », les discussions de Taba de janvier 2001 avaient permis de progresser sur certains principes clés :

- un bloc de colonies proches de la ligne verte , regroupant près de 80 % des colons serait annexé à Israël en échange de territoires israéliens dévolus aux Palestiniens . Les zones annexées représentant entre 3 et 6 % des territoires auxquels pourraient s'ajouter la location à Israël d'un faible pourcentage additionnel de territoires supplémentaires ;

- une contiguïté serait assurée entre les zones sous souveraineté palestinienne et israélienne avec leurs territoires souverains respectifs.

- les colonies de Gaza seraient démantelées en totalité -sans annexion correspondante de territoires situés dans la bande de Gaza, de même que les colonies de la vallée du Jourdain , en échange de garanties de sécurité dans cette zone.

Certes, bien des différends sont restés en suspens dans le cadre de ces principes. Ils permettaient cependant d'aborder de façon plus ouverte la question de la frontière du futur État palestinien. En reconnaissant, depuis des années, les termes des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité -de préférence à la formulation de la ligne du 4 juin 1967, Israël peut en effet arguer d'une marge de manoeuvre territoriale permise par la formule retrait « de » territoires 9 ( * ) , marge qu'interdit en revanche la version française d'un retrait explicite « des » territoires occupés.

Les réfugiés

La Cisjordanie et Gaza regroupent respectivement 607 000 et 850 000 réfugiés, soit, pour la Cisjordanie, 30 % de la population palestinienne répartis sur 19 camps et 70 % pour Gaza qui comporte 8 camps. Le camp de Khan Younès, au sud de la bande de Gaza regroupe 60 000 réfugiés et votre délégation a pu y visiter l'une des 18 écoles que l'UNRWA 10 ( * ) y anime.

Les réfugiés représentent la fraction la plus vulnérable de la population palestinienne . Celle-ci est, évidemment, dans sa totalité, victime, depuis les 18 mois d'Intifada, des sévères restrictions de liberté de mouvements imposées par l'armée israélienne, des couvre-feux prolongés ou encore des incursions militaires au coeur des villes, des destructions de maisons, des récoltes ou de l'arrachage des citronniers et des oliviers. Les réfugiés des camps subissent cependant plus durement que d'autres les contrecoups sociaux, économiques et humains de ces mesures. L'impact économique et social de l'Intifada et des contre-mesures prises par les responsables israéliens a généré une hausse massive du chômage parmi toute la population palestinienne, mais davantage encore parmi les réfugiés, dont désormais 50 % en Cisjordanie et 70 % dans la bande de Gaza vivent en dessous du seuil de pauvreté.

L'UNRWA est l'acteur essentiel du soutien des réfugiés palestiniens.

Cette agence des Nations unies a été créée provisoirement en 1949, soit immédiatement après le premier conflit israélo-arabe de 1948, pour prendre en charge les Palestiniens réfugiés des zones conquises par l'armée israélienne. Elle est aujourd'hui responsable de l'éducation, de l'action sociale et médicale et de l'aide alimentaire auprès des 3,7 millions de réfugiés palestiniens de 1948 et de leurs descendants, répartis au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans les territoires palestiniens. Votre délégation, au cours de son déplacement à Khan Younès, s'est entretenue avec M. Peter Hansen, Commissaire général de l'agence, qui a insisté de façon concrète sur les conditions de travail des agents de l'agence, non seulement extrêmement difficiles, tant les besoins - en particulier sanitaires- sont immenses, mais aussi dangereux puisque plusieurs de ses personnels, quasiment tous Palestiniens, ont été blessés, voire tués lors des violences qui avaient précédé la mission.

L'une des principales actions de l'UNRWA, dans les territoires palestiniens comme ailleurs, concerne la scolarisation . Les 18 écoles du camp ne permettent de répondre que difficilement aux besoins tant l'afflux d'enfants est élevé : il faut scolariser, chaque année, 11 000 enfants supplémentaires. Pour éviter le surpeuplement des classes, les cours sont dispensés par demi-journée pour chaque groupe d'élèves. Cette activité scolaire de l'UNRWA, qui dure depuis 53 ans, aura formé deux générations de réfugiés -filles et garçons- dans des conditions pédagogiques et d'ouverture culturelle sans doute sensiblement supérieures à ce que l'on peut constater dans les pays arabes voisins . C'est sans doute l'un des rares aspects positifs de la situation des réfugiés depuis plus d'un demi-siècle.

• Le retour des réfugiés : sujet le plus sensible du règlement final.

Ce thème constitue en effet l'un des dossiers les plus difficiles du « statut final ». Il ne concerne pas les seuls réfugiés de Gaza ou de Cisjordanie, mais l'ensemble de ceux qui, après 1948, ayant dû quitter les zones conquises par l'armée israélienne, sont aujourd'hui, au-delà des seuls territoires palestiniens (1,5 million), réfugiés en Jordanie (1,6 million), au Liban (380 000) et en Syrie (390 000).

Dans leur quasi-unanimité, les responsables politiques israéliens ont toujours rejeté le principe général d'un droit au retour des réfugiés en Israël dont la mise en oeuvre, compte tenu de la fragilité des équilibres démographiques, risquerait à terme de détruire l'identité juive d'Israël.

Israël refuse par ailleurs d'assumer la responsabilité historique de la situation des réfugiés, l'attribuant à la guerre que lui ont livrée ses voisins arabes. De leur côté, les Palestiniens considèrent le droit au retour comme l'un des éléments essentiels du futur État, incompatible avec la perpétuation de camps de réfugiés à l'extérieur de ses frontières. Dans ses propositions de décembre 2000, le Président des États-Unis formulait également sur ce point des bases de négociation qui furent débattues à Taba. Le cadre proposait cinq possibilités : l'option retour et rapatriement se ferait : en Israël, dans les territoires israéliens remis à la Palestine dans le cadre d'un échange territorial, ou -essentiellement-, dans l'État palestinien. Ensuite, l'option réinstallation ou réhabilitation se ferait dans le pays hôte ou dans un pays tiers. En toute hypothèse, Israël, les pays hôtes (Jordanie, Syrie...) ou les pays tiers resteraient évidemment maîtres de leur politique d'accueil.

Priorité serait reconnue aux réfugiés du Liban, pays qui exclut tout maintien de réfugiés palestiniens sur son sol. Enfin, une commission internationale et un fonds international ad hoc permettraient -en application de la résolution 194- de dédommager les réfugiés.

2. Jérusalem

Le futur statut de cette ville « trois fois sainte » est l'un des éléments les plus complexes du règlement final sur lequel les rapprochements des positions de chaque partie restent des plus difficiles.

En 1947, la résolution 181 du Conseil de sécurité avait partagé la Palestine, alors sous mandat britannique, entre un État juif et un État arabe. Jerusalem constituait une entité séparée (corpus separatum) placée sous le contrôle des Nations Unies. A l'issue de la première guerre israélo-arabe cependant, la partie orientale de Jérusalem fut conquise par l'armée jordanienne, la partie occidentale étant annexée par Israël qui en fit sa capitale.

La guerre de 1967 permit à Israël la conquête de Jérusalem-Est, annexée le 28 juin suivant. La loi fondamentale du 30 juillet 1980 fit de Jérusalem la « capitale éternelle » d'Israël et, en dépit des condamnations du Conseil de sécurité de l'ONU, un programme de construction fut engagé à partir de 1969 dans la partie orientale de la municipalité qui a conduit à la couper du reste de la Cisjordanie et à modifier l'équilibre démographique de cette partie de la ville au profit des Israéliens.

Aujourd'hui certaines estimations fixent à 75 % la proportion de la population palestinienne de Jérusalem vivant en dessous du seuil de pauvreté et la densité y est sept fois plus élevée que dans la partie israélienne. Depuis Oslo, les Palestiniens résidant à Jérusalem doivent être titulaires d'un permis spécial, facilement révocable par l'administration israélienne.

Palestiniens et Israéliens souhaitent chacun, avec une même unanimité, que Jérusalem devienne -ou reste- la capitale de leur État respectif. Au problème d'un éventuel partage de la souveraineté s'ajoute dans la vieille ville celui du contrôle de l'Esplanade des Mosquées -lieu sacré pour les Musulmans (qui est le Mont du Temple -pour les juifs-)- et du Mur occidental, situé en contrebas de l'Esplanade, lieu sacré -avec le Saint des Saints- des Juifs. Lors des entretiens de Taba, des points de convergences avaient pu être trouvés : sur la base des « paramètres Clinton », Jérusalem deviendrait la capitale des deux États -Yerushalaïm capitale d'Israël et Al-Qods capitale de la Palestine. La souveraineté israélienne s'exercerait sur les quartiers juifs et la souveraineté palestinienne sur les quartiers arabes. La partie palestinienne aurait même accepté la souveraineté israélienne sur certains quartiers -implantations de Jérusalem-Est.

S'agissant des lieux saints, les parties n'étaient pas parvenues, à Taba, à un rapprochement sur leur souveraineté respective. L'idée avait été alors avancée du contrôle par l'État juif du Mur occidental et de celui de l'Esplanade des Mosquées par les Palestiniens, la souveraineté des lieux en question étant confiée provisoirement (durant 3 ans) aux 5 membres permanents du Conseil de Sécurité et au Maroc.

3. La sécurité

Lors des entretiens de Taba, la partie palestinienne avait pris en compte, sous certaines conditions, l'exigence formulée par Israël, de disposer de trois stations d'alerte avancée en territoire palestinien . Conformément aux préconisations du Président Clinton, l'État palestinien serait à « armement limité » mais le rapprochement sur le détail de cette formulation n'avait pu aller au-delà.

4. Le problème crucial de l'eau

Bien que figurant au nombre des éléments sur un statut final, le problème de l'eau n'est pas explicitement mentionné dans les « paramètres Clinton », ni, semble-t-il, dans les entretiens de Taba de janvier 2001. Il conditionne pourtant, pour une très large part, tout règlement à venir.

Dans un contexte régional de rareté de l'eau, les ressources des populations israélienne et palestinienne en ce domaine proviennent du Jourdain, du lac de Tibériade et d'une nappe montagneuse située essentiellement en Cisjordanie. Depuis juin 1967, l'exploitation de l'eau par les Palestiniens fait l'objet d'une législation israélienne très restrictive. La consommation d'au par les Israéliens est en moyenne cinq à six fois plus élevée que celle des Palestiniens : Israël et les colonies en consomment environ 80 %. Par ailleurs, si l'on estime à quelque 70 % la proportion de terres israéliennes irriguées, celle-ci, pour les Palestiniens, tombe à 5 %... A Gaza, les eaux du Wadi Gaza sont en quasi-totalité prélevées par Israël, provoquant, dans la partie autonome de la bande de Gaza, une situation très largement déficitaire. La mise en oeuvre des accords d'Oslo n'a pas permis une quelconque amélioration de la situation. A l'avenir, la viabilité même des deux États, imposera une coopération équilibrée et une gestion conjointe.

* 9 Version anglaise : « of territories occupied... ».

* 10 United Nations Relief and Works Agency.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page