2. M. Jean Syrota, président de la Commission de régulation de l'électricité (CRE)

Dans l'intitulé de notre table ronde, la référence qui pose le moins de difficultés dans le thème est : « 2005 ». C'est l'horizon que propose la Commission européenne pour imposer une ouverture à la concurrence, au moins pour toutes les entreprises et activités économiques.

Pour ce qui est du volontarisme, il y a un aspect spécifique à la France que je dois mentionner. Le marché français du gaz n'est ouvert à la concurrence que pour les 20 % résultant de l'effet direct de la directive européenne de 1998. Celle-ci n'est pas transposée en droit français, et la Cour de justice instruit le dossier de la condamnation de la France.

Je concentrerai donc mon propos sur l'électricité puisque d'une certaine façon, pour l'électricité, le plus dur est fait, l'élan est donné, les bases sont en place.

Le marché unique et son degré de mise en oeuvre

Selon la Commission européenne, le marché unique de l'électricité est celui des quinze États membres de l'Union. Les consommateurs éligibles sont libres de choisir le fournisseur de leur choix. Les producteurs sont libres de s'installer. Les réseaux de transport et de distribution, sont gérés impartialement, le prix du transport est indépendant de la distance -ce qui garantit effectivement que tout client peut choisir un fournisseur de son choix sur une zone très vaste-, et un régulateur indépendant supervise le fonctionnement du marché et garantit le droit d'accès aux réseaux.

Ce droit est plus effectif dans la forme que dans les faits, comme en témoigne l'exemple de deux pays comparables : l'Allemagne et la France. En droit, la France a ouvert son marché à hauteur de 30 % de la consommation intérieure, et l'Allemagne à 100 %. La gestion du réseau de transport est assurée par un service d'EDF en France et par plusieurs sociétés privées outre-Rhin. Les apparences sont clairement favorables à l'Allemagne.

Pourtant, l'Allemagne compte une demi-douzaine de gestionnaires de réseaux de transport, filiales à 100 % des producteurs allemands et, dans la pratique, les tracasseries administratives et techniques dissuadent les consommateurs allemands d'acheter leur électricité à l'étranger. Si ces consommateurs veulent se plaindre, ils ne pourront pas se tourner vers un régulateur, au contraire de ceux des quatorze autres pays de l'Union européenne, pour trouver rapidement des solutions à leurs problèmes. Et finalement, un examen attentif montre que le marché dépend du consensus entre opérateurs historiques.

L'idéal serait de disposer d'un moyen de mesure incontestable de l'ouverture des marchés. Malheureusement, s'il existe théoriquement divers indicateurs, ils sont tous plus ou moins critiquables, et les conclusions des analyses mériteraient plus de modestie.

Une seule chose est sûre, l'ouverture d'un marché par le droit ne crée pas ipso facto la concurrence, compte tenu de la résistance au changement, d'une part, et des limites physiques des capacités de transport de l'électricité par les réseaux, d'autre part.

Le développement des réseaux

À supposer que le droit permette de changer de fournisseur, qu'une concurrence effective permette de mettre en concurrence plusieurs d'entre eux, encore faut-il qu'à la fin, celui qui produit puisse faire parvenir son électricité à celui qui la consomme. Or, aujourd'hui, les réseaux nationaux sont, encore souvent, trop peu interconnectés, notamment vers les îles ou les péninsules (Royaume-Uni, Italie, péninsule Ibérique, Scandinavie). Dans ces cas, il est souvent difficile et coûteux de construire ou de renforcer les lignes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas réaliser les extensions des interconnexions sur l'Europe continentale, où l'on constate des congestions chroniques pour des raisons physiques ou en raison du jeu des opérateurs.

Par définition, la bonne façon de gérer une congestion persistante, ce n'est pas de mettre aux enchères une capacité de transit présumée éternellement limitée, la bonne façon de gérer une congestion persistante c'est de la supprimer.

Ces mécanismes d'enchères, qui ont tendance à se développer, constituent, au passage des frontières, des péages qui augmentent le prix de l'électricité et maintiennent un cloisonnement entre réseaux qui va à l'encontre du but recherché de créer un marché unique concurrentiel.

La régulation

Construire le marché unique, c'est donc d'abord construire le réseau qui en est la colonne vertébrale, puis amener une concurrence effective et, enfin, réguler le fonctionnement de ce marché. À l'heure actuelle, la plupart des problèmes nés de l'ouverture reçoivent une solution satisfaisante à l'échelle nationale, grâce aux régulateurs nationaux. D'autres se règlent par accord bilatéral entre régulateurs. Certains problèmes, enfin, peuvent nécessiter une approche européenne coordonnée. On voit donc bien qu'il faut à la fois conserver la subsidiarité dans ce domaine, comme dans bien d'autres, et organiser une régulation européenne.

Si la Commission et le Parlement doivent jouer un rôle essentiel, en définissant les règles communes de fonctionnement du marché et en fixant les objectifs, les mécanismes de mise en oeuvre détaillés doivent rester de la compétence des États, au nom du principe de subsidiarité. Aussi, c'est bien aux régulateurs eux-mêmes qu'il faut confier, collectivement, dans un comité ad hoc, le soin d'exercer les quelques fonctions de régulation qui seraient mieux assurées au niveau communautaire qu'au niveau national ou bilatéral.

Les limites du marché

La sécurité d'approvisionnement de l'électricité ne me paraît pas pouvoir reposer uniquement sur le marché. Par lui-même, le marché peut certainement optimiser la gestion des moyens de production, mais ces économies et ces optimisations ne garantissent nullement l'adéquation de l'offre et de la demande. Le signal, incitant à investir, délivré par le marché peut intervenir trop tard pour éviter la défaillance, car les délais de procédure et de construction sont longs, et l'électricité ne se stocke pas.

La crise californienne a eu de multiples causes, dont la principale a été incontestablement cette insuffisance de capacité de production et de transport, qui était prévisible mais qui n'a pas été prise en compte par les pouvoirs publics en temps utile. La programmation des investissements, pour faire face à une perspective de consommation, demeure donc un garde-fou nécessaire.

En conclusion, pour assurer aux consommateurs, en permanence, l'énergie dont ils ont besoin au meilleur rapport qualité/prix, il faut faire appel à la responsabilité conjointe des autorités politiques, des opérateurs et des régulateurs

M. Dominique Ristori

Si les directives actuelles n'exigent pas la mise en place de régulateurs, les propositions du mois de mars stipulent l'obligation d'introduire partout une autorité indépendante de régulation. Notre objectif est double : anticiper, sur le plan réglementaire, les conditions d'accès aux réseaux et l'approbation des tarifs.

Nous veillerons à ce que nos propositions, portant notamment sur la tarification transfrontalière, fonctionnent avec la participation de tous les régulateurs européens.

En ce qui concerne les infrastructures et interconnexions, il est indispensable de prendre des décisions pour combler le déficit, ou créer des lignes dans les zones fragiles de l'Europe.

Nous ferons en sorte que des stimulations financières existent aussi au niveau européen malgré les divergences de politique et d'organisation.

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