2. Des difficultés maîtrisables jusqu'au terme de l'Agenda 2000

a) Des surplus exportables limités dans les prochaines années

Certes, les spécialisations agricoles des pays candidats paraissent voisines de celles de l'Union, mais, compte tenu de leurs handicaps, la productivité n'augmentera que lentement au cours des prochaines années. Des surplus pourraient apparaître dans certains domaines où l'Union est déjà en excédent (céréales, viande bovine, lait), mais ils resteront limités ; en revanche, dans d'autres secteurs (sucre, viande porcine), la consommation des pays candidats aidera à résorber d'éventuels surplus de l'Union à quinze ; inversement, les surplus possibles des pays candidats en oléo-protéagineux seront aisément absorbés, l'Union étant très déficitaire dans ce secteur.

Au demeurant, les accords commerciaux conclu avec les pays candidats ont déjà largement libéralisé le commerce des produits agricoles. Les droits ont été supprimés pour les produits non sensibles ; pour la plupart des autres secteurs, des accords dits « double zéro » ont été mis en place (pour des quantités augmentant progressivement, il n'y a ni droits, ni subventions à l'exportation) ; enfin, des règles particulières s'appliquent transitoirement pour le lait en poudre, la viande bovine et le sucre. Or, on peut constater que l'ouverture réciproque des marchés n'a pas eu d'effet déstabilisant.

b) La question budgétaire

• Il y a nécessairement une part d'incertitude dans l'évaluation du coût budgétaire qu'entraînera l'application de la PAC aux pays candidats. On ne peut prévoir exactement comment évoluera la productivité : or, c'est la gestion des excédents de production qui est coûteuse. De plus, on ne peut préjuger des résultats du nouveau cycle de négociations de l'OMC, qui rendront peut-être nécessaires de nouvelles mesures de maîtrise de la production.

Mais, depuis le début des réflexions sur les conditions dans lesquelles devrait s'effectuer l'adhésion, il a toujours été admis que les pays candidats n'avaient pas vocation à recevoir immédiatement l'ensemble des aides directes de la PAC . La raison principale est que ces aides ont été instituées pour compenser des baisses de prix, alors que les agriculteurs des pays candidats vont dans l'ensemble bénéficier d'une hausse des prix au moment de l'adhésion. Certes, à long terme, la loyauté de la concurrence impose une harmonisation des règles concernant les soutiens, mais pendant une période transitoire ces aides peuvent être introduites progressivement.

• Ce schéma a été concrétisé par la Commission, qui a proposé à la fin janvier d'introduire graduellement les aides directes sur une période de dix ans (2004-2013) ; le taux de départ serait de 25 % en 2004, passerait à 30 % en 2005 et à 35 % en 2006, puis augmenterait plus rapidement jusqu'à atteindre 100 % en 2013.

Par ailleurs, pour faciliter leur tâche administrative, les nouveaux états membres auraient la possibilité d'opter pour un régime simplifié pendant une période de trois ans pouvant être prolongée pendant deux ans. Ce régime simplifié prendrait la forme d'aides forfaitaires à l'hectare, sans lien avec la production.

Ces aides directes partielles seraient complétées par un effort important au titre du développement agricole et rural , qui pourrait financer des mesures de retraites anticipées, de création de groupements de producteurs, d'encouragements à la transformation de petites exploitations...

Au total, pour l'agriculture, le budget que la Commission propose d'affecter à l'adhésion des dix pays de la « première vague » est de :

- 2,05 milliards d'euros en 2004 (dont 1,53 milliard au titre du développement rural) ;

- 3,59 milliards d'euros en 2005 (dont 1,67 milliard pour le développement rural) ;

- 3,93 milliards d'euros en 2006 (dont 1,78 milliard pour le développement rural).

De tels montants permettraient en principe de respecter les plafonds retenus par l'« Agenda 2000 ».

• Les réactions à ces propositions ont été sans surprise. Les pays candidats les ont jugées très insuffisantes, réclamant la totalité des aides directes dès 2007. Inversement, certains pays membres - Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Autriche, Suède - les ont jugées excessives, en faisant valoir que, en additionnant les aides agricoles et les crédits prévus pour les fonds structurels, on risquait de dépasser l`enveloppe totale prévue par l'« Agenda 2000 ». En réalité, les pays membres les plus critiques sont ceux qui craignent qu'en prévoyant un mécanisme d'aides croissantes jusqu'en 2013, on s'engage implicitement en faveur d'un maintien de la PAC, alors qu'ils souhaitent sa remise en cause.

Pour répondre aux pays candidats, la Commission a publié le 18 mars une étude sur les conséquences de l'adhésion pour les agriculteurs des PECO. Selon cette étude, même sans aides directes, les agriculteurs des PECO verraient leurs revenus augmenter de 30 % en moyenne grâce à l'adhésion. Une application partielle des aides directes reste nécessaire pour contribuer à la stabilité des revenus et faire bénéficier l'ensemble des agriculteurs des effets positifs de l'adhésion. Mais une application immédiate de la totalité des aides directes aboutirait pratiquement à un doublement des revenus agricoles, créant des inégalités sociales difficilement justifiables et freinant la restructuration de l'agriculture.

Au total, les propositions de la Commission ne paraissent pas très éloignées d'un équilibre raisonnable, et montrent qu'il est possible de financer l'adhésion de dix pays jusqu'en 2006 sans qu'il soit nécessaire de remettre en chantier la PAC avant l'échéance prévue.

c) Les incertitudes

• Je ne mentionnerai que très brièvement les conséquences de l'élargissement sur les négociations de l'OMC . Pour avoir une idée précise, il faudrait savoir comment seront calculés les contingents tarifaires et les plafonds d'exportations subventionnées pour l'Union élargie, et ce point, à ma connaissance, n'est pas encore complètement éclairci. Je me propose d'obtenir des précisions lors du déplacement à Bruxelles que doit faire , à la fin du mois, le groupe de travail « OMC ». Je ne signalerai que deux points :

- la plupart des pays candidats ont consolidé des droits inférieurs à ceux de l'Union, mais ce n'est pas le cas de la Pologne, ce qui devrait limiter les effets de l'élargissement sur le tarif extérieur commun ;

- les accords dits « double zéro » dont j'ai parlé devraient permettre à l'Europe de conserver une marge de manoeuvre dans les négociations sur le montant des contingents tarifaires et les possibilités de soutien à l'exportation.

• Un autre point d'incertitude est constitué par les questions sanitaires . Les pays candidats doivent se rendre capables d'appliquer les normes en vigueur dans l'Union, qui ont été beaucoup renforcées au cours des dernières années : étiquetage, traçabilité, contrôles vétérinaires, hygiène des abattoirs et des laiteries. Cela implique un effort important, d'autant qu'il faudra également contrôler efficacement l'entrée de produits provenant des pays situés plus à l'Est, avec lesquels le commerce s'est développé au cours des dernières années.

*

En conclusion, on voit que l'élargissement ne justifie pas une réforme anticipée de la PAC . Il est vrai que les accords de Berlin prévoient un certain nombre de rendez-vous à mi-parcours, mais il s'agit de faire le point sur l'application de l'« Agenda 2000 », de décider d'éventuelles adaptations, mais non pas de discuter d'une réforme radicale.

Cela ne veut pas dire qu'une réflexion globale sur la réforme de la PAC n'est pas nécessaire. Cette réflexion doit être menée, mais sans précipitation, en respectant les échéances, et en replaçant les questions agricoles dans le cadre plus général des négociations sur les perspectives financières. La France n'a aucun intérêt à ce qu'une réforme de la PAC soit discutée isolément : l'avenir de la PAC, politique dont nous sommes les premiers bénéficiaires, ne doit pas être dissocié de celui des autres politiques, notamment la politique de cohésion pour laquelle nous sommes d'importants contributeurs nets. C'est seulement dans le cadre d'une approche globale que les efforts qu'implique l'élargissement pourront être équitablement répartis.

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